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D OSSIER
thématique
Tolérance en
transplantation
d’organe
Coordinateur : A. Le Moine,
Institut d’immunologie médicale,
Université Libre de Bruxelles,
Gosselies,
département de néphrologie,
hôpital Érasme, Bruxelles, Belgique
( La question de la tolérance en transplantation : mythe ou réalité ?
A. Le Moine (page 86)
( Induction de tolérance : de la délétion à la régulation
F.S. Benghiat, A. Le Moine (page 89)
( Transplantation d’îlots et tolérance - C. Beuneu (page 96)
" L’induction de tolérance en greffe d’organe : bientôt une réalité ?
V. Donckier, R.Troisi, A. Le Moine
( Mesure de l’alloréactivité au moyen des tétramères de complexes
majeurs d’histocompatibilité - D. Klestadt (page 113)
L’induction de tolérance en greffe d’organe :
bientôt une réalité ?
" V. Donckier*, R.Troisi**,
A. Le Moine***
POURQUOI INDUIRE DE LA TOLÉRANCE
EN GREFFE D’ORGANE ?
L’induction de tolérance en greffe d’organe, définie comme la survie prolongée d’une allogreffe en l’absence de
tout traitement immunosuppresseur,
représente un objectif majeur pour les
prochaines années. En effet, si les médicaments immunosuppresseurs sont
actuellement très efficaces pour prévenir les rejets aigus, ils sont, en revanche,
à l’origine d’une morbidité et d’une
mortalité significatives qui altèrent les
résultats des transplantations. Cette
morbidité est liée à la toxicité directe de
ces drogues, notamment sur la fonction
* Service de chirurgie digestive, hôpital Érasme,
Université Libre de Bruxelles, Belgique.
** Department of General, Hepato-Biliary and
Transplantation Surgery, Ghent University
Hospital.
*** Institut d’immunologie médicale, Université
Libre de Bruxelles, Belgique.
106
rénale, le métabolisme glucidique et le
système cardiovasculaire (1-3), mais
également à l’immunosuppression globale qu’ils induisent, favorisant le développement d’infections et de cancers (46) [tableau I]. Les infections et les cancers post-transplantation peuvent apparaître de novo ou comme récidive de la
pathologie ayant indiqué la greffe. Ce
risque est particulièrement présent en
transplantation hépatique, notamment
en cas de greffe pour hépatite C ou
d’hépatocarcinome secondaire à une
cirrhose (7). Enfin, les médicaments
immunosuppresseurs actuellement disponibles ne sont pas efficaces pour prévenir les phénomènes de rejet chronique
(8), qui restent une cause importante de
perte de fonction des greffons à long
terme, nécessitant éventuellement une
retransplantation.
Les traitements immunosuppresseurs
utilisés actuellement en greffe d’organes
sont donc à l’origine d’une limitation
stricte des indications de greffe (patients
Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 2 - avril-mai-juin 2005
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Tableau I. Toxicité et limites des traitements immunosuppresseurs actuels[1].
Effets indésirables et efficacité limitée
Morbidité induite
Toxicité directe sur :
– métabolisme glucidique
– fonction rénale
– système cardiovasculaire
Diabète
Insuffisance rénale
Hypertension artérielle
Immunosuppression non spécifique
Incidence accrue de cancer et d’infection,
de novo ou récidive
Inefficacité contre les phénomènes
de rejet chronique
Perte de fonction du greffon, retransplantation
[1]
Les associations de médicaments immunosuppresseurs les plus communément utilisées actuellement en greffe d’organe comportent un inhibiteur de la calcineurine (ciclosporine ou tacrolimus),
des corticostéroïdes et des médications antimétaboliques (azathioprine, mycophénolate mofétil) et
du sirolimus.
porteurs de cancers) et d’un coût élevé
(prix du traitement lui-même et traitement des complications). Leur inefficacité dans la prévention des rejets chroniques contribue en outre à la carence
globale de greffons (retransplantation
pour rejet chronique). Les effets indésirables de l’administration chronique des
médicaments immunosuppresseurs se
traduisent clairement dans les chiffres, la
mortalité des patients transplantés étant
globalement six fois supérieure à celle
de la population générale. De cette
façon, on peut considérer que, malgré
ses succès remarquables, la greffe d’organe n’est pas un traitement curatif, la
maladie liée au dysfonctionnement terminal d’un organe étant remplacée par la
maladie globale induite par l’immunosuppression (9).
