Parce que les futurs ingénieurs ne connaissent rien de l’éthique

Parce que les futurs ingénieurs ne connaissent rien
de l’éthique
Concours de promotion de l’Ethique professionnelle 2012
Rotary International
Lauréate du district 1760 (Alpes de Haute-Provence,
Hautes-Alpes, Bouches-du-Rhône, Gard, Vaucluse)
Mention au niveau national
Lucile Rouanet
Elève ingénieur Arts et Métiers Paristech
Angle d’approche du sujet
En m’inscrivant au concours de promotion de l’éthique professionnelle je n’ai pas prétendu
pouvoir révolutionner le monde de l’ingénierie, mais j’ai souhaité écrire un essai pour mieux
découvrir ce sujet et en retirer une réflexion constructive pour moi-même.
Dans quelques mois je serai ingénieur, et les problèmes éthiques me concerneront
beaucoup plus que je ne l’imaginais avant ce concours, et beaucoup plus que ce que la plupart de
mes camarades l’imagine encore.
Cet essai est donc destiné à tous les élèves ingénieurs, afin que brièvement ils puissent
réaliser l’étendue des domaines dans lesquels intervient l’éthique et les codes qui existent déjà.
Pour qu’ils puissent aussi constater la gravité des problèmes qui existent encore, enfin qu’ils
comprennent l’intérêt d’une formation durant les études d’ingénieur.
Résumé
Pour permettre aux élèves qui liraient cet essai de comprendre les enjeux d’une formation
éthique je présenterai d’abord les domaines d’application de l’éthique, les règlements qui existent,
et les condamnations possibles pour celui qui ne respecte pas ces règlements. Ceci souligne
l’importance de l’éthique dans le métier d’ingénieur.
Je donnerai ensuite trois exemples de problèmes du vingt et unième siècle, liés à un non
respect de ces règles ou de la morale professionnelle ou individuelle. Ces exemples sont une
démonstration en eux-mêmes que l’éthique, et ses conséquences, sont quelque chose de concret
et de réellement présent, pas seulement quelques mots sur des essais ou dans des règlements.
Enfin à travers l’exemple du contenu des cours d’éthique dans l’école d’ingénieurs de
l’université de Saragosse en Espagne j’expliquerai pourquoi les élèves ingénieurs français ont
vraiment besoin d’une formation semblable, qui leur donnerait les bases nécessaires pour exercer
leur métier sans ignorer ces problèmes et en sachant qu’ils sont effectivement concernés.
Sources
- Dictionnaire Larousse, et site www.Larousse.fr
- Site Legifrance : www.legifrance.gouv.fr
- Site Techniques de l’ingénieur : www.techniques-ingenieur.fr
- Document « Responsabilité juridique de l’ingénieur » publié par le CNISF et la GMF
- Emission radiophonique « Les pieds sur Terre » de France Culture
- Documents de cours de M. Galindo Ayuda Fernando, professeur d’Ethique et Législation
pour les élèves ingénieurs de l’université de Saragosse.
Ethique :
Ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu’un (-Larousse.fr)
L’Ethique est donc l’ensemble des règles d’application de la morale, lorsque l’on cherche la
définition d’éthique on trouve bien souvent la notion de respect. Etre un ingénieur éthique est être
un ingénieur qui suit des règles de conduite afin de respecter son entourage, l’environnement et la
société.
I L’Ethique professionnelle de l’ingénieur
Ce chapitre ne sert qu’à présenter rapidement les domaines d’application de l’éthique afin que
chacun s’y intéresse ensuite personnellement. En effet les décrire tous précisément est
impossible.
Tout d’abord les domaines dans lesquels intervient l’éthique chez l’ingénieur sont nombreux,
être un ingénieur éthique ne signifie pas être une sorte d’ingénieur sociologue, mais quelqu’un qui
sait réfléchir sur des questions telles que la protection des données, la propriété intellectuelle,
l’usage d’internet, le rôle de l’éthique dans la mondialisation, l’amélioration constante du
rendement… Et bien sûr les thèmes qui viennent plus rapidement à l’esprit lorsqu’on parle
d’éthique de l’ingénieur, et qui sont tout aussi importants : la sécurité, la bio-ingénierie,
l’armement, l’environnement, la finance, la délocalisation
Bien sûr concernant certains de ces thèmes les avis sont partagés, le plus important est alors
d’avoir réfléchi au sujet, et de pouvoir justifier ses avis et ses choix. Mais pour beaucoup de
situations il existe des règles à suivre.
