La jurisprudence “effets indésirables” The jurisprudence “adverse effects” D

La Lettre du Pharmacologue - Volume 20 - n° 1 - janvier-février-mars 2006
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D
O S S I E R
La jurisprudence effets indésirables
The jurisprudence adverse effects
J.P. Demarez*
RÉSUMÉ.
La jurisprudence relative à la réparation des dommages liés à des effets indésirables de médicaments a considérablement évolué
ces trois dernières années.
La causalité juridique et l’imputabilité des pharmacovigilants ne sont plus aussi étrangères l’une à l’autre. Le défaut affectant une spécialité
pharmaceutique, permettant d’ouvrir droit à réparation, n’est d’ailleurs pas tant l’effet indésirable lui-même que la façon de ne pas en avoir
parlé dans l’information relative au produit, destinée aux consommateurs ou aux professionnels de santé.
Mots-clés :
Causalité - Imputabilité - Effets indésirables - Information - Produit défectueux.
ABSTRACT.
The jurisprudence concerning compensation for damages due to the adverse effects of drugs has considerably evolved over the
last three years.
The legal causality and imputability of drug monitors are no longer as unrelated as in the past. The fault concerning a pharmaceutical spe-
ciality, opening the way for the right to compensation, is not as much related to the adverse effect itself but rather the way of not mentioning
it in the information concerning the product, intended for the consumer or health professionals.
Keywords:
Causality - Imputability - Adverse effects - Information - Defective product.
* Service de pharmacologie, faculté de médecine Saint-Antoine, 75012 Paris.
L
application des textes de loi ayant trait à la res-
ponsabilité peut parcourir dans le temps une
dynamique de type pendulaire. Il en est ainsi
pour la
“responsabilité du fait des produits défectueux”
où, à
partir de 1998 (moment de la transposition en droit interne de
la directive européenne relative aux
“Dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres en matiè-
re de responsabilité du fait des produits défectueux” (1)
, ins-
t a u r ant une re s p o n s abilité dite objective) jusqu’à 2003
(moment d’une décision importante de la Cour de cassation
sur ce sujet), dans toutes les affaires
(2)
jugées en référence
explicite à cette directive, les décisions rendues ont été défa-
vorables aux laboratoires pharmaceutiques mis en cause. Puis
le pendule est reparti en sens inverse. Notre propos est ici de
clarifier, à l’attention des pharmacovigilants industriels, hos-
pitaliers ou administratifs, l’évolution d’une
“jurisprudence
effets indésirables”
,permettant de comprendre les raisonne-
ments juridiques en la matière, parfois différents, parfois très
voisins de ceux d’un pharmacovigilant.
Tandis que le pharm a c o v i gilant analyse des info rm ations dans le
but de développer la connaissance du médicament, et éve n t u e l -
lement de participer à une alerte sanitaire, le magi s t rat , face à un
événement dommage a bl e , se préoccupe de terminer s’il y a
lieu de pare r, et le cas écant qui dev ra le fa i r e. Ces deux
finalités s’inscrivent dans des logiques étra n g è r es l’une à l’autre,
me si, comme nous le ve rro n s , les analyses des magi s t rats et
celles des pharm a c ov i gilants semblent s’être rap p r o c h é e s .
CE QU’IL YA DANS LE CODE CIVIL
La loi 98-389 du 19 mai 1998, transposant la directive euro-
péenne ci-dessus évoquée en droit français, a introduit dans le
Code civil (Cc) les articles suivants :
A rt i cle 1386-1 :
“Le producteur est re s p o n s able du dommage
causé par un défaut de son produit”.
Article 1386-4 :
“Un produit est défectueux lorsqu’il n’offre
pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Il
doit être tenu compte de toutes les circonstances, et notamment
de la présentation du pro d u i t , de l’usage qui peut en être ra i-
s o n n a blement at t e n d u , et du moment de sa mise en circ u l at i o n ” .
Article 1386-10 :
“Le demandeur doit prouver le dommage,
le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage”.
Article 1386-10 :
“Le producteur peut être responsable du
défaut, alors même que le produit a été fabriqué dans le respect
des règles de l’art ou de normes existantes ou qu’il a fait l’objet
d’une autorisation administrative”.
