D OSSIER thématique Tolérance en transplantation d’organe Coordinateur : A. Le Moine, Institut d’immunologie médicale, Université Libre de Bruxelles, Gosselies, département de néphrologie, hôpital Érasme, Bruxelles, Belgique ( La question de la tolérance en transplantation : mythe ou réalité ? A. Le Moine (page 86) ( Induction de tolérance : de la délétion à la régulation F.S. Benghiat, A. Le Moine (page 89) ( Transplantation d’îlots et tolérance - C. Beuneu (page 96) " L’induction de tolérance en greffe d’organe : bientôt une réalité ? V. Donckier, R.Troisi, A. Le Moine ( Mesure de l’alloréactivité au moyen des tétramères de complexes majeurs d’histocompatibilité - D. Klestadt (page 113) L’induction de tolérance en greffe d’organe : bientôt une réalité ? " V. Donckier*, R.Troisi**, A. Le Moine*** POURQUOI INDUIRE DE LA TOLÉRANCE EN GREFFE D’ORGANE ? L’induction de tolérance en greffe d’organe, définie comme la survie prolongée d’une allogreffe en l’absence de tout traitement immunosuppresseur, représente un objectif majeur pour les prochaines années. En effet, si les médicaments immunosuppresseurs sont actuellement très efficaces pour prévenir les rejets aigus, ils sont, en revanche, à l’origine d’une morbidité et d’une mortalité significatives qui altèrent les résultats des transplantations. Cette morbidité est liée à la toxicité directe de ces drogues, notamment sur la fonction * Service de chirurgie digestive, hôpital Érasme, Université Libre de Bruxelles, Belgique. ** Department of General, Hepato-Biliary and Transplantation Surgery, Ghent University Hospital. *** Institut d’immunologie médicale, Université Libre de Bruxelles, Belgique. 106 rénale, le métabolisme glucidique et le système cardiovasculaire (1-3), mais également à l’immunosuppression globale qu’ils induisent, favorisant le développement d’infections et de cancers (46) [tableau I]. Les infections et les cancers post-transplantation peuvent apparaître de novo ou comme récidive de la pathologie ayant indiqué la greffe. Ce risque est particulièrement présent en transplantation hépatique, notamment en cas de greffe pour hépatite C ou d’hépatocarcinome secondaire à une cirrhose (7). Enfin, les médicaments immunosuppresseurs actuellement disponibles ne sont pas efficaces pour prévenir les phénomènes de rejet chronique (8), qui restent une cause importante de perte de fonction des greffons à long terme, nécessitant éventuellement une retransplantation. Les traitements immunosuppresseurs utilisés actuellement en greffe d’organes sont donc à l’origine d’une limitation stricte des indications de greffe (patients Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 2 - avril-mai-juin 2005 D OSSIER thématique Tableau I. Toxicité et limites des traitements immunosuppresseurs actuels[1]. Effets indésirables et efficacité limitée Morbidité induite Toxicité directe sur : – métabolisme glucidique – fonction rénale – système cardiovasculaire Diabète Insuffisance rénale Hypertension artérielle Immunosuppression non spécifique Incidence accrue de cancer et d’infection, de novo ou récidive Inefficacité contre les phénomènes de rejet chronique Perte de fonction du greffon, retransplantation [1] Les associations de médicaments immunosuppresseurs les plus communément utilisées actuellement en greffe d’organe comportent un inhibiteur de la calcineurine (ciclosporine ou tacrolimus), des corticostéroïdes et des médications antimétaboliques (azathioprine, mycophénolate mofétil) et du sirolimus. porteurs de cancers) et d’un coût élevé (prix du traitement lui-même et traitement des complications). Leur inefficacité dans la prévention des rejets chroniques contribue en outre à la carence globale de greffons (retransplantation pour rejet chronique). Les effets indésirables de l’administration chronique des médicaments immunosuppresseurs se traduisent clairement dans les chiffres, la mortalité des patients transplantés étant globalement six fois supérieure à celle de la population générale. De cette façon, on peut considérer que, malgré ses succès remarquables, la greffe d’organe n’est pas un traitement curatif, la maladie liée au dysfonctionnement terminal d’un organe étant remplacée par la maladie globale induite par l’immunosuppression (9). Le développement de stratégies thérapeutiques permettant d’induire de façon reproductible une tolérance de transplantation constituerait donc un progrès considérable pour améliorer les résultats de la greffe