LE VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE : Vieillissement normal et pathologique

Gérontologie et Société - n° 97 - juin 2001
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Les troubles de mémoire sont quasi-constants chez les personnes
âgées. Nous détaillons dans cet article les différents aspects de ces
déficits au regard des modèles structuraux de la mémoire et
comparons la quantité et la nature des troubles mnésiques dans le
vieillissement normal et le vieillissement pathologique
(notamment la maladie d'Alzheimer). La mémoire épisodique et la
mémoire de travail (système central exécutif) sont les systèmes les
plus perturbés au cours du vieillissement normal, tandis que le
vieillissement pathologique, en plus de ces déficits qui sont plus
nombreux et de nature différente, affecte également
la mémoire sémantique.
NORMAL AND PATHOLOGICAL MEMORY AGEING
Memory troubles are virtually constant in elderly people.
The various aspects of memory deficits are described in this article,
based on structural memory patterns; comparison is drawn between
the amount and nature of amnesiac disorders in normal ageing
and pathological ageing (especially in Alzheimer’s disease).
Episodic memory and working memory (central executive system) are
the two most disturbed systems during normal ageing whilst, over and
above these deficits which are more numerous and of varying nature,
pathological ageing also affects semantic memory.
LE VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE :
Vieillissement normal et pathologique
BÉNÉDICTE GIFFARD *,
BÉATRICE DESGRANGES *, FRANCIS EUSTACHE **
* INSERM U320, LABORATOIRE DE NEUROPSYCHOLOGIE, CHU CÔTE DE NACRE, UNIVERSITÉ DE CAEN
** ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES (UMR CNRS 8581, UNIVERSITÉ RENÉ DESCARTES, PARIS 5 ;
INSERM U320, UNIVERSITÉ DE CAEN) CORRESPONDANCE : PROFESSEUR FRANCIS EUSTACHE, INSERM
U320, LABORATOIRE DE NEUROPSYCHOLOGIE, CHU CÔTE DE NACRE, 14033 CAEN CEDEX
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LE VIEILLISSEMENT NORMAL ET PATHOLOGIQUE DE LA MÉMOIRE
Les difficultés de mémoire sont les plus fréquemment mises en
avant parmi les modifications cognitives liées à l'âge. Un enjeu
important est de pouvoir distinguer les troubles de mémoire
caractéristiques du vieillissement normal de ceux associés au
vieillissement pathologique et en particulier à la maladie
d'Alzheimer (responsable d'environ 80 % des démences neurodé-
génératives dans la population âgée). Ne disposant pas encore à
l'heure actuelle d'un marqueur biologique permettant d'établir
avec certitude le diagnostic de maladie d'Alzheimer, celui-ci se
base essentiellement sur la mise en évidence de déficits cognitifs
et notamment mnésiques. Dans la maladie d'Alzheimer débutante,
ces déficits peuvent être aisément confondus avec le déclin des
performances mnésiques lié au vieillissement normal. C'est pour-
quoi, cette baisse du fonctionnement mnésique dans la popula-
tion âgée, normale et pathologique, a fait l'objet de très nombreux
travaux expérimentaux et nous les considérerons en référence aux
modèles structuraux de la mémoire. Selon cette orientation théo-
rique, la mémoire est constituée d'un ensemble structuré de plu-
sieurs systèmes mnésiques ayant des substrats neuro-anatomiques
en partie distincts. Ainsi, en référence au modèle monohiérar-
chique de Tulving (1995), la mémoire épisodique et la mémoire de
travail sont les plus sensibles aux effets du vieillissement normal et
pathologique, à des degrés divers toutefois.
MÉMOIRE ET VIEILLISSEMENT NORMAL
MÉMOIRE ÉPISODIQUE *
La mémoire épisodique *, permettant d’enregistrer les informations
autobiographiques situées dans un contexte temporel et spatial,
est le système le plus élaboré dans le modèle hiérarchique de
Tulving (1995). Fonctionnellement dépendant des autres systèmes,
il est aussi le plus fragile, le plus vulnérable à différentes patholo-
gies ainsi qu’aux effets de l’âge. En effet, c’est la mémoire épiso-
dique qui fait l’objet des plaintes spontanées des sujets âgés et les
diminutions objectivées lors des examens neuropsychologiques la
concernent en premier lieu.
