UTILISATION RATIONNELLE DES ANTIMICROBIENS : ETAPES CRITIQUES DANS
LE CHOIX DES DECISIONS
Luca Guardabassi1-2
1 Department of Veterinary Disease Biology, University of Copenhagen,Frederiksberg,Denmark
2 Department of Biomedical Sciences, Ross School of Veterinary Medicine, Basseterre, St Kitts,
West Indies
Les antibiotiques sont essentiels pour traiter les infections bactériennes mais leur utilisation favorise
l’apparition de bactéries résistantes, ce qui contribue à diminuer leur efficacité au fil du temps. Bien
que le phénomène de résistance bactérienne soit tout à fait naturel, les bactéries résistantes sont
sélectionnées (pas créées) par l’usage des antibiotiques. Il est impossible d’éradiquer la résistance
aux antibiotiques sauf si on cesse de les utiliser ! Néanmoins, il est possible de contrôler et aussi,
jusqu’à un certain point, de prévenir les challenges cliniques causés par cette résistance en les
utilisant de manière rationnelle. L’utilisation raisonnée des antimicrobiens est l’expression
couramment employée pour décrire toutes les actions qui contribuent à maximiser l’efficacité
clinique des antibiotiques et/ou à prévenir l’apparition de résistance tant dans la souche microbienne
responsable de l’infection que dans le microbiote commensal du patient. Le choix de l’antibiotique
est la pierre angulaire de l’utilisation raisonnée des antimicrobiens puisque leur efficacité
thérapeutique et la prévention des résistances sont fortement dépendants du type de médicament
prescrit/utilisé. Les décisions critiques dans le choix des antibiotiques sont prises à deux niveaux
différents du processus diagnostique : le premier (empirique) immédiatement après l’examen
clinique du patient et le second, deux ou trois jours plus tard, une fois que les résultats de culture et
sensibilité sont fournis par le laboratoire. On peut résumer les points critiques de la décision à
prendre au cours de la première consultation en quatre questions:
Question 1. L’utilisation d’une antibiothérapie systémique est-elle nécessaires ?
Les antibiotiques systémiques doivent seulement être utilisés si l’infection bactérienne est prouvée
par de solides données cliniques. Avant d’utiliser ou de prescrire des antibiotiques systémiques, le
praticien doit envisager la possibilité que l’infection guérisse spontanément (c’est à dire une
infection qui se résout spontanément avec ou sans traitement spécifique) ou encore qu’elle soit
causée par des virus ou des parasites.C’est le cas pour la plupart des infections des voies
respiratoires supérieures et des infections digestives. En dermatologie vétérinaire, les antibiotiques
systémiques peuvent être remplacés par des antiseptiques qui ont une efficacité thérapeutique
comparable et n’entraînent pas de résistance au sein de la flore microbienne ailleurs qu’à l’endroit
où ils sont appliqués, c’est-à-dire principalement au niveau de la flore digestive où résident la
plupart des bactéries et des pathogènes opportunistes.
Question 2. Une antibiothérapie systémique empirique est-elle nécessaire ?
Il est recommandé d’utiliser une antibiothérapie empirique face à une infection qui met la vie de
l’animal en danger ou si elle provoque douleur ou inconfort pour le patient et si le délai de mise en
place du traitement peut avoir un effet négatif sur l’issue clinique. Il n’est quasi jamais contrindiqué
de réaliser une culture, sauf si la récolte de l’échantillon nécessite une intervention invasive qui peut
compliquer l’infection ou mettre la vie du patient en danger ou encore si l’interprétation de la
culture risque d’être faussée par une contamination par des bactéries commensales. En dermatologie
vétérinaire, les cultures et tests de sensibilité sont assez peu utiles pour les infections traitées par
voie topique comme les otites externes, les plaies infectées et quelques formes de pyodermites
superficielles. Pour les infections cutanées qui requièrent un traitement antibiotique à long terme, il
est recommandé de procéder à un test de « culture et sensibilité », surtout dans les pays où il existe
une forte prévalence des Staphylococcus pseudintermedius résistants à la méthicilline
(SPRM).Lorsqu’on envoie des prélèvements au laboratoire pour un test de culture et sensibilité, on
peut initier un traitement local avec un antiseptique en attendant les résultats, de manière à choisir le
traitement le plus approprié basé sur le profil de sensibilité de la souche infectante. Cela permet
ainsi d’éviter tout traitement empirique.
