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La loi du 16 décembre 2010 de réforme
des collectivités territoriales
E
n septembre 2008, le président de la République avait annoncé son intention de procéder
à une réforme des administrations locales, selon un double objectif : réduire le nombre
d’échelons décentralisés, et faire des économies permettant de supprimer la taxe professionnelle.
Au vu des enjeux économiques ainsi mis en avant, il apparaissait clairement qu’une telle
réforme devait être menée selon des critères autres qu’administratifs. L’initiative présidentielle
pouvait cependant surprendre, à la fois en raison d’une annonce faite dans le cadre d’un
discours consacré aux effets de la crise financière de l’automne 2008, ce qui ne prédisposait
pas nécessairement à traiter de la réforme des collectivités territoriales, et de son objet même.
Évidente pour ses initiateurs, la nécessité d’une réforme du droit des collectivités territoriales
pouvait en effet ne pas aller totalement de soi. Elle s’est depuis concrétisée par l’adoption de la
loi du 16 décembre 2010, qui fait l’objet de ce texte.
Mis en ligne en février 2011/ complément au recueil de « Notices »
Les collectivités territoriales
Parmi les nombreuses explications et justifications données à la réforme, en dehors du coût
jugé excessif, notamment pour les entreprises, de l’organisation des collectivités territoriales,
la suppression du « mille-feuilles territorial » figurait en première ligne. En vue de simplifier
l’organisation territoriale, la commission pour la libération de la croissance française avait déjà
préconisé, début 2008 (« rapport Attali »), de « faire disparaître en dix ans l’échelon départemental » (proposition 260) et de « clarifier les prérogatives de chaque collectivité publique »
(proposition 261). Par la suite, la « commission Balladur », instituée en vue d’une future réforme
des collectivités, rendait en mars 2009 un rapport à l’intitulé éloquent : Il est temps de décider.
Ainsi, aux yeux de ses inspirateurs, le trop grand nombre de niveaux d’administration locale, et
de collectivités à chacun des niveaux, rendait la réforme nécessaire. Mais celle-ci s’est pourtant
vite heurtée à la difficulté, peut-être propre à la France, de supprimer purement et simplement
un échelon territorial, qu’il s’agisse des départements ou, pire encore, de la commune.
Au-delà de la seule loi du 16 décembre 2010,
un ensemble législatif complexe
La réforme des collectivités territoriales a donc franchi une étape importante avec la publication de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 dite, précisément, « de réforme des collectivités
territoriales ». Cette loi a fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2010
(déc. n° 2010-618 DC), qui n’a censuré que le seul article 6 relatif au tableau fixant le nombre des
conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région, pour violation du principe
d’égalité devant le suffrage (v. infra). Cette censure partielle du Conseil n’ayant pas empêché la
promulgation de la loi, sa décision a donc levé le dernier obstacle mis sur la route de la réforme.
Cette fin de parcours n’est cependant que provisoire, d’une part du fait de la censure évoquée
qui va obliger le Gouvernement à introduire, d’une manière ou d’une autre, cette disposition
dans un autre texte, d’autre part parce que cette loi n’est que le deuxième étage de la fusée.
1 La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales
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• Les quatre projets de loi déposés le 21 octobre sur le bureau du Sénat, afin de respecter
les exigences de l’article 39 al. 2 de la Constitution (tout projet de loi concernant l’organisation
des collectivités territoriales doit nécessairement être déposé au Sénat), comprenaient en effet
ledit projet de loi « de réforme des collectivités territoriales », mais aussi trois textes portant sur la
matière électorale. En réalité la première étape, qui relevait d’une nécessité absolue pour permettre
la mise en œuvre même de la réforme, fut l’adoption de la loi n° 2010-145 du 16 février 2010,
organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et régionaux. Il fallait en
effet prévoir que les conseillers régionaux qui allaient être élus en mars 2010, et que les conseillers
généraux dont la série devait être renouvelée en mars 2011, n’effectueraient qu’un mandat de
quatre ans pour les premiers, et de trois ans pour les seconds : dès lors, en dépit de son intitulé,
ce texte visait surtout à raccourcir par avance le mandat de ces élus. Le Conseil constitutionnel,
dans sa décision n° 2010-603 DC du 11 février 2010, a estimé que cette loi était conforme à la
Constitution, ne retenant donc pas l’argument principal de la saisine selon lequel l’adoption de
ce premier texte présupposait le vote des autres, qu’à l’époque pourtant, rien ne garantissait.