Toute une série de recherches, s’appuyant sur des mesures de rap-
pel libre, de rappel indicé et de reconnaissance de listes d’items
divers, l’attribuent à des troubles de l’encodage : les sujets âgés
* Voir la définition dans le
glossaire en annexe.
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auraient des difficultés à utiliser spontanément des stratégies de
traitement sémantique au moment de l'encodage, néanmoins ils
pourraient effectuer un encodage élaboré si les conditions de l'ex-
périence l'indiquent explicitement. Les troubles de la récupération
constituent également une base explicative à l'affaiblissement des
performances observé dans les épreuves de mémoire épisodique :
cette hypothèse s'appuie principalement sur des performances
souvent meilleures en reconnaissance qu'en rappel libre ; cepen-
dant, la complexité de ces deux types de tâches est souvent
inégale, et cette différence apparaîtrait surtout au-delà de 70 ans
(Isingrini
et al.,
1995). Par ailleurs, le vieillissement normal affecte
les processus de récupération contrôlée, mais non les processus de
récupération plus automatiques, basés sur le sentiment de familia-
rité (Clarys, 2001). Le stockage ne semble pas mis en cause, comme
le suggère l’absence d’effet de l’âge sur le taux d’oubli ou sa faible
influence sur les performances de sujets âgés dans une tâche d’ap-
prentissage d’une liste de mots en plusieurs essais, tout au moins
pour des intervalles de temps relativement courts.
Plus récemment, la « redécouverte » du concept de mémoire épi-
sodique et la prise de conscience de l’insuffisance des mesures
classiques de laboratoire ont enrichi le domaine du vieillissement
normal de la mémoire. Outre la dimension encodage-stockage-
rappel, qu’il est d’ailleurs très difficile d’évaluer indépendamment
avec des tests de mémoire, l’accent a été mis sur la sensibilité à
l’âge de certains aspects de la mémoire épisodique, comme la
mémoire de la source. Pour certains auteurs, les effets de l'âge sur
la mémoire épisodique pourraient s'expliquer par des difficultés à
encoder ou récupérer le contexte d'une information dont le
contenu est préservé. Cependant, l'amnésie de la source survien-
drait surtout chez les sujets très âgés. La mémoire du passé lointain,
au contraire, est considérée comme plus résistante aux effets de
l’âge que celle des événements récents, en particulier si les événe-
ments ont une coloration émotionnelle. Cependant, rares sont les
études qui ont distingué les aspects épisodiques des aspects
sémantiques de la mémoire autobiographique (mémoire des
connaissances et souvenirs personnels). Grâce au contrôle strict de
la nature des souvenirs, Piolino
et al.
(2000) ont montré que les
aspects épisodiques sont plus sensibles au vieillissement que les
aspects sémantiques de la mémoire autobiographique. ... ...
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LE VIEILLISSEMENT NORMAL ET PATHOLOGIQUE DE LA MÉMOIRE
LA MÉMOIRE DE TRAVAIL *
Quand ils existent, les effets de l’âge sur les tâches d’empan peu-
vent être dus à plusieurs facteurs, liés à la nature des processus
intervenant dans la tâche précisément utilisée. En effet, il s’agit
avant tout d’une épreuve de rétention «passive » d’un petit
nombre d’informations, impliquant la boucle phonologique ou le
calepin visuo-spatial selon le type de matériel, mais l’intervention
du système central exécutif et même de la mémoire à long terme
peut se produire, et dans ce cas entraîner un déficit de perfor-
mances chez les sujets âgés. Une mesure plus pure des systèmes
esclaves montre leur préservation au cours du vieillissement nor-
mal (Belleville
et al.,
1996). En revanche, le système central exécutif
évalué à l’aide de tâches nécessitant à la fois la rétention et la mani-
pulation d’informations, comme l’empan envers, se montre sen-
sible aux effets de l’âge. Cette diminution des capacités du système
central exécutif, également mise en évidence dans le paradigme
de Brown-Peterson, explique en partie les difficultés rencontrées
par les sujets âgés dans des activités cognitives complexes et pour
certains auteurs, elle en serait même le principal responsable.