Le développement de stratégies thérapeutiques permettant d’induire de façon
reproductible une tolérance de transplantation constituerait donc un progrès
considérable pour améliorer les résultats
de la greffe d’organe, mais aussi pour
ouvrir d’autres voies, comme celle de la
xénotransplantation. Cela justifie le lancement de larges programmes dont l’objectif principal est le développement de
protocoles cliniques d’induction de tolérance, aux États-Unis, par le biais de
l’Immune Tolerance Network (ITN), et
en Europe, au sein du programme
Reprogramming the Immune System for
the Establishment of Tolerance (RISET,
voir pages 83-84), soutenu par la
Commission européenne (coordinateur
du projet : Pr Michel Goldman,
Université Libre de Bruxelles).
Différentes données permettent de penser que l’induction de tolérance de
transplantation chez des patients greffés
est devenue aujourd’hui un objectif
accessible dans un proche avenir.
Tout d’abord, il existe de nombreux
modèles expérimentaux d’induction de
tolérance chez l’animal, y compris dans
les conditions les plus contraignantes
d’un point de vue immunologique,
comme les greffes de peau chez le rongeur ou les xénogreffes chez le gros animal (10-12). L’étude extensive de ces
modèles expérimentaux a permis
d’identifier plusieurs mécanismes pouvant intervenir dans l’établissement
d’une tolérance spécifique à l’égard des
antigènes du donneur (alloantigènes),
comme la délétion clonale, l’anergie
sélective ou la suppression des lymphocytes T alloréactifs (11). Une voie commune à la plupart de ces protocoles est
la nécessité de créer les conditions permettant une présentation initiale des
alloantigènes dans un contexte d’immaturité/naïveté du système immunologique du receveur (figure 1). C’est ce
mécanisme fondamental, similaire à
celui observé lors de l’ontogenèse du
système immunitaire et de l’établisse-
Receveur
Protocole de conditionnement
médullaire :
déplétion des lymphocytes T
Réduction du pool de lymphocytes T potentiellement alloréactifs
Injection de cellules
hématopoïétiques du donneur
Phase de macrochimérisme[1]/migration des cellules du donneur/
reconnaissance réciproque donneur ↔ receveur/délétion
de lymphocytes T alloréactifs/engagement d’une réponse
immune tolérogène (ne menant pas au rejet aigu)
Greffe d’organe[2]
Tolérance vis-à-vis de l’allogreffe
[1]
Le maintien de l'établissement d’un macrochimérisme permanent n’est pas une
condition pour le maintien de la tolérance, celle-ci pouvant être associée à un macrochimérisme transitoire.
[2]
La greffe d’organe et le conditionnement du receveur peuvent être simultanés ou se suivre.
107
Figure 1. Induction de tolérance
par conditionnement médullaire
et injection de cellules du donneur.
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ment de la tolérance au soi, qui est
impliqué dans la tolérance néonatale,
première démonstration expérimentale
de tolérance de transplantation décrite
par P. Medawar et al. chez la souris
(13). Dans une perspective clinique, il
serait possible de reproduire cette situation de naïveté immunologique en
conditionnant le système immunitaire
du receveur à l’aide de drogues ciblant
préférentiellement les cellules immunes.