Question 3. Si un traitement empirique est nécessaire, quel antibiotique choisir/prescrire?
Un choix correct nécessite des connaissances de base en pharmacologie des antibiotiques, mais
aussi de bonnes notions sur les agents responsables des infections bactériennes chez les animaux de
compagnie ainsi que des informations sur l’antibio-résistance locale. En particulier, le médicament
doit être capable d’atteindre le lieu de l’infection et il doit aussi être actif contre les espèces
bactériennes susceptibles d’être responsables de cette infection, sans toxicité pour le patient, facile à
administrer et d’un spectre le plus étroit possible. En ce qui concerne ce dernier point, le traitement
empirique avec des médicament à large spectre comme des céphalosporines de la troisième
génération ou des fluoroquinolones doit être évité sauf si l’infection menace la vie de l’animal ou si
elle est fait partie de celles où le traitement avec cette catégorie de médicaments est recommandé
par les instances nationales et internationales (par exemple, les fluoroquinolones sont indiquées en
première intention pour le traitement des prostatites aiguës ou chroniques, en raison de leur capacité
à franchir la barrière prostato-sanguine). Dans les autres situations, le choix de la molécule doit être
guidé vers des molécules qui ont le spectre d’activité le plus étroit possible puisque les
céphalosporines et les fluoroquinolones ont un impact considérable sur la flore commensale et
risquent de favoriser la sélection de bactéries multi-résistantes. Pour certains types d’infection (par
exemple les otites, les infections cutanées et les infections urinaires), le choix antibiotique peut être
guidé par la cytologie qui permet de mettre en évidence si le pathogène incriminé est une coque
Gram-positive ou un bâtonnet Gram-négatif. Les données locales sur la résistance bactérienne
peuvent être obtenues à partir des rapports nationaux officiels ou, mieux encore, en se basant sur
des données d’analyses rétrospectives sur la sensibilité des bactéries au niveau de la clinique.
Question 4. Antibiothérapie empirique ou pas, faut-il faire un prélèvement et le soumettre à
un laboratoire?
Même si une antibiothérapie empirique est mise en place, il est recommandé de réaliser une culture
et un test de sensibilité si (i) il y a une suspicion d’infection compliquée (par exemple une infection
associée à une anomalie structurelle ou fonctionnelle ou en présence d’une maladie sous-jacente qui
va augmenter le risque d’échec du traitement), (ii) le patient n’a pas répondu au traitement ou
présente des commémoratifs de rechute ou de réinfection, (iii) il y a des motifs de suspecter une
bactérie multi-résistante comme une SPRM ou une SARM sur les bases de l’anamnèse et des
données cliniques. La culture et le test de sensibilité sont également nécessaires si le patient est
immuno-compromis ou si l’infection présente une menace pour la vie de l’animal.
Il faut faire une claire distinction entre le choix empirique et celui basé sur la susceptibilité de la
bactérie. Cette distinction importante est trop fréquemment négligée dans les directives vétérinaires
sur l’usage des anti-microbiens qui se contentent trop souvent de donner des recommandations pour
le choix des traitements empiriques.Une fois que les résultats de culture et sensibilité ont été
fournis par le laboratoire, le choix de l’antibiotique peut être compliqué par plusieurs facteurs
résumés dans les questions suivantes.
Question 5. Quel antibiotique choisir en se basant sur les données de sensibilité?
