Échos des congrès Des nouvelles de l’American Diabetes Association (ADA) 2009 Cellules souches, différenciation et biologie des cellules bêta © Vladimir Khirman La Nouvelle-Orléans, 9 juin 2009 Bertrand Duvillié* L e diabète de type 1 découle d’une destruction auto-immune des cellules bêta, directement responsable de l’hyperglycémie. À l’heure actuelle, de nombreux laboratoires se tournent vers des stratégies visant soit à remplacer les cellules bêta endommagées soit à améliorer la fonction des cellules bêta résiduelles, une approche qui pourrait à terme également concerner le diabète de type 2. Ces dernières années ont été marquées par les résultats d’un essai clinique cherchant à valider l’intérêt de la greffe d’îlots de Langerhans provenant de donneurs cadavériques à des patients diabétiques de type 1 (Shapiro et al., 2000). Cette technique a permis à ces patients de retrouver une glycémie normale indépendamment de toute injection d’insuline pendant la première année postgreffe. Cependant, les promesses de cette stratégie sont largement contrebalancées par la faible disponibilité des greffons humains. En effet, on estime que, avec le nombre d’îlots disponibles dans les conditions actuelles, on ne pourrait greffer que 0,5 % des patients diabétiques de type 1. Par conséquent, l’identification de nouvelles sources de cellules bêta est indispensable dans la perspective d’élargir les possibilités de greffes. Au cours du dernier congrès de l’ADA (La NouvelleOrléans, 2009), de nombreuses avancées ont été présentées concernant la néogenèse et la biologie des cellules bêta, et nous revenons ci-dessous sur leurs possibilités d’application clinique. Dérivation de cellules bêta à partir de cellules souches humaines (d’après le symposium du Dr E. Kroon) * Chargé de recherches CR1, U845/E0363 INSERM, faculté Necker-Enfants malades, Paris. 174 Les cellules souches dérivent de la masse cellulaire interne d’un blastocyste. Elles peuvent se répliquer indéfiniment en conservant leurs propriétés. On parle alors “d’autorenouvellement”. Ces cellules sont dites “multipotentes”, car elles peuvent, en théorie, se différencier dans tous les types cellulaires. Pour orienter la différenciation de ces cellules vers un type cellulaire donné, il est nécessaire de définir des conditions de culture appropriées. Le Dr Kroon a présenté des données qui montrent qu’il est possible, à partir de cellules souches humaines, de dériver de l’endoderme pancréatique. Lorsque l’endoderme pancréatique obtenu in vitro est greffé sous la capsule rénale de la souris, des cellules produisant de l’insuline humaine se développent dans le greffon. Cela est démontré par le fait que l’insuline humaine est détectée dans le sang des souris greffées lorsqu’on leur injecte du glucose. De plus, plus le temps postgreffe est allongé, plus la tolérance au glucose des souris s’améliore. Ces données indiquent donc que cette méthode permet de dériver des cellules bêta humaines fonctionnelles. Afin d’évaluer l’intérêt thérapeutique potentiel de ce protocole, les auteurs ont greffé l’endoderme pancréatique généré in vitro chez des souris rendues préalablement diabétiques par l’injection d’une toxine, la streptozotocine. La greffe d’endoderme pancréatique a corrigé le diabète induit expérimentalement chez ces souris. Cette approche s’avère donc très intéressante pour le traitement du diabète. Néanmoins, il existe encore une limite majeure : dans un grand nombre de cas, des tératomes se forment à plus ou moins long terme dans les greffons. E. Kroon et al. ont indiqué qu’en triant préalablement les cellules sur la base de l’expression d’un marqueur membranaire spécifique, ils diminuent considérablement le développement des tumeurs dans les greffons. Vu l’importance des retombées potentielles d’un tel travail, ils ont souhaité garder l’identité de ce marqueur confidentielle pour le moment. Ces expériences démontrent que l’utilisation de cellules souches humaines pourrait être à l’avenir une possibilité pour traiter le diabète. Toutefois, comme c’est le cas dans les essais visant