d’organe, mais aussi pour ouvrir d’autres voies, comme celle de la xénotransplantation. Cela justifie le lancement de larges programmes dont l’objectif principal est le développement de protocoles cliniques d’induction de tolérance, aux États-Unis, par le biais de l’Immune Tolerance Network (ITN), et en Europe, au sein du programme Reprogramming the Immune System for the Establishment of Tolerance (RISET, voir pages 83-84), soutenu par la Commission européenne (coordinateur du projet : Pr Michel Goldman, Université Libre de Bruxelles). Différentes données permettent de penser que l’induction de tolérance de transplantation chez des patients greffés est devenue aujourd’hui un objectif accessible dans un proche avenir. Tout d’abord, il existe de nombreux modèles expérimentaux d’induction de tolérance chez l’animal, y compris dans les conditions les plus contraignantes d’un point de vue immunologique, comme les greffes de peau chez le rongeur ou les xénogreffes chez le gros animal (10-12). L’étude extensive de ces modèles expérimentaux a permis d’identifier plusieurs mécanismes pouvant intervenir dans l’établissement d’une tolérance spécifique à l’égard des antigènes du donneur (alloantigènes), comme la délétion clonale, l’anergie sélective ou la suppression des lymphocytes T alloréactifs (11). Une voie commune à la plupart de ces protocoles est la nécessité de créer les conditions permettant une présentation initiale des alloantigènes dans un contexte d’immaturité/naïveté du système immunologique du receveur (figure 1). C’est ce mécanisme fondamental, similaire à celui observé lors de l’ontogenèse du système immunitaire et de l’établisse- Receveur Protocole de conditionnement médullaire : déplétion des lymphocytes T Réduction du pool de lymphocytes T potentiellement alloréactifs Injection de cellules hématopoïétiques du donneur Phase de macrochimérisme[1]/migration des cellules du donneur/ reconnaissance réciproque donneur ↔ receveur/délétion de lymphocytes T alloréactifs/engagement d’une réponse immune tolérogène (ne menant pas au rejet aigu) Greffe d’organe[2] Tolérance vis-à-vis de l’allogreffe [1] Le maintien de l'établissement d’un macrochimérisme permanent n’est pas une condition pour le maintien de la tolérance, celle-ci pouvant être associée à un macrochimérisme transitoire. [2] La greffe d’organe et le conditionnement du receveur peuvent être simultanés ou se suivre. 107 Figure 1. Induction de tolérance par conditionnement médullaire et injection de cellules du donneur. Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 2 - avril-mai-juin 2005 D OSSIER thématique ment de la tolérance au soi, qui est impliqué dans la tolérance néonatale, première démonstration expérimentale de tolérance de transplantation décrite par P. Medawar et al. chez la souris (13). Dans une perspective clinique, il serait possible de reproduire cette situation de naïveté immunologique en conditionnant le système immunitaire du receveur à l’aide de drogues ciblant préférentiellement les cellules immunes. Cette phase de conditionnement permet ensuite l’implantation, au moins transitoire, de cellules allogéniques dans les sites d’hématopoïèse du receveur, phénomène clé dans l’établissement d’une tolérance spécifique (figure 1). La coexistence au sein de l’organisme receveur de cellules d’origines génétiques différentes, provenant du donneur et du receveur, est défini comme le chimérisme, le macrochimérisme définissant la situation dans laquelle les cellules du donneur sont détectables au niveau du sang périphérique. C’est cette période de coexistence des cellules du donneur et de celles du receveur dans un environnement immunologique favorable, n’aboutissant pas au rejet d’une des deux populations cellulaires, soit par un mécanisme de réaction de l’hôte contre le greffon (HVG), soit, réciproquement, par une réaction du greffon contre l’hôte (GVH), qui pourrait permettre un engagement tolérogène de la réponse immune (14). Classiquement, les régimes de conditionnement, utilisés notamment en greffe de moelle, comprennent l’administration de drogues myélotoxiques, comme le cyclophosphamide, éventuellement associées à une radiothérapie corporelle. Jusqu’à récemment, la toxicité de ces protocoles et le risque de réactions de GVH suite à l’administration de cellules allogéniques immunocompétentes étaient considérés comme prohibitifs pour envisager leur utilisation clinique en greffe d’organe solide. Toutefois, des avancées