Les deux autres textes de caractère électoral sont, d’une part, le projet de loi, déposé mais
non encore examiné par les assemblées, « relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au
renforcement de la démocratie locale ». La discussion parlementaire de ce qui allait devenir la
loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités a cependant introduit, dans ce dernier texte,
des éléments qui devaient figurer dans le projet relatif à la démocratie locale, principalement
ceux qui fixent le mode de scrutin des conseillers territoriaux, le Gouvernement ayant tenu à
inscrire au moins le principe d’un mode de scrutin majoritaire uninominal dans le cadre des
cantons (art. 1 à 5 de la loi). De sorte que les préoccupations politiques l’ont en partie emporté
sur le souci de cohérence affiché au départ, et sur lequel le comité Balladur avait insisté. Cette
immixtion des questions électorales dans le débat institutionnel a constitué une sorte d’abcès de
fixation, qui a manqué de faire sombrer la réforme.
D’autre part, le second texte restant lui aussi en discussion, est le projet de loi organique
relatif à l’élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements
publics de coopération intercommunale (EPCI). Ce quatrième volet de l’ensemble législatif ici
considéré modifie quelques dispositions du code électoral pour tirer les conséquences de la création des conseillers territoriaux et du nouveau mode d’élection des délégués communautaires.
Son caractère organique est lié au respect des exigences de l’article 88-3 de la Constitution, qui
prévoit le droit de vote et d’éligibilité des citoyens de l’Union européenne. Ces derniers pourront ainsi participer, en même temps qu’à celle des conseillers municipaux, à la désignation des
conseillers communautaires, désormais élus au suffrage universel direct, puisque le principe en
est acquis depuis la loi du 16 décembre 2010 (art. 8 de la loi, modifiant l’article L. 5211-6 CGCT).
• Il faut aussi mettre à part deux autres lois déjà promulguées, mais qui pourraient être
considérées, au moins de par leur objet, comme des éléments de la réforme d’ensemble des collectivités territoriales, telle qu’elle avait été initiée par le comité Balladur. Le Gouvernement a
ainsi fait le choix de dissocier les questions proprement institutionnelles des questions financières,
renvoyant à la loi de finances le soin de régler les secondes. L’étape essentielle de la suppression
de la taxe professionnelle, et son remplacement par la contribution économique territoriale (loi
de finances pour 2010 du 30 décembre 2009), a ainsi été entreprise avant toute autre. Par ailleurs,
c’est dans une logique autre qu’institutionnelle que la question francilienne a été abordée : à
l’instigation de Christian Blanc, alors secrétaire d’État chargé du développement de la région
capitale, le projet de loi relatif au Grand Paris a été promulgué le 3 juin 2010.
En ce qui concerne les conséquences de la réforme des collectivités territoriales proprement
dite, la loi du 16 décembre 2010 dessine de nouvelles relations entre les communes et les intercommunalités et organise des rapprochements entre les départements et les régions.
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Les nouvelles relations entre les communes
et les intercommunalités
La loi du 16 décembre 2010 a voulu réorganiser les rapports entre communes et intercommunalités. Les dispositions intercommunales occupent une large place au sein du texte promulgué,
à tel point que cette réforme des collectivités territoriales pourrait à bon droit être qualifiée de
« réforme de l’intercommunalité ».
Faute de pouvoir supprimer autoritairement des communes, ni même diminuer leur place
dans l’organisation territoriale française, l’objectif visant à rapprocher les niveaux communal
et intercommunal passait par des moyens divers. La commune sera d’ailleurs, dans l’avenir, le
seul échelon de collectivités territoriales à bénéficier de la compétence générale, qui devrait être
supprimée pour les départements et les régions, sous réserve de la lecture qui peut être faite de
la décision 618 DC du Conseil constitutionnel (v. infra).
Le renforcement de l’intercommunalité passe tout d’abord par l’achèvement et la rationalisation de la carte intercommunale. Cet objectif a, malgré certaines réticences, recueilli un
assentiment assez général : la procédure retenue, associant élus et préfets, doit permettre de
parvenir à une couverture intégrale du territoire par des intercommunalités au plus tard au
1er juin 2013. Cette date a donné lieu à un long débat entre le Gouvernement et les élus locaux,
par l’intermédiaire de leurs associations représentatives, au premier rang desquelles se trouve
l’Association des maires de France. Il s’agit en effet du délai nécessaire pour élaborer, dans un
premier temps et avant la fin de l’année 2011, les schémas de coopération intercommunale, puis
pour appliquer ces schémas en 2012 et 2013.