“De la posologie à la cour d’assises,
ce n’est jamais qu’une question de gouttes” M. Audiard
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A r t i cle 1386-11 :
“Le producteur est re s p o n s abl e de plein
d roit à moins qu’il ne pro u ve : … que l’état des connaissances
s c i e n t i fiques et tech n i q u e s , au moment il a mis le produit en
c i rc u l at i o n , n’a pas permis de déceler l’existence du fa u t ” .
Article 1386-13 :
“La responsabilité du producteur peut être
réduite ou supprimée,compte tenu de toutes les circonstances,
lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du
produit et par la faute de la victime...”.
La responsabilité ainsi définie est dite
“objective”
,car ne
reposant pas sur la faute du producteur. Son existence nou-
velle n’exclut pas que la victime éventuelle (le demandeur)
puisse préférer mobiliser d’autres moyens de droit classique,
par exemple la responsabilité dite
“contractuelle”
, voire
“extracontractuelle”
,pour tenter d’obtenir réparation. Mais il
lui fa u d ra , dans ce cas, m e t t re en évidence une faute de la part i e
adverse (le producteur de l’objet, le défendeur).
Ces modalités particulières de la responsabilité du fait
“des
produits défectueux”
répondent aux préoccupations des rédac-
teurs de la directive européenne,et particulièrement celle
exprimée ainsi dans ses
“considérants”
:
“considérant que
seule la responsabilité sans faute du producteur permet de
résoudre de façon adéquate le problème, propre à notre époque
de technicité croissante, d’une attribution juste des risques
inhérents à la production technique moderne”
[1]
.
La responsabilité fautive trouve, elle, ses bases, en droit fran-
çais, dans l’article 1382 du Code civil :
“Tout fait quelconque
de l’homme,qui cause à autrui un dommage, oblige celui par
la faute duquel il est arrivé, à le réparer”
,la victime devant
démontrer l’existence du dommage,de la faute et d’un lien de
causalité entre l’un et l’autre, si elle veut obtenir du tribunal
réparation de son dommage.
Mais il est apparu nécessaire, face à la complexité de la pro-
duction industrielle moderne,de dispenser la victime (le
consommateur) de cette démonstration de la faute du produc-
teur de l’objet dans sa demande de dédommagement. Les
preuves attendues d’elle dans le cadre de la responsabilité
objective sont alors celles du dommage, celle du défaut, et
celle de la relation de causalité entre l’un et l’autre.
Un tel raisonnement n’a pas manqué d’être repris par les
victimes prétendues d’effets indésirables présumés d’une spé-
cialité pharmaceutique,pour tenter d’obtenir réparation d’un
éventuel préjudice découlant de ces effets indésirables présu-
més. Intérêt de la
“responsabilité objective”
face à la
“res-
ponsabilité fautive”
,la première facilite grandement la tâche
de la victime devant la justice,ce qui est le but recherché.
LA CAUSALITÉ JURIDIQUE
Concernant la responsabilité
“pour faute”
,depuis l’origine, le
concept de causalité est fuyant. On a eu, tour à tour, recours à
deux modes de raisonnement
(3)
. Tantôt on a jugé indispen-
sable d’identifier, au moyen d’expertises, toutes les causes
nécessaires à la production du dommage, toutes étant mises
sur le même plan, car si l’une était venue à manquer,le dom-
mage ne se serait pas produit (c’est la
“causalité par équiva-
lence de conditions”
), tantôt on a choisi de sélectionner, parmi
l’enchaînement de faits conduisant au dommage, celui ou
ceux, véritablement perturbateur(s), rendant le dommage pré-
visible ou probable (c’est la
“causalité adéquate”
). Dans la
causalité adéquate, les autres facteurs sont alors rejetés,
même s’ils ont concouru faiblement à la genèse du dommage.
La responsabilité n’est bien sûr engagée que si le fait (ou les
faits) à l’origine du dommage est (sont)
“fautif(s)”
,et uni-
quement à cette condition, et si le lien de causalité entre le(s)
fait(s) et le dommage est
“direct et certain”.
Cette démonstration s’av é r ait dé parfois difficile au XIX
e
s i è c l e ,
époque de perfo r mances techniques et industrielles re l at ive m e n t
fa i bles. Elle peut s’av é r er impossible à notre époque.