Cette phase de conditionnement permet
ensuite l’implantation, au moins transitoire, de cellules allogéniques dans les
sites d’hématopoïèse du receveur, phénomène clé dans l’établissement d’une
tolérance spécifique (figure 1). La
coexistence au sein de l’organisme receveur de cellules d’origines génétiques
différentes, provenant du donneur et du
receveur, est défini comme le chimérisme, le macrochimérisme définissant la
situation dans laquelle les cellules du
donneur sont détectables au niveau du
sang périphérique. C’est cette période
de coexistence des cellules du donneur
et de celles du receveur dans un environnement immunologique favorable,
n’aboutissant pas au rejet d’une des
deux populations cellulaires, soit par un
mécanisme de réaction de l’hôte contre
le greffon (HVG), soit, réciproquement,
par une réaction du greffon contre l’hôte
(GVH), qui pourrait permettre un engagement tolérogène de la réponse immune (14).
Classiquement, les régimes de conditionnement, utilisés notamment en greffe
de moelle, comprennent l’administration de drogues myélotoxiques, comme
le cyclophosphamide, éventuellement
associées à une radiothérapie corporelle.
Jusqu’à récemment, la toxicité de ces
protocoles et le risque de réactions
de GVH suite à l’administration de
cellules allogéniques immunocompétentes étaient considérés comme prohibitifs pour envisager leur utilisation clinique en greffe d’organe solide.
Toutefois, des avancées récentes, comme
la définition de protocoles de conditionnement médullaire moins toxiques (11)
et l’identification des cellules souches,
potentiellement tolérogènes (15), mais
immunologiquement immatures, c’est-àdire incapables d’induire de la GVH, permettent de reconsidérer cette approche en
greffe d’organe chez l’homme (16).
DÉVELOPPEMENT DE PROTOCOLES
CLINIQUES D’INDUCTION
DE TOLÉRANCE DE TRANSPLANTATION
Cadre éthique et méthodologique
Le développement de protocoles cliniques d’induction de tolérance, pouvant mener à la diminution progressive
de l’immunosuppression (weaning) ou à
son arrêt, doit s’envisager dans un cadre
bien défini du point de vue éthique et
méthodologique (17).
) Les études pilotes de faisabilité
(proof-of-concept) sont appropriées
pour répondre à la première question :
“L’arrêt (ou la diminution) du traitement immunosuppresseur est-il (elle)
possible sans altération du greffon, à
court et à long terme ?” Ces études, sans
groupe contrôle, fournissent une base
pour des investigations comparatives
ultérieures.
) Tenant compte de l’hétérogénéité
biologique des individus, notamment
dans leur capacité de rejeter une allogreffe et de l’efficacité des régimes
actuels d’immunosuppression, des
études comparatives sont indispensables pour permettre de démontrer
l’avantage éventuel d’un protocole d’induction de tolérance.
) Les patients inclus dans ce type de
protocole doivent en retirer un bénéfice
potentiel estimé raisonnable par rapport
aux protocoles standard d’immunosuppression. Cela concerne peut-être plus
particulièrement les patients chez lesquels le risque lié à l’immunosuppression est exacerbé, par exemple les
108
patients porteurs de cancers ou ceux
présentant une comorbidité comme un
diabète ou de l’hypertension.
) La situation de tolérance versus rejet
d’une allogreffe n’est pas un phénomène
de oui/non et n’est pas nécessairement
stable. La durée du suivi doit donc être
adéquate, c’est-à-dire identique à la
durée de vie du patient ou à la durée de
vie de la greffe.
) Les marqueurs cliniques du rejet aigu
sont probablement trop peu sensibles.
Des biopsies de protocole doivent donc
être prévues au cours du suivi.
) Le caractère spécifique de la tolérance
doit être documenté (par exemple en
utilisant des tests qui évaluent la réponse
immune vis-à-vis d’antigènes tiers, de
stimuli non spécifiques ou la réponse à
un vaccin).
