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Chapitre I. Les antécédents de l’incarnation du Verbe dans l’économie du salut
2.1. Beaucoup ont expliqué de manières diverses la production du monde et la
création de toutes choses, et chacun l’a définie à sa guise. Les uns déclarent que tout
s’est produit spontanément et au hasard ; tels les Epicuriens, imaginant que la
providence universelle n’existe pas et parlant directement contre ce qui apparaît à
l’évidence. 2. En effet, si tout s’est produit spontanément en l’absence d’une
providence, selon eux tous les êtres devraient être purement et simplement
semblables et sans différences. Comme en un seul corps, tout devrait être ou soleil
ou lune, et chez les hommes le corps entier devrait être main, œil ou pied. En fait,
rien de tel ; d’un côté nous voyons le soleil, de l’autre la lune ou la terre ; et de même
dans le corps humain, ici un pied, là une main ou une tête. Une telle disposition des
choses fait comprendre qu’elles ne se produisent pas spontanément ; elle montre
qu’une cause préside à leur origine ; elle fait concevoir Dieu qui a disposé et fait tous
les êtres. 3. Mais d’autres, parmi lesquels Platon, qui est grand chez les Grecs,
assurent que Dieu a fait l’univers à partir d’une matière préexistante et sans origine.
Dieu n’aurait rien pu faire, si la matière n’avait pas préexisté, tout comme le bois doit
exister avant le menuisier pour être travaillé par lui. 4. Ceux qui tiennent ce langage
ne réalisent pas qu’ils attribuent une faiblesse à Dieu. Car s’il n’est pas lui-même
cause de la matière, mais s’il fait les êtres en bloc à partir de la matière sous-jacente,
il est reconnu faible, incapable de fabriquer quoi que ce soit sans la matière, de
même certes que c’est une marque de faiblesse chez le menuisier de ne pouvoir sans
bois fabriquer aucune des choses nécessaires. Et si par hypothèse la matière
n’existait pas, Dieu n’aurait rien fait. Comment appellerait-on encore le créateur et
démiurge celui qui tiendrait d’un autre le pouvoir d’agir, je veux dire de la matière ?
S’il en va ainsi, Dieu sera d’après eux un simple artisan et non le créateur qui donne
l’être, puisqu’il travaille une matière donnée, mais n’est pas lui-même cause de cette
matière. Bref, on ne l’appellera plus créateur, s’il ne crée pas la matière, de laquelle
viennent les êtres. 5. Les hérétiques inventent pour leur compte un démiurge de
toutes choses différent du Père de notre Seigneur Jésus-Christ, aveuglés grandement
en ce qu’ils disent. 6. Si, en effet, le Seigneur dit aux Juifs : « N’avez-vous pas lu que le
Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme, et dit : A cause de cela l’homme
quittera son père et sa mère, et il s’attachera à sa femme , et les deux ne feront
qu’une seule chair » (Matth. 19, 4s.) ; ensuite désignant le Créateur il dit : « Eh bien,
ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » » (Matth. 19, 4s.), -comment ceux-
là introduisent-ils l’idée que la création est étrangère au Père ? Si, selon Jean qui
résume l’ensemble et déclare : « Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut » (Jn 1, 3),
comment y aurait-il un autre démiurge que le Père du Christ ?