Du point de vue de la re s p o n s abilidicale fa u t i ve, il conv i e n t
que la victime démontre le cara c t è r e nécessaire du fait re c o n n u
fautif dans la surve nue du pjudice, cela pour la rigueur du ra i -
sonnement. Cep e n d a n t , puisqu’une trop grande rigueur dans l’ap-
p r é c i a tion du cara c t è r e
“ d i rect et cert a i n ”
du lien de causalité a pu
s ’ av é r er faste aux inrêts des victimes, la juri s p r u d e n c e , en leur
fave u r, a conduit à quelques
“ c o n s t r uctions intellectuelles hab i l e s
( 4 ) ”
, comme par exemple la méthode du
“ f aisceau d’indices”
,
conduisant à re c o n n a î t r e lexistence de ce lien si les psomp-
t i o n s , issues d’indices présents dans le dossier, ap p a r aissent à
l ’ e xamen
“ g rave s , précises et concord a n t e s ” .
E ffe c t ive m e n t , s e l o n
l ’ a r t i c le 1353 du Code civ i l , dès lors quelles ne résultent pas d’un
t e xte de loi, les présomptions
“sont abandonnées aux lumières et
à la prudence du magi s t r at , qui ne doit admettre que des présomp-
tions grave s , pcises et concordantes”.
Mais il peut arriver que le
m a gi s t r at , dans son souci des victimes, p r o p r e à notre soc,
passe de la
“ p r u d e n c e ”
à la
“ h a r d i e s s e ”
, vo i r e au
“ l a x i s m e ”
.
CAUSALITÉ ET IMPUTABILITÉ
Le concept de causali
“ d i recte et cert a i n e ”
c o n d u i rait sou-
vent à ex o n é rer
( 5 )
une spécialité pharmaceutique de toute
re sp o n s a bilité dans la genèse de tel effet indésirable grave,
c o m p t e t e nu des doutes suscep t i ble s d’exister dans la re l at i o n
e n t r e un produit et un événement vue du côté de la pharm a c o-
v i gi l a n c e. Au t rement dit, compte tenu de la difficuld’affi r-
[1]
BOMS 84/50 du 24 janvier 1985.
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m e r, la plupart du temps, que tel effet clinique ou biologi q u e
o b s e rv é , ayant des conséquences indésirabl e s , est lié, de fa ç o n
d i r ecte et cert a i n e, au produit pharmaceutique suspecté.
À cet éga r d, du point de vue de la santé publ i q u e , le ministre
de la Santé, en Fra n c e, a rendu obl i gat o i re, pour l’exe rcice de
la pharm a c ov i gilance industri e l l e,h o s p i t a l i è re ou administra-
t i ve, le re c o u rs à une méthode d’imputation des effets inat t e n-
dus ou toxiques des médicaments
( 6 )
. Cette méthode constitue
un algo rithme décisionnel, c r oisant des cri t è res ch ro n o l o-
gi q u e s , s é m é i o l o giques et le cas échéant bibl i o grap h i q u e s ,
pour aboutir à une pro b abilicroissante de re l ation l’im-
p u t a bilipeut para î t re
“ ex cl u e ”
, est
“ d o u t e u s e ”
,
“ p l a u s i bl e ”
,
“ v r a i s e m bl abl e ”
ou
“très vra i s e m bl a bl e ”
. Pro b ab i l i s t e, elle ne
se heurte pas aux bornes de la certitude ou de l’incert i t u d e.
Sollicité ou commis pour se prononcer sur une relation de
causalité, un expert pharmacovigilant utilisera par nature
cette démarche scientifique objective. Ce n’est vraiment qu’à
partir de
“très vraisemblable”
qu’il pourrait évoquer un lien
“direct et certain”
,à l’instar des juristes… Mais il n’en a pas
besoin dans sa démarche de santé publique.