) Il faut tenir compte du fait qu’un épisode de rejet aigu n’a pas nécessairement un impact négatif sur la survie à
long terme du greffon (particulièrement
en transplantation hépatique). La
démonstration de signes de rejet sur une
biopsie de protocole ne condamne pas
nécessairement l’induction de tolérance
et ne doit pas imposer le retour à un traitement immunosuppresseur classique
(18, 19).
Protocoles de minimisation
de l’immunosuppression
Les protocoles d’immunosuppression
utilisés à ce jour dans la phase précoce
post-greffe comportent classiquement
plusieurs drogues dont l’objectif principal est de prévenir complètement la survenue d’un rejet aigu. L’efficacité de
ces combinaisons thérapeutiques est en
constant progrès, le taux de rejet aigu
après greffe rénale étant actuellement
inférieur à 10 % et la survie des greffons atteignant 90 % à un an (20).
Toutefois, il est possible que cette forte
immunosuppression initiale exerce un
effet négatif sur certains mécanismes
actifs de reconnaissance donneur-receveur pouvant mener à une meilleure
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tolérance de la greffe à long terme. En
revoyant des données historiques, Starzl
a effectivement observé des cas de survie de greffe à très long terme, parfois
supérieurs à 30 ans, chez des patients
ayant reçu un régime immunosuppresseur déplétant ou une irradiation corporelle dans la phase prétransplantation,
suivi d’une immunosuppression minimale ou parfois même de l’arrêt de cette
dernière (21-24). De façon intéressante,
après ces années pionnières, l’introduction des corticostéroïdes en prophylaxie
a réduit l’incidence de rejet aigu et de
perte précoce de greffon, mais a augmenté l’incidence de rejet tardif (24).
Les mécanismes pouvant expliquer les
bénéfices à long terme de régimes
déplétants donnés dans la phase précoce
restent hypothétiques. Starzl suggère
qu’un traitement d’induction avant la
greffe, et plus particulièrement de
déplétion des lymphocytes T, pourrait
créer les conditions permettant la
migration des cellules du donneur, puis
la coexistence et la reconnaissance
mutuelle des cellules du donneur et du
receveur dans la période post-transplantation précoce (25). C’est ce phénomène
qui pourrait induire une délétion/ épuisement des réponses antidonneur et,
ultérieurement, mener à un état de tolérance. Une autre interprétation est
qu’une déplétion agressive des lymphocytes T pendant la phase péri-transplantation permette à l’organe greffé de
“guérir” des lésions induites par l’ischémie et la reperfusion sans qu’un signal
de “danger” (26) activant le rejet soit
généré (19), ces deux mécanismes ne
s’excluant pas mutuellement.
Sur ces bases, l’université de Pittsburgh a
mené un protocole de minimisation de
l’immunosuppression (weaning) chez des
patients greffés rénaux ou hépatiques,
recevant des globulines antilymphocytes
T (ATG) immédiatement avant la greffe,
suivi d’une monothérapie tacrolimus, progressivement diminuée en fonction de
l’évolution clinique. Les résultats de ces
études restent en cours d’évaluation, mais
semblent prometteurs. Après un suivi de
6 à 21 mois, un espacement des doses de
tacrolimus (de 1 mg x 2/j à 1 mg/sem.) a
été possible chez 63 % des 150 patients
greffés rénaux selon ce protocole (27).
En transplantation hépatique, parmi
17 patients inclus dans le même protocole,
la diminution de l’immunosuppression a
été possible chez 10 patients (tacrolimus :
de 1 mg x 2/j à 1 mg/sem.) (I). D’autres
équipes ont suivi une approche similaire,
en utilisant d’autres anticorps déplétants
ou d’autres régimes de maintenance (18,
19). L’utilisation du Campath (anticorps
monoclonal anti-CD52 humanisé, ciblant
les lymphocytes T matures et, dans une
moindre mesure, les lymphocytes B et les
monocytes) permet également de réduire
très fortement l’immunosuppression postgreffe, sous forme d’une monothérapie à
base d’inhibiteurs de la calcineurine (28)
ou de sirolimus (18).