Outre la loi, qu’un ingénieur se doit bien sûr de respecter, il faut savoir que des règlements
existent déjà, les normes et les standards dont nous entendons parler mais que nous voyons très
rapidement en école d’ingénieur, telles que la norme ISO, en font partie. Ces normes permettent
d’assurer une certaine qualité de la production et donc une protection du client et du travailleur.
Mais il existe aussi des codes éthiques, le principal étant les règles de l’art, « qui tant sur les
produits que sur l’organisation ou les processus, relèvent soit de documents écrits, soit de
coutumes évidentes et impératives ». (Selon Jean-Marc PICARD, dans une publication du site
Techniques de l’ingénieur), de plus nous pouvons citer la charte d’éthique de l’ingénieur, fixée par
le conseil national des ingénieurs et des scientifiques de France (CNISF).
Enfin, le code civil et le code pénal ont aussi un rôle dans l’éthique. En effet un ingénieur ne
doit pas seulement savoir que des codes et des règlements existent, il doit aussi les respecter. Par
exemple le code pénal peut condamner un ingénieur, comme auteur « indirect » d’un délit, le cas
le courant est celui de la sécurité, l’ingénieur peux être accusé de « violation manifestement
délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi
ou le règlement » (code pénal)
Un ingénieur peut être poursuivi en justice par de nombreuses procédures, et il peut être
condamné de nombreuses manières.
J’invite ceux que le sujet intéresse à lire le guide « responsabilité juridique de l’ingénieur »réali
par le CNISF et la GMF et qui explique très bien la mise en cause juridique.
L’ingénieur a donc un rôle éthique fort, dans de nombreux domaines, et il est important qu’il
connaisse les codes et les lois qui le concernent car il peut être facilement condamné, et il n’est
pas à l’abri de l’erreur dans un métier caractérisé par la prise de décision.
Enfin notons que les médias participent aussi à l’éthique de l’ingénieur, en rendant compte
de problèmes nouveaux ou fréquents ils permettent de confronter l’ingénieur (ou l’élève ingénieur)
à des cas concrets de problèmes éthiques, et aux condamnations de leurs confrères.
Ce sont ces médias qui mont permis de découvrir les problèmes d’éthique de lingénieur, surtout à
travers le premier des trois exemples que je vais décrire ci après.
II Des histoires vraies…
Le suicide de Antonio B.
Entre 2006 et 2007 trois salariés de Renault se sont suicidés, Hervé T., Raymond D, et Antonio B.
ce dernier était un ingénieur et le premier des trois à s’être suici.
Le suicide d’Antonio a été reconnu comme accident du travail en 2007. En 2011 sa femme
a obtenu gain de cause devant la cour d’appel contre Renault pour faute inexcusable. Entre 2006
et 2007 trois salariés de Renault se sont suicidés.
Antonio avait perdu beaucoup de poids, ne mangeait plus, dormait quatre heures par nuit, pleurait
tous les soirs, il s’est jeté du cinquième étage du bâtiment principal du techno centre Renault.
Penser qu’un homme normal, puisse en arriver à une telle détresse, quand la mort paraît
plus douce que la vie, quand la vie n’est devenue plus qu’une dose terrible de travail et que
mêmes les besoins les plus élémentaires ne sont pas respectés, me touche vraiment.
Comment ses collègues et supérieurs, tous ceux qui travaillaient sur le même projet que lui,
ont pu le laisser ainsi souffrir, sans pouvoir l’ignorer puisque cela allait jusquà se voir
physiquement.
Vingt-huit suicides entre janvier 2008 et juin 2009 ont été reconnus comme accidents du
travail.
L’éthique est réellement importante, les règlements dont nous avons parlé plus tôt sont des guides
essentiels, qui permettent de ne pas en arriver à de telles extrémités. Mais la réflexion et la morale
personnelles sont tout aussi importantes, et lorsque des « effets de groupe » apparaissent elles
sont même impératives.
