ÉDITORIAL Le “cough hypersensitivity syndrome” : une nouvelle approche de la toux chronique de l’adulte The Cough hypersensitivity syndrome: toward a new approach of chronic cough in adults “ L a toux chronique, définie par sa durée de plus de 8 semaines, est fréquente. Représentant jusqu’à 30 % des consultations en pneumologie, elle peut poser de difficiles problèmes diagnostiques et thérapeutiques : en effet, certains patients ont une toux réfractaire rebelle à tout traitement qui impacte fortement leur qualité de vie et représente un véritable casse-tête pour leur médecin. Démarche diagnostique R. Escamilla Pôle respiratoire, CHU RangueilLarrey, Toulouse. La prise en charge de la toux est dominée par la recherche d’une étiologie dont le traitement peut permettre de résoudre le problème du patient. Certaines étiologies sont évidentes, comme l’existence d’un tabagisme ou une toux iatrogène induite par un traitement aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) reconnue par l’interrogatoire et la relation de temporalité. Trois étiologies représentent 80 % des causes de toux chroniques chez l’adulte. Les toux d’origine ORL (Upper Airway Cough Syndrome), qui comprennent la rhinosinusite et le jetage postérieur. La relation de causalité entre l’écoulement nasal postérieur et la toux demeure incertaine. Pour beaucoup, ce ne serait pas l’écoulement qui fait tousser, mais l’existence d’un pharynx irritable. N. Roche Groupe hospitalier Cochin, hôpital d'instruction des armées du Valde-Grâce, Paris. Le reflux gastro-œsophagien (RGO) : les reflux acides, mais aussi non acides, peuvent être impliqués. L’association asthme-RGO est fréquente, mais les relations physiopathologiques entre les 2 entités demeurent incertaines : en effet, en dehors des cas de disparition de la toux sous traitement (inhibiteurs de la pompe à protons à forte dose), la relation entre le reflux acide et la toux est difficile à établir. De même, les reflux non acides et les troubles de la motricité œsophagienne jouent très certainement un rôle, mais leur place reste à déterminer. L’inflammation éosinophilique comporte plusieurs tableaux cliniques. La toux variante d’asthme est un asthme dont la toux est le seul symptôme ou le symptôme prédominant. Dans la toux atopique, les patients n’ont pas de trouble ventilatoire obstructif, ni d’hyperréactivité bronchique. Mais on retrouve, outre l’éosinophilie bronchique sur l’expectoration induite, une atopie avec élévation des IgE et tests cutanés aux pneumallergènes positifs. Cette entité est discutée en dehors du Japon. La bronchite à éosinophiles non asthmatique serait fréquente et représenterait près de 15 % des toux chroniques. La fonction respiratoire est normale et il n’y a pas d’hyperréactivité bronchique à la métacholine. Le diagnostic repose uniquement sur la présence de l’éosinophilie bronchique (> 3 %) sur l’expectoration induite. Toux atopique et bronchite à éosinophiles seraient, pour certains, proches, voire une seule et même maladie. Il existe d’autres causes de toux chronique de l’adulte (SAOS, origine cardiaque, etc.), mais elles sont considérablement moins fréquentes. 4 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 339 - octobre-novembre-décembre 2014 ÉDITORIAL Source supplémentaire de difficultés, un même patient peut avoir plusieurs facteurs aggravants nécessitant une prise en charge. La conduite à tenir est alors conditionnée par les résultats des explorations lorsqu’elles mettent en évidence des étiologies possibles, et par la réponse au traitement. En l’absence d’étiologie identifiable ou soupçonnée après un bilan simple, l’attitude oscille entre approfondir le bilan et proposer un traitement empirique des grandes étiologies ; en cas de non-réponse au traitement, la toux est considérée comme idiopathique et le plus souvent psychogène. Le concept de Cough Hypersensitivity Syndrome (CHS) offre une nouvelle vision de ces toux réfractaires qui colle à la réalité clinique à laquelle sont confrontés les spécialistes de la toux. Les patients concernés sont plus volontiers de sexe féminin, présentant une toux chronique sèche, quinteuse, avec une hypersensibilité à de nombreux agents chimiques (parfums, odeurs fortes, fumée de tabac), physiques (aliments épicés ou acides), thermiques et environnementaux comme les changements de température ambiante (1). Cette hypersensibilité aux agents chimiques est souvent retrouvée lors des tests d’exploration de la toux avec la capsaïcine ou l’acide citrique. Cependant, le diagnostic de CHS repose essentiellement sur la clinique : aucun test n’a de valeur diagnostique au niveau individuel. Plusieurs situations peuvent être identifiées : ➤ CHS isolé correspondant aux toux idiopathiques ; ➤ CHS correspondant à une toux disproportionnée dans le cadre des grandes étiologies classiques de la toux chronique, comme l’asthme et autres inflammations chroniques à éosinophiles, les toux d’origine ORL accompagnant les rhinites et rhinosinusites chroniques actuellement regroupées sous le terme d’Upper Airway Cough Syndrome, et les toux d’origine digestive essentiellement par reflux gastro-œsophagien ; ➤ CHS associé à d’autres pathologies comme les pneumopathies interstitielles diffuses, la BPCO, les bronchectasies, etc. Le mécanisme du CHS n’est pas élucidé : on a évoqué le rôle de l’inflammation bronchique – allergique ou non –, des infections virales des voies aériennes supérieures et autres causes d’inflammation. L’hypothèse d’une neuropathie sensitive sur le modèle de la fibromyalgie paraît séduisante (2) : elle s’appuie sur les données cliniques, l’hypersensibilité anormale à de nombreux stimuli, la notion de larynx