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L'évolution des arts urbains
INTERVIEW DE PHILIPPE CHAUDOIR
<< Il faut inventer d’autres formes d’interventions
plastiques dans l’espace public, plus évolutives, plus
surprenantes, plus interactives >>.
Réalisée par : Anne-Caroline JAMBAUD
Tag(s) : Ville, Histoire, Patrimoine, Politique culturelle, Art
urbain
président des Ateliers Frappaz à Villeurbanne
Date : 30/05/2011
Propos
recueillis
par
Anne-Caroline
Jambaud
en
mai
2011
De votre poste d’observation privilégié qu’est la présidence des Ateliers Frappaz, centre métropolitain des arts
urbains (Villeurbanne), quelles évolutions repérez-vous dans le champ des arts urbains ?
J’observe une évolution intéressante : les arts de la rue prennent de plus en plus en compte la question des formes
plastiques. Ça a toujours été. Mais c’était un peu masqué par de grandes formes spectaculaires, déambulatoires, dans
le droit fil d’une compagnie comme Royal de Luxe par exemple. Puis l’économie un peu défaillante du secteur a fait
qu’on est revenus à des formes plus viables d’un point de vue économique. Ces formes tendaient à s’estomper au profit
de formes plus théâtrales. Mais depuis 2 ou 3 ans, on voit émerger des logiques d’installation ; de plus en plus de
plasticiens interviennent à la demande du monde des arts de la rue. Le festival d’Aurillac a ainsi fait le choix d’inviter des
plasticiens, des gens qui ne sont pas du sérail des arts de la rue. C’est une évolution en cours qu’on retrouve aux
Ateliers Frappaz et au festival Les invites qui accueille notamment cette année Lucie Lom. Ce sont les plasticiens qui
avaient réalisé la forêt suspendue pour Lille 2004.
Mais les Invites ont toujours fait appel à des plasticiens, pour scénographier la ville pendant le festival…
Les scénographes ont toujours accompagné le travail de mise en scène urbaine, en donnant une traduction plastique à
la thématique du festival. Mais c’est très connecté à la problématique de la médiation. C’est intéressant, car ça produit
des objets dans l’espace public, mais ce ne sont pas à proprement parler des « œuvres ». La tonalité de la médiation est
très forte. C’est de l’ordre du méta projet. Ça ne fait pas sens par les objets qui sont produits (des parapluies ou des
chaises par exemple), mais ça fait sens parce que ça change d’échelle et se déploie sur un territoire tout entier. Ce qui
est intéressant, c’est le processus de co production, et le rapport au territoire que cela signifie. Ce n’est pas une
collection d’œuvres isolées, en pointillés, mais elles sont dans quelque chose qu’on veut saisir dans une globalité, une
continuité.
C’est une démarche qui s’inscrit dans le temps de l’intermédiaire – une semaine par exemple - et non pas dans le temps
de l’éphémère. Aux Invites, la compagnie Off avait fait un travail d’émergence du désert dans l’avenue Henri Barbusse.
Bambouco et Carabosse avaient installé progressivement une ambiance de bambous et de feu. Ça participait à une
installation qui se développait sur la durée, dans un processus. C’est un travail de cet ordre que va réaliser Lucie Lom
aux Invites 2011.
Qu’apportent des plasticiens aux arts de la rue ?
L’apport de l’approche plastique est probablement là : dans la capacité à s’inscrire dans une temporalité un peu
plus longue, à travailler plus fortement le marquage du lieu, en plus qu’à être probablement beaucoup plus
générateur d’interactions sociales.
Mais il est difficile de susciter ce type de collaborations. Car les cultures professionnelles des arts plastiques et du
spectacle vivant sont assez différentes, de même que leur rapport au public. Du côté du spectacle vivant, la structuration
est plus collective ; elle est plus individualiste du côté des arts plastiques. La rencontre n’est donc pas si évidente. Seule
une logique de projets peut construire les opportunités de ce type de croisements . Des projets culturels en tant
que tels. Mais aussi des projets d’aménagements.
De votre point de vue, comment des interventions artistiques peuvent-elles s’insérer dans des projets
d’aménagement urbains ?
J’ai des idées assez arrêtées sur la question !
Pour l’instant, on en reste à une vision très éculée, obsolète, de la présence de l’art dans l’espace public,
comme une espèce de supplément d’âme. L’art viendrait donner une espèce de qualification esthétique à ces
espaces. Ça se décline à travers un vocabulaire esthétique finalement assez monumental – des œuvres objets – avec
une réflexion technique qui inscrit dans la durée, la pérennité.
