dossier thématique Cancers de l’adolescent Préservation de la fertilité chez l’adulte jeune atteint d’un cancer Fertility preservation in young cancer patients P. This* C hez l’adulte jeune confronté à un cancer, les conséquences des traitements sur la fertilité existent et peuvent entrer en jeu dans la stratégie thérapeutique lorsque plusieurs options sont discutées. Certaines méthodes de préservation de la fertilité peuvent être proposées aujourd’hui. Il existe actuellement une demande croissante d’information chez ces jeunes patients (il peut s’agir d’un ou d’une adolescent[e], d’un adulte jeune, en couple ou célibataire) et leurs proches à laquelle les oncologues doivent pouvoir répondre. Conséquences des traitements * Institut Curie, Paris ; Centre de la Femme, hôpital de Versailles, Le Chesnay. La chirurgie compromet la fertilité lorsque le cancer intéresse directement les organes génitaux, testicules chez le garçon, utérus et/ou ovaires chez la fille. La chirurgie des cancers gynécologiques est malheureusement souvent mutilante, que ce soit celle des cancers du col de l’utérus, celle des cancers de l’endo­mètre ou celle des cancers épithéliaux de l’ovaire. La radiothérapie, lorsqu’elle intéresse l’utérus, a un effet délétère sur la fertilité : ses conséquences à la fois morphologiques et dynamiques induiront des difficultés de nidation, des fausses couches spontanées précoces et des anomalies d’implantation du placenta. L’effet délétère de la chimiothérapie sur le fonctionnement des gonades est bien établi : chez la femme, il dépend de l’âge, du type de chimiothérapie, des doses prescrites et de la susceptibilité individuelle. En pratique, le risque d’aménorrhée chimio-induite est approximativement de 10 % vers 35 ans, de 40 % vers 40 ans, et il augmente ensuite rapidement, pour atteindre 70 à 80 % vers 45 ans (1). Même 154 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009 en cas d’impact faible chez les femmes vraiment jeunes, âgées de moins de 30 ans, celles-ci resteront confrontées de toute façon à une ménopause prématurée. Après un cancer du sein, un traitement antihormonal peut être prescrit pendant plusieurs années : le tamoxifène est l’hormonothérapie adjuvante de référence chez les jeunes femmes. Cet antiestrogène, inducteur de l’ovulation et tératogène, nécessite le recours à une contraception : en pratique, une contraception locale par préservatifs ou un dispositif intra-utérin au cuivre. Les agonistes de la LH-RH sont également parfois prescrits à la suite d’un cancer du sein soit isolément, soit en association avec le tamoxifène : ils provoquent un état d’insuffisance ovarienne profonde mais transitoire ; à l’arrêt du traitement, la fonction ovarienne reprend. Préservation de la fertilité Depuis la publication des recommandations récentes de l’ASCO, les oncologues doivent connaître les différentes méthodes utilisables, leur efficacité et leurs limites (1). Chez le garçon Chez le garçon pubère ou l’adulte jeune, la préservation de la fertilité repose essentiellement sur la congélation de sperme. La production de spermatozoïdes est qualitativement et quantitativement correcte à partir de 13 ou 14 ans (2), donc la congélation de sperme est techniquement possible chez l’adolescent pubère et en période péripubertaire, bien que la qualité du sperme soit parfois déjà altérée au Résumé Les traitements du cancer peuvent compromettre la fertilité de l’adulte jeune, qu’il s’agisse de la chirurgie, de la radiothérapie ou de la chimiothérapie. Les patients doivent être informés de ces conséquences. Chez la jeune femme, les effets de la chimiothérapie dépendent de l’âge, des composés utilisés et des doses. Parmi les méthodes envisageables pour préserver la fertilité figurent la congélation de sperme chez l’homme, et, chez la femme, la transposition ovarienne, la chirurgie conservatrice pour les cancers gynécologiques, la congélation d’embryon, d’ovocyte, d’ovaire, et la coprescription d’agonistes de la LH-RH pendant la