G Y N É C O L O G I E E T S O C I É T É La césarienne ● O. Féraud* omment devons-nous réagir devant une demande de césarienne de convenance ou devant un refus d’être césarisée ? Quels sont les droits du praticien devant les exigences discutables de la patiente, et quels sont les droits de la patiente devant les choix exprimés par son praticien ? Telles sont les questions auxquelles devaient répondre les orateurs du débat sur la césarienne lors du 6e congrès “Éthique, religion, droit et reproduction”, présidé par le Dr Jean Cohen. C LA CÉSARIENNE DE CONVENANCE (I. Nisand) Le taux de césariennes varie dans le monde d’un extrême à l’autre, avec 32 % au Brésil et seulement 6 % en Hollande. Il va en augmentant en France, avec un taux d’environ 16 %, alors qu’il est en diminution aux États-Unis. La mortalité maternelle liée à la césarienne est actuellement, en France, de 2 pour 10 000 patientes. Le risque de mortalité maternelle par césarienne est multiplié par 7 par rapport à un accouchement par voie basse ; ce risque s’abaisse à 5 si l’on exclut les patientes césarisées pour pathologie maternelle. La mortalité liée à la césarienne en urgence est 4 fois supérieure à celle due à une césarienne programmée ; l’âge intervient également : au-delà de 30 ans, le risque de mortalité est multiplié par 30. La morbidité maternelle postchirurgicale est 3 fois plus importante que pour un accouchement par voie basse ; les deux grandes complications de la césarienne sont les infections et les thromboembolies à court terme. À long terme, il existe une diminution de la fécondité estimée à 11 %, une augmentation du risque d’hystérectomie d’hémostase en urgence (risque multiplié par 18), un risque de rupture utérine au cours d’une autre grossesse (1 sur 1 500) et en cours de travail (1 sur 100), et enfin un risque de placenta accreta et de placenta praevia. La mortalité périnatale a diminué de façon concomitante à l’augmentation des taux de césariennes, sans qu’aucune étude puisse affirmer un lien entre ces deux données. Toutefois, l’orateur rappelle que ce taux est le plus faible en Hollande, où le taux de césariennes est le plus bas d’Europe. La morbidité néonatale liée à la césarienne est marquée par 3 à 5 % de détresse respiratoire par défaut transitoire de résorption pulmonaire. * Service de gynécologie-obstétrique, hôpital Bichat-Claude-Bernard, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris Cedex 18. 14 Compte tenu de ces différentes données, Israël Nisand expose ses arguments pour et contre une césarienne de convenance. ARGUMENTS POUR UNE CÉSARIENNE DE CONVENANCE • Prévention du risque médico-légal : c’est le plus souvent le défaut de césarienne qui est reproché lors de l’expertise des dossiers obstétricaux. Aux 5es Journées de l’expertise et de la responsabilité médicale à Dijon, en 1989, sur dix dossiers de plainte de patientes pour césarienne “abusive” à leurs yeux, les juges n’ont pas retenu de sanction contre le praticien en considérant que ces césariennes étaient justifiées. En ce qui concerne la césarienne de convenance, le praticien doit fournir une information complète et comprise sur les risques de l’intervention, permettant d’obtenir le consentement éclairé de sa patiente, car il n’existe actuellement aucune jurisprudence qui permette de justifier la pratique d’une telle césarienne. • Prévention des déchirures périnéales et des troubles pelviens à long terme : parmi les patientes ayant accouché par voie basse, 50 % présentent un élément de prolapsus, mais seulement 10 à 20 % sont symptomatiques. Une incontinence urinaire dans le postpartum apparaît dans plus de 15 % des cas ; 20 à 45 % des femmes auront une lésion anatomique du sphincter anal, avec 5 à 10 % d’incontinence anale en postpartum après un accouchement par voie basse. Quarante pour cent des patientes ressentent des douleurs ou ont une gêne sexuelle après une épisiotomie, 20 % après une déchirure suturée du périnée contre 13 % en cas de césarienne. • Prévention de la mort fœtale in utero et de l’asphyxie perpartale : celle-ci serait responsable de 10 % des infirmités cérébrales. • Âge : le taux de césariennes augmente avec l’âge de la patiente, mais également le risque de mortalité maternelle. ARGUMENTS CONTRE UNE CÉSARIENNE DE CONVENANCE • Augmentation de la mortalité et de la morbidité maternelles due à l’intervention. • Risque pédiatrique : un risque de résorption lente complique 3 à 5 % des césariennes avant tout début de travail. • Aspect sociologique des césariennes de convenance : celles-ci seraient réservées à des femmes de statut social, intellectuel et surtout économique élevé. La césarienne de convenance deviendrait La Lettre du Gynécologue - n° 252 - mai 2000 un luxe, comme c’est déjà le cas au Brésil, où seules les patientes du secteur privé peuvent en bénéficier. • Augmentation des coûts de santé : aux États-Unis, le coût d’une césarienne de convenance est de 1,66 à 2,44 fois supérieur à celui d’un accouchement par voie basse. Pour Israël Nisand, l’autonomie maternelle est à considérer. Notre rôle de médecin consiste non pas en un rôle de prestataire de services, même après un consentement éclairé pour la césarienne de convenance, mais en un rôle de conseiller, en indiquant à la patiente quels sont ses intérêts et ceux de son enfant. Enfin, tout comme il existe une autonomie maternelle, le médecin est autonome et peut diriger sa patiente vers un confrère s’il juge sa requête injustifiée. LA PLACE DE LA PATIENTE DANS LA DÉCISION THÉRAPEUTIQUE (M. de Guillenchimdt, avocat à la Cour) En termes de droit, une nouvelle approche s’est développée depuis quelques années en faveur d’une plus grande