Globalement, ces quatre générations sont nées à l’étranger et y ont acquis plus d’ampleur qu’en France. Les SELs
émergent dans les pays anglo-saxons puis en Europe continentale. Les banques de temps ont une vingtaine d’années
mais sont très récentes en France. Les premières monnaies locales remontent aux années 90 aux Etats-Unis, puis se
développent dans les années 2000 au Brésil, en particulier dans des territoires très pauvres avec un système de
micro-crédit en monnaies locale ou nationale, en Argentine ou encore en Allemagne, notamment en Bavière, où le
Chiemgauer rencontre un franc succès avec près de 3000 utilisateurs et plusieurs centaines de prestataires qui
acceptent cette monnaie !
Si je me focalise sur la région Rhône-Alpes, il y a quelques dizaines de SELs. Ceux de Lyon sont assez actifs et celui de
la Croix-Rousse est d’ailleurs situé sur un point chaud du militantisme associatif et alternatif. Une banque de temps
existe depuis peu à Chambéry sur le modèle de l’Accorderie. Du côté des monnaies locales, appelées d’ailleurs
locales-complémentaires par leurs fondateurs, il y a « » à Romans, « » et « l » en
la Mesure les Lucioles a Bogue
Ardèche, la « Commune » à Roanne et d'autres projets sont en cours en Savoie et Haute-Savoie. Quant aux SOL, il y a
celui de Grenoble et un en projet à Lyon.
En vous écoutant, on a l’impression d’un secteur qui bouge. C’est donc faux de penser que ces systèmes
végètent, limités à une poignée d’initiés ? La réalité serait plus dynamique ?
Oui, l’intérêt pour ces questions me paraît plus vif que jamais en France. Je parlerais même d’un souffle nouveau ! Les
SELs ont connu une période de stagnation entre 1998 et 2008, mais depuis, leur nombre a considérablement augmenté,
passant d’environ 330 à 440. La France est sans doute l’un des pays où il y a le plus de SELs aujourd'hui. C’est une
évolution assez notable. La monnaie Sol connaît une nouvelle dynamique avec l’expérience du Sol-Violette de Toulouse
qui, en en transformant les principes initiaux, a fait exploser les compteurs de l'histoire du Sol en quelques mois ! Les
points Sol ne sont plus comptabilisés sur une carte à puce, comme dans le Sol grenoblois, mais émis sous la forme de
billets. C’est beaucoup plus simple puisque les commerçants n’ont pas à avoir un boîtier spécifique pour lire la carte. De
plus, deux banques, le Crédit municipal et le Crédit coopératif, ainsi que la mairie soutiennent le projet. Pour le moment,
tout cela fonctionne très bien. Les monnaies locales ne sont pas non plus en reste avec la création d’une petite dizaine
d’entre elles depuis 2010. Même si leur échelle reste restreinte et que leurs effets économiques, sauf peut-être dans le
cas de Toulouse, sont assez peu avérés, le bouillonnement est certain. Ces dynamiques sont la marque qu’une réflexion
populaire et citoyenne se met en place autour des questions de monnaie et d’une finance plus solidaire, déconnectée
des réseaux bancaires qui ont fauté pendant la crise….
C’est une dynamique qui va au-delà du simple militantisme ?
Oui. Cela part des cercles militants mais s’inscrit dans la continuité de la réflexion citoyenne autour de l'économie. Bien
sûr, cela n’a pas l'ampleur du mouvement Attac mais s’apparente plutôt aux réflexions lancées, il y a quelques années,
autour de la question de la richesse et qui s’est accompagnée de la création de différents collectifs. La réflexion a évolué
vers les questions d’argent. Ainsi, à Grenoble, Patrick Viveret, auteur du rapport « » est aussi la
Reconsidérer la richesse
tête pensante de qui est devenu le Sol. C'est une autre manière d'interroger ce qu'est la richesse et de valoriser ce qui
nous paraît important, contre les valeurs purement marchandes. C'est un élément intéressant pour aborder ce que la
crise fait émerger dans la population.
Est-ce qu'il ne peut pas y avoir des dérives de type capitalistique dans ces monnaies sociales ?
Justement, l'une des grandes particularités de beaucoup de ces systèmes est d'imposer une fonte de la valeur. L’argent
perd sa valeur si vous ne l’utilisez pas au bout de quelques mois. Pour lui rendre sa valeur, il faut alors acheter un timbre
équivalent par exemple à 2% de la valeur du billet tous les trois mois. Cela permet d’accélérer la circulation.
Donc de pousser à la consommation... ?
Oui, mais à une autre consommation qui n'est pas une consommation d'accumulation. Le système promeut des activités
associatives, des productions locales, « bio » … Cette accélération de la circulation en interne va plutôt avoir pour effet
de remplacer une utilisation de monnaie externe.
Ce sont donc des nouvelles formes de solidarité ?
Il est clair qu’en périodes de crises, ces systèmes prennent de l'ampleur. Par exemple, lors de l’extraordinaire crise
argentine en 2001, les systèmes de « trueque », sortes de SELs, ont concerné plusieurs millions de personnes ! Cela n’a
pas pu fonctionner durablement parce que l’infrastructure n'était pas adaptée. Dans un SEL, et surtout en période de
crise, il y a difficilement une grande variété de biens puisque les gens fournissent eux-mêmes les biens à échanger. Les
Argentins cherchaient à se nourrir et ces biens essentiels ne se trouvaient pas suffisamment dans le « trueque ».
Chaque système au fond répond à un certain nombre d’objectifs mais pas à tous les objectifs possibles et imaginables !