MÉMOIRE SÉMANTIQUE *
Des effets de l’âge ont été montrés sur la capacité à dénommer des
objets ou à produire un mot correspondant à une définition et le
phénomène du « mot sur le bout de la langue » augmente avec
l’âge. De façon encore plus nette, la fluence verbale diminue avec
l’âge. Cependant, ce déclin peut être lié à des modifications cogni-
tives non spécifiques (activité auto-initiée, mise en œuvre d'une
stratégie, attention soutenue, rapidité de traitement cognitif et de
production orale). La diminution des performances des sujets âgés
dans ces différentes épreuves ne permet donc pas de conclure à
l'altération de la mémoire sémantique
« per se »,
mais signale plutôt
des difficultés d’accès à des représentations sémantiques qui sont
longtemps intègres comme le montrent, par exemple, les tests de
vocabulaire, de connaissances générales ou les questions-sondes
portant sur les caractéristiques générales
Est-ce qu'un mouton est
un animal ? »)
et les attributs spécifiques des concepts
Est-ce qu'un
mouton a une crinière ? »)
(Eustache
et al.,
1998). Certains auteurs ont
même décrit une augmentation avec l’âge des performances dans
des épreuves de vocabulaire (Eustache
et al.,
1995), en particulier
si l’on élimine les effets du niveau d’éducation.
* Voir la définition dans le
glossaire en annexe.
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Au total, l’organisation des connaissances sémantiques serait pré-
servée au cours du vieillissement normal, mais l’exploitation de ces
connaissances pourrait être moins efficace chez les sujets âgés,
expliquant ainsi les difficultés à effectuer spontanément un enco-
dage profond des informations en mémoire épisodique.
EFFETS D'AMORÇAGE *
Les effets d'amorçage se traduisent par la modification du traite-
ment d’un stimulus à la suite d’une présentation de ce même sti-
mulus (effets d'amorçage direct) ou d’un stimulus apparenté (effets
d'amorçage indirect) et ce, à l’insu du sujet. De nombreuses études
ont souligné l’absence d’effet de l’âge sur les effets d’amorçage.
Quelques études ont rapporté un déclin (Small
et al.,
1995), lequel
peut être expliqué par le fait que les sujets sains se rendent compte
que le matériel a déjà été traité et s'engagent dans des stratégies
de rappel volontaire, ce qui favorise les sujets jeunes. Quand des
précautions sont prises pour réduire au maximum la participation
de la mémoire explicite, les scores des patients les plus âgés sont
strictement comparables à ceux des plus jeunes (Desgranges
et al.,
1994).
Tulving et Schacter (1990) ont distingué l'amorçage perceptif (qui
s'appuie sur les caractéristiques perceptives des stimuli et non sur
leur signification) de l'amorçage sémantique (qui s'appuie sur la
signification du matériel). Lorsqu'il existe un effet de l’âge, il
concernerait davantage les effets d’amorçage sémantique que les
effets d’amorçage perceptif.
MÉMOIRE PROCÉDURALE *
La mémoire procédurale est évaluée par des épreuves dans les-
quelles on propose au sujet d’acquérir une procédure (qui doit
donc être nouvelle) grâce à la répétition des essais, et sans recours
nécessaire au souvenir explicite. Malgré l'utilisation de méthodo-
logies diverses expliquant certaines différences de résultats selon
les études, les travaux convergent généralement vers une préser-
vation des capacités d'acquisition d'une procédure nouvelle, per-
ceptivo-motrice (épreuve du Rotor test), perceptivo-verbale (tâche
de lecture en miroir) ou cognitive (épreuve de la tour de Hanoï).
Cependant, certains auteurs ont cherché à mieux comprendre la
dynamique de l’apprentissage procédural et la participation
* Voir la définition dans le
glossaire en annexe.
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