Mais la loi du 16 décembre 2010, qui crée aussi des structures nouvelles, confère une nouvelle
légitimité à l’échelon intercommunal.
La création de structures nouvelles
Les structures créées par la loi veulent changer le paysage local en favorisant la création de
communes nouvelles, mais aussi par le biais de nouvelles structures intercommunales, qui intéressent aussi bien le cas des nombreuses petites communes françaises que celui des très grandes
agglomérations urbaines.
• Les communes nouvelles constituent un nouveau dispositif de fusion de communes visant
à remplacer les règles actuellement en vigueur, issues de la loi du 16 juillet 1971 (CGCT, art. L.
2113-1 et s.). Cette procédure rénovée, qui passe encore par la voie du volontariat, vise à remédier à l’« émiettement communal » souvent présenté comme une des spécificités de notre pays.
Sont concernées les communes contiguës ou un EPCI tout entier qui voudrait se transformer
en commune nouvelle. À défaut de l’accord de l’ensemble des conseils municipaux intéressés,
la création ne pourra pas s’effectuer sans consultation de la population, et elle ne pourra être
décidée que si le projet est approuvé par les électeurs de chacune de communes concernées. Au
sein des communes nouvelles, les anciennes communes pourront avoir une représentation sous la
forme de communes déléguées, comme dans le droit actuel applicable aux communes associées
(CGCT, art. L. 2113-11 et s.). Ces dispositions, qui ménagent l’autonomie des communes, sont
surtout destinées à relancer le processus de fusion qui avait atteint ses limites.
• Sur un autre plan, la création initialement envisagée d’une nouvelle catégorie de collectivités
territoriales, les métropoles, s’est heurtée, notamment, à la question de la place et du statut des
communes membres. La loi a adopté la solution d’une sorte de super-communauté urbaine, qui
restera donc un EPCI, mais doté de compétences supplémentaires (art. 12 à 19 de la loi, créant
un chapitre VII, intitulé « Métropole » au sein du titre Ier du livre II de la cinquième partie du
CGCT). Les métropoles, qui pourront être créées dans les agglomérations de plus de 500 000
habitants, bénéficieront de transferts de compétences de la part des départements et des régions
dans les domaines du développement économique, des transports et de l’éducation. Sur le plan
3 La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales
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financier, elles pourront disposer de transferts de fiscalité locale et de dotations de l’État, mais
sous réserve que toutes les communes membres soient d’accord. Le principe d’une superstructure
métropolitaine devant exercer la plupart des compétences dévolues aux différentes collectivités
présentes sur son territoire, qui constituait l’ambition de départ, n’a pas résisté aux volontés des
collectivités existantes de maintenir leur identité et leurs attributions.
• La loi a introduit, de manière non prévue au départ, des pôles métropolitains pour répondre
à certains besoins spécifiques et localisés : cette création illustre en somme la relative insuffisance
des solutions techniques en droit français. Ces pôles doivent permettre de réaliser une coopération
renforcée entre des EPCI à fiscalité propre qui entendent mener des actions d’intérêt commun sur
un large périmètre, afin d’améliorer la compétitivité et l’attractivité du territoire concerné (art.
20 de la loi et introduisant les articles L. 5731-1 L. 5731-3 au sein d’un chapitre unique du titre
III nouveau du livre VII de la cinquième partie du CGCT). Pour créer un pôle métropolitain,
il conviendra de constituer un ensemble de plus de 300 000 habitants et comprenant au moins
un EPCI de plus de 150 000 habitants.
• La loi consacre enfin le gel de la création des pays et la rationalisation de la carte syndicale,
suivant sur ce point les recommandations de la commission Balladur. Il s’agit d’encourager et
de simplifier la dissolution des syndicats en favorisant leur réintégration au sein des différentes
communautés, de communes, d’agglomération ou urbaines, c’est-à-dire des EPCI à fiscalité
propre. C’est sans doute là que se trouvent des possibilités de supprimer une partie non négligeable du « mille-feuilles territorial », bien que cette dimension ne soit pas nécessairement la
mieux perçue par les administrés. Il n’en ira pas de même de la modification de la désignation
des membres des assemblées délibérantes des structures intercommunales.