récentes, comme la définition de protocoles de conditionnement médullaire moins toxiques (11) et l’identification des cellules souches, potentiellement tolérogènes (15), mais immunologiquement immatures, c’est-àdire incapables d’induire de la GVH, permettent de reconsidérer cette approche en greffe d’organe chez l’homme (16). DÉVELOPPEMENT DE PROTOCOLES CLINIQUES D’INDUCTION DE TOLÉRANCE DE TRANSPLANTATION Cadre éthique et méthodologique Le développement de protocoles cliniques d’induction de tolérance, pouvant mener à la diminution progressive de l’immunosuppression (weaning) ou à son arrêt, doit s’envisager dans un cadre bien défini du point de vue éthique et méthodologique (17). ) Les études pilotes de faisabilité (proof-of-concept) sont appropriées pour répondre à la première question : “L’arrêt (ou la diminution) du traitement immunosuppresseur est-il (elle) possible sans altération du greffon, à court et à long terme ?” Ces études, sans groupe contrôle, fournissent une base pour des investigations comparatives ultérieures. ) Tenant compte de l’hétérogénéité biologique des individus, notamment dans leur capacité de rejeter une allogreffe et de l’efficacité des régimes actuels d’immunosuppression, des études comparatives sont indispensables pour permettre de démontrer l’avantage éventuel d’un protocole d’induction de tolérance. ) Les patients inclus dans ce type de protocole doivent en retirer un bénéfice potentiel estimé raisonnable par rapport aux protocoles standard d’immunosuppression. Cela concerne peut-être plus particulièrement les patients chez lesquels le risque lié à l’immunosuppression est exacerbé, par exemple les 108 patients porteurs de cancers ou ceux présentant une comorbidité comme un diabète ou de l’hypertension. ) La situation de tolérance versus rejet d’une allogreffe n’est pas un phénomène de oui/non et n’est pas nécessairement stable. La durée du suivi doit donc être adéquate, c’est-à-dire identique à la durée de vie du patient ou à la durée de vie de la greffe. ) Les marqueurs cliniques du rejet aigu sont probablement trop peu sensibles. Des biopsies de protocole doivent donc être prévues au cours du suivi. ) Le caractère spécifique de la tolérance doit être documenté (par exemple en utilisant des tests qui évaluent la réponse immune vis-à-vis d’antigènes tiers, de stimuli non spécifiques ou la réponse à un vaccin). ) Il faut tenir compte du fait qu’un épisode de rejet aigu n’a pas nécessairement un impact négatif sur la survie à long terme du greffon (particulièrement en transplantation hépatique). La démonstration de signes de rejet sur une biopsie de protocole ne condamne pas nécessairement l’induction de tolérance et ne doit pas imposer le retour à un traitement immunosuppresseur classique (18, 19). Protocoles de minimisation de l’immunosuppression Les protocoles d’immunosuppression utilisés à ce jour dans la phase précoce post-greffe comportent classiquement plusieurs drogues dont l’objectif principal est de prévenir complètement la survenue d’un rejet aigu. L’efficacité de ces combinaisons thérapeutiques est en constant progrès, le taux de rejet aigu après greffe rénale étant actuellement inférieur à 10 % et la survie des greffons atteignant 90 % à un an (20). Toutefois, il est possible que cette forte immunosuppression initiale exerce un effet négatif sur certains mécanismes actifs de reconnaissance donneur-receveur pouvant mener à une meilleure Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 2 - avril-mai-juin 2005 D OSSIER thématique tolérance de la greffe à long terme. En revoyant des données historiques, Starzl a effectivement observé des cas de survie de greffe à très long terme, parfois supérieurs à 30 ans, chez des patients ayant reçu un régime immunosuppresseur déplétant ou une irradiation corporelle dans la phase prétransplantation, suivi d’une immunosuppression minimale ou parfois même de l’arrêt de cette dernière (21-24). De façon intéressante, après ces années pionnières, l’introduction des corticostéroïdes en prophylaxie a réduit l’incidence de rejet aigu et de perte précoce de greffon, mais a augmenté l’incidence de rejet tardif (24). Les mécanismes pouvant expliquer les bénéfices à long terme de régimes déplétants donnés dans la phase précoce restent hypothétiques. Starzl suggère qu’un traitement d’induction avant la greffe, et plus particulièrement de déplétion des lymphocytes T, pourrait créer les conditions permettant la migration des