Et le juge ? Comment fait-il pour apprécier juridiquement le
lien de causali suscep t i ble d’ouvrir droit à réparat i o n , à
p a rti r d’une ex p e rt i s e ? Précisons ici que l’ex p e rt judiciaire
n’est pas pour
“ d i re le dro i t ”
, et plus précisément pour
c a ra c t é ris er les motifs conduisant à réparer ou non le préju-
dice allégué par untel, e t , dans le cas de réponse positive, q u i
d e v ra le fa i re. Il doit se borner à répondre aux questions que
le juge lui a posées. Rappelons para l l è l e m e n t , en ce qui
c o n c e r ne les re l a tions entre magi s t rat et ex p e rts judiciaire s ,
que
“le tri bunal n’est pas lié par les conclusions des ex p e rt s ,
notamment lorsque leur avis ap p a raît insuffisamment motivé et
non étayé par la documentat i o n , ou encore lorsque à des ques-
tions appelant normalement des réponses de nat u re médicale
ou scientifi q u e , ceux-ci (les ex p e rt s ) , soit ont omis de répondre,
soit ont répondu dans des termes juri d i q u e s , ce qui ne re s s o rt
nullement de leur compétence, et n’est d’aucune utilité au tri-
bu n a l , soit enfin sont restés factuels sans toutefois que les fa i t s
ainsi invoqués ne soient par ailleurs démontrés par un autre
élément que les affi rm a tions des médecins défe n d e u rs (7)”.
Il est inressant de re l eve r, à la lumière de quelques décisions
r é c e n t e s , les constructions démonstrat i ves qui ont pu être pro-
duites par les tri b unaux concernés en mat i è r e de re s p o n s abili de
fi r mes du fait d’effets insirabl e s , une fois les ex p e rts entendus.
Tout d’ab o r d, celle du tri bunal de grande instance de Nanterre
( 2 4 mai 2002) :
“Attendu… que c’est avec rigueur et ex a c t i t u d e
que les ex p e r ts ont cara c t é ris é les difficultés d’utilisation en
médecine et biologie de la notion de causalité incontestabl e,p a r
r é f é rence à celle juridique de lien de causalité directe et cert a i n e,
pour priv i l é gier une appréhension en termes de pro b a b i l i t é , p a r-
faitement utilisable en dro i t , pour perm e t t r e au tri bunal de
c o n c l u re à l’existence de présomptions suffisamment grave s , p r é-
cises et concordantes en faveur d’une pro b a bilité pertinente du
rôle causal du distilbène dans le développement ultérieur d’un
a d é n o c a rcinome chez une femme exposée in utero au distilbène
( 8 )
… Même si d’autres fa c t e u rs de risque peuvent être re n c o n-
t r é s , le produit n’en est pas moins, i c i , un facteur majeur au vu
de la réunion de cri t è res scientifiquement élaborés et ex p l i c i t é s .
Poursuivons par celle de la cour d’appel de Versailles (2 mai
2001)
( 9 )
:
“ C o n s t atant que l’étiologie de la scl é rose en plaques
demeure inconnue,que ni les expertises, ni les études scienti-
fiques ne concluent à l’existence d’une association entre la va c-
c i n a tion contre l’hépat i t e B et cette maladie,
(la Cour re l è ve ) que la possibilité d’une telle association ne peut
être exclue de façon certaine,
que Mme X était en parfaite santé jusqu’à la première injection,
qu’il existe une concordance entre la vaccination et l’appari-
tion de la maladie également constatée chez d’autres malades,
et qu’il n’y a dans le cas de Mme X aucune autre cause de
déclenchement de la maladie. Elle en déduit que le vaccin a été
le facteur déclenchant de la maladie développée par Mme X.
Le juge passe ici, insidieusement, de l’absence de certitude de
tout lien à l’absence de certitude de toute absence de lien, ce
qui est pour le moins renversant ! Ce raisonnement conduirait
à conclure par la responsabilité quasi automatique des labora-
toires pharmaceutiques.
Mais, quelque temps plus tard (quatre ans), de cette même
cour d’appel de Versailles (25 novembre 2005) :
“Considérant
que les modes de preuve s’agissant du lien de causalité entre un
acte médical et une pathologie résultent des études scienti-
fiques, en vue d’identifier les causes de la maladie,
que la preuve d’un lien de causalité direct et certain entre la
vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques ne pou-
vait être établie au regard des données acquises de la science,
qu’il n’est en effet pas possible scientifiquement de rap p o rter la
p re u ve de l’existence d’un lien de causalité dès lors que l’étio-
l ogie de la scl é rose en plaques demeure à ce jour inconnu e,e t
que ni les études, ni les ex p e r ts scientifiques ne concluent à l’ex i s-
tence d’une association entre la va c c i n ation et cette maladie,
que les études scientifiques concordantes publiées dont les résul-
t ats sont rep ris par les autorités sanitaires nationales et intern a-
tionales concluent en l’absence de toute monstration d’un rôle
causal du vaccin dans la surve nue d’une scl é rose en plaques”.