La nouvelle légitimité intercommunale
L’élection directe des délégués communautaires constitue en effet une des innovations majeures
de la loi du 16 décembre 2010. Même si elle est organisée au niveau communal et en même temps
que les élections municipales, sur un modèle inspiré de celui pratiqué à Paris, Marseille et Lyon
pour l’élection des conseils centraux et des conseils d’arrondissement (C. élect., art L. 271 et s.),
une telle élection changera, à terme, les relations entre le niveau communal et le niveau intercommunal. Il a été beaucoup question de « fléchage » pour désigner ce mode de désignation,
mais c’est en réalité la place sur les listes de candidats qui déterminera la possibilité de siéger
ou non à la fois au conseil de la communauté (de communes, d’agglomération ou urbaine)
et au conseil municipal : sur ce point, la loi s’inscrit dans la continuité des propositions de la
commission Balladur. Désormais, ce qui sépare une commune d’un EPCI ne tient plus qu’à la
manière dont les compétences sont attribuées : si la commune bénéficie encore de la compétence
générale, l’EPCI continue de vivre sous le régime de spécialité, c’est-à-dire qu’il ne peut gérer
que les compétences que les communes veulent bien leur confier, sous la réserve de la définition
de l’intérêt communautaire.
Les élus municipaux et communautaires vont bénéficier d’un cumul de fonctions à défaut
d’un cumul de mandats – sous réserve de ce que prévoira la loi relative à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale : c’est déjà le cas à l’heure actuelle,
mais ce cumul résultera désormais d’une seule et même élection, réalisée en outre au suffrage
universel direct. L’élection directe des conseillers communautaires va en outre introduire deux
innovations majeures.
• Tout d’abord, les oppositions municipales feront leur entrée dans les conseils communautaires, sous réserve du nombre de délégués auquel a droit une commune au sein du conseil
communautaire. L’application du mode de scrutin mixte actuellement en vigueur dans les
communes de 3 500 habitants et plus (C. élect., art. L. 260) devrait conduire à ce que l’opposition
ait au moins un élu sur quatre dans les instances délibérantes communautaires. Il faut rappeler
en effet que, mis à part le cas des communautés urbaines, la désignation des délégués des com-
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munes se faisait jusqu’ici au scrutin majoritaire, ce qui incitait certaines majorités municipales
à ne désigner que des représentants issus de leurs rangs.
• Ensuite, les femmes accèderont aux conseils communautaires : alors que la parité était
encore loin d’être de mise jusqu’à présent, elle gagnera du terrain aussi dans les communes plus
petites, car le couplage entre élections des délégués communautaires et des conseillers municipaux
ne pourra se faire que dans les communes dans lesquelles les élections se déroulent au scrutin
de listes bloquées. Ce mode de scrutin n’est utilisé, à l’heure actuelle, que dans les communes
de 3 500 habitants et plus : un seuil qui devrait être abaissé à 500 habitants par la loi relative à la
démocratie locale, selon un chiffre qui circule avec insistance, ce qui représenterait un compromis
entre ceux qui sont hostiles à toute idée de seuil, et ceux qui estiment qu’il ne faut pas politiser
à l’extrême les scrutins municipaux.
Enfin, la composition des instances délibérantes des intercommunalités, qui a été aussi beaucoup discutée car elle détermine le poids de chaque commune au sein des EPCI, sera fixée par un
accord local (art. 9 de la loi, CGCT, art. L. 5211-6-1 et L. 5211-6-2). Il s’agit là de la répartition
des sièges de délégués dans les conseils des communautés de communes et d’agglomération : en
effet, pour les communautés urbaines et désormais pour les métropoles (CGCT, art. L. 52116-1-II remplaçant l’article L. 5215-6), cette répartition est déjà fixée par la loi. Dans les deux
autres catégories d’EPCI, elle se fera selon trois règles cumulatives : un siège au minimum sera
attribué à chaque commune ; aucune commune ne pourra disposer de plus de la moitié des sièges ;
enfin, la répartition sera effectuée en « tenant compte de la population de chaque commune ».
Ce dernier critère, s’il n’impose pas une stricte proportionnalité, a de fortes chances d’entraîner
des débats nombreux et des contentieux.