chimiothérapie. Certaines méthodes sont encore expérimentales. moment du diagnostic. En pratique, cette méthode suppose une aptitude physique et psychologique et le soutien de l’entourage. Un accompagnement psychologique du jeune est souvent nécessaire. Rarement, on proposera un recueil des spermatozoïdes par ponction épididymaire ou biopsie testiculaire. Chez la fille ◆◆ Méthodes de préservation de la fertilité “stricto sensu” Quelques méthodes existent, dont certaines sont encore expérimentales : ➤➤ Congélation embryonnaire. Cette méthode est largement utilisée aujourd’hui en assistance médicale à la procréation (AMP) et repose sur le principe de la fécondation in vitro (FIV) : une stimulation de l’ovulation à l’aide de gonadotrophines permet le développement sur les ovaires de plusieurs follicules contenant des ovocytes. Lorsque ceux-ci sont arrivés à maturité, l’ovulation est déclenchée. Trente-six heures après l’injection, les follicules sont ponctionnés sous échographie et les ovocytes recueillis, mis en culture avec le sperme du conjoint. Chez les femmes ayant un cancer, le principe de la méthode consiste à effectuer cette FIV avant la chimiothérapie et à congeler les embryons obtenus. À distance des traitements, ceux-ci seront décongelés et réimplantés dans l’utérus de la patiente. Très peu d’équipes ont osé à ce jour proposer cette méthode à des femmes chez lesquelles un cancer venait d’être diagnostiqué (3) : pour les cancers du sein, la principale réticence concerne les conséquences d’une élévation importante des taux d’estrogènes sur la maladie mammaire. De plus, la congélation d’embryons ne concerne que des couples constitués et se heurte à des difficultés évidentes, à la fois pratiques (accès rapide à la FIV sans retarder les traitements) et psychologiques… ➤➤ Congélation d’ovocytes. Dans ce cas, ce sont les ovocytes obtenus que l’on congèle, sur le même principe que la congélation de sperme avant les traitements infertilisants chez l’homme. Cette méthode est en théorie applicable aux jeunes femmes célibataires. À distance des traitements, les ovocytes seront décongelés et mis en culture avec les spermatozoïdes du futur conjoint. Bien que séduisante, cette méthode est encore expérimentale. La congélation, puis la décongélation des ovocytes posent d’importants problèmes techniques, et le rendement de cette méthode est très faible. ➤➤ Cryo-préservation du tissu ovarien. Le principe consiste à prélever, avant la chimiothérapie, du cortex ovarien, voire un ovaire, sous cœlioscopie. Les fragments ovariens sont analysés au microscope, préparés, puis congelés. À distance des traitements, ils seront décongelés, puis réimplantés chez la patiente. Selon les cas, l’ovulation peut survenir spontanément, ou après stimulation, et la fécondation peut être naturelle ou obtenue par FIV. À ce jour, quelques grossesses ont été obtenues chez des femmes ayant reçu des chimiothérapies pour des maladies hématologiques (4, 5). Bien que les résultats en aient été immédiatement médiatisés, soulignons qu’il s’agit d’une technique encore expérimentale qui soulève de nombreuses questions d’ordre technique mais aussi éthique. Aujourd’hui, la cryo-préservation du tissu ovarien est de plus en plus souvent proposée, notamment aux très jeunes femmes (de moins de 30 ans) avant des traitements “fortement infertilisant” dans le cadre d’hémopathies malignes, de sarcomes ou de tumeurs ovariennes borderline, dans l’espoir que les techniques de greffes seront au point lorsque ces jeunes femmes souhaiteront devenir mères. En revanche, chez les jeunes femmes atteintes de cancer du sein, cette méthode n’est pas indiquée, car l’ablation d’un ovaire risquerait d’être plus délétère que les conséquences de la chimiothérapie adjuvante sur la fertilité. Enfin, notons qu’il existe un risque au moins théorique de réintroduction de cellules malignes imposant de rechercher, au moment de la greffe, une maladie résiduelle sur le greffon par des techniques très spécialisées (immuno-histochimie, biologie moléculaire). ➤➤ Prescription d’agonistes de la LH-RH pendant la chimiothérapie. Le principe de cette méthode consiste à “mettre les ovaires au repos” pendant la chimiothérapie : on espère ainsi “protéger” le capital folliculaire ovarien. Bien qu’en pratique la coprescription d’agonistes de la LH-RH et d’une chimiothérapie soit parfois effectuée “empiriquement” par certains oncologues (6), son effet sur la préservation de la fertilité est loin d’être établi (1), et ne peut se concevoir que dans le cadre d’essais cliniques. Mots-clés Agoniste de la LH-RH Congélation d’ovaires Congélation d’ovocyte Don d’ovocyte Préservation de la fertilité Highlights In young patients, cancer therapies may have some impact on fertility. Information about these outcomes must be disclosed to these young patients. Surgery and uterine radiation therapy may compromise fertility. Chemotherapy may induce ovarian failure, which depends on age, type and dose of cytotoxic agents. Sperm cryopreservation must be proposed to young men. A variety of techniques of fertility preservation were recently proposed in young women namely ovarian transposition, conservative gynecologic surgery, embryo cryo-preservation, oocyte cryo-preservation, ovarian tissue cryo-preservation, and co-prescription of LH-RH analogues during chemotherapy. Some of these techniques are still experimental. Keywords Fertility preservation LH-RH analogues Oocyte cryo-preservation Oocyte donation Ovarian tissue cryo-preservation La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009 | 155 dossier thématique Cancers de l’adolescent Références bibliographiques 1. Lee SJ, Schover LR, Partridge AH et al. American Society of Clinical Oncology recommandations on fertility preservation in cancer patients. J Clin Oncol 2006;24(18):2917-31. 2. Klapouszczak D, BertozziSalamon AI, Grandjean H, Arnaud C. Fertility preservation in adolescent cancer patients. Bull Cancer 2007;94(7):636-46. 3. Oktay K, Buryuk E, Libertella N, Akar M, Rosenwaks Z. Fertility preservation in breast cancer patients: a prospective controlled comparison of ovarian stimulation with tamoxifen and letrozole for embryo cryopreservation. J Clin Oncol 2005;23(19):4347-53. 4. Meirow D, Levron J, EldarGeva T et al. Pregnancy after transplantation of cryopreserved ovarian tissue in a patient with ovarian failure after chemotherapy. New Engl J Med 2005; 353(3):318-21. 5. Donnez J, Dolmans MM, Demylle D et al. Livebirth after orthotopic transplantation of cryopreserved ovarian tissue. Lancet 2004;364:1405-10. 6. Blumenfeld Z, Eckman A. Preservation of fertility and ovarian function and minimization of chemotherapy-induced gonadotoxicity in young women by GnRH-a. J Natl Cancer Inst Monogr 2005;34:40-3. 7. Bonnier P, Morice P. Dossier thématique : Préservation de la fertilité dans les cancers du col et de l’ovaire. La Lettre du Gynécologue 2006(315):19-36. 8. Vernaeve V, Reis Soares S, Budak E, Bellver J, Remohi J, Pellicer A. [Clinical factors associated with the outcome of oocyte donation]. Gynecol Obstet Fertil 2007;35(10):1015-23. 9. Lobo RA. Potential options for preservation of fertility in women. N Engl J Med 2005;353(1): 64-73. Préservation de la fertilité chez l’adulte jeune atteint d’un cancer ◆◆ Adaptation des traitements Une autre manière de préserver la fertilité consiste à mettre au point des traitements moins toxiques pour les ovaires ou moins mutilants, mais cette “désescalade thérapeutique” ne doit pas conduire à sous-traiter les patientes et doit être soigneusement évaluée. Ainsi, en cas de cancers gynécologiques, il est parfois possible de s’orienter vers un traitement moins lourd : pour le cancer du col de l’utérus débutant, trachélectomie élargie amputant le col de l’utérus, mais préservant une partie du corps utérin ; pour le cancer de l’endomètre débutant (stade I), résection hystéroscopique de l’endomètre suivie d’une hystérectomie de clôture, une fois le projet de grossesse mené ; pour le cancer