autonomie des patientes en matière de choix thérapeutique. Quelle est actuellement la place des patientes dans le choix ou non de la césarienne ? Vis-à-vis de sa patiente, le médecin a certaines obligations : – il doit donner une information “claire et appropriée”, qui doit être “simple, intelligible et loyale pour permettre au malade de prendre la décision qu’il estime s’imposer” ; – il doit l’informer de tous les risques de la césarienne, même exceptionnels ; – ensuite, il se doit d’obtenir un consentement libre et éclairé de sa patiente. Concernant le devoir d’information, c’est au médecin qu’il incombe de prouver qu’il a bien exécuté son obligation. La jurisprudence demande des preuves au médecin : la meilleure reste le document écrit et signé par les deux parties. La patiente participe à la décision thérapeutique et peut refuser le traitement proposé, comme ici dans le cas d’une césarienne. Article 36 du nouveau Code de déontologie médicale : “lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences”. Cela sous-entend que le médecin ne doit accepter le refus de soin qu’après avoir mis en œuvre tous les moyens de nature à faire comprendre à la patiente les conséquences de son refus. Une fois les explications données et comprises par la patiente, le refus ne peut être transgressé ; le praticien n’a donc plus le pouvoir absolu de la décision thérapeutique, il se doit de respecter la volonté de la patiente. Dans le cadre de l’urgence, il faut théoriquement obtenir le consentement éclairé de la patiente ; cependant, en pratique, l’urgence modifie le contenu de l’information. Celle-ci peut être donnée de façon sommaire avant l’acte chirurgical. Il ne faut pas oublier que, devant une hémorragie sur un placenta praevia ou sur un décollement placentaire ou devant une rupture utérine sur un utérus cicatriciel, il existe un péril. Le médecin est alors tenu d’une obligation légale. L’article 9 du Code de déontologie médicale fait en effet obligation à tout médecin qui se trouve en présence d’un malade en péril de lui porter assistance ; s’il s’absLa Lettre du Gynécologue - n° 252 - mai 2000 tient d’intervenir, il encourt des sanctions pénales pour non-assistance à personne en danger. La patiente dispose donc d’un droit à la codécision de césarienne, les pouvoirs législatif et judiciaire veillant au respect de sa volonté. En urgence, l’autonomie de la femme ne peut pas toujours être respectée ; il incombe au praticien de réaliser la césarienne quand elle semble nécessaire au bien-être maternel et fœtal. En fait, en instaurant un dialogue avec des informations claires et loyales tout au long du suivi de la grossesse, la patiente se sentira en confiance avec son gynéco-obstétricien et suivra ses conseils en termes de choix thérapeutique. LES DROITS DE LA PATIENTE DANS LA DÉCISION THÉRAPEUTIQUE (A. Garay, avocat à la Cour) Maître Garay s’est tout d’abord intéressé à l’évolution de nos patientes et de nos relations avec celles-ci au cours de ces dernières années. Il existe une “crise” de la relation patiente-médecin, qui résulte peut-être d’une ère de “paternalisme médical”, où le malade devenait une personne passive et assistée. Cette tradition “paternaliste” semble responsable de rapports conflictuels entre les deux parties, le malade devenant soupçonneux, voire procédurier. Ce temps semble être en train de se terminer avec l’apparition de mouvements d’émancipation qui réclament la délégation des pouvoirs et une plus grande part d’autodétermination pour les patients. Il devenait alors urgent d’instaurer de nouvelles bases entre le patient et le médecin, fondées sur un échange d’informations et de prise de décision, sans pour autant réduire la relation à celle d’un échange de produits ou de services. La relation soignant-soigné subit les effets de la médiatisation de la médecine, celle-ci entraînant un changement de comportement chez les patientes. Ces dernières sont demandeuses de nouveaux soins, de technologies nouvelles et d’une plus grande consommation de produits pharmaceutiques. Malgré l’esprit contentieux des patientes, contre toute attente, cet aspect de la responsabilité médicale est marginal comparé au volume de l’activité médicale. Et, contrairement aux espoirs des victimes et aux craintes infondées des médecins, il n’existe pas de réparation automatique des ces torts causés par l’activité médicale à travers des décisions de juridictions suprêmes en termes de responsabilité médicale. Un nouvel équilibre entre le médecin et sa patiente doit être trouvé, fondé sur une relation non plus passive mais active, avec un échange d’informations claires et loyales. Le conseil d’État et la Cour de cassation, en 1997 et en 2000, ont décidé que les soignants sont tenus d’informer les patients des risques médicaux, même exceptionnels. Cette tendance concernant les deux partenaires va de pair avec le partage de la responsabilité de la maladie et de la santé. Cependant, il incombe au corps médical de faire la preuve du consentement éclairé des patients. Il existe, à ce propos, un désaccord sur les modalités pratiques du recueil des informations et du consentement éclairé. Lors d’une césarienne de convenance, le terme convenance n’intéresse pas le juriste : seul l’acte sera jugé. Aussi, devant une 15 G Y N É C O L O G I telle demande, alors que rien ne contre-indique l’accouchement par les voies naturelles, devrait-elle être refusée par le praticien, compte tenu des risques spécifiques qu’elle présente. Il faut veiller à ce que le médecin ne devienne pas un prestataire de services avec un encouragement à la césarienne systématique. La pratique du médecin gynéco-obstétricien a évolué depