D Obésité, insulinorésistance et cancer du sein : un nouveau marronnier

La Lettre du Sénologue 51 - janvier-février-mars 2011 25
DOSSIER THÉMATIQUE
Obésité, insulinorésistance
et cancer du sein : un nouveau
marronnier1 de la cancérologie ?
The association of insulin resistance and obesity in breast cancer
L. Zelek*
D
epuis 3 ans, nous assistons à une montée en
puissance de cette thématique au SABCS. Le
cru 2010 a cependant été particulièrement
prolifique, avec notamment plusieurs présentations
orales et 2 posters discussions. Depuis 2009, la
metformine fait parler d’elle et les inclusions dans
l’essai adjuvant de phase III NCIC MA.32 ont débuté
en 2010.
Tout ce qui a été exposé n’est cependant pas fonciè-
rement nouveau : les publications concernant le rôle
pronostique de l’obésité et les modèles précliniques
utilisant la metformine dans le cancer du sein remon-
tent au moins à la fin du siècle dernier.
D’aucuns remarquent que peu d’avancées sont
désormais à attendre pour les tumeurs de petite
taille et les sous-groupes de bon pronostic. Par
ailleurs, si les traitements dits "ciblés" continuent
à faire l’objet d’une recherche clinique active, il n’y
a pas de nouvelles hormonothérapies en cours de
développement et le nombre de grands essais adju-
vants dans les années à venir reste limité. Et puis
avec tout ça, il faut faire vivre le congrès !
Il faut ajouter à cela le caractère cyclique des idées en
cancérologie, qui sont exhumées tous les 10 à 15 ans.
À titre d’exemple, on notera que l’on reparle aussi
de la leptine dans le cancer du sein depuis peu…
C’est cependant méconnaître l’évolution profonde de
la compréhension des mécanismes de la cancéroge-
nèse sous-jacente à ces concepts. Par ailleurs, si les
conséquences directes sur la prise en charge carci-
nologique sont pour l’instant modestes, il existe un
impact important attendu sur la mortalité liée aux
causes non cancérologiques. En particulier, dans la
mesure cancers et pathologies cardio-vasculaires
ont pour facteur de risque commun la sédentarité.
La lutte contre le surpoids et le syndrome métabo-
* Service d'oncologie médicale,
hôpital Avicenne, 125, rue de Stalin-
grad, 93009 Bobigny Cedex.
1. Marronnier : sujet qui revient de
façon cyclique au fil des saisons
(journalisme).
lique ont désormais une importance majeure dans
notre activité.
Obésité et risque de récidive :
une confirmation attendue ?
Cette thématique a donc été particulièrement déve-
loppée avec trois présentations orales en début de
congrès. Dans la série de 3 484 patientes incluses
dans l’essai adjuvant E1199 (1), il existe une diffé-
rence significative (HR : 1,47) entre patientes obèses
(IMC > 30 kg/m2) et non obèses. Dans l’étude de
sous-groupes, cette différence significative reste
observée pour la population RH+ HER2– mais pas
chez les patientes HER2+ ni chez les triple-négatives.
Si une telle différence était confirmée, nous n’avons
actuellement aucune explication biologique. On
notera par ailleurs que la survie en situation métas-
tatique semble inférieure chez les patientes obèses.
L’enseignement important de cette présentation
est que la dose-intensité de la chimiothérapie est
comparable quel que soit l’IMC (sauf pour le pacli-
taxel) ; les patientes obèses ne semblent donc pas
traitées de façon sous-optimale. Un point fréquem-
ment soulevé dans les études antérieures est que la
dose de chimiothérapie est régulièrement minorée
chez les patientes en surpoids (par exemple par l’ar-
rondi de la surface corporelle à 2 m
2
), ce qui explique
probablement en partie le pronostic défavorable
observé dans certaines études. Tel ne semble pas
être le cas ici.
Dans l’essai allemand ADEBAR (2), comparant
FEC120 versus EC-docétaxel séquentiel chez les
patientes N+, on observe également une diminu-
tion significative de la survie globale et de la survie
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Points forts
sans rechute chez les obèses. Les auteurs ont conclu
en présentant l’essai SUCCESS qui est une phase III
d’intervention sur le mode de vie après traitement
adjuvant : 2 200 inclusions ont été réalisées en 18
mois… Il est absolument édifiant de constater que,
en France, nous n’avons pas été capables d’effectuer
un suivi de cohorte comparable à ce qui a pu être
effectué dans de nombreux pays et que nous sommes
très loin de la réalisation d’essais d’intervention à
grande échelle.
On mentionnera enfin deux résultats négatifs de
l’essai TEAM (9 779 patientes, TAM-exémestane
versus exémestane 5 ans) [3] :
– il n’y a pas dans cet essai de différence de survie en
fonction de l’IMC ce qui va à l’encontre de la plupart
des grandes séries récentes ;
– il n’y a pas de différence de survie chez les femmes
obèses en fonction du type d’hormonothérapie,
résultat contraire à ceux de l’essai ATAC où il a
récemment été évoqué une perte d’efficacité des
inhibiteurs de l’aromatase chez les patientes en
surpoids (4). Ce dernier point mérite sans doute
de continuer à être exploré, compte tenu du mode
d’action de cette classe thérapeutique et de la
possibilité théorique de lien entre son efficacité et
la masse grasse.
Le sujet a également fait l’objet d’une poster discus-
sion dont les enseignements demeurent limités.
Dans une série de 512 patientes (5), les femmes
obèses (IMC > 27) ont des cancers d’histologie plus
agressive : on constate de manière significative
davantage d’atteintes ganglionnaires, de grades 3 et
d’emboles lymphatiques, ces derniers étant indépen-
damment associés à l’atteinte ganglionnaire. Pour
mémoire, les femmes minces ont consommé plus
fréquemment des estrogènes et ont été plus souvent
nullipares que les femmes obèses dans cette série.
Dans une autre étude avec 627 patientes, on
retrouve des résultats comparables : incidence signi-
ficativement accrue des atteintes ganglionnaires et
des emboles lymphatiques chez les patientes obèses
avec également une incidence significativement plus
élevée des formes triple-négatives chez les patientes
obèses après la ménopause (6).
Enfin, dans une série de 259 patientes, une
surmortalité est observée chez celles avec un
IMC > 35. La différence demeure significative après
ajustement sur le stade de la maladie, mais l’expli-
cation reste évasive. Diverses raisons sont évoquées,
dont les problèmes d’ajustement de dose des chimio-
thérapies chez le sujet obèse (7).
Rien de bien révolutionnaire dans ces présentations,
qui ont néanmoins le mérite de conforter des notions
déjà établies. On ressort de cette session avec le
sentiment d’avoir quelque peu fait le tour de ce qu’il
était possible de conclure à partir de séries rétros-
pectives d’effectif limité (ne dépassant pas quelques
centaines de patientes) et, par la force des choses,
dépourvues d’études biologiques associées. À quand
des grandes séries prospectives avec un volet biolo-
gique développé ?
D’un point de vue biologique, les mécanismes puta-
tifs demeurent nébuleux : on évoque essentielle-
ment à partir de données précliniques une activation
prédominante de la voie PI3K/Akt qui aboutirait à
une stimulation de la prolifération cellulaire et à
une activation du RE indépendante du ligand, liée
au domaine AF1 (8). Le lecteur pourra utilement
se reporter à l’excellent article de Neilson et al. (9)
qui constitue un parfait résumé des connaissances
sur le sujet.
La metformine : le nouveau
traitement des cancers du sein ?
Si le rationnel préclinique et épidémiologique en
faveur d’un effet antitumoral de la metformine est
connu de longue date, les publications s’accumulent
et nous en sommes désormais au stade des essais
cliniques adjuvants ou néoadjuvants (10).
Le grand mérite de ce poster discussion consacré à la
metformine (une première dans l’histoire du SABCS,
c’est dire !) a été de rappeler les conditions expéri-
mentales de la plupart des modèles précliniques :
les milieux étaient enrichis en glucose (jusqu’à 5 fois
les concentrations sériques chez l’homme) et en
insuline (jusqu’à 40 fois). La metformine, quant à
elle, a une action antitumorale directe, possiblement
par inhibition de la voie mTOR et aussi peut-être
une action anti-PARP (décidément, nous sommes-là
dans l’air du temps !) mais à des concentrations 2 à
45 fois celles utilisées en clinique, voire 1 000 fois
dans certains modèles. Cela limite la portée pratique
Références
bibliographiques
1. Sparano J et al. SABCS 2010.
Abstract S2-1.
2. Hepp PGM, Rack BK, Mouarrawy
D et al. SABCS 2010. Abstract S2-2.
3. Schilder CM, Seynaeve C, Linn
SC et al. Effects of tamoxifen and
exemestane on cognitive functio-
ning of postmenopausal patients
with early breast cancer: results
from the TEAM trial neuropsycho-
logical side study. SABCS 2010.
Abstract S2-3.
4. Sestak I, Distler W, Forbes JF,
Dowsett M, Howell A, Cuzick J.
Effect of body mass index on recur-
rences in tamoxifen and anastro-
zole treated women: an exploratory
analysis from the ATAC trial. J Clin
Oncol 2010;28(21):3411-5.
5. Tryfonopoulos D et al. SABCS
2010. Abstract PD09-02.
6. Vona-Davis L, Rose DP, Hazard H,
Partin J, Adkins F, Hobbs G. SABCS
2010. Abstract PD09-03.
7. Sharma G et al. SABCS 2010.
Abstract PD09-07.
8. Wells Bowers et al. SABCS 2010.
Abstract PD09-06.
9. Neilson HK, Friedenreich CM,
Brockton NT, Millikan RC. Physical
activity and postmenopausal breast
cancer: proposed biologic mecha-
nisms and areas for future research.
Cancer Epidemiol Biomarkers Prev
2009;18(1):11-27.
10. http://clinicaltrials.gov/ct2/
show/NCT01101438?recr=Open
&cond=%22Metformin%22&lup_
s=07%2F04%2F2010&lup_d=30
Mots-clés
Insulinorésistance
Surpoids
Metformine
Prévention tertiaire
Pronostic
»
L'insulinorésistance est un phénomène dont le rôle dans la carcinogenèse mammaire a longtemps été
sous-estimé.
»Le surpoids est préalablement un facteur de mauvais diagnostic.
»
Après la fin du traitement adjuvant, il reste à évaluer au moyen d'essais prospectifs l'impact des différentes
interventions visant à agir sur le mode de vie.
Keywords
Insulinoresistance
Overweight
Metformin
Tertiary prevention
Prognosis
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La Lettre du Sénologue 51 - janvier-février-mars 2011 27
DOSSIER THÉMATIQUE
de ces travaux : aux doses habituelles de 850 mg
2 fois par jour, il n’est pas rare d’observer des troubles
digestifs et quelques cas d’acidose lactique, notam-
ment en cas de non-respect des contre-indications
(insuffisance rénale et hépatique…).
Certains s’attendent à une augmentation rapide
des demandes de la part des patientes, voire à des
tentatives d’automédication, quelques incursions
sur les forums de discussion anglophones suffisent
pour s’en convaincre (11).
Le fait est que la metformine est également utilisée à
des fins de contrôle du poids et que près de 1 femme
sur 2 se plaint de prise de poids après cancer du sein,
ce qui représente deux bonnes raisons d’y recourir !
En attendant les résultats des essais en cours, pour
lesquels il nous faudra patienter quelques années.
Dans une série de 1 005 patientes atteintes de cancer
du sein (99 cas de tumeurs triple-négatives), on
n’observe aucun cancer du sein chez les patientes
diabétiques traitées par metformine (44 patientes)
avec un p considéré comme significatif (12). L’ex-
plication avancée est une inhibition sélective de
la croissance des cellules souches HER2–/RE–/RP–
par la metformine. On rappelle que sur des effec-
tifs comparables, on avait également montré une
augmentation significative des taux de réponse à
la chimiothérapie néoadjuvante chez les patientes
traitées par metformine (13). Pour mémoire, il a été
présenté au cours de la même session les résultas de
l‘association erlotinib + metformine sur des lignées
cellulaires HER2–/RE–/RP(14). Enfin, contrairement
à ce qui est avancé dans la discussion de ce poster,
la diminution de l’incidence du cancer du sein chez
les patientes diabétiques sous metformine demeure
discutable (15).
Les résultats les plus intéressants sont ceux des
essais thérapeutiques utilisant la metformine avant
chirurgie :
dans une série de 15 patientes (sur un total prévu
de 40) recevant une dose de 500 mg 3 fois par jour,
on observe une réduction significative du Ki67 et une
induction de l’apoptose ; la tolérance est par ailleurs
satisfaisante et les inclusions se poursuivent (16) ;
– dans un essai randomisé de phase IIb, dont une
première analyse intermédiaire à 100 inclusions
est présentée, on ne retrouve aucune modification
du Ki67, ce qui est décevant, des modifications du
cholestérol (total et HDL) ainsi qu’une tolérance
satisfaisante (17).
En marge de la metformine, on se doit de mentionner
les résultats de l’essai MA.17 (18) : dans cet essai
ayant inclus 5 170 patients, le diabète n’a aucun
impact significatif sur la mortalité et le risque de
récidive. On est en revanche surpris de retrouver
des différences de survie sans rechute et de survie
globale chez les patientes hypertendues ; une
augmentation du vascular endothelial growth factor
(VEGF) sérique est l’une des hypothèses avancées.
Que retenir ?
En 2011, l’obésité commence à être largement
reconnue comme étant un facteur de risque de
cancer du sein, mais aussi un facteur de mauvais
pronostic. Les raisons sont multiples, un traite-
ment non optimal chez certaines patientes est
peut-être l'une d'entre elles, et un effet biologique
direct de l’obésité est également de plus en plus
souvent évoqué. Un élément très important chez ces
patientes serait l’existence d’une insulinorésistance
qui, jointe à l’expression d’insulin-like growth factor
receptor (IGFR) à la surface des cellules tumorales,
stimulerait la prolifération cellulaire et peut-être
l’angiogenèse. Ces phénomènes demeurent encore
pour l’instant largement hypothétiques.
Il n’y a pas à ce jour d’argument pour traiter diffé-
remment les patientes en surpoids, mais il faut
cependant souligner les incertitudes concernant
le dosage des cytotoxiques chez ces femmes. La
question de l’effet des antiaromatases en fonction
du poids corporel n’est actuellement pas tranchée.
La metformine, quant à elle, fait l’objet d’un intérêt
croissant, mais il faut encore attendre avant d’être
fixé sur sa place éventuelle dans l’arsenal théra-
peutique.
Surtout, il faut souligner qu’en 2011, les incerti-
tudes persistent quant au rôle de la prise de poids
après traitement dans la survenue de récidives ou
de seconds cancers. À ce jour, les résultats des essais
d’intervention sur le mode de vie restent négatifs.
On assiste, en revanche, à la multiplication des
essais de ce type dans de nombreux pays (sauf le
nôtre !) et les questions actuelles ne devraient pas
rester sans réponse bien longtemps. D’un point de
vue pragmatique, il faut être conscient de l’impor-
tance des comorbidités liées à la sédentarité chez
les femmes atteintes de cancer du sein ainsi que du
risque de mortalité non lié au cancer du sein qui,
dans certains sous-groupes de patientes, dépasse
la mortalité spécifique. Cela suffit en soi à justifier
la mise en œuvre de programmes de prévention
tertiaire.
Références
bibliographiques
11. http://community.breastcancer.
org : "I firmly believe that the 2000
mg of metformin that I take for my
diabetes is more likely to prevent a
breast cancer recurrence (…). My
onco believes "positive is positive"
so for now, I am continuing with it.
(…) In my opinion, all of us should
take metformin hydrochloride,
especially if you're overweight or
have a fasting blood glucose level
over 100. The stuff is dirt cheap at
WalMart ($10 for 3 months) and the
evidence is very, very strong that it
works. The Canadian trial is using
either metformin or a placebo, so
they must be pretty sure of it."
12. Meiers et al. SABCS 2010.
Abstract PD03-01.
13. Jiralerspong S, Palla SL, Gior-
dano SH et al. Metformin and
pathologic complete responses
to neoadjuvant chemotherapy in
diabetic patients with breast cancer.
J Clin Oncol 2009;27(20):3297-
302.
14. Finn RS, Lau A, Kalous O et al.
Pre-clinical activity of the PARP
inhibitor AZD2281 in human breast
cancer cell lines and in combination
with DNA damaging agents. SABCS
2010. Abstract PD03-05.
15. Decensi A, Puntoni M, Goodwin
P et al. Metformin and cancer risk
in diabetic patients: a systematic
review and meta-analysis. Cancer
Prev Res (Phila) 2010;3(11):1451-
61.
16. Niraula et al. SABCS 2010.
Abstract PD03-06.
17. Bonanni et al. SABCS 2010.
Abstract PD03-02.
18. Goodwin P, Phillips KA, West
D et al. SABCS 2010. Abstract
PD03-04.
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