dossier thématique Cancers de l’adolescent Biologie tumorale particulière des tumeurs du sujet jeune Biological specificities of cancer in young adults and teenagers J.Y. Pierga* L * Service d’oncologie médicale, Institut Curie, Paris. Références bibliographiques 1. Bleyer A. Young adult oncology: the patients and their survival challenges. CA Cancer J Clin 2007; 57(4):242-55. 2. Li J, Thompson TD, Miller JW, Pollack LA, Stewart SL. Cancer incidence among children and adolescents in the United States, 2001-2003. Pediatrics 2008; 121(6):e1470-7. 3. Bleyer A, Barr R, Hayes-Lattin B, Thomas D, Ellis C, Anderson B. The distinctive biology of cancer in adolescents and young adults. Nat Rev Cancer 2008;8(4):288-98. 4. Baldus CD, Burmeister T, Martus P et al. High expression of the ETS transcription factor ERG predicts adverse outcome in acute T-lymphoblastic leukemia in adults. J Clin Oncol 2006; 24(29):4714-20. 5. Hoelzer D. Advances in the management of Ph-positive ALL. 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Quelles particularités biologiques et dans quelles pathologies tumorales ? Leucémies aiguës lymphoblastiques Chez les garçons, il existe un pic d’incidence à l’adolescence dont on ne sait s’il correspond à un type biologique spécifique ou au rôle des androgènes. L’incidence des facteurs pronostiques défavo­rables est plus grande : groupe L2 de la classification Franco-américano-britannique (FAB), immunophénotype proT, présence du chromosome Philadelphie (t(9;22) BCR-ABL), retrouvé chez moins de 3 % des enfants et chez 3 à 26 % des sujets jeunes, du soustype Hox+, alors que l’incidence de la translocation TEL-AML1, facteur pronostique favorable, est moindre (4, 5). Cancers du côlon des sujets jeunes Dans cette population, il existe une plus grande incidence des instabilités des microsatellites, des formes héréditaires (polypose adénomateuse fami- 146 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009 liale, mutation du gène APC) et des formes HNPCC (hereditary non-polyposis colon cancer), elles-mêmes caractérisées par des mutations de gènes de réparation de l’ADN (MSH2, MLH1, PMS2) et par une plus grande fréquence des instabilités des microsatellites (6). Les causes du dysfonctionnement du système MMR (mismatch repair) sont l’hyperméthylation somatique du promoteur du gène MLH1 dans les cancers sporadiques (représentant 15 à 30 % des cancers colorectaux, atteignant les sujets âgés, localisés au côlon droit), tandis que, dans les cancers coliques familiaux (syndrome de Lynch ou HNPCC, qui représentent 2 à 3 % des cancers colorectaux et atteignent le côlon chez les sujets jeunes, et cancers extra-coliques, dont celui de l’endomètre), sont retrouvées des mutations germinales des gènes MLH1, MSH2, MSH6 ou PMS2. Les mutations de p53 et la perte de bcl2 sont plus fréquentes chez les sujets jeunes, tandis que les mutations de KRAS et la perte d’hétérozygotie (LOH) de 17p ou 18q, anomalies retrouvées chez les sujets plus âgés, le sont moins. Le pronostic est plus défavorable chez les sujets de moins de 30 ans, en raison des caractéristiques plus agressives de la tumeur, dues notamment à une plus grande fréquence des formes mucineuses de plus mauvais pronostic (avec 50 % de formes mucineuses chez les sujets jeunes contre 3 % chez les sujets plus âgés), à des formes dédifférenciées et à un diagnostic fait à un stade plus avancé (7). Tumeurs stromales gastro-intestinales Ces tumeurs mésenchymateuses se développent le plus souvent aux dépens de l’estomac et de l’intestin grêle, plus rarement du rectum, du côlon, de l’œsophage ou du mésentère. Elles dérivent des cellules Résumé Les sujets jeunes présentent soit des formes tardives de cancer de l’enfant (leucémie aiguë lymphoïde, lymphome B, sarcome), soit des formes précoces de cancer de l’adulte (sein, côlon, GIST). Ces tumeurs, en dehors des mélanomes et des cancers de la thyroïde, sont généralement de très mauvais pronostic. Leurs particularités biologiques restent mal connues. Mots-clés Sujet jeune Cancer Épigénétique Télomère de Cajal ou de leur précurseur, et leur phénotype est CD117/KIT+ (98 %), CD34+ (70 %). Elles sont caractérisées par la fréquente expression