irritable avec l’existence fréquente de symptômes comme la sensation d’une boule ou d’un chatouillement laryngé, une irritation ou une impression de “chocking” de la gorge, évoquant des paresthésies, et l’efficacité de certains traitements neuromodulateurs de la douleur chronique comme l’amitriptyline, le baclofène et la gabapentine. La toux serait due à une sensibilisation périphérique ou centrale, secondaire à un dommage des voies afférentes sensitives vagales. Les nocicepteurs comme les canaux ioniques TRPV (Transient Receptor Potential Vanilloid) et TRPA (Transient Receptor Potential Ankyrin) semblent jouer un rôle particulièrement important : présents sur les fibres sensitives afférentes C, ils sont sensibles aux agents chimiques comme la capsaïcine, aux ions H+, aux changements de température. Les TRPV1 sont surexprimés dans les fibres nerveuses des voies aériennes des tousseurs chroniques. De plus, des travaux expérimentaux récents sur des lignées cellulaires ont montré que les rhinovirus entraînaient une “up-régulation” des TRP (3). Ces données, certes expérimentales, sont fondamentales : en effet, le CHS apparaît très souvent après un banal rhume. Les TRP seraient un des maillons pouvant expliquer le lien entre toux chronique et infection virale respiratoire. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 339 - octobre-novembre-décembre 2014 | 5 ÉDITORIAL Implications et questions pratiques Bien que la réalité du CHS ne semble pas discutable, son impact sur la prise en charge des patients est incomplètement évalué et source de controverses. Quelquesunes des questions “conceptuelles” qui peuvent se poser sont présentées ci-dessous. Dans l’asthme, la toux atopique, la bronchite à éosinophiles, une toux réfractaire en l’absence d’inflammation éosinophilique résiduelle (NO exhalé normal, absence d’éosinophiles dans l’expectoration induite) est-elle le témoin d’un non-contrôle du fait d’un traitement étiologique insuffisant ou résulte-t-elle d’un CHS nécessitant une prise en charge spécifique par un traitement antitussif ? Chez les patients avec une rhinosinusite chronique et un jetage postérieur (dont seule une faible proportion se plaint d’une toux chronique), la toux résulte-t-elle de l’écoulement nasal postérieur ou d’un CHS avec stimulation nociceptive sur un pharynx irritable ? Chez les patients avec un reflux et une toux non calmée après neutralisation de l’acidité par les IPP, quelle est la place des reflux non acides, du reflux laryngopharyngé, du CHS ? En pratique, pour le clinicien, il existe 2 situations : 1. Morice AH, Millqvist E, Belvisi MG et al. Expert opinion on the cough hypersensitivity syndrome in respiratory medicine. Eur Respir J 2014 Aug 19. [Epub ahead of print]. 2. Chung KF, McGarvey L, Mazzone S. Chronic cough as a neuropathic disorder. Lancet Respir Med 2013;1(5):414-22. 3. Abdullah H, Heaney LG, Cosby SL, McGarvey LP. Rhinovirus upregulates transient receptor potential channels in a human neuronal cell line: implications for respiratory virus-induced cough reflex sensitivity. Thorax 2014;69(1):46-54. L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. ➤ soit le CHS est associé à une cause classique de toux comme un asthme, une rhinosinusite ou un RGO, et le traitement de cette cause entraîne une guérison ou une nette amélioration de la toux ; le CHS peut alors être simplement considéré comme responsable d’une toux disproportionnée, symptôme d’une maladie causale ; ➤ soit il s’agit d’une toux réfractaire au traitement : s’il existe un facteur aggravant identifié, il peut s’agir d’un traitement inefficace ou mal adapté, et une adaptation thérapeutique peut résoudre le problème. S’il n’y a aucune étiologie pouvant expliquer la toux ou si le traitement des facteurs aggravants identifiés n’a eu aucun effet sur la toux, il s’agit là d’un CHS posant un réel problème au clinicien. Conclusion Même si, pour le moment, le concept du CHS n'apporte pas de solution au problème des toux réfractaires, il ouvre de nouvelles voies de recherche clinique, notamment concernant l’intérêt des médicaments de la douleur. Au-delà, l’amélioration de la connaissance des mécanismes physiopathologiques à l’origine du CHS permettra peut-être de trouver d’autres traitements actifs, indispensables chez ces patients. Finalement, la reconnaissance du CHS soulève pour l’heure plus de questions qu’elle n’apporte de réponses pour le clinicien, mais elle a le mérite de sensibiliser les médecins à la toux chronique et à son fort impact pour le patient, et d’ouvrir le débat sur la nécessité d’une prise en charge spécialisée multidisciplinaire. AVIS AUX LECTEURS ” Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent, dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des sujets et des auteurs à publier. La qualité des textes est garantie par la sollicitation systématique d’une relecture scientifique en double aveugle, l’implication d’un service de rédaction/ révision in situ et la validation des épreuves par les auteurs et les rédacteurs en chef. Notre publication répond aux critères d’exigence de la presse : · accréditation par la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse) réservée aux revues sur abonnements, · adhésion au SPEPS (Syndicat de la presse et de l’édition des professions de santé), · indexation dans la base de données INIST-CNRS, liens privilégiés avec la SFORL, · déclaration publique de liens d’intérêts demandée à nos auteurs, · identification claire et transparente des espaces publicitaires et des publi-rédactionnels en marge des articles scientifiques. 6 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 339 - octobre-novembre-décembre 2014