Ces deux dernières analyses issues, à quatre ans d’intervalle,
de la cour d’appel de Versailles ne sont pas, c’est un euphé-
misme, superposables. Entre-temps, la Cour de cassation
[2]
a
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pu se prononcer. L’arrêt de la Cour de cassation du 23 sep-
tembre 2003 permet de lever plusieurs ambiguïtés :
C’est au demandeur d’apporter les preuves, outre du dom-
mage, de l’existence du défaut du produit, et d’un lien de cau-
salité entre le défaut et le produit.
Il ne suffit pas qu’un lien existe entre le produit et le dom-
m age pour que la re s p o n s abi lité du producteur soit engag é e. Il
est nécessaire que ce lien soit établi avec un d é f a u t du produit.
– Face à la demande de la victime, la loi ne met pas à la ch a rge
du producteur la preuve d’une absence de défaut.
– Le défaut du produit ne peut être déduit du seul constat d’un
d o m m age observé dans les suites de la prise d’un médicament.
Il ap p a rtient aux ex p e rts d’analyser les situat i o n s , en termes de
c e r titudes ou d’incertitudes scientifi q u e s , quant à la nat u re du
fait dommage able et à l’existence d’un lien de causalité.
L’ i n c e rti tude scientifique ne se limite pas à la simple impossi-
bilide valider ou d’infi rmer une hypothèse de ri s q u e,m a i s
doit fa i re également état de l’ex i s t e n c e , le cas éch é a n t , d ’ u n e
c o n t r ove rse scientifique où plusieurs hypothèses re c e vabl e s
s ’ a f f rontent. Il ap p a rtient aux juges d’analyser ri go u re u s e m e n t
les conclusions des ex p e rts judiciaire s , sans se substituer à eux.
La réparation du dommage ne peut ni être automatiquement le
à l’ap p a r ition d’une symptomat o l o gie au décours d’une pri s e
m é d i c a m e n t e u s e , ni reposer sur le
s e u l
fondement de psomp-
tions de causali, quand bien me ces psomptions sera i e n t
graves et concordantes. Si l’état dincertitude scientifique ne per-
met de valider ni le fait nérat e u r, ni le lien de causali, il re s t e -
ra au juge à fa i r e du droit. En retenant que la
“ re s p o n s a b i l i t é
o b j e c t i ve ”
n’a pas pour but de cer une obl i g ation de
“ s é c u r i de
r é s u l t a t ”
dans lequel le producteur doit indemniser tout domma-
ge suscep t i b le de résulter de son pro d u i t , mais vise à établir
“ u n e
juste partition des risques entre la victime et le pro d u c t e u r ( c e c i
i m p l i q u a n t ) que ce dernier doive pouvoir se libérer de la re s p o n s a -
b i l i t é , s’il pro u v e l’existence de certains faits qui le déch a rge n t
[ 3 ]
” .
Po s t é r i e u re m e n t , la Cour de cassation pro d u i ra , dans son arrêt du
5 av ril 2005
( 1 0 )
,l ’ i n t é r essant veloppement ci-aps rap p o r t é :
“M. X a bien absorbé le médicament litigieux qui lui a été
prescrit.
– L’expert a souligné que le lien entre l’absorption du médica-
ment en cause et l’apparition du syndrome de Lyell était scien-
tifiquement reconnu.
M. X a veloppé ce syndrome dans le lai de 7 à 21 j o u r s ap r è s
l ’ a d m i n i s t ration du médicament, lai habituellement constat é
e n t re l’administration et la survenance de cet effet tox i q u e .
– La cessation du trouble a coïncidé avec l’arrêt de la prise du
médicament.
Le patient ne présente pas une prédisposition à cette pat h o l ogi e.
(On peut voir ici des)
motifs hypothétiques caractérisant exac-
tement le lien de causalité entre l’absorption et le dommage”.
Dans ce raisonnement, le juge s’inscrit dans le droit fil de la
méthodologie des pharmacovigilants, en reprenant les critères
séméiologiques chronologiques, pour aboutir à une imputabi-
lité
“vraisemblable”.
Très récemment, la Cour de cassation a pours u ivi son analy s e
de la
“ j u r i s p r udence effets indésirabl e s ”
dans l’arrêt du
24 janvier 2006
(11)
:
“attendu… qu’il ressortait des études épidémiologiques et de
pharmacovigilance évoquées par les experts et de l’avis même
de ces derniers que la dexfenfluramine constituait un facteur
favorisant l’HTAPP même si elle n’en était pas la cause exclu-
sive… que la suspension de l’AMM de l’Isoméride
®
était
notamment due aux cas d’HTAPP ayant entraîné des restric-
tions de pre s c r iption et à l’existence d’un rap p o r t
bénéfice/risque n’apparaissant plus favorable,
… que,dans le cas de Mme Y..., qui avait un état de santé satis-
faisant avant
(la prise)
,les experts avaient écarles autres
causes possibles d’HTAPP,
(la Cour) a pu en déduire qu’il existait des présomptions
graves,… dans le cas de Mme Y..., d’imputer l’apparition de
l’HTAPP à la prise d’Isoméride
®
”.
En l’absence de certitude du lien causal, le re c o u rs à la pre u ve
du lien de causalité par présomption, au sens de l’art i cle 1353
du Code civ i l , peut donc être admis, mais à la triple condition :
que le fait invoq puisse, au rega r d des données acquises de la
s c i e n c e ,ê t r e mat é riellement une cause générat r ice du dommage,
qu’il soit
hautement probable
(sinon certain) que ce fait
invoqué ait été à l’origine dudit dommage,
que les autres causes possibles de ce dommage aient pu être
circonscrites et exclues.
Attention : le défaut du produit n’est pas l’effet indésirable
grave, mais le fait de ne pas en avoir parlé.
ET LE “DÉFAUT” DU PRODUIT DÉFECTUEUX ?
Un produit peut présenter des défauts de toutes sortes.
La définition du défaut peut être tirée de l’article 1386-4 du
Code civil :
“Un produit est défectueux au sens du présent titre
lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement
s’attendre”
,notamment du fait de la présentation du produit,
et de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu. La
[2]
Cour de cassation : juridiction la plus élevée dans l'ordre judiciaire, dont le
rôle est de faire régner une unité d'interprétation du droit. Elle veille au respect
de la loi dans les décisions de justice, et casse celles qui violent la loi.
[ 3 ]
La directive ci-dessus identifiée exprime ceci de la même façon :
“Considérant qu'une juste répartition des risques entre la victime et le produc-
teur implique que ce dernier doive pouvoir se libérer de la responsabilité s'il
prouve l'existence de certains faits qui le déchargent”.
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“présentation du produit”
est le fait du producteur, l’
“usage
pouvant être déraisonnable”
vient du fait du consommateur.
La preuve que le produit était bien présenté, au regard de la
sécurité attendue,comme celle de l’
“usage déraisonnable”
fait par le consommateur-victime, sont à la charge du produc-
teur. Toutefois, il est possible au producteur de s’exonérer de
sa responsabilité, s’il peut prouver
“Que l’état des connais-
sances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le pro-
duit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du
défaut” (article 1386-11 Code civil)
,situation conduisant à ce
qu’il est convenu d’appeler
“risque de développement” (12)
.
Le défaut affectant une spécialité pharmaceutique va souvent
s’inscrire à la rubrique pharmacovigilance.
Déjà, le 8 avril 1986, la Cour de cassation
(13)
avait estimé
“que l’obligation de renseignements relative aux contre-indica-
tions et effets secondaires des médicaments ne peut… s’appli-
quer qu’à ce qui est connu au moment de l’introduction du
médicament sur le marché et à ce qui a été porté à la connais-
sance du laboratoire depuis cette date”, “la loi ne (mettant) pas
à la charge l’obligation de prévoir tous les risques présentés
par le médicament dans tous les cas, (lesquels pouvant être liés)
à la sensibilité particulière du malade”.
Le concept reste d’actualité, par exemple, dans cet arrêt de la
cour d’appel de Paris (23 septembre 2004) :
“La néphrite
interstitielle immuno-allergique (présentée par M. X) est en
relation directe et certaine avec l’administration du Pentasa
®
.
Il n’est pas discuque la notice ou le résumé des cara c t é ri s-
tiques du produit ne mettait pas en ga rde l’utilisateur de ce dica-
ment (ou le pre s c r ipteur) contre l’existence d’effets secondaire s ,
même ex c ep t i o n n e l s , consistant en cette atteinte rénale.
