La Lettre du Pharmacologue - Volume 20 - n° 1 - janvier-février-mars 2006
7
D
O S S I E R
m e r, la plupart du temps, que tel effet clinique ou biologi q u e
o b s e rv é , ayant des conséquences indésirabl e s , est lié, de fa ç o n
d i r ecte et cert a i n e, au produit pharmaceutique suspecté.
À cet éga r d, du point de vue de la santé publ i q u e , le ministre
de la Santé, en Fra n c e, a rendu obl i gat o i re, pour l’exe rcice de
la pharm a c ov i gilance industri e l l e,h o s p i t a l i è re ou administra-
t i ve, le re c o u rs à une méthode d’imputation des effets inat t e n-
dus ou toxiques des médicaments
( 6 )
. Cette méthode constitue
un algo rithme décisionnel, c r oisant des cri t è res ch ro n o l o-
gi q u e s , s é m é i o l o giques et le cas échéant bibl i o grap h i q u e s ,
pour aboutir à une pro b abilité croissante de re l ation où l’im-
p u t a bilité peut para î t re
“ ex cl u e ”
, est
“ d o u t e u s e ”
,
“ p l a u s i bl e ”
,
“ v r a i s e m bl abl e ”
ou
“très vra i s e m bl a bl e ”
. Pro b ab i l i s t e, elle ne
se heurte pas aux bornes de la certitude ou de l’incert i t u d e.
Sollicité ou commis pour se prononcer sur une relation de
causalité, un expert pharmacovigilant utilisera par nature
cette démarche scientifique objective. Ce n’est vraiment qu’à
partir de
“très vraisemblable”
qu’il pourrait évoquer un lien
“direct et certain”
,à l’instar des juristes… Mais il n’en a pas
besoin dans sa démarche de santé publique.
Et le juge ? Comment fait-il pour apprécier juridiquement le
lien de causalité suscep t i ble d’ouvrir droit à réparat i o n , à
p a rti r d’une ex p e rt i s e ? Précisons ici que l’ex p e rt judiciaire
n’est pas là pour
“ d i re le dro i t ”
, et plus précisément pour
c a ra c t é ris er les motifs conduisant à réparer ou non le préju-
dice allégué par untel, e t , dans le cas de réponse positive, q u i
d e v ra le fa i re. Il doit se borner à répondre aux questions que
le juge lui a posées. Rappelons para l l è l e m e n t , en ce qui
c o n c e r ne les re l a tions entre magi s t rat et ex p e rts judiciaire s ,
que
“le tri bunal n’est pas lié par les conclusions des ex p e rt s ,
notamment lorsque leur avis ap p a raît insuffisamment motivé et
non étayé par la documentat i o n , ou encore lorsque à des ques-
tions appelant normalement des réponses de nat u re médicale
ou scientifi q u e , ceux-ci (les ex p e rt s ) , soit ont omis de répondre,
soit ont répondu dans des termes juri d i q u e s , ce qui ne re s s o rt
nullement de leur compétence, et n’est d’aucune utilité au tri-
bu n a l , soit enfin sont restés factuels sans toutefois que les fa i t s
ainsi invoqués ne soient par ailleurs démontrés par un autre
élément que les affi rm a tions des médecins défe n d e u rs (7)”.
Il est intéressant de re l eve r, à la lumière de quelques décisions
r é c e n t e s , les constructions démonstrat i ves qui ont pu être pro-
duites par les tri b unaux concernés en mat i è r e de re s p o n s abilité de
fi r mes du fait d’effets indésirabl e s , une fois les ex p e rts entendus.
Tout d’ab o r d, celle du tri bunal de grande instance de Nanterre
( 2 4 mai 2002) :
“Attendu… que c’est avec rigueur et ex a c t i t u d e
que les ex p e r ts ont cara c t é ris é les difficultés d’utilisation en
médecine et biologie de la notion de causalité incontestabl e,p a r
r é f é rence à celle juridique de lien de causalité directe et cert a i n e,
pour priv i l é gier une appréhension en termes de pro b a b i l i t é , p a r-
faitement utilisable en dro i t , pour perm e t t r e au tri bunal de
c o n c l u re à l’existence de présomptions suffisamment grave s , p r é-
cises et concordantes en faveur d’une pro b a bilité pertinente du
rôle causal du distilbène dans le développement ultérieur d’un
a d é n o c a rcinome chez une femme exposée in utero au distilbène”
( 8 )
… Même si d’autres fa c t e u rs de risque peuvent être re n c o n-
t r é s , le produit n’en est pas moins, i c i , un facteur majeur au vu
de la réunion de cri t è res scientifiquement élaborés et ex p l i c i t é s .
Poursuivons par celle de la cour d’appel de Versailles (2 mai
2001)
( 9 )
:
“ C o n s t atant que l’étiologie de la scl é rose en plaques
demeure inconnue,que ni les expertises, ni les études scienti-
fiques ne concluent à l’existence d’une association entre la va c-
c i n a tion contre l’hépat i t e B et cette maladie,
(la Cour re l è ve ) que la possibilité d’une telle association ne peut
être exclue de façon certaine,
que Mme X était en parfaite santé jusqu’à la première injection,
qu’il existe une concordance entre la vaccination et l’appari-
tion de la maladie également constatée chez d’autres malades,
et qu’il n’y a dans le cas de Mme X aucune autre cause de
déclenchement de la maladie. Elle en déduit que le vaccin a été
le facteur déclenchant de la maladie développée par Mme X.”
Le juge passe ici, insidieusement, de l’absence de certitude de
tout lien à l’absence de certitude de toute absence de lien, ce
qui est pour le moins renversant ! Ce raisonnement conduirait
à conclure par la responsabilité quasi automatique des labora-
toires pharmaceutiques.
Mais, quelque temps plus tard (quatre ans), de cette même
cour d’appel de Versailles (25 novembre 2005) :
“Considérant
que les modes de preuve s’agissant du lien de causalité entre un
acte médical et une pathologie résultent des études scienti-
fiques, en vue d’identifier les causes de la maladie,
que la preuve d’un lien de causalité direct et certain entre la
vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques ne pou-
vait être établie au regard des données acquises de la science,
qu’il n’est en effet pas possible scientifiquement de rap p o rter la
p re u ve de l’existence d’un lien de causalité dès lors que l’étio-
l ogie de la scl é rose en plaques demeure à ce jour inconnu e,e t
que ni les études, ni les ex p e r ts scientifiques ne concluent à l’ex i s-
tence d’une association entre la va c c i n ation et cette maladie,
que les études scientifiques concordantes publiées dont les résul-
t ats sont rep ris par les autorités sanitaires nationales et intern a-
tionales concluent en l’absence de toute démonstration d’un rôle
causal du vaccin dans la surve nue d’une scl é rose en plaques”.
Ces deux dernières analyses issues, à quatre ans d’intervalle,
de la cour d’appel de Versailles ne sont pas, c’est un euphé-
misme, superposables. Entre-temps, la Cour de cassation
[2]
a