cellules du donneur, puis la coexistence et la reconnaissance mutuelle des cellules du donneur et du receveur dans la période post-transplantation précoce (25). C’est ce phénomène qui pourrait induire une délétion/ épuisement des réponses antidonneur et, ultérieurement, mener à un état de tolérance. Une autre interprétation est qu’une déplétion agressive des lymphocytes T pendant la phase péri-transplantation permette à l’organe greffé de “guérir” des lésions induites par l’ischémie et la reperfusion sans qu’un signal de “danger” (26) activant le rejet soit généré (19), ces deux mécanismes ne s’excluant pas mutuellement. Sur ces bases, l’université de Pittsburgh a mené un protocole de minimisation de l’immunosuppression (weaning) chez des patients greffés rénaux ou hépatiques, recevant des globulines antilymphocytes T (ATG) immédiatement avant la greffe, suivi d’une monothérapie tacrolimus, progressivement diminuée en fonction de l’évolution clinique. Les résultats de ces études restent en cours d’évaluation, mais semblent prometteurs. Après un suivi de 6 à 21 mois, un espacement des doses de tacrolimus (de 1 mg x 2/j à 1 mg/sem.) a été possible chez 63 % des 150 patients greffés rénaux selon ce protocole (27). En transplantation hépatique, parmi 17 patients inclus dans le même protocole, la diminution de l’immunosuppression a été possible chez 10 patients (tacrolimus : de 1 mg x 2/j à 1 mg/sem.) (I). D’autres équipes ont suivi une approche similaire, en utilisant d’autres anticorps déplétants ou d’autres régimes de maintenance (18, 19). L’utilisation du Campath (anticorps monoclonal anti-CD52 humanisé, ciblant les lymphocytes T matures et, dans une moindre mesure, les lymphocytes B et les monocytes) permet également de réduire très fortement l’immunosuppression postgreffe, sous forme d’une monothérapie à base d’inhibiteurs de la calcineurine (28) ou de sirolimus (18). Ces patients sous faibles doses d’immunosuppression au long court sont souvent considérés comme “pseudo-tolérants” (concept de “pseudo-tolérance” ou “prope tolerance”). Strictement, cependant, dans ces protocoles, la déplétion des lymphocytes T seule n’est pas capable d’induire une tolérance vraie, ces patients gardant la capacité, non prévisible, de rejeter leur allogreffe (29) et restant dépendants d’une immunosuppression chronique, même à doses faibles. Cela peut s’expliquer de plusieurs façons. D’abord, certaines classes de lymphocytes T, et particulièrement les lymphocytes T mémoire, sont plus résistantes aux thérapies de déplétion T (30). Ensuite, tenant compte de la multiplicité des mécanismes effecteurs du rejet d’allogreffe (31), il est peu probable que la déplétion isolée des lymphocytes T soit suffisante pour induire de la tolérance, d’autres cellules effectrices comme les cellules NK, les monocytes ou les macrophages pouvant médier du rejet 109 (29). La tolérisation simultanée de l’ensemble des mécanismes effecteurs du rejet étant difficile à imaginer, il est possible que l’induction et surtout le maintien de la tolérance dépendent de la présence de cellules suppressives ou régulatrices, notamment de lymphocytes T régulateurs CD4+CD25+ (32). Dans ce contexte, les médicaments immunosuppresseurs, et essentiellement les inhibiteurs de la calcineurine, pourraient jouer un rôle défavorable, en inhibant la différenciation et la prolifération des lymphocytes T régulateurs. Protocoles d’arrêt de l’immunosuppression Faire un pas plus loin dans le développement des protocoles de tolérance consiste à combiner la greffe d’organe solide avec une injection de cellules hématopoïétiques du donneur pour induire ou renforcer l’établissement d’un chimérisme sanguin (33). Dans de nombreux modèles expérimentaux, y compris chez les gros animaux (34-36), l’induction, même transitoire, d’un macrochimérisme, après régime de conditionnement myélodéplétant et injection de cellules du donneur, permet d’établir une tolérance spécifique stable dans le temps (robust tolerance). Selon cette approche, des animaux peuvent être rendus totalement tolérants pour plusieurs années, les biopsies de greffon ne montrant aucun stigmate de rejet aigu ou chronique, plus de cinq ans après l’arrêt de toute immunosuppression (36). Le même phénomène a été occasionnellement vérifié en clinique, dans des cas isolés de patients développant une tolérance complète vis-à-vis d’une allogreffe après avoir bénéficié d’une greffe de moelle provenant du même donneur (37, 