Du coup, ça réduit forcément le nombre de formes ou de dispositifs qui peuvent fonctionner : ce sont soit des œuvres
matérielles, de type statuaire, soit des œuvres techniques ou fonctionnelles, comme des fontaines ou des aires de jeu
pour enfants. C’est de l’ordre du design d’extérieur pour un urbanisme durable.
L’urbanisme n’est-il pas fait pour durer ?
On parle justement, de plus en plus, de la notion d’ « urbanisme temporaire ». Je crois qu’il faut inventer d’autres
formes d’interventions plastiques dans l’espace public, plus évolutives, plus surprenantes, plus interactives qui
correspondraient à cet « urbanisme temporaire ». Ce peut être l’utilisation de formes plus temporaires qui viennent
accompagner l’émergence d’un projet, dans sa phase de chantier comme dans ses préalables. Il s’agit d’aménager
temporairement des espaces, voir comment ces espaces vivent et alimenter un débat autour de ça. Ce n’est qu’alors que
la question de la pérennité de ces installations à durée de vie limitée peut se poser.
A côté de la démarche classique de poser des objets dans l’espace public, il faut permettre que se développent
des processus, qui permettent des évolutions. C’est plus lourd techniquement, et ça ne fait pas encore partie de la
boîte à outils des aménageurs, même s’ils savent faire dans le cadre d’une commande événementielle. On peut imaginer
aussi des dispositifs interactifs autour du détournement.
Les œuvres d’art dans l’espace public sont pourtant, généralement, assez peu « critiques »…
L’espace public devrait être par nature un espace critique. Sinon, pourquoi ce recours à l’art ? L’art devient l’instrument
d’une « consensualité » un peu molle, d’un écrêtage d’opinions. Il faut quelque chose qui dépasse « l’art moyen », des
œuvres critiques – mais pas forcément provocatrices – qui peuvent être le support d’une réflexion, d’une interrogation. Si
on la volonté de produire un espace public admis par tous, pris dans un cadre technique de « faire la ville » qui est
relativement stéréotypé, ce n’est pas étonnant qu’on trouve peu d’œuvres dérangeantes.
N’est-ce pas le propre de l’espace public d’être admis par tous et pas « approprié » par quelques uns ?
L’espace public est tout sauf appropriable. Il nous propose de la co présence, de l’altérité, ce qui est très loin de
l’appropriation. Dans l’espace public, on est coloc’ plus que propriétaire.
Le traitement esthétique du mobilier urbain reprend des solutions qui ne sont pas infinies puisqu’elles correspondent à
des contraintes de formes. Résultat : tous les espaces publics ont tendance à se ressembler, même à Shangaï dont je
reviens. Partout, les vocabulaires esthétiques deviennent très homogènes.
L’art est-il seulement question de vocabulaire formel ?
L’art quand il s’inscrit dans le cadre de commandes contraignantes a peu de marge de manœuvre. A part produire une
déclinaison de formes. Mais l’art, effectivement, ne se réduit pas à la forme. Il a la dimension essentielle de créer
de la signification. Et pas de venir illustrer une signification qui serait déjà donnée. Sinon, on entre dans les arts
décoratifs. Souvent, d’ailleurs, les aménageurs sollicitent les artistes sous cet angle-là.
Comment renouveler l’art public ?
Il faudrait ouvrir la possibilité que s’expriment l’ensemble des formes : des plus décoratives aux plus critiques. A côté
d’un aménagement artistique statique, il faudrait un processus dynamique : des cartes blanches, des espaces
qui restent ouverts à une mise en œuvre de projets artistiques et qui ne soient pas définitivement affectés à des
œuvres. Il faudrait prévoir des « spots » pré équipés techniquement qui soient des plateaux artistiques potentiellement
utilisables. Et on peut même réfléchir en terme de programmation artistique ! A Marseille par exemple, sur l’esplanade
devant l’Opéra, tous les premiers mercredis du mois, a lieu une intervention artistique (plastique, théâtrale,
chorégraphique, etc.) qui doit se dérouler entre les deux sirènes de la sécurité civile. C’est une espèce de rite, ouvert à
tous.
C’est en réintroduisant cette dimension vivante que peuvent intervenir la surprise, l’imprévu, et pas seulement
une logique de consommation d’espace.
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