à traiter d’autres maladies, le Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIII - n° 5 - septembre-octobre 2009 Cellules souches, différenciation et biologie des cellules bêta problème majeur de l’utilisation des cellules souches est leur pouvoir cancérigène, qui doit absolument être contrôlé. Induction de la néogenèse des cellules bêta à partir du foie (d’après K. Ozer, abstract OR141) Depuis quelques années, on sait que l’expression forcée de facteurs de transcription impliqués dans le développement peut induire l’expression d’insuline dans d’autres types cellulaires que les cellules bêta. Notamment, S. Ferber, en Israël, avait montré que l’expression du gène Pancreatic Duodenal Homeobox Factor 1 (Pdx1) pouvait entraîner l’expression d’insuline dans le foie. Au cours du congrès de l’ADA, K. Ozer et al. ont montré que l’infection de souris avec un adénovirus qui exprime à la fois le gène proendocrine neurogénine 3 (Ngn3) et le gène de la bêtacelluline induit également la production d’insuline par certaines cellules du foie. En effet, lorsqu’un tel virus est injecté dans le sang de la souris, il est retenu en majorité par le foie, et l’expression concomitante des gènes Ngn3 et bêtacelluline induit une différenciation de cellules du foie en cellules bêta. Les auteurs ont remarqué que l’une des limites de cette approche réside dans le fait qu’elle est irréalisable chez une souris Non Obese Diabetic (NOD), ce type de souris présentant une réaction auto-immune similaire à celle observée dans un diabète de type 1. Pour y remédier, K. Ozer et al. ont combiné l’expression des gènes Ngn3 et bêtacelluline avec l’expression de l’interleukine 10, un modulateur du système immunitaire. Avec cette construction, des souris NOD diabétiques infectées par l’adénovirus Ad-Ngn3-BTC/IL-10 retrouvent une glycémie normale ainsi qu’une sécrétion d’insuline en réponse au glucose satisfaisante. Cette étude, qui avait pour but d’induire la néogenèse de cellules bêta, a l’originalité de prendre en compte les difficultés liées à la réaction auto-immune qui se déclenche lors du diabète de type 1. Les futurs développements d’une médecine régénératrice devront certainement s’inspirer de tels protocoles, combinant le remplacement des cellules bêta et la modulation de l’immunité. Évolution de la fonction de la cellule bêta au cours de la vie (d’après le symposium de S. Bonner-Weir) Le laboratoire du Dr S. Bonner-Weir a comparé la sécrétion d’insuline en réponse au glucose d’îlots provenant de rats âgés de 7, 14 et 21 jours ou de rats adultes. La sécrétion d’insuline en réponse au glucose augmentait avec l’âge des îlots, indiquant qu’il existe une évolution fonctionnelle des îlots au cours de la vie. Afin de déterminer quels gènes sont responsables d’une telle maturation, ces auteurs ont étudié le transcriptome des îlots par la technique de micro-array. Ils ont ainsi trouvé que certains gènes étaient sur- ou sous-exprimés dans les îlots adultes par rapport aux nouveau-nés. Parmi eux, le gène MafA – qui intervient normalement dans la maturation des cellules bêta au cours du développement embryonnaire – avait une expression plus élevée chez l’adulte. Afin de connaître l’importance de MafA dans l’évolution fonctionnelle de la cellule bêta, l’équipe du Dr S. Bonner-Weir a transfecté des îlots de nouveau-nés avec un adénovirus surexprimant le gène MafA. Ils ont alors obtenu une sécrétion d’insuline en réponse au glucose identique dans les îlots de nouveaunés surexprimant MafA et dans les îlots adultes. Ces résultats montrent donc que MafA est responsable de la maturation fonctionnelle de la cellule bêta au cours de la vie postnatale. De façon intéressante, S. Bonner-Weir et al. ont trouvé que des îlots provenant d’individus atteints de diabète de type 2 avaient également des défauts de l’expression de MafA. Les données générées à partir de l’étude biologique de la cellule bêta pourraient donc être transférées maintenant à l’homme pour comprendre les mécanismes impliqués dans le diabète de type 2. Épigénétique et vieillissement de la cellule