38). Une étape a été franchie récemment lors de la mise en œuvre d’un protocole d’induction intentionnelle de tolérance par la combinaison d’une greffe de moelle du donneur et d’une greffe rénale Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 2 - avril-mai-juin 2005 """ D OSSIER thématique """ chez des patients présentant un myélome multiple et une insuffisance rénale terminale (39). La base rationnelle, dans cette indication particulière, était de profiter en même temps d’un effet tolérogène des cellules médullaires du donneur et de leur action dans le contrôle de la maladie hématologique (effet GVL [graft versus leukemia]). Les patients inclus dans ce programme ont reçu un protocole de conditionnement comprenant du cyclophosphamide et une irradiation thymique, suivi par la perfusion de cellules de moelle totales et la greffe rénale. Chez 4 patients sur 5, l’immunosuppression post-greffe (ciclosporine) a pu être totalement arrêtée, sans apparition de signes de rejet aigu ou chronique (36). De façon intéressante, un macrochimérisme n’a été observé que transitoirement dans ces cas (39). Au sein d’une collaboration entre l’hôpital universitaire de Gand et l’hôpital Érasme (Université Libre de Bruxelles), nous avons commencé une étude pilote d’induction de tolérance en transplantation hépatique à partir de donneur vivant (THDV) (40). Plusieurs raisons ont motivé le choix de ce protocole en THDV. Premièrement, lors de cette procédure, le donneur est précocement identifié, permettant donc de disposer d’une période prégreffe pour la récolte et la sélection des cellules du donneur et, ensuite, de conditionner le receveur et d’injecter les cellules du donneur avant la greffe hépatique, afin de réduire les risques de toxicité cumulée. Le foie peut être également considéré comme un organe privilégié d’un point de vue immunologique (41, 42). De plus, notamment en raison de la capacité de régénération des hépatocytes, les greffes de foie sont relativement résistantes aux phénomènes de rejet aigu, permettant dès lors de vérifier cliniquement l’hypothèse de l’induction de tolérance, c’est-à-dire d’arrêter tout traitement immunosuppresseur, en limitant les risques de perte de fonction des greffons à long terme. Enfin, il existe de nombreux patients porteurs de cancers hépatiques avancés, mais strictement limités au foie, pouvant bénéficier d’une greffe hépatique dans le cadre de protocoles d’induction de tolérance. Dans ces cas, en effet, le risque de récidive tumorale post-greffe est directement lié à l’immunosuppression non spécifique induite par les traitements antirejet. Dans notre protocole, nous avons choisi d’injecter des cellules souches CD34+ du donneur plutôt que des cellules médullaires totales. En effet, ces cellules, immunologiquement immatures et donc en principe incapables d’induire des réactions de GVH, possèdent des propriétés tolérogènes, notamment via un effet veto (43). La faisabilité et la sécurité de cette approche avaient été préalablement vérifiées dans une étude en greffe rénale cadavérique (44). Le protocole que nous avons adopté est le suivant (figure 2) : Deux patients ont été traités selon ce protocole (tableau II). Ils présentaient tous deux des cancers avancés, au-delà des critères d’inclusion pour une greffe hépatique cadavérique. Après conditionnement (cyclophosphamide : 50 mg/kg et antithymocytes glo- Conditionnement médullaire[1] J0 J5 CS du donneur[2] buline : 3,75 mg/kg), la totalité des cellules CD34+ du donneur ayant pu être obtenues a été injectée. Un macrochimérisme transitoire a été détecté dans le premier cas uniquement (tableau II). Comme attendu, l’injection de cellules souches n’a pas induit de réaction de GVH. Dans les deux cas, la période de dépression médullaire après le régime de conditionnement a été accompagnée de complications infectieuses sévères, nécessitant une antibiothérapie à large spectre prolongée (40). Chez les deux patients, l’immunosuppression a été totalement arrêtée, respectivement aux jours 90 et 28, sans qu’aucun épisode de rejet aigu n’ait été observé dans le suivi. La tolérance opérationnelle a été confirmée dans les deux cas par des tests de culture mixte in vitro démontrant l’absence de réactivité des cellules du receveur vis-à-vis des antigènes du donneur (40). Dans les deux cas, une récidive tumorale a été observée, entraînant finalement le décès des patients, aux jours 370 et 630 postTHDV. Il faut signaler que ces deux patients