épithélial de l’ovaire débutant (stade IA), ablation d’un seul ovaire (7). Ces méthodes encore expérimentales ont des indications extrêmement limitées et ne peuvent se concevoir que dans des équipes hautement spécialisées, après un bilan très complet et une information éclairée de la jeune femme ou du couple. ◆◆ Transposition des ovaires Enfin, la transposition des ovaires, permettant d’exclure ceux-ci des champs d’irradiation, est parfois proposée. Si elle permet le maintien d’une fonction hormonale, sa place dans la préservation de la fertilité doit se discuter selon le geste utérin associé : rappelons qu’en France la légalisation de la “gestation pour autrui” fait actuellement l’objet d’un débat éthique. La conservation d’un capital ovarien est donc problématique chez les femmes hystérectomisées. Restauration de la fertilité Une grossesse est-elle “envisageable” sur le plan oncologique est la première question qui se pose. Ainsi, après un cancer du sein traité, la plupart des Tableau. Taux de succès des méthodes de préservation de la fertilité chez la femme (9). Option Cycles spontanés (Acceptation du risque d’infertilité) Femmes qui obtiendront une grossesse (%) 5 à 28 %, 3 à 6 ans après le traitement (dépend de l’âge de la femme) Agonistes de la LH-RH pendant la chimiothérapie Non connu (expérimental) Congélation d’embryons 20 à 30 % par transfert de 3 embryons Congélation d’ovocytes 3 % par ovocyte décongelé Congélation d’ovaire Quelques grossesses rapportées Don d’ovocytes 40 à 50 % par transfert de 2 ou 3 embryons 156 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009 équipes recommandent de respecter un “délai de sécurité” d’environ 2 à 3 ans, car le risque de récidive est plus élevé dans les suites immédiates du diagnostic. De toute façon, il est recommandé d’attendre au moins une année après la dernière cure de chimiothérapie, et deux mois après l’arrêt du tamoxifène afin d’éviter tout risque tératogène. Chez les femmes ayant une insuffisance ovarienne avérée ou une ménopause précoce, le seul moyen d’obtenir une grossesse est le don d’ovocytes. En France, ses conditions sont extrêmement ­réglementées (8). La donneuse (une jeune femme, déjà mère, de moins de 36/37 ans) va subir une stimulation hormonale selon un protocole “classique” de FIV. Ses ovocytes sont prélevés et mis en contact avec les spermatozoïdes du conjoint de la receveuse. Le ou les embryons obtenus sont replacés dans l’utérus de la receveuse qui, en France, doit nécessairement avoir l’âge de procréer, donc moins de 42/43 ans. Chez les femmes en insuffisance ovarienne complète, une courte substitution hormonale est nécessaire jusqu’au relais placentaire. Le don est anonyme et gratuit. En France, les listes d’attente sont très longues en raison du manque de donneuses. Actuellement, certaines femmes y ont recours dans d’autres pays d’Europe, où l’accès au don d’ovocytes est plus simple et plus rapide (environ quelques mois). Enfin, lorsqu’à l’insuffisance ovarienne avérée s’associe, chez le conjoint, une anomalie très sévère du sperme, reste l’accueil d’embryon : c’est le transfert à un couple stérile d’un ovule fécondé venant d’un autre couple ayant eu recours aux techniques d’AMP et ayant abandonné son projet parental. Cette possibilité peut désormais être proposée aux couples présentant une double infertilité. Conclusion La congélation de sperme doit être systématiquement proposée aux garçons. Malgré des avancées récentes prometteuses, la préservation de la fertilité féminine reste encore expérimentale, qu’il s’agisse de la congélation d’embryons, d’ovocytes ou d’ovaire, ou de la mise au repos des ovaires par des agonistes de la LH-RH pendant la chimiothérapie (9) [tableau]. Dès aujourd’hui, il nous faut anticiper cette nouvelle demande de nos jeunes patients, apprendre à mieux les informer, engager des collaborations avec des équipes d’AMP sensibilisées à ces thématiques, rédiger des référentiels adaptés et mettre en place des enregistrements prospectifs. ■