Ces patients sous faibles doses d’immunosuppression au long court sont souvent
considérés comme “pseudo-tolérants”
(concept de “pseudo-tolérance” ou
“prope tolerance”). Strictement, cependant, dans ces protocoles, la déplétion
des lymphocytes T seule n’est pas
capable d’induire une tolérance vraie,
ces patients gardant la capacité, non prévisible, de rejeter leur allogreffe (29) et
restant dépendants d’une immunosuppression chronique, même à doses
faibles. Cela peut s’expliquer de plusieurs façons. D’abord, certaines classes
de lymphocytes T, et particulièrement les
lymphocytes T mémoire, sont plus résistantes aux thérapies de déplétion T (30).
Ensuite, tenant compte de la multiplicité
des mécanismes effecteurs du rejet d’allogreffe (31), il est peu probable que la
déplétion isolée des lymphocytes T soit
suffisante pour induire de la tolérance,
d’autres cellules effectrices comme les
cellules NK, les monocytes ou les
macrophages pouvant médier du rejet
109
(29). La tolérisation simultanée de l’ensemble des mécanismes effecteurs du
rejet étant difficile à imaginer, il est possible que l’induction et surtout le maintien de la tolérance dépendent de la présence de cellules suppressives ou régulatrices, notamment de lymphocytes T
régulateurs CD4+CD25+ (32). Dans ce
contexte, les médicaments immunosuppresseurs, et essentiellement les inhibiteurs de la calcineurine, pourraient jouer
un rôle défavorable, en inhibant la différenciation et la prolifération des lymphocytes T régulateurs.
Protocoles d’arrêt de l’immunosuppression
Faire un pas plus loin dans le développement des protocoles de tolérance
consiste à combiner la greffe d’organe
solide avec une injection de cellules
hématopoïétiques du donneur pour
induire ou renforcer l’établissement
d’un chimérisme sanguin (33). Dans de
nombreux modèles expérimentaux, y
compris chez les gros animaux (34-36),
l’induction, même transitoire, d’un
macrochimérisme, après régime de
conditionnement myélodéplétant et
injection de cellules du donneur, permet
d’établir une tolérance spécifique stable
dans le temps (robust tolerance). Selon
cette approche, des animaux peuvent
être rendus totalement tolérants pour
plusieurs années, les biopsies de greffon
ne montrant aucun stigmate de rejet
aigu ou chronique, plus de cinq ans
après l’arrêt de toute immunosuppression (36). Le même phénomène a été
occasionnellement vérifié en clinique,
dans des cas isolés de patients développant une tolérance complète vis-à-vis
d’une allogreffe après avoir bénéficié
d’une greffe de moelle provenant du
même donneur (37, 38).
Une étape a été franchie récemment lors
de la mise en œuvre d’un protocole
d’induction intentionnelle de tolérance
par la combinaison d’une greffe de
moelle du donneur et d’une greffe rénale
Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 2 - avril-mai-juin 2005
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D OSSIER
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"""
chez des patients présentant un myélome multiple et une insuffisance rénale
terminale (39). La base rationnelle, dans
cette indication particulière, était de
profiter en même temps d’un effet tolérogène des cellules médullaires du donneur et de leur action dans le contrôle de
la maladie hématologique (effet GVL
[graft versus leukemia]). Les patients
inclus dans ce programme ont reçu un
protocole de conditionnement comprenant du cyclophosphamide et une irradiation thymique, suivi par la perfusion
de cellules de moelle totales et la greffe
rénale. Chez 4 patients sur 5, l’immunosuppression post-greffe (ciclosporine) a
pu être totalement arrêtée, sans apparition de signes de rejet aigu ou chronique
(36). De façon intéressante, un macrochimérisme n’a été observé que transitoirement dans ces cas (39).