Ce défaut d’information peut être assimilé à un défaut du pro-
duit, et constitue le manquement à l’obligation de sécurité qui
pourrait être reproché au laboratoire, (mais) l’état des connais-
sances sur les effets secondaires et indésirables du Pentasa
®
,
lors de la réalisation du dommage, étant cependant limité,
aucun manquement à cette obligation (de sécurité) ne peut être
reproché (NdA : puisque ce n’est pas du fait du laboratoire, par
ignorance, négligence, ou impéritie,que les connaissances
étaient limitées).
Au demeurant, la nature immuno-allergique de l’affection subie
par M. X fait… qu’une information même complète ne l’aurait
pas nécessairement empêchée”.
Reste à s’entendre sur le sens à donner à l’ex p r ession
“ l ’ é t a t des
c o n n a i s s a n c e s ”
, en termes de pharm a c ov i gi l a n c e . Les pharm a -
c o v i gilants (industri e l s , notamment) ont à tra i t e r, dans leur pra-
t i q u e , des effets secondaires présumés, des effets secondaire s
suspecs notifi é s , des effets secondaires suspectés jamais
n o t i f iés auparava n t , des effets secondaires imputabl e s , des effe t s
s e c o n d a i r es attendus (ou prévisibl e s ) , des effets toxiques (dépen-
dant pharm a c o l ogiquement de la dose administe), des effe t s
re t e n us qui s’av è r ent ensuite, l o r s d’enquêtes compmentaire s ,
sans rap p o r t avec le produit. Toutes ces sous-cat é g o ries sont
i s s u e s , grâce à cette analy s e, et des enqtes complémentaire s ,
d’une masse d’événements insirables notifi é s , d evenant pos-
ri e u r e m e n t , soit des
e ffe t s
s e c o n d a i re s , soit des coïncidences.
Ayant l’obl i g ation de considére r , et de re t e n i r, toute info rm at i o n
utile à la santé publ i q u e , du fait de leur rôle de veille sanitaire,
les pharm a c ov i gilants industriels auraient tort de trier a pri o ri ou
r é t r o s p e c t ivement dans les cat é go ries ci-dessus énumérées et
qui fi g u r ent dans leur base de dones de pharm a c ov i gi l a n c e ,e t
dont rien ne doit dispara î t re. Mais tout ce qu’ils connaissent ne
constitue sûrement pas
“ l ’ é t a t des connaissances”
en mat i è r e
d ’ i n f o r m a tion des pro fessionnels de santé ou du publ i c.
En passant de la notion de faute (est fautif en droit, le fait de
ne pas avoir informé convenablement le patient, directement
ou par le truchement de son médecin), à la notion de défaut,
l’éventail des facteurs de responsabilité a-t-il vu se modifier
son écartement ?
Que doit-on entendre par la périphrase
“la sécurité à laquelle
on peut légitimement s’attendre” ?
Affinons l’évaluation à la lecture de différents jugements :
“Aucune responsabilité ne peut être retenue à l’encontre du
laboratoire, dès lors… Que les effets indésirables, malheureu-
sement réalisés au cas d’espèce,étaient signalés dans la notice
d ’ u t i l i s ation du pro d u i t ”
( t r i bunal de grande instance
d’Ajaccio, 8 septembre 2003).
Cela a le mérite d’être clair.
Sur le caractère défectueux d’un produit, le TGI de Bordeaux
(11 mai 2005) considère :
“Tout fabricant est tenu de livrer un produit exempt de tout
défaut de nature à causer un danger, c’est-à-dire un produit qui
offre la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ;
dans l’appréciation de la sécurité, il doit être tenu compte de
toutes les circonstances et notamment de la présentation du
produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et
du moment de sa mise en circulation.
Un dicament est un produit pharmaceutique à visée théra-
peutique qui contient des substances actives entraînant par défi n i -
tion des effets dive r s sur l’organisme et peut être intri n s è q u e m e n t
d a n g e re u x ; il ne peut être soutenu qu’un dicament ne doit
jamais comporter d’effet indésirable pour être commerc i a l i s a bl e.
En l’espèce,le seul fait que l’Halfan
®
entraîne des troubles
du rythme cardiaque ne peut constituer un défaut du produit.
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