DOSSIER - LES CLASSES MOYENNES : UNE NOTION PROTÉIFORME ET AMBIVALENTE
CAHIERS FRANÇAIS N° 378 3
Le sentiment d’appartenance
aux classes moyennes
Cette approche consiste à questionner les individus
interrogés sur la façon dont ils se positionnent dans la
société, à quelles catégories ou « classes » ils se sentent
appartenir. Des enquêtes par sondages sont régulièrement
effectuées auprès d’un échantillon représentatif de la
population en leur soumettant une liste de propositions.
Premier fait remarquable, le pourcentage de non-réponses,
c’est-à-dire de refus de s’aflier à un groupe social ou à
une catégorie proposée est relativement important, surtout
parmi les catégories populaires. Mais ce qui ressort de
plus signicatif tient aux intitulés proposés : dans les
enquêtes récentes, l’intitulé « classes populaires » a
tendance à disparaître au prot d’expressions comme
« défavorisés » ou « catégories modestes ». À l’autre bord
de l’échelle sociale, « gens aisés » et « privilégiés » se
substituent à « bourgeoisie » ou « classes supérieures ».
Au surplus, on note dans plusieurs enquêtes la présence
des intitulés « classes moyennes inférieures » et « classes
moyennes supérieures ». Ces terminologies accroissent
sensiblement le nombre d’individus qui s’identient aux
classes moyennes. En croisant les réponses des enquêtés
avec leur catégorie socioprofessionnelle, on constate par
exemple que le pourcentage d’ouvriers s’identiant à ces
dernières varie entre 43 et 55 % dans les enquêtes récentes
de l’IFOP. Ces réponses manifestent une démarcation
de la part des ouvriers et employés qualiés et stables
vis-à-vis des catégories non qualiées et du « précariat »
ou encore une déance envers l’assistanat à l’instar
d’autres catégories intermédiaires (3). Vers le haut de la
pyramide sociale, près de 80 % des enquêtés parmi les
20 % les plus riches s’identient aux classes moyennes
(50 % aux « classes moyennes supérieures », 29 % aux
« inférieures ») : ces résultats traduisent selon R. Bigot
(4)
une réticence à s’afcher en haut de l’échelle sociale ;
« les riches, ce sont les autres ».
Si l’on prend en compte les résultats des enquêtes
sur longue période, la croissance des répondants se
positionnant comme « classes moyennes » est frap-
pante (d’un peu plus de 20 % dans les années 1960
à des estimations variant entre 45 et 70 % dans les
années 2010). Cependant, le sondage IFOP de 2013
enregistre une baisse de 5 points (de 65 à 59 %) par
(3) Schwartz O. (2009), « Vivons-nous encore dans une société
de classes ? », Paris, « La Vie des idées », 22 septembre.
(4) Bigot R. (2009), « Les classes moyennes sous pression »,
Cahier de recherche n° 249, CRÉDOC.
rapport à celui de 2010. Ce double résultat témoigne
bien des ambivalences de cette approche : la hausse
des pourcentages sur cinquante ans résulte d’abord de
la croissance des emplois « intermédiaires » entre le
personnel directionnel supérieur et les postes de pure
exécution (cf. supra) ; la petite baisse de ces dernières
années reète plutôt les difcultés rencontrées par les
tranches « inférieures » des classes moyennes avec la
crise mondiale à l’œuvre depuis 2009. De façon géné-
rale, se déclarer « classes moyennes » renvoie tout aussi
bien à une situation professionnelle, à des conditions
de vie et à des aspirations sociales et aux désirs de se
démarquer d’étiquettes dévalorisantes ou gênantes.
L’approche par les revenus
et les niveaux de vie
L’approche par les revenus et les niveaux de vie (5) est
en vogue depuis le début des années 2000. Elle consiste à
délimiter sur l’échelle des revenus la part de la population
se situant entre les catégories dites « aisées » et celles
dénommées modestes et pauvres. Deux méthodes – qui
peuvent être complémentaires – sont utilisées. Celle des
« fractiles », le plus souvent les déciles qui divisent un
ensemble donné en 10 parts égales. Celle qui consiste à
xer une fourchette, par exemple de 75 à 150 %, autour du
revenu médian des ménages. Cette approche, aussi utile
soit-elle, pose de sérieux problèmes. Le premier est celui
des éventails choisis. Selon les instituts de recherche, les
classes moyennes peuvent rassembler de 40 à 60 % voire
70 % de la population. Des écarts donc considérables.
Et dans ce registre, les subdiviser en « inférieures »,
« intermédiaires » ou « centrales » et « supérieures »
ne fait qu’amplier a priori les contours des classes
moyennes, à l’instar des enquêtes sur l’auto-position-
nement mais dans ce cas sur décision des responsables
de ces organismes de recherche.
Un autre écueil est celui des rapports entre niveau de
vie et prol social. Les « classes de revenus » résultant
de ce découpage ne prennent pas en compte des éléments
constitutifs des groupes sociaux (auxquels on peut plus
ou moins associer des catégories ou des groupes socio-
professionnels de l’INSEE et/ou des classes sociales)
comme l’univers professionnel, le « capital culturel »,
le style de vie et les réseaux sociaux. Ainsi, les niveaux
(5) Pour tenir compte de la composition des ménages, on divise
le revenu disponible du ménage par le nombre d’unités de consom-
mation, sachant que le poids des unités décroît avec le nombre et
l’âge des membres du ménage.