à une période où la population humaine était restreinte», relève Nicolas Perrin.
L’étude qui suggère que Gengis Kahn aurait transmis son chromosome Y à
16 millions d’hommes d’aujourd’hui demeure controversée. Tout comme celle,
plus récente, qui fait remonter à Giocangga, un des ancêtres de la dernière
dynastie impériale chinoise, 1,5 million de nos contemporains orientaux. Mais
elles illustrent comment certains mâles dominants, régnant sur de vastes
territoires et ayant l’occasion de mélanger leur ADN avec celui de beaucoup de
femmes, auraient pu répandre leur patrimoine génétique. A plus forte raison,
au sein d’une dynastie, dont le propre est de passer ce type d’avantages
reproductifs de père en fils, comme le chromosome Y.
Pour une femme, vu le temps et l’énergie nécessaire à la gestation, il est
logistiquement beaucoup plus laborieux de répandre son patrimoine génétique.
Même en se donnant beaucoup de peine, aucune ne peut prétendre rivaliser
avec ces grands conquérants. «En moyenne, les hommes et les femmes ont
autant d’enfants, commente Nicolas Perrin. Mais il y a beaucoup moins de
variance de succès reproductif entre les femmes qu’entre les hommes. Les
premières restent plus proches de la moyenne. Tandis que chez les derniers,
certains ont beaucoup de descendants et d’autres pas du tout.»
Un chromosome Y peut donc envahir une population beaucoup plus rapidement
que de l’ADN mitochondrial. Pour cette raison, il semblait logique que l’Eve
génétique soit plus ancienne que son pendant masculin. «Mais cela est vrai
pour des populations qui se mélangent, poursuit le scientifique. Or, outre un
séquençage plus approfondi, les études récentes o!rent aussi un meilleur
échantillonnage. Les chercheurs ont notamment analysé le patrimoine
génétique de certaines populations de chasseurs-cueilleurs africains – comme
les Bochimans de Namibie ou certaines ethnies de Pygmées – qui se sont
éloignées très tôt des autres lignées et ne se sont plus tellement mélangées
avec le reste de l’humanité. Dans ces populations, on retrouve des
chromosomes Y très anciens. Il est donc normal que ces études rapprochent la
période d’existence de l’ancêtre commun mâle de celle de l’ancêtre commun
femelle, avant que ces lignées ne divergent des autres.»
Ces calculs temporels sont toutefois délicats. Ils dépendent fortement de
l’estimation du taux de mutations, qui varie d’une équipe à l’autre. La
deuxième étude publiée par Science, sur la population sarde, fait d’ailleurs
remonter l’existence de l’Adam génétique encore plus loin: entre 180 000 et
200 000 ans. «Il faut, si possible, croiser les résultats avec d’autres disciplines,
comme la paléontologie humaine ou l’archéologie», souligne Ninian Hubert Van
Blyenburgh, du Département de génétique et évolution de l’Université de
Genève. Il rappelle en outre que ces analyses ne nous racontent l’histoire que
d’un seul chromosome.
C’est le problème qui se pose lorsque certaines compagnies proposent de lire
votre lointain passé dans votre chromosome Y ou dans votre ADN
mitochondrial. Il s’agit d’informations concernant l’origine et le parcours d’un
seul de vos ancêtres ou du moins d’une seule lignée parmi la multitude d’autres