Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n
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2 - avril-mai-juin 2005
DOSSIER
thématique
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tolérance de la greffe à long terme. En
revoyant des données historiques, Starzl
a effectivement observé des cas de sur-
vie de greffe à très long terme, parfois
supérieurs à 30 ans, chez des patients
ayant reçu un régime immunosuppres-
seur déplétant ou une irradiation corpo-
relle dans la phase prétransplantation,
suivi d’une immunosuppression mini-
male ou parfois même de l’arrêt de cette
dernière (21-24). De façon intéressante,
après ces années pionnières, l’introduc-
tion des corticostéroïdes en prophylaxie
a réduit l’incidence de rejet aigu et de
perte précoce de greffon, mais a aug-
menté l’incidence de rejet tardif (24).
Les mécanismes pouvant expliquer les
bénéfices à long terme de régimes
déplétants donnés dans la phase précoce
restent hypothétiques. Starzl suggère
qu’un traitement d’induction avant la
greffe, et plus particulièrement de
déplétion des lymphocytes T, pourrait
créer les conditions permettant la
migration des cellules du donneur, puis
la coexistence et la reconnaissance
mutuelle des cellules du donneur et du
receveur dans la période post-transplan-
tation précoce (25). C’est ce phénomène
qui pourrait induire une délétion/ épui-
sement des réponses antidonneur et,
ultérieurement, mener à un état de tolé-
rance. Une autre interprétation est
qu’une déplétion agressive des lympho-
cytes T pendant la phase péri-transplan-
tation permette à l’organe greffé de
“guérir” des lésions induites par l’isché-
mie et la reperfusion sans qu’un signal
de “danger” (26) activant le rejet soit
généré (19), ces deux mécanismes ne
s’excluant pas mutuellement.
Sur ces bases, l’université de Pittsburgh a
mené un protocole de minimisation de
l’immunosuppression (weaning) chez des
patients greffés rénaux ou hépatiques,
recevant des globulines antilymphocytes
T (ATG) immédiatement avant la greffe,
suivi d’une monothérapie tacrolimus, pro-
gressivement diminuée en fonction de
l’évolution clinique. Les résultats de ces
études restent en cours d’évaluation, mais
semblent prometteurs. Après un suivi de
6 à 21 mois, un espacement des doses de
tacrolimus (de 1 mg x 2/j à 1 mg/sem.) a
été possible chez 63 % des 150 patients
greffés rénaux selon ce protocole (27).
En transplantation hépatique, parmi
17 patients inclus dans le même protocole,
la diminution de l’immunosuppression a
été possible chez 10 patients (tacrolimus :
de 1 mg x 2/j à 1 mg/sem.) (I). D’autres
équipes ont suivi une approche similaire,
en utilisant d’autres anticorps déplétants
ou d’autres régimes de maintenance (18,
19). L’utilisation du Campath (anticorps
monoclonal anti-CD52 humanisé, ciblant
les lymphocytes T matures et, dans une
moindre mesure, les lymphocytes B et les
monocytes) permet également de réduire
très fortement l’immunosuppression post-
greffe, sous forme d’une monothérapie à
base d’inhibiteurs de la calcineurine (28)
ou de sirolimus (18).
Ces patients sous faibles doses d’immu-
nosuppression au long court sont souvent
considérés comme “pseudo-tolérants”
(concept de “pseudo-tolérance” ou
“prope tolerance”). Strictement, cepen-
dant, dans ces protocoles, la déplétion
des lymphocytes T seule n’est pas
capable d’induire une tolérance vraie,
ces patients gardant la capacité, non pré-
visible, de rejeter leur allogreffe (29) et
restant dépendants d’une immunosup-
pression chronique, même à doses
faibles. Cela peut s’expliquer de plu-
sieurs façons. D’abord, certaines classes
de lymphocytes T, et particulièrement les
lymphocytes T mémoire, sont plus résis-
tantes aux thérapies de déplétion T (30).
Ensuite, tenant compte de la multiplicité
des mécanismes effecteurs du rejet d’al-
logreffe (31), il est peu probable que la
déplétion isolée des lymphocytes T soit
suffisante pour induire de la tolérance,
d’autres cellules effectrices comme les
cellules NK, les monocytes ou les
macrophages pouvant médier du rejet
(29). La tolérisation simultanée de l’en-
semble des mécanismes effecteurs du
rejet étant difficile à imaginer, il est pos-
sible que l’induction et surtout le main-
tien de la tolérance dépendent de la pré-
sence de cellules suppressives ou régula-
trices, notamment de lymphocytes T
régulateurs CD4+CD25+ (32). Dans ce
contexte, les médicaments immunosup-
presseurs, et essentiellement les inhibi-
teurs de la calcineurine, pourraient jouer
un rôle défavorable, en inhibant la diffé-
renciation et la prolifération des lympho-
cytes T régulateurs.
Protocoles d’arrêt de l’immunosuppression
Faire un pas plus loin dans le dévelop-
pement des protocoles de tolérance
consiste à combiner la greffe d’organe
solide avec une injection de cellules
hématopoïétiques du donneur pour
induire ou renforcer l’établissement
d’un chimérisme sanguin (33). Dans de
nombreux modèles expérimentaux, y
compris chez les gros animaux (34-36),
l’induction, même transitoire, d’un
macrochimérisme, après régime de
conditionnement myélodéplétant et
injection de cellules du donneur, permet
d’établir une tolérance spécifique stable
dans le temps (robust tolerance). Selon
cette approche, des animaux peuvent
être rendus totalement tolérants pour
plusieurs années, les biopsies de greffon
ne montrant aucun stigmate de rejet
aigu ou chronique, plus de cinq ans
après l’arrêt de toute immunosuppres-
sion (36). Le même phénomène a été
occasionnellement vérifié en clinique,
dans des cas isolés de patients dévelop-
pant une tolérance complète vis-à-vis
d’une allogreffe après avoir bénéficié
d’une greffe de moelle provenant du
même donneur (37, 38).
Une étape a été franchie récemment lors
de la mise en œuvre d’un protocole
d’induction intentionnelle de tolérance
par la combinaison d’une greffe de
moelle du donneur et d’une greffe rénale """