Les nouvelles concurrences
entre les départements et les régions
Depuis l’origine de la réforme, la question de la place respective des départements et des
régions a été au centre des débats. Il avait été pourtant affirmé à plusieurs reprises, lors de la
préparation de la loi, que la réforme ne prévoyait pas la suppression des départements. La solution adoptée consiste dès lors à « contraindre » ces collectivités à œuvrer dans le même sens, par
la création d’un élu nouveau, destiné à gérer deux collectivités territoriales, et par la tentative
de redéfinition des compétences de ces dernières.
La création du conseiller territorial
La loi institue un nouvel élu local dénommé « conseiller territorial », qui remplacera les
actuels conseillers généraux et régionaux (art. 1er de la loi, qui renvoie à un titre III du livre 1er du
Code électoral). Ces nouveaux élus, moins nombreux, puisque les conseillers territoriaux, alors
qu’on comptait environ 6 000 conseillers généraux et régionaux, ne seront plus que 3 496, mais
dotés d’une légitimité et d’une visibilité renforcées, siégeront au sein de l’organe délibérant de
chacune de ces deux collectivités : ils seront ainsi porteurs d’une vision à la fois départementale
et régionale du développement des territoires. Le Conseil constitutionnel, dans la décision 618
DC précitée, a estimé tout d’abord que les deux collectivités, départements et régions, continueraient de subsister, ce qui est conforme à l’article 72 alinéa 1er qui énumère ces deux catégories de
collectivités. Il estime que si les assemblées doivent en effet être élues et disposer d’attributions
effectives (consid. 23), rien n’impose qu’elles soient désignées par des scrutins différents. Il admet
donc que deux collectivités puissent être gérées par une même assemblée, ce qui n’est d’ailleurs
pas le cas exact des futurs départements et régions, car les conseils généraux ne seront que des
fractions du conseil régional.
5 La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales
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Outre le principe de sa création, ce sont les modalités de désignation du conseiller territorial qui ont suscité des débats très nombreux, du fait du choix du mode de scrutin uninominal
majoritaire à deux tours dans le cadre des cantons. Ce mode de scrutin a pour conséquence de
poser la question de la répartition des conseillers territoriaux entre les régions et entre les départements. De manière nouvelle en effet, c’est la loi qui fixe le nombre de conseillers généraux,
devenus les conseillers territoriaux dans les départements, alors que, jusqu’à présent, c’était
le découpage des cantons, opéré par le Gouvernement sur le fondement de l’article L. 3113-2
(issu de l’ordonnance n° 45-2604 du 2 novembre 1945 relative à la procédure de modification
des circonscriptions administratives territoriales) qui conduisait ce dernier à fixer le nombre de
conseillers généraux, par décret en Conseil d’État après consultation du conseil général. S’agissant
du nombre de conseillers régionaux, c’était déjà la loi qui le fixait (liste annexée à l’article L. 337
du Code électoral dans sa rédaction issue de loi du 19 janvier 1999 : « L’effectif de chaque conseil
régional est fixé conformément au tableau n° 7 annexé au présent code »).
Le Conseil a censuré, dans la décision 618 DC, l’article 6 de la loi qui prévoyait un tableau
annexé fixant le nombre de conseillers territoriaux par département et, partant, par région,
puisque celle-ci regroupera les élus de chaque département. L’examen des écarts de représentation
au sein d’une même région a conduit le Conseil à censurer la fixation du nombre de conseillers
territoriaux dans les six départements de la Meuse (région Lorraine), du Cantal (Auvergne), de
l’Aude (Languedoc-Roussillon), de la Haute-Garonne (Midi-Pyrénées), de la Mayenne (Paysde-Loire) et de la Savoie (Rhône-Alpes). Dans tous ces cas, le rapport du nombre de conseillers
territoriaux à la population du département concerné s’écarte de la « moyenne régionale dans
une mesure qui est manifestement disproportionnée », manifestant là encore l’exercice d’un
contrôle restreint (consid. 41). C’est donc le principe d’égalité devant le suffrage qui est méconnu
et même si le Conseil ne l’évoque pas dans sa décision, ce principe est bien inscrit à l’alinéa 3
de l’article 3 de la Constitution selon lequel le « suffrage est toujours universel, égal et secret ».
La similitude des assemblées, sous la réserve que la coexistence de plusieurs conseils généraux
siégeant ensemble aboutisse à un véritable « esprit régional », devra en outre inciter ces élus à
envisager l’exercice des compétences d’une autre manière.