Condamnés pour homicides involontaires :
En 2002 un ingénieur dans les bâtiments et travaux publics a été condamné pour homicide
involontaire, il n’avait pas signalé que la structure métallique d’un pont n’était pas fiable, en tant
qu’ingénieur ayant les compétences nécessaires pour lire les plans de la structure et voir les
problèmes d’instabilité. Il a été condamné à une amande et de la prison avec sursis.
En 2001 ingénieur conseil a été condamné pour homicide involontaire à 6 mois de prison
et une amande, il s’était trop investi dans le chantier en endossant des rôles qui n’étaient pas les
siens, notamment en donnant des instructions aux salariés. Lors de la démolition d’un mur par un
employé ce dernier est mort écrasé par le mur qu’il avait commencé à détruire par le bas par
manque de moyens (échafaudage, escabeau, …).
Nous voyons ici ce qu’une erreur simple peut engendrer. Le manque de professionnalisme
a provoqué la mort de personnes, c’est dans de tels cas que doit intervenir l’éthique : faire
correctement son métier pour ne mettre en danger ni des personnes ni la société, ni
l’environnement.
Ces problèmes sont des cas choquants, nous y sommes donc d’autant plus sensibles. Il y
en a de nombreux autres, même s’ils n’atteignent pas tous de telles extrémités il est étonnant de
constater jusqu’où nous pouvons en arriver dans un pays développé comme la France (20ème pays
au niveau de l’IDH).
De toute évidence la formation éthique des cadres, et précisément des ingénieurs fait défaut.
III Une solution à développer : La formation éthique des élèves ingénieurs
Dans les écoles d’ingénieur on nous apprend à tourner tous nos raisonnements et nos
discours vers l’ « intérêt »qu’il y a à retirer d’une idée, d’un projet, d’une décision (intérêt financier,
intérêt quant à l’image que nous renvoyons, intérêt du temps gagné, intérêt du réseau, …). On
nous apprend à avoir confiance en nous, à n’avoir pas peur d’avoir de l’ambition, à apprendre et
nous adapter rapidement, à savoir enfin comment mener nos projets à bien, et nous entourer des
bonnes personnes. C’est une formation très enrichissante et plutôt efficace.
Mais les cours qui donnent des notions éthique sont limités et se résument à peu d’heures :
Une ou deux sur la sécurité, sur les brevets, en trois ans. En troisième année si l’on choisit l’option
« gestion de projet » on apprend les besoins d’une équipe et des individus qui la composent.
Ainsi les notions éthiques essentielles de l’élève lui viennent de ses parents, de leur
entourage proche, et des médias. Pourtant le futur ingénieur n’est pas de mauvaise volonté et
encore moins idiot, s’il ne cherche pas à savoir plus de choses sur l’éthique c’est qu’en réalité il
n’est pas assez confronté à ces problèmes, il se sent donc pas vraiment concerné. Et quand bien
même il le serait comment acquérir toutes les bases seul et sans formation ?
Il me paraît anormal que la formation éthique dans les programmes des écoles d’ingénieurs
françaises soit aussi absente. Nos voisins espagnols par exemple en ont déjà compris l’intérêt,
depuis 1990 l’université de Saragosse propose des cours facultatifs à ce sujet, auxquels
participent toujours au moins une quinzaine d’élèves.
Ces cours sont structurés ainsi :
- Introduction à l’éthique et notions essentielles : sans les notions nous ne pouvons même
pas imaginer l’ampleur de l’éthique professionnelle, nous n’avons pas les bases pour voir
elle peut intervenir, et comment réagir face aux problèmes. Nous connaissons à peine la
définition de l’éthique. Nous jouons une partie d’échec sans connaître les coups les plus
basiques.
- Législation : En étudiant la législation les élèves connaissent les lois et les codes qui
existent, et commencent à s’y familiariser. Ils comprennent aussi qu’un ingénieur peut par
exemple aller en prison pour ne pas respecter ces codes et lois, et prennent conscience de
leur influence.
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