D ossier thématique Transplantation d’organes prélevés sur des donneurs décédés après arrêt cardiaque Coordinateur : B. Barrou Prélèvements sur donneurs décédés après arrêt cardiaque : l’expérience des urgentistes Out-of-hospital management of non-heartbeating donors: emergency physician point of view ● F. Adnet*, R. Dufau*, F. Roussin**, F. Lapostolle* L’ M OT S - C L É S Prélèvements d’organes Donneurs décédés après arrêt cardiaque Samu Préhospitalier K EYWORDS Non-heart-beating donnors Samu Prehospital * Urgences, Samu 93, hôpital Avicenne, Bobigny. ** Département d’anesthésie et de réanimation, hôpital Saint-Louis, Paris. Agence de biomédecine (ABM) a mis en œuvre, dans le cadre d’une étude de faisabilité, un protocole de prélèvement d’organe à partir de donneurs décédés après arrêt cardiaque (DDAC). Ce protocole a été rédigé en 2005 par un comité de pilo­ tage impliquant des professionnels des secours préhospitaliers, du prélèvement et de la greffe. Neuf sites hospitaliers ont été autorisés à démarrer cette activité après signature d’une convention avec l’ABM (incluant, pour l’Île­de­France, les hôpitaux de la Pitié­Salpêtrière, Saint­Louis et Bicêtre) en collaboration avec les Samu limitrophes de ces établis­ sements. Samu de France, organisation représentative de l’ensemble des Samu, a réuni son comité scientifique et s’est inscrit dans cette nouvelle activité en publiant des recommandations. PROtOCOLe PRéhOSPItaLIeR Critères d’inclusion Le programme prévoit des critères de sélection des donneurs stricts et le respect des délais d’ischémie chaude et froide. Le protocole incluait tous les patients entre 18 et 55 ans en arrêt cardio­respira­ toire (ACR) réfractaire et répondant aux classes I et II de Maastricht (tableau). L’ACR réfractaire était défini par un ACR ne répondant pas à une réanimation d’au moins 30 minutes. Le patient, pour être proposé dans le protocole de DDAC, ne devait plus être le sujet de projet théra­ peutique et en particulier, de critères qui auraient pu le rendre éligible pour une technique d’assistance ventriculaire à 48 visée thérapeutique (ECMO). Ces critères d’éligibilité à l’ECMO comportent une durée de no-flow inférieure à 5 minutes, l’existence de signes de vie (réflexes du tronc cérébral, ventilation spontanée), une durée de low-flow inférieure à 100 minutes, et une ETCO2 supérieure à 10 mmHg) [1]. Les ACR d’origine toxique ou accompagnés d’hypothermie étaient exclus. Les donneurs potentiels à risque étaient également exclus (anté­ cédent de maladie rénale, d’HTA, de diabète ou de cancer). De même, les ACR après hémorragie importante dans un contexte de polytraumatisme étaient exclus. Dans la pratique, tous les poly­ traumatismes associés à un haut transfert d’énergie étaient exclus. Le temps d’is­ chémie chaude définie comme la durée de l’ACR sans massage cardiaque devait être inférieur à 30 minutes. Le temps entre le début de l’ACR et la mise en place des moyens de préservation rénale devait être inférieur à 150 minutes. aCtIvIté dePUIS 2006 Le premier receveur a été greffé le 20 novembre 2006 à partir d’un DDAC. Un bilan à deux ans (2007­2008) a récemment été présenté par l’ABM. Deux cents patients ont été recensés, 114 donneurs n’ont pas été prélevés (57 %). Parmi les 86 donneurs prélevés, il y a eu 98 reins greffés chez 95 rece­ veurs. Soixante et onze pour cent des donneurs étaient classés dans la caté­ gorie I de Maastricht. L’âge moyen des donneurs était de 41 ± 9 ans. Le Courrier de la Transplantation - Volume IX - n o 2 - avril-mai-juin 2009 D ossier thématique Tableau. Classification de Maastricht. Classification de Maastricht I Personnes faisant un arrêt cardiaque en dehors de tout contexte de prise en charge médicalisée et pour lesquelles le prélèvement d’organes ne pourra être envisagé que si la mise en œuvre de gestes de réanimation de qualité a été réalisée moins de 30 minutes après l’arrêt cardiaque. II Personnes faisant un arrêt cardiaque en présence de secours qualifiés, aptes à réaliser un massage cardiaque et une ventilation mécanique efficace, mais dont la réanimation ne permettra pas une récupération de l’hémodynamique. III Personnes hospitalisées pour lesquelles une décision d’un arrêt de traitement est prise en raison de leur pronostic. IV Personnes décédées en mort encéphalique qui font un arrêt cardiaque irréversible au cours de la prise en charge de réanimation. L’expérience du Samu de Seine-SaintDenis, récemment publiée, mettait en évidence un respect des délais, puisque dans ce centre, tous les DDAC ont été amenés en moins de 155 minutes dans le centre receveur (2). Cette procédure a posé peu de problèmes techniques, mais a soulevé de nombreuses questions éthiques fondamentales. En effet, au cours de la procédure, le médecin urgentiste du Samu passe du statut de médecin qui tente de sauver la vie de son patient à celui d’utilisateur du décès pour le bénéfice d’un autre individu. Il peut par conséquent, à un moment donné, se retrouver dans une situation de conflit d’intérêt, opposant le service rendu à l’individu à celui de la collectivité (3). Ce point peut soulever, tant pour l’équipe soignante que pour les proches du défunt, des interroga­ tions sur la durée suffisante, la qualité des manœuvres initiales et l’adaptation des critères de décision d’arrêt des soins au cas particulier du patient. Cela peut introduire un doute quant à la volonté de sauver le patient ou celle de se procurer les organes (3). En tout état de cause, ce protocole n’interférait pas avec les soins prodigués au patient et tout était mis en œuvre pour le bénéfice du patient victime d’un ACR. Le prélèvement ne pouvait s’envisager que s’il n’existait plus de projet thérapeutique et seulement si le patient était considéré cliniquement décédé par le médecin responsable des soins. C’est pourquoi la procédure ne reposait que sur la volonté du médecin urgentiste prenant en charge le malade. En aucun cas, la régulation du Samu ou l’intervention d’autres médecins hospita­ liers n’influençaient sa décision. En parti­ culier, la procédure DDAC ne pouvait pas être anticipée avant la demande explicite du médecin urgentiste. Tandis que la mort encéphalique corres­ pond à une définition autorisant l’arrêt de la réanimation alors même que les actes techniques nécessaires à la préservation des organes en vue d’un prélèvement se poursuivent, pour la mort par arrêt cardiaque, la validité du constat est essentiellement liée à la conviction de l’inefficacité des manœuvres de réanima­ tion. L’existence de nouvelles méthodes de réanimation et en particulier l’ECMO ont permis d’élargir les projets thérapeu­ tiques dans le cadre de l’ACR réfrac­ taire (4). L’ECMO a été proposé comme thérapeutique d’exception dans la prise en charge des ACR réfractaires dans 3 études (tableau) [4-6]. Ces études, sur la prise en charge précoce des ACR réfractaires par l’ECMO, ont mis en évidence des taux de survie compris entre 18 et 48 % avec une moyenne de 25 %. Ce taux contraste avec les résultats d’une prise en charge classique des ACR préhospitaliers en France. En effet, la survie sans séquelle neurologique oscille entre 1 et 3 % à 1 an avec une moyenne de 1,4 % pour 6 594 patients en ACR en milieu préhospitalier dans 3 études de 1999 à 2008 (7-9). Cette différence s’explique naturellement par la présence de critères très sélectifs pour inclure les patients pour une ECLS à visée théra­ peutique. En particulier, dans l’étude de 49 M. Massetti et al., il n’y avait qu’une petite minorité de patients victimes d’un ACR extra-hospitalier (12 %) [4]. La possibilité d’une assistance circula­ toire provoque donc un changement de paradigme sur la façon de considérer un ACR comme réfractaire, puisque l’espoir de récupérer une activité cérébrale satis­ faisante devient alors l’élément principal de la décision (1). Alors que le médecin urgentiste était habitué à développer une réflexion sur un arrêt des soins fondé sur l’évaluation cardiaque, la constata­ tion de décès ne repose plus que sur une absence de possibilité de récupération neurologique a priori. C’est pourquoi un groupe d’experts a publié des critères stricts d’éligibilité de patients pour une technique d’ECMO, ne permettant pas la possibilité d’une éventuelle dérive de s’installer. Ces critères pourront être réévalués à la lumière des premiers résul­ tats en termes de survie sans séquelle pour la technique d’ECMO lors d’ACR réfractaires préhospitaliers. CONCLUSION L’expérience des Samu démontre la faisabilité des prélèvements rénaux sur personnes décédés après un arrêt cardiaque. Ce type de prélèvement a permis d’augmenter significativement le nombre de greffons fonctionnels. ■ R é f é r e n c e s b i b l i o g r a p h i q u e s 1. Conseil français de réanimation cardio­ pulmonaire ; Société française d’anesthésie et de réanimation ; Société française de cardiologie et al. Guidelines for indications for the use of extracorporeal life support in refractory cardiac arrest. Ann Fr Anesth Reanim 2009;28:182-90. 2. Adnet F, Dufau R, Roussin F et al. Feasibility of out-of-hospital management of non-heart-beating donors in Seine-Saint-Denis: one year retrospective study. Ann Fr Anesth Reanim 2009;28:124-9. 3. Guerrier M. Les prélèvements à cœur arrêté : enjeux éthique. AP-HP espace éthique 2006. www.espace-ethique.org Retrouvez l’intégralité des références bibliographiques sur www.edimark.fr Le Courrier de la Transplantation - Volume IX - n o 2 - avril-mai-juin 2009 D ossier thématique Prélèvements sur “donneurs décédés après arrêt cardiaque” : l’expérience des urgentistes Références bibliographiques, suite de la p. 49 4. Massetti M, Tasle M, Le Page O et al. Back from irreversibility: extracorporeal life support for prolonged cardiac arrest. Ann Thorac Surg 2005;79:178-83;discussion 83-4. 5. Chen JS, Ko WJ, Yu HY et al. Analysis of the outcome for patients experiencing myocardial infarction and cardiopulmonary resuscitation refractory to conventional therapies necessitating extracorporeal life support rescue. Crit Care Med 2006;34:950-7. 6. Megarbane B, Leprince P, Deye N et al. Emergency feasibility in medical intensive care unit of extracorporeal life support for refractory cardiac arrest. Intensive Care Med 2007;33:758-64. 7. Gueugniaud PY, David JS, Chanzy E, Hubert H, Dubien PY et al. Vasopressin and epinephrine 89 versus epinephrine alone in cardiopulmonary resuscitation. N Engl J Med 2008;359(1): 21-30. 8. Gueugniaud PY, Mols P, Goldstein P et al. A comparison of repeated high doses and repeated standard doses of epinephrine for cardiac arrest outside the hospital. European Epinephrine Study Group. N Engl J Med 1998;339:1595-601. 9. Plaisance P, Adnet F, Vicaut E et al. Benefit of cardiopump as a prehospital advanced cardiac life support: a randomized multicenter study. Circulation 1997;95:955-61. Le Courrier de la Transplantation - Volume IX - n o 2 - avril-mai-juin 2009