Une nouvelle répartition des compétences
Le projet de réforme, inspiré par les travaux de la commission Balladur, avait souhaité supprimer la compétence générale pour les départements et les régions. Mais il n’a jamais été question
d’en priver les communes car celles-ci, du fait de leur proximité avec les administrés, doivent
pouvoir réagir à leurs besoins et s’adapter à leurs demandes. Cette démarche s’inscrivait, quoi
que l’on en pense, dans la perspective d’une grande remise à plat des compétences exercées par
les différents niveaux territoriaux. Celle-ci devait se faire, initialement, dans une autre loi devant
être déposée un an après la promulgation de la loi de réforme des collectivités territoriales. Mais
cette loi nouvelle n’est plus prévue aussi explicitement par la loi promulguée : les députés ayant
souhaité que celle-ci contienne d’emblée un certain nombre de principes régissant la répartition
des compétences, la nécessité d’une autre loi apparaît en effet moins grande. Il faudra donc encore
attendre avant de voir aboutir le grand chantier de la répartition des compétences.
Était néanmoins posée la question de la constitutionnalité de la suppression de la clause
générale de compétences par l’article 73 de la loi, modifiant les articles L. 3211-1 et L. 4221-1
du CGCT. Mais la loi a apporté un certain nombre de tempéraments à la suppression affichée.
En effet, ce même article 73 prévoit que cet article L. 3211-1 est complété par un alinéa 2 qui
prévoit que le conseil général « peut, en outre, par délibération spécialement motivée, se saisir
de tout objet d’intérêt départemental pour lequel la loi n’a donné compétence à aucune autre
personne publique ». Une rédaction analogue est prévue au profit du conseil régional (CGCT, art.
L. 4221-1 pour les conseils régionaux de métropole et CGCT, art. L. 4433-1 pour ceux d’outremer). Ensuite, des compétences continueront d’être partagées entre les niveaux de collectivités,
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dans les domaines de la culture, du sport et du tourisme. De même, départements et régions
pourront convenir d’élaborer des schémas d’organisation des compétences et de mutualisation
des services, par des délégations de compétences dans les deux sens, qui iront à l’encontre des
compétences attribuées par la loi, et la mutualisation des services (art. 75 de la loi). Enfin, la mise
en œuvre de cette partie de la réforme est repoussée au 1er janvier 2015, peut-être du fait des
échéances électorales à venir, tant nationales que locales.
Il était alors reproché à l’article 73 de la loi de méconnaître le principe de libre administration
des collectivités territoriales fondé sur l’article 72 de la Constitution. Cette argumentation faisait
correspondre la compétence générale et le principe constitutionnel de l’article 72, considérant
qu’une collectivité territoriale devait, pour mériter vraiment cette qualité et jouir de la libre
administration qui lui est associée, posséder une compétence générale, faute de quoi elle serait
assimilée à un simple établissement public. La réponse du Conseil est assez ambiguë, si bien
qu’en définitive, il ne se prononce pas sur ce point : s’il ne juge pas que les collectivités ne doivent
pas bénéficier d’une telle compétence, il se contente d’observer, en se fondant sur l’article 73 de
la loi (I et II), que les collectivités départementales et régionales pourront, « par délibération
spécialement motivée, se saisir respectivement de tout objet d’intérêt départemental ou régional
pour lequel la loi n’a donné compétence à aucune autre personne publique ». En somme, selon
lui, l’atteinte au principe de compétence générale n’est pas assez constituée pour porter atteinte
au principe de libre administration des collectivités territoriales.
Dans sa décision, le Conseil a aussi rejeté l’argument selon lequel l’article 73 serait contraire
au principe fondamental reconnu par les lois de la République, c’est-à-dire la loi du 10 août
1871 relative aux conseils généraux qui aurait consacré une compétence générale au profit des
départements (consid. 54 de la décision 618 DC). Il a considéré en effet que cette loi n’avait pas eu
pour objet de créer une compétence générale au profit des conseils généraux des départements ;
dès lors, celle-ci n’existant pas sur ce fondement, la loi de 2010 ne pouvait le méconnaître.
Il a enfin considéré que la loi n’instaurait pas une subordination des régions sur les départements, ce qui aurait été synonyme d’une tutelle que l’article 72 al. 5 interdit.
• • • Si la loi du 16 décembre 2010 ne traduit pas toutes les préconisations des différents rapports et travaux préparatoires, elle contribue à modifier assez globalement le paysage territorial.
De nombreux textes seront encore nécessaires pour que la réforme des collectivités territoriales
puisse être achevée.
Michel Verpeaux
Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris-I)
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