Lorsqu’on base le choix d’un antibiotique sur les données de sensibilité, ce choix doit s’orienter
vers la molécule qui aura le moins d’impact possible sur la sélection de bactéries multi-résistantes,
pour autant qu’elle soit cliniquement efficace et non-toxique. L’utilisation hors AMM de produits
enregistrés à usage humain peut seulement être envisagée si la souche se révèle résistante à tous les
antibiotiques à usage vétérinaire. L’interprétation des comptes rendus de sensibilité n’est pas aussi
simple qu’il n’y paraît. Certains antibiotiques utilisés en médecine vétérinaire ne font pas partie des
batteries utilisées par les laboratoires de microbiologie, notamment parce que la sensibilité clinique
n’a pas été approuvée (par exemple, les valeurs seuils utilisées pour catégoriser les souches comme
résistantes, intermédiaires ou sensibles) pour certains antibiotiques utilisés en clientèle (exemple :
céfovécine). En l’absence de seuils de sensibilité clinique, des drogues de substitution peuvent être
employées pour prédire l’efficacité d’autres molécules appartenant à la même classe antibiotique et
possédant les mêmes propriétés pharmacodynamiques et pharmacocinétiques. Pour cette raison, il
est important de savoir quelles molécules ont été utilisées comme produits de substitution. D’autre
part, certaines drogues ne sont pas utilisées en pratique clinique. C’est le cas des antibiotiques
employés par les laboratoires pour détecter les SPRM et les SARM (comme l’oxacilline et la
céfoxitine). Enfin, l’interprétation peut être compliquée lorsque le compte rendu du laboratoire
inclut les profils de susceptibilité de plusieurs souches. Certaines infections notamment les plaies
infectées et les otites externes révèlent souvent la présence de plusieurs germes lorsqu’on les met en
culture. Dans ce cas, viser le pathogène principal est l’approche la plus raisonnable car s’attaquer à
toutes les souches cultivées peut s’avérer difficile et conduire à l’utilisation de drogues à large
spectre. La valeur clinique de chaque micro-organisme mis en évidence par le laboratoire doit être
pesée à sa valeur pathogène. Par exemple, Corynebacterium auris canis a peu de chances d’être un
pathogène primaire dans une otite externe puisqu’il n’est jamais isolé seul. Des preuves
anecdotiques suggèrent qu’une otite externe associée à cet organisme guérit si le premier pathogène
est visé par l’antibiothérapie. Des staphylocoques coagulase-négatifs (contamination cutanée),
Bacillus spp. (contamination par le sol) et des bactéries entériques (contamination fécale) figurent
parmi les « contaminants » les plus fréquents dans les prélèvements de dermatologie clinique
vétérinaire.
Question 6. Faut-il changer de traitement si la souche mise en évidence est résistante à
l’antibiotique prescrit de manière empirique?
En théorie, le traitement initial devrait être interrompu et il faut passer à une molécule parmi celles
auxquelles la bactérie est sensible. Cependant, ce n’est pas nécessairement une sage décision
puisque différentes études ont montré que l’issue thérapeutique n’est pas toujours celle qui est
prévue par les tests de sensibilité in vitro et l’infection peut être éliminée même si l’agent
responsable est rapporté comme résistant. Par conséquent, l’état du patient et la réponse au
traitement doivent toujours être considérés avant de changer un antibiotique sur la base de rapports
de laboratoires.
Outre le choix de l’antibiotique, il existe d’autres aspects importants à considérer dans le choix
rationnel d’un traitement antimicrobien comme la dose, l’intervalle d’administration et la durée du
traitement. Voici quelques questions auxquelles il est important de répondre.
Question 7. Quelle est la dose la plus appropriée?
En principe, les doses à administrer doivent être celles conseillées par le fabricant. Lorsque la
posologie mentionne différents dosages, il est recommandé d’utiliser la dose la plus élevée pour les
produits concentration-dépendants (par exemple les fluoroquinolones) de façon à augmenter
l’efficacité thérapeutique tout en prévenant la sélection de mutants résistants.
Question 8. Quel est l’intervalle le plus approprié entre deux administrations?
L’intervalle d’administration d’un médicament est particulièrement important pour les antibiotiques
qui sont temps-dépendants comme les β-lactamines puisque l’efficacité thérapeutique de ces
drogues sera affectée si elles ne sont pas administrées à la bonne fréquence (par exemple toutes les
12 heures ou toutes les 8 heures). L’intervalle entre deux administrations est également important
pour la prévention de l’apparition de résistances puisque une administration retardée peut faire
passer la concentration du médicament sous le seuil limite de concentration pour la prévention des
mutations (en anglais MPC pour Mutant Prevention Concentration) ce qui va augmenter le risque
de mutation vers des souches résistantes durant le traitement.
Question 9. Quelle est la durée de traitement la plus appropriée?
Il est difficile de répondre à cette question en raison du manque de connaissance. Pour certaines
infections, la durée du traitement antibiotique est significativement plus longue en médecine
vétérinaire qu’en médecine humaine. Cette différence n’est nullement justifiée par des preuves
scientifiques. Les dernières tendances en médecine humaine sont d’éviter les traitements inutiles
lorsque les symptômes cliniques ont disparu.
Remerciements
Cette conférence est basée sur une synthèse publiée par l’auteur dans le GRAM (Guidance for
Rational use of Antimicrobials). Un livre consensus édité avec le soutien de Ceva.
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