Au sein d’une collaboration entre l’hôpital universitaire de Gand et l’hôpital
Érasme (Université Libre de Bruxelles),
nous avons commencé une étude pilote
d’induction de tolérance en transplantation hépatique à partir de donneur
vivant (THDV) (40). Plusieurs raisons
ont motivé le choix de ce protocole en
THDV. Premièrement, lors de cette procédure, le donneur est précocement
identifié, permettant donc de disposer
d’une période prégreffe pour la récolte
et la sélection des cellules du donneur
et, ensuite, de conditionner le receveur
et d’injecter les cellules du donneur
avant la greffe hépatique, afin de réduire
les risques de toxicité cumulée. Le foie
peut être également considéré comme
un organe privilégié d’un point de vue
immunologique (41, 42). De plus,
notamment en raison de la capacité de
régénération des hépatocytes, les
greffes de foie sont relativement résistantes aux phénomènes de rejet aigu,
permettant dès lors de vérifier cliniquement l’hypothèse de l’induction de tolérance, c’est-à-dire d’arrêter tout traitement immunosuppresseur, en limitant
les risques de perte de fonction des greffons à long terme. Enfin, il existe de
nombreux patients porteurs de cancers
hépatiques avancés, mais strictement
limités au foie, pouvant bénéficier
d’une greffe hépatique dans le cadre de
protocoles d’induction de tolérance.
Dans ces cas, en effet, le risque de récidive tumorale post-greffe est directement lié à l’immunosuppression non
spécifique induite par les traitements
antirejet. Dans notre protocole, nous
avons choisi d’injecter des cellules
souches CD34+ du donneur plutôt que
des cellules médullaires totales. En
effet, ces cellules, immunologiquement
immatures et donc en principe incapables d’induire des réactions de GVH,
possèdent des propriétés tolérogènes,
notamment via un effet veto (43). La
faisabilité et la sécurité de cette
approche avaient été préalablement
vérifiées dans une étude en greffe rénale
cadavérique (44).
Le protocole que nous avons adopté est
le suivant (figure 2) :
Deux patients ont été traités selon ce
protocole (tableau II). Ils présentaient
tous deux des cancers avancés, au-delà
des critères d’inclusion pour une greffe
hépatique cadavérique.
Après conditionnement (cyclophosphamide : 50 mg/kg et antithymocytes glo-
Conditionnement
médullaire[1]
J0
J5
CS du donneur[2]
buline : 3,75 mg/kg), la totalité des cellules CD34+ du donneur ayant pu être
obtenues a été injectée. Un macrochimérisme transitoire a été détecté dans le
premier cas uniquement (tableau II).
Comme attendu, l’injection de cellules
souches n’a pas induit de réaction de
GVH. Dans les deux cas, la période de
dépression médullaire après le régime
de conditionnement a été accompagnée
de complications infectieuses sévères,
nécessitant une antibiothérapie à large
spectre prolongée (40). Chez les deux
patients, l’immunosuppression a été
totalement arrêtée, respectivement aux
jours 90 et 28, sans qu’aucun épisode
de rejet aigu n’ait été observé dans le
suivi. La tolérance opérationnelle a été
confirmée dans les deux cas par des
tests de culture mixte in vitro démontrant l’absence de réactivité des cellules
du receveur vis-à-vis des antigènes du
donneur (40). Dans les deux cas, une
récidive tumorale a été observée,
entraînant finalement le décès des
patients, aux jours 370 et 630 postTHDV. Il faut signaler que ces deux
patients étaient porteurs de cancers
avancés au moment de la greffe, hépatocarcinome multifocal avec une
thrombose porte néoplasique dans le
premier cas, et cholangiocarcinome
dans le second. Le deuxième patient
présentait aussi une ascite néoplasique,
ce résultat ayant été obtenu après la réalisation de la greffe.
THDV[3]
Arrêt
immunosuppression[4]
J7
CS : cellules souches CD34+, THDV : transplantation hépatique donneur vivant.
[1]
Cyclophosphamide et ATG.
[2]
Purification des cellules souches du donneur par sélection positive (colonne d’immuno-affinité).
