Qu’apportent des plasticiens aux arts de la rue ?
L’apport de l’approche plastique est probablement là : dans la capacité à s’inscrire dans une temporalité un peu
plus longue, à travailler plus fortement le marquage du lieu, en plus qu’à être probablement beaucoup plus
générateur d’interactions sociales.
Mais il est difficile de susciter ce type de collaborations. Car les cultures professionnelles des arts plastiques et du
spectacle vivant sont assez différentes, de même que leur rapport au public. Du côté du spectacle vivant, la structuration
est plus collective ; elle est plus individualiste du côté des arts plastiques. La rencontre n’est donc pas si évidente. Seule
. Des projets culturels en tantune logique de projets peut construire les opportunités de ce type de croisements
que tels. Mais aussi des projets d’aménagements.
De votre point de vue, comment des interventions artistiques peuvent-elles s’insérer dans des projets
d’aménagement urbains ?
J’ai des idées assez arrêtées sur la question !
Pour l’instant, on en reste à une vision très éculée, obsolète, de la présence de l’art dans l’espace public,
comme une espèce de supplément d’âme. L’art viendrait donner une espèce de qualification esthétique à ces
espaces. Ça se décline à travers un vocabulaire esthétique finalement assez monumental – des œuvres objets – avec
une réflexion technique qui inscrit dans la durée, la pérennité.
Du coup, ça réduit forcément le nombre de formes ou de dispositifs qui peuvent fonctionner : ce sont soit des œuvres
matérielles, de type statuaire, soit des œuvres techniques ou fonctionnelles, comme des fontaines ou des aires de jeu
pour enfants. C’est de l’ordre du design d’extérieur pour un urbanisme durable.
L’urbanisme n’est-il pas fait pour durer ?
On parle justement, de plus en plus, de la notion d’ « urbanisme temporaire ». Je crois qu’il faut inventer d’autres
formes d’interventions plastiques dans l’espace public, plus évolutives, plus surprenantes, plus interactives qui
. Ce peut être l’utilisation de formes plus temporaires qui viennentcorrespondraient à cet « urbanisme temporaire »
accompagner l’émergence d’un projet, dans sa phase de chantier comme dans ses préalables. Il s’agit d’aménager
temporairement des espaces, voir comment ces espaces vivent et alimenter un débat autour de ça. Ce n’est qu’alors que
la question de la pérennité de ces installations à durée de vie limitée peut se poser.
A côté de la démarche classique de poser des objets dans l’espace public, il faut permettre que se développent
des processus, qui permettent des évolutions. C’est plus lourd techniquement, et ça ne fait pas encore partie de la
boîte à outils des aménageurs, même s’ils savent faire dans le cadre d’une commande événementielle. On peut imaginer
aussi des dispositifs interactifs autour du détournement.
Les œuvres d’art dans l’espace public sont pourtant, généralement, assez peu « critiques »…
L’espace public devrait être par nature un espace critique. Sinon, pourquoi ce recours à l’art ? L’art devient l’instrument
d’une « consensualité » un peu molle, d’un écrêtage d’opinions. Il faut quelque chose qui dépasse « l’art moyen », des
œuvres critiques – mais pas forcément provocatrices – qui peuvent être le support d’une réflexion, d’une interrogation. Si
on la volonté de produire un espace public admis par tous, pris dans un cadre technique de « faire la ville » qui est
relativement stéréotypé, ce n’est pas étonnant qu’on trouve peu d’œuvres dérangeantes.
N’est-ce pas le propre de l’espace public d’être admis par tous et pas « approprié » par quelques uns ?
L’espace public est tout sauf appropriable. Il nous propose de la co présence, de l’altérité, ce qui est très loin de
l’appropriation. Dans l’espace public, on est coloc’ plus que propriétaire.
Le traitement esthétique du mobilier urbain reprend des solutions qui ne sont pas infinies puisqu’elles correspondent à
des contraintes de formes. Résultat : tous les espaces publics ont tendance à se ressembler, même à Shangaï dont je
reviens. Partout, les vocabulaires esthétiques deviennent très homogènes.
L’art est-il seulement question de vocabulaire formel ?
L’art quand il s’inscrit dans le cadre de commandes contraignantes a peu de marge de manœuvre. A part produire une
déclinaison de formes. Mais l’art, effectivement, ne se réduit pas à la forme. Il a la dimension essentielle de créer
. Et pas de venir illustrer une signification qui serait déjà donnée. Sinon, on entre dans les artsde la signification
décoratifs. Souvent, d’ailleurs, les aménageurs sollicitent les artistes sous cet angle-là.