Professeur Michel Simonet, année universitaire 2013-2014 phylogenèse des bactéries établies après analyse comparée des séquences de l’ARNr 16S (horloge évolutionnaire) entérobactéries γ-proteobactéries ü ü ü ü ü ü des bacilles aérobies-anaérobies sans exigence culturale particulière cytochrome oxydase catalase + nitrate-réductase + fermentant le glucose arbre établi à partir des séquences du facteur d’élongation Tu (International Journal of Systematic & Evolutionary Microbiology, 2005) des bactéries à Gram négatif Klebsiella pneumoniae Escherichia coli des diplobacilles entourés d’une capsule des bacilles polymorphes à coloration bipolaire Escherichia coli Proteus mirabilis Klebsiella pneumoniae Serratia marcescens VP+ Klebsiella pneumoniae + - + - + - + - -+ - Enterobacter cloacae + + - + + - - - -+ - Serratia marcescens + - + + + - - - - + + VPEscherichia coli + - + + -- - - + - -+ -- Proteus mirabilis --- + + + Citrobacter freundii + + - - + + - --- + Shigella Kiyoshi Shiga 1871-1957 isole le bacille de la dysentérie en 1897 q q des bactéries génétiquement très proches d’ Escherichia coli 1.5% de divergence nucléotidique entre E. coli K12 et S. flexneri !! q Shigella, un pathovar d’Escherichia coli arbre établi après analyse des séquences génomiques disponibles dans GenBank Chaudhuri & Henderson, Infection, Genetics and Evolution 2012, 12, 214–226 q formant 4 espèces : dysenteriae, boydii, flexneri et sonnei Caractères spécifiques de genre Kligler-Hajna des bacilles immobiles fermentant le glucose sans production de gaz ne fermentant pas le lactose, ni le saccharose, ni la salicine ne produisant pas d’hydrogène sulfuré, ni d’uréase ne produisant pas de lysine décarboxylase n’utilisant pas le citrate de Christensen (≠ Alcalescens-Dispar) Escherichia Shigella Caractères spécifiques d’espèce fermentation du mannitol mannitol - = S. dysenteriae mannitol + = S. flexneri, S. boydii, S. sonnei production d’une ornithine décarboxylase ODC = S. dysenteriae, S.flexneri, S. boydii ODC + = S. sonnei Sérotypes (O) de Shigella agglutination O S. dysenteriae (16 sérotypes; 1= bacille de Shiga, catalase-) S boydii (20 sérotypes) S. flexneri (6 sérotypes) S. sonnei (1 sérotype) q des bactéries très virulentes (dose infectante = 100 bactéries), q pathogènes exclusivement pour les primates L’infection de l’Homme par Shigella 165 millions de cas estimés annuellement dans le monde plus d’un million de morts chaque année Le syndrome dysentérique après une incubation de 1-3 jours et une diarrhée hydrique de 2-3 jours, le syndrome dysentérique s’installe avec q une hyperthermie (39°C-40°C), avec malaise et asthénie q des douleurs abdominales violentes (épreintes), un ténesme et des vomissements q une émission quasi-permanente de selles glairo-sanglantes et purulentes l’évolution de la forme classique dure en moyenne une semaine Ø la forme grave (S. dysenteriae 1 ou bacille de Shiga; S. flexneri 2a) § des complications locales: perforation, péritonite, atonie colique, hémorragies intestinales, mégacôlon § des complications générales immédiates : déshydratation; septicémie en cas d’immuno-déficience, drépanocytose, malnutrition ; convulsions et troubles de la conscience; syndrome hémolytique et urémique § des complications générales à distance : syndrome de Fiessinger-Leroy (HLA-B27) (arthrite aseptique, uvéite, urétrite) Ø la forme bénigne (S. sonnei) une diarrhée simplement aqueuse, souvent sans fièvre La shigellose ü une infection cosmopolite, particulièrement fréquente en zone tropicale shigellose endémique : S. flexneri et S. sonnei shigellose épidémique : S. dysenteriae et S. boydii ü survenant très souvent chez l’enfant < 5 ans (malnutrition = facteur de risque) ü souvent épidémique 1969-1973, Amérique Centrale: 500.000 cas d’infections à S. dysenteriae 1 et 20.000 morts ü transmise entre les individus par les mains sales, les aliments et les eaux souillés, les mouches (transmission oro-fécale inter-humaine) causée en France par S. sonnei et S. flexneri Épidémies françaises au cours des 20 dernières années ü Juillet 1994: 27 cas certains (S. sonnei), essentiellement chez des enfants, liés à une baignade dans un lac ü Novembre 1998-mars 1999: 29 cas certains (S. sonnei) dans un établissement pour enfants handicapés mentaux ü Juin-juillet 2004: 14 cas certains (S. sonnei) probablement liés à l’ingestion d‘une eau de fontaine impropre à la consommation ü Janvier-avril 2007:84 cas certains (S. sonnei) chez des jeunes enfants franciliens scolarisés, pour la grande majorité, dans deux écoles juives (?) une épidémie de souches résistantes à l’amoxicilline, au cotrimoxazole et à l’azithromycine une bactérie entéro-invasive induisant une importante inflammation mucosale Shigella franchit la barrière épithéliale via les cellules M, puis rencontre les macrophages. Les bactéries échappent à l’action de ces phagocytes en induisant leur mort, associée à une inflammation (pyroptose). Les bactéries libérées envahissent alors les cellules épithéliales par leur pôle baso-latéral, puis se déplacent (propulsées par une comète d’actine) à l’intérieur de ces cellules et infectent les cellules épithéliales adjacentes. La réponse inflammatoire des macrophages et des cellules épithéliales active les cellules NK et attire les polynucléaires neutrophiles; ces derniers assurent la destruction des bactéries et la résolution de l’infection. Schroeder & Hilbi, Clinical Microbiology Reviews, 2008, 21, 134-156 plasmide de virulence Îlots de pathogénicité Escherichia coli ancestral 35.000 à 270.000 ans perte de la fonctionnalité d’environ 200 gènes (pseudogènes) Shigella Un plasmide essentiel à la virulence, contribuant au parasitisme cellulaire de la bactérie Un îlot de pathogénicité (31 kb) plasmidique codant un appareil de sécrétion de type III, les effecteurs sécrétés (manipulant la cellule-hôte), des protéines chaperons et des régulateurs Venkatesan et al., Infection and Immunity, 2001, 69, 3271-3285 Schroeder & Hilbi, Clinical Microbiology Reviews, 2008, 21, 134-156 L’appareil de sécrétion de type III Schroeder & Hilbi, Clinical Microbiology Reviews, 2008, 21, 134-156 Les îlots de pathogénicité : en bref Des segments d’ADN, de taille variable (jusqu’à 220 kb) § comprenant un ou plusieurs gènes de virulence § présents seulement dans le génome des souches pathogènes § ayant souvent un GC% différent du restant du génome § souvent flanqués de petites séquences directes répétées § souvent associés à un gène codant un ARNt § incluant souvent des gènes de mobilité, fonctionnels ou cryptiques § souvent instables Les îlots de pathogénicité chromosomiques de Shigella SHI-1 Production d’une entérotoxine (ShET1), d’une mucinase, d’une IgA-like protéase SHI-2 Production et transport d’un sidérophore (aérobactine) SHI-O Modification de l’antigène somatique (échappement au système immunitaire) SRL Système d’acquisition de citrate ferrique, inactivation et efflux d’antibiotiques Schroeder & Hilbi, Clinical Microbiology Reviews, 2008, 21, 134-156 La perte de la fonctionnalité de certains gènes a contribué à l’émergence de Shigella Bliven & Maurelli, Infection and Immunity, 2012, 80, 4061-4070 ü La cadavérine résultant de la lysine décarboxylation par CadA inhibe l’activité des entérotoxines ShET, l’échappement du phagosome et la migration trans-épithéliale des leucocytes. ü L’acide quinolinique, produit au cours des réactions enzymatiques impliquant NadA/NadB, inhibe à la fois l’invasion cellulaire et la propagation bactérienne de cellule-à-cellule. ü L’inactivation de la spermidine acétyltransférase SpeG permet l’accumulation de spermidine dans le phagosome et la survie bactérienne intra-macrophagique. ü La protéase membranaire OmpT dégrade IcsA de la surface bactérienne, empêchant la formation de la « queue » d’actine et la propagation bactérienne de cellule-à-cellule. L’entrée cellulaire selon un mécanisme à gâchette (trigger) le détournement des voies de signalisation cytosolique après injection cellulaire d’effecteurs bactériens L’injection cellulaire (par l’appareil de sécrétion de type III) de IpaC et IpgB1 induit, via l’activation des GTPases Rac1 et Cdc42, la polymérisation de l’actine et la formation de larges expansions membranaires (lamellipodes ou ruffles). La liaison de IpaB à CD44 pourrait aussi déclencher un remodelage du cytosquelette (il en serait de même pour IpgB2). La phosphatase IpaD assure, en déphosphorylant le phosphoinositide PIP2, la déconnection du cytosquelette d’actine de la membrane d’actine, et facilite ainsi la réorganisation cellulaire au point d’entrée de la bactérie. IpaA contrôle la dépolymérisation localisée de l’actine. La bactérie est alors incluse dans un phagosome. Schroeder & Hilbi, Clinical Microbiology Reviews, 2008, 21, 134-156 Shigella se propage de cellule-à-cellule Shigella s’échappe du phagosome après destruction de sa membrane grâce aux effecteurs IpaB, IpaC et IpaD : la bactérie est alors libérée dans le cytosol de la cellule épithéliale. Sous l’action de IcsP, IcsA se localise à un pôle de la bactérie et interagit avec la protéine cellulaire N-WASP. Le