bêta (d’après le symposium de S. Dhawan) S. Dhawan et al. ont comparé les capacités de prolifération des cellules bêta au cours de la vie de l’individu. Au cours de la vie embryonnaire, les cellules bêta se différencient, et leur prolifération augmente pendant la vie périnatale. La prolifération atteint alors un pic pendant les premiers jours après la naissance, puis décroît chez l’adulte. Cela correspond à un vieillissement de la cellule. S. Dhawan et al. ont trouvé que l’expression de p16Ink4a, un inhibiteur du cycle cellulaire, augmente avec l’âge, lorsque la prolifération des cellules bêta décroît. Au contraire, l’expression de l’oncogène Bmi1, un régulateur négatif de p16Ink4a, diminue au cours du temps. Bmi1 est un membre du complexe Polycomb, impliqué dans le contrôle de la structure de la chromatine. Afin de déterminer le rôle de Bmi1 au cours du vieillissement de la cellule bêta, ces auteurs ont invalidé le gène Bmi1 chez la souris. Ils ont alors Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIII - n° 5 - septembre-octobre 2009 175 Échos des congrès observé une élévation très importante de l’expression de p16Ink4a et une diminution de la prolifération des cellules bêta. Cela prouve que la signalisation par Bmi1/ p16Ink4a joue un rôle important dans le vieillissement des cellules bêta, et en particulier dans leur capacité à proliférer. La voie Bmi1/p16Ink4a pourrait représenter un outil important pour contrôler la prolifération des cellules bêta au cours du diabète de type 2. Quelles sont les capacités de régénération du pancréas humain ? (d’après le symposium de J.J. Meier) Comme décrit précédemment chez la souris, J.J. Meier et al. ont trouvé que les capacités de prolifération des cellules bêta diminuent avec l’âge des individus. Les auteurs ont cherché à savoir si de potentielles similitudes existent entre les capacités de régénération du pancréas de rongeurs et celles du pancréas humain. Ils ont trouvé que, chez un patient âgé de 89 ans et atteint d’un diabète de type 1 tardif, quelques cellules bêta proliféraient, suggérant des possibilités de régénération. Chez la souris NOD, l’injection de gastrine et d’epidermal growth factor (EGF) induit un certain niveau de régénération. La gastrine est une hormone sécrétée par la partie inférieure de l’estomac, le duodénum et le jéjunum. Elle favorise la sécrétion acide, mais aussi le renouvellement cellulaire de l’épithélium stomacal et intestinal. Sa sécrétion est stimulée par l’EGF. Son mécanisme d’action est inconnu à l’heure actuelle. De façon surprenante, J.J. Meier et al. ont trouvé une hyperplasie des îlots à proximité de gastrinomes chez l’homme. Ces données suggèrent que la gastrine pourrait avoir un rôle dans l’amplification de la masse des cellules bêta chez l’homme. Enfin, les auteurs ont comparé les capacités de régénération du pancréas de souris et du pancréas humain lors d’une pancréatectomie partielle. Chez la souris, la pancréatectomie partielle entraîne une régénération des cellules bêta, presque totale à 15 jours postpancréatectomie. J.J. Meier et al. ont pu suivre des patients ayant subi deux pancréatectomies partielles successives et ont analysé des biopsies. À la différence de la souris, ils ont observé une diminution de la surface des cellules bêta et une hyperglycémie. En conclusion, les capacités de régénération du pancréas humain sont faibles par rapport à celles de la souris, mais elles pourraient être stimulées, par exemple par la gastrine. Conclusion Les avancées récentes concernant les greffes d’îlots et la néogenèse des cellules pancréatiques bêta nous autorisent à penser qu’à long terme, le remplacement des cellules bêta endommagées représente une stratégie thérapeutique curative envisageable. En attendant de tels succès, l’amélioration des traitements médicamenteux devrait permettre d’optimiser le contrôle glycémique et le bien-être des patients. ■ Abonnez-vous en ligne ! www.edimark.fr Bulletin d’abonnement disponible page 207 176 Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIII - n° 5 - septembre-octobre 2009