[3]
TH : transplantation hépatique, programmée dès reconstitution hématologique.
[4]
Arrêt de l’immunosuppression dès normalisation des tests hépatiques.
Figure 2. Protocole d’induction de tolérance en transplantation hépatique donneur vivant.
112
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Tableau II. Patients inclus dans le protocole d’induction de tolérance en transplantation
hépatique donneur vivant.
Indication
Régime de conditionnement (début J0)
Morbidité lors du conditionnement
Injection des cellules du donneur (J7)
THDV
Macrochimérisme
Arrêt de l’immunosuppression
Période sans immunosuppression
Rejet aigu après arrêt
de l’immunosuppression
Récidive tumorale
Suivi
Patient 1
Patient 2
Hépatocarcinome
multifocal
CpA + ATG
Sepsis
3,3 x 106 CD34+/kg
J40
Transitoire
J90
280/370 jours post-THDV
Non
Cholangiocarcinome
(tumeur de Klatskin)
CpA + ATG
Sepsis
5,7 x 106 CD34+/kg
J55
Non
J28
575/630 jours post-THDV
Non
Oui
370 jours (*)
Oui
630 jours (*)
tocoles d’induction de tolérance peuvent être proposés en première ligne à
tous les patients candidats à une greffe
d’organe, selon les protocoles standardisés. Pour cette raison, le développement d’études pilotes, prioritairement
destinées aux patients porteurs d’une
comorbidité faisant craindre une toxicité
importante des médicaments immunosuppresseurs, représente une étape
$
indispensable.
R É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
CpA : cyclophosphamide ; ATG : globulines antithymocytaires ; THDV : transplantation hépatique
donneur vivant.
1.
Sur la base de cette première expérience,
nous avons adapté notre protocole afin
de réduire la toxicité du régime de
conditionnement et de raccourcir le délai
pré-THDV. Dans cette seconde version
du protocole (45), la THDV est réalisée
en premier lieu, suivie par un régime de
conditionnement allégé (ATG et sirolimus) pendant 5 jours. Les cellules
souches CD34+ du donneur sont injectées au septième jour post-transplantation et l’immunosuppression (monothérapie sirolimus) est arrêtée dès normalisation des tests hépatiques. Trois
patients ont été inclus à ce jour et leurs
résultats sont en cours d’évaluation. Les
premières données sont prometteuses,
l’immunosuppression ayant pu être arrêtée précocement chez deux patients sur
trois, ces deux patients étant actuellement sans traitement immunosuppresseur, respectivement 130 et 240 jours
après la transplantation hépatique.
CONCLUSION
L’induction de tolérance en greffe d’organe est maintenant devenue un objectif
réaliste pour les prochaines années.
Différents protocoles cliniques sont
actuellement en cours, et les premiers
rapports de patients tolérant effectivement une allogreffe sont publiés. Une
des limites prépondérantes reste la toxicité des régimes de conditionnement,
indispensables pour permettre l’établissement d’un chimérisme mixte et l’engagement tolérogène de la réponse
immune. L’amélioration de la reconstitution immune est certainement un
point central pour limiter la morbidité
des conditionnements myélodéplétants.
Différentes approches ne s’excluant pas
mutuellement peuvent être évaluées
dans ce sens, comme le développement
de régimes de conditionnement non
ablatifs allégés, par exemple avec des
anticorps bloquant les signaux de costimulation (46, 47), ou l’augmentation
des doses de cellules allogéniques
administrées (43, 48).
Le point crucial reste de savoir quels
sont les patients candidats. Comme évoqué plus haut, le respect d’un cadre
éthique et méthodologique strict (17)
est fondamental pour permettre de valider et ensuite d’étendre ces protocoles
thérapeutiques. Tenant compte de l’excellente efficacité des régimes d’immunosuppression actuels dans le contrôle
du rejet aigu, nous ne sommes certainement pas arrivés au stade auquel les pro-
113
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