complexe IcsA-N-WASP recrute et active le complexe Arp2/Arp3 contrôlant la nucléation de l’actine. L’élongation de la queue d’actine propulse la bactérie dans le cytosol. Le mouvement bactérien est facilité par VirA qui induit la dégradation du réseau de microtubules. Schroeder & Hilbi, Clinical Microbiology Reviews, 2008, 21, 134-156 Shigella induit la mort « programmée » du macrophage avec inflammation par activation de l’inflammasome (pyroptose) Schroeder & Hilbi, Clinical Microbiology Reviews, 2008, 21, 134-156 NRLP3 interagit avec la pro-caspase-1 par l’intermédiaire de la protéine adaptatrice ASC La toxine de Shiga (Stx) ü une exotoxine constituée de 5 sous-unités B (le ligand est un glycolipide [Gb3] et d’une sous-unité A (une N-glycosidase libérant le résidu A4324 de l’ARN ribosomal 28S) ü produite par S. dysenteriae 1 ü d’origine phagique ü inhibant la synthèse protéique cellules Vero cellules Vero + Stx Stx, une toxine cytotoxique ü induisant l’apoptose selon différents mécanismes La liaison de la toxine au récepteur Gb3 de la surface cellulaire induit une courbure membranaire spontanée et l’internalisation de la toxine dans un endosome précoce. La toxine gagne le cytosol après un trafic cellulaire rétrograde (appareil de Golgi, puis réticulum endoplasmique). Johannes & Römer, Nature Reviews / Microbiology, 2010, 8, 105-116 Le diagnostic bactériologique d’une shigellose mise en évidence du micro-organisme dans les selles = coproculture culture du sang (hémoculture) en cas d’immuno-déficience Recherche de Shigella spp dans les selles Milieux d’isolement (il n’existe aucun milieu d’enrichissement des selles en shigelles) Shigella-Salmonella lactose, thiosulfate de sodium et citrate de fer, sels biliaires, vert brillant, rouge neutre Colonie de Shigella = incolore Hektoen lactose, saccharose, salicine, thiosulfate de sodium et citrate de fer ammoniacal, sels biliaires, bleu de bromothymol Colonie de Shigella = verte Recherche de Shigella dans les selles conduite pratique pratiquer un test uréase sur 5 colonies présence d’une uréase Arrêter l’analyse suspectes obtenues sur gélose ad hoc absence d’une uréase Poursuivre l’analyse en ensemençant une galerie d’identification et une gélose nutritive (sérotypage) MALDI-TOF Shigella et antibiotiques une sensibilité naturelle aux antibiotiques identique à celle…d’E. coli mais….. la découverte de la résistance « plasmidique » aux antibiotiques a été établie lors d’une épidémie de shigellose au Japon Ochiai K., Yamanaka T., Kimura K, Sawada O. Studies on transfer of drug resistance between Shigella strains and Escherichia strains Jpn. Med. J, 1959, 1861, 34-46 Akiba T., Koyama K., Ishiki Y., Kimura S., Fukushima T. On the mechanism of the development of multidrug-resistant clones of Shigella Jpn. J. Microbiol., 1960, 4, 219-227 Traitement de la shigellose ü une réhydratation dans les formes graves de dysentérie (jeune enfant, sujet âgé) ü une antibiothérapie systématique (bien que l’infection soit souvent « auto-limitée ») afin d’éviter le développement d’épidémies de nombreuses souches résistent simultanément à l’amoxicilline et au cotrimoxazole enfant adulte azithromycine ciprofloxacine (10 mg/kg) en une prise, 3 jours 750 mg en une prise, 3 jours ceftriaxone azithromycine (50 mg/kg) en une injection, 3 jours 500 mg en une prise, 3 jours DuPont, New England Journal of Medicine, 2009, 361, 1560-1569 Emerging Infectious Diseases, 2008, 14, 1297–1299 International Journal of Antimicrobial Agents, 2012, 40, 9–17 Journal of Antimicrobial Chemotherapy, 2012, 67, 1347–1353 Journal of Antimicrobial Chemotherapy, 2011, 66, 2527–2535 165 millions de cas de shigellose, dont plus d’un million de cas mortels chaque année dans le monde : Comment prévenir l’infection ? q des mesures générales de lutte contre le péril fécal éducation sanitaire, amélioration de la qualité de l’eau et de l’assainissement, formation des professionnels de santé q la vaccination une immunisation par voie orale…mais par quel type de vaccin ? en cours d’essais de phase I (tolérance, effets indésirables), pour la plupart ü des vaccins vivants atténués (obtenus après délétion de certains gènes de virulence) CVD1208S et CS602 (S. flexneri 2a), WRSs2 et WRSs3 (S. sonnei), SC599 (S. dysenteriae 1) ü des vaccins inactivés (tués) Sfa2WC(S. flexneri 2a), SsWC(S. sonnei) ü des vaccins acellulaires (sous-unités) Invaplex (LPS associé à protéines Ipa), des vésicules de membrane externe (OMV) de S.flexneri 2a et S. sonnei Camacho et al., Expert Review of Vaccines, 2013, 12, 43-55