étaient porteurs de cancers avancés au moment de la greffe, hépatocarcinome multifocal avec une thrombose porte néoplasique dans le premier cas, et cholangiocarcinome dans le second. Le deuxième patient présentait aussi une ascite néoplasique, ce résultat ayant été obtenu après la réalisation de la greffe. THDV[3] Arrêt immunosuppression[4] J7 CS : cellules souches CD34+, THDV : transplantation hépatique donneur vivant. [1] Cyclophosphamide et ATG. [2] Purification des cellules souches du donneur par sélection positive (colonne d’immuno-affinité). [3] TH : transplantation hépatique, programmée dès reconstitution hématologique. [4] Arrêt de l’immunosuppression dès normalisation des tests hépatiques. Figure 2. Protocole d’induction de tolérance en transplantation hépatique donneur vivant. 112 Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 2 - avril-mai-juin 2005 D OSSIER thématique Tableau II. Patients inclus dans le protocole d’induction de tolérance en transplantation hépatique donneur vivant. Indication Régime de conditionnement (début J0) Morbidité lors du conditionnement Injection des cellules du donneur (J7) THDV Macrochimérisme Arrêt de l’immunosuppression Période sans immunosuppression Rejet aigu après arrêt de l’immunosuppression Récidive tumorale Suivi Patient 1 Patient 2 Hépatocarcinome multifocal CpA + ATG Sepsis 3,3 x 106 CD34+/kg J40 Transitoire J90 280/370 jours post-THDV Non Cholangiocarcinome (tumeur de Klatskin) CpA + ATG Sepsis 5,7 x 106 CD34+/kg J55 Non J28 575/630 jours post-THDV Non Oui 370 jours (*) Oui 630 jours (*) tocoles d’induction de tolérance peuvent être proposés en première ligne à tous les patients candidats à une greffe d’organe, selon les protocoles standardisés. Pour cette raison, le développement d’études pilotes, prioritairement destinées aux patients porteurs d’une comorbidité faisant craindre une toxicité importante des médicaments immunosuppresseurs, représente une étape $ indispensable. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S CpA : cyclophosphamide ; ATG : globulines antithymocytaires ; THDV : transplantation hépatique donneur vivant. 1. Sur la base de cette première expérience, nous avons adapté notre protocole afin de réduire la toxicité du régime de conditionnement et de raccourcir le délai pré-THDV. Dans cette seconde version du protocole (45), la THDV est réalisée en premier lieu, suivie par un régime de conditionnement allégé (ATG et sirolimus) pendant 5 jours. Les cellules souches CD34+ du donneur sont injectées au septième jour post-transplantation et l’immunosuppression (monothérapie sirolimus) est arrêtée dès normalisation des tests hépatiques. Trois patients ont été inclus à ce jour et leurs résultats sont en cours d’évaluation. Les premières données sont prometteuses, l’immunosuppression ayant pu être arrêtée précocement chez deux patients sur trois, ces deux patients étant actuellement sans traitement immunosuppresseur, respectivement 130 et 240 jours après la transplantation hépatique. CONCLUSION L’induction de tolérance en greffe d’organe est maintenant devenue un objectif réaliste pour les prochaines années. Différents protocoles cliniques sont actuellement en cours, et les premiers rapports de patients tolérant effectivement une allogreffe sont publiés. Une des limites prépondérantes reste la toxicité des régimes de conditionnement, indispensables pour permettre l’établissement d’un chimérisme mixte et l’engagement tolérogène de la réponse immune. L’amélioration de la reconstitution immune est certainement un point central pour limiter la morbidité des conditionnements myélodéplétants. Différentes approches ne s’excluant pas mutuellement peuvent être évaluées dans ce sens, comme le développement de régimes de conditionnement non ablatifs allégés, par exemple avec des anticorps bloquant les signaux de costimulation (46, 47), ou l’augmentation des doses de cellules allogéniques administrées (43, 48). Le point crucial reste de savoir quels sont les patients candidats. Comme évoqué plus haut, le respect d’un cadre éthique et méthodologique strict (17) est fondamental pour permettre de valider et ensuite d’étendre ces protocoles thérapeutiques. Tenant compte de l’excellente efficacité des régimes d’immunosuppression actuels dans le contrôle du rejet aigu, nous ne sommes certainement pas arrivés au stade auquel les pro- 113 Sarnak MJ, Levey AS, Schoolwerth AC et al. 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