des protéines KIT (80 %) ou PDGFRβ (5 %) mutées, activées de manière mutuellement exclusive. Chez les sujets de moins de 40 ans, l’atteinte prédomine chez les femmes ; la présentation est multifocale ; la mutation de KIT ou de PDGFR n’est pas retrouvée, ce qui explique l’absence de sensibilité à l’imatinib (8). Cancer du sein chez la femme jeune Les tumeurs sont souvent de plus grande taille, et de grade plus élevé. L’atteinte ganglionnaire est plus fréquente, avec un nombre de ganglions atteints plus élevé. Les formes dites triple-négatives (RE–, RP–, HER2–), non hormonosensibles, sont plus fréquentes. L’association avec un risque familial accru (mutations de BCRA1) est plus fréquente. Chez une femme de moins de 30 ans avec une histoire familiale de cancer du sein, une mutation de BRCA1, BRCA2 ou TP53 est retrouvée dans plus de 50 % des cas, tandis que, en l’absence d’antécédents familiaux, ces mutations ne sont retrouvées que dans 10 % des cas (9). Existe-t-il des gènes distinctifs particulièrement impliqués dans la tumorogenèse du cancer du sein des patientes de moins de 45 ans et des patientes de plus de 65 ans ? Des études ont porté sur de multiples ensembles de gènes (367) impliqués dans la fonction immune, la voie mTOR/rapamycine, BRCA1, l’apoptose, les voies de signalisation de myc, d’E2F, de Ras, de la β-caténine, d’AKT, de p53, etc. (10, 11). Autres tumeurs La fréquence du variant de type alvéolaire du rhabdomyosarcome (avec translocation du 13, PAX 3-FKHR) chez les adolescents et les adultes jeunes de pronostic plus défavorable est plus grande. Dans le sarcome d’Ewing, le gain de 1q ou la perte de 16q, de moins bon pronostic, sont plus fréquents chez les patients de plus de 15 ans (12). Dans les liposarcomes, des translocations impliquant les chromosomes 2, 16 et 22 sont le plus souvent retrouvées. L’incidence du mélanome est 2 fois supérieure chez les jeunes filles à ce qu’elle est chez les adultes. La fréquence plus élevée de mutations de BRAF (40 à 50 % des cas) est corrélée à un index mitotique plus faible, à des tumeurs moins épaisses, et donc à un meilleur pronostic. Quels mécanismes, quels facteurs pourraient intervenir dans la spécificité des cancers des sujets jeunes ? La régulation épigénétique de gènes suppresseurs de tumeurs (hyperméthylation d’îlots CpG de régions promotrices) intervient à plusieurs niveaux (13) : ➤➤ Dans les LAL, la méthylation des gènes de kinases régulatrices de la croissance (p57 codé par CDKN1C et p15 codé par CDKN2B) et des gènes suppresseurs de tumeurs TP73 est plus importante chez les adolescents et les adultes jeunes que chez les enfants (14). ➤➤ L’hyperméthylation du gène MLH1 est retrouvée dans 16 % des cas de polypes du sujet jeune, sans que l’on sache s’il s’agit d’un facteur de progression accélérée vers la cancérisation (15). Le raccourcissement de la longueur des télomères est associé, d’une génération à l’autre, à une diminution de l’âge des patients au moment de l’appa­ rition du cancer, dans le cadre du syndrome de Li et Fraumeni (16). Certains facteurs comme la maturation sexuelle ou l’obésité (en augmentation chez les adolescents) pourraient être impliqués. Les prélèvements congelés, dont le nombre est faible chez les sujets jeunes par rapport aux adultes, sont indispensables à l’étude de la fonction des gènes et des effets des mutations. Leur compréhension pourrait permettre en effet l’identification de nouvelles cibles et la conception de substances thérapeutiques capables de restaurer un fonctionnement cellulaire normal. ■ Highlights Cancers developped in young adults and teenagers are often late onset of children cancers (LLA, B lymphoma) or early onset of adults cancers (breast, colon, GIST). They have a worst prognosis, except for melanoma and thyroid cancers. Their biological specificities are poorly known. Keywords Young adult Teenager Cancer Epigenetic Telomere 8. Agaram NP, Laquaglia MP, Ustun B et al. Molecular characterization of pediatric gastrointestinal stromal tumors. Clin Cancer Res 2008;14(10): 3204-15. 9. Rakha EA, Reis-Filho JS, Ellis IO. Basallike breast cancer: a critical review. 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