(N = 3,5-6). Un tel constat fait interrompre
par le gynécologue-obstétricien la substitu-
tion par hormone thyroïdienne. Au 5emois
de grossesse, Mme S., qui se plaint toujours
d’asthénie, de crampes, de constipation et de
frilosité, ne suit plus aucun traitement hor-
monal substitutif. Son taux de T4 libre est à
6,2 pmol/l, ce qui amène à reprendre immé-
diatement la substitution hormonale thyroï-
dienne à la posologie de 100 µg par jour.
L’évolution des taux plasmatiques de TSH,
de T4 libre et d’hCG plasmatiques est men-
tionnée sur la figure 2.
Nous sommes donc dans la situation très
particulière où une femme, atteinte d’un
déficit thyréotrope séquellaire d’une hypo-
physite auto-immune (une des atteintes
endocriniennes les plus fréquentes dans de
telles circonstances), développe, au cours
d’une grossesse triple, une hyperthyroïdie.
Le diagnostic d’hypophysite auto-immune
survenue au décours de la première grossesse
fait, en effet, peu de doute même si une preuve
histologique manque. Il s’agit d’un événe-
ment apparu dans le post-partum, s’accom-
pagnant d’une insuffisance hypophysaire
dissociée et d’un aspect pseudo-tumoral
de l’hypophyse, totalement régressif après
une corticothérapie de quelques mois. La
recherche de la présence d’anticorps antihy-
pophyse sera effectuée avec retard (deux ans
plus tard) et s’avérera négative, ce qui ne
permet en aucun cas de réfuter ce diagnostic.
Seule la positivité de cette recherche aurait
une valeur informative.
En dehors d’un surdosage en hormones thy-
roïdiennes, hypothèse diagnostique écartée
chez Mme S., qui a toujours suivi son traite-
ment suivant les indications qui lui ont été
données, trois diagnostics sont susceptibles
d’expliquer le développement, au cours de la
3egrossesse, d’une hyperthyroïdie chez une
femme ayant un déficit thyréotrope.
Le contexte auto-immun (hypophysite) doit
avant tout faire évoquer la possibilité d’une
stimulation immunologique du thyrocyte.
Les hypothèses, premièrement d’une mala-
die de Basedow ou, deuxièmement, d’une
poussée d’hyperthyroïdie sur thyroïdite
auto-immune, doivent a priori être évoquées.
La survenue de l’épisode d’hyperthyroïdie
au cours du premier trimestre de la grosses-
se, phase de la tolérance immunitaire, est un
argument contre ces diagnostics. L’absence
de signe ophtalmologique, sans être détermi-
nante, va dans le même sens. Si le caractère
tout à fait transitoire de l’hyperthyroïdie est
compatible avec l’hyperthyroïdie sur thyroï-
dite, il l’est beaucoup moins avec l’hypothèse
d’une maladie de Basedow. Enfin, argument
biologique de poids en défaveur d’une maladie
auto-immune supplémentaire, la recherche
de la présence d’anticorps antithyroïdiens et
d’anticorps stimulant la thyroïde s’est avérée
négative. Reste donc la troisième possibilité,
celle d’une hCG-toxicose.
L’évolution des taux plasmatiques de T4
libre, de TSH et d’hCG au cours des deux
dernières grossesses et dans l’intervalle de
temps qui les sépare, conforte tout à fait ce
diagnostic (figure 2). Les taux de T4 libre
évoluent parallèlement à ceux d’hCG.
L’inflation du taux de T4 libre est d’autant
plus importante que la grossesse est multiple
(2egrossesse gémellaire, troisième grossesse
triple).
Cette entité d’hCG-toxicose est connue de
longue date. Elle est liée aux propriétés
TSH-like de l’hCG. Dans les grossesses
gémellaires, les taux d’hCG plasmatique
ont tendance à être plus élevés que dans les
grossesses monovitellines, les taux de T4
libre, plus élevés et, consécutivement, ceux
de TSH plus bas. En cas de grossesse triple,
ces phénomènes sont majorés, comme c’est
le cas pour Mme S. S’il est connu depuis
longtemps que l’intensité de la thyrotoxicose
est parfaitement corrélée au taux d’hCG
plasmatique, des études récentes ont affiné
la connaissance du mécanisme physiopatho-
logique. Il ne paraît pas univoque. Comme
cela est mentionné plus haut, le taux d’hCG
plasmatique est un des éléments détermi-
nants. Il sera élevé dans des circonstances
favorisantes : grossesse multiple, tumeur tro-
phoblastique. Le taux d’hCG n’est cepen-
dant pas le seul facteur en cause. En effet,
l’hCG existe sous différentes formes molé-
culaires qui apparaissent plus ou moins aptes
à se lier aux récepteurs de la TSH et à induire
une stimulation d’hormonogenèse thyroï-
dienne. Des variants moléculaires de l’hCG,
particuliers par la diminution du contenu en
acide sialique, ou dépourvus d’une partie de
leur fraction C-terminale ou encore de
conformation moléculaire particulière, pos-
sèdent une activité intrinsèque thyréostimu-
lante plus élevée. Tout récemment, il a été
démontré que la conformation même du
récepteur de la TSH pouvait être elle-même
un facteur déterminant de l’hCG-toxicose
par augmentation de l’affinité de la cellule
thyroïdienne pour l’hCG.
Le cas de Mme S. est exemplaire en ce sens
qu’une hCG-toxicose vient contrebalancer
les conséquences d’un déficit thyréotrope
séquellaire d’une hypophysite auto-immune.
On pourrait, par boutade, suggérer que la
grossesse représente une solution thérapeu-
tique à son insuffisance thyréotrope, mais
chacun aura compris qu’il s’agit là d’un jeu
intellectuel et que cette femme nécessite un
traitement hormonal substitutif thyroïdien,
sauf peut-être pendant la première moitié de
ses grossesses, surtout si elles sont multivi-
tellines.
Références
◗Hershman JM. Thyroid 1999.
◗ Asteria C. Eur J Endocrinol 1999.
◗ Talbot J.A et al. Clin Endocrinol 2001.
Cas clinique
a
b
10/97 8/98 1/99 12/99 6/00 10/01 11/01 2/02
Thyroxine
0
10
20
30
40
50
60 300 000
100 000
hCG
T4 libre
hCG mU/l
T4 libre pmol/l
0
200 000
10/97 8/98 1/99 12/99 6/00 10/01 11/01 2/02
Thyroxine
0
10
20
30
40
50
60 5
4
1
TSH
T4 libre
TSH mU/l
T4 libre pmol/l
Temps (mois/année)
0
3
2
Figure 2. Évolution des taux plasmatiques de T4
libre et d’hCG (figure 2a), de T4 libre et de TSH
(figure 2b) sur la période allant de fin 1997
(2egrossesse) à fin 2001 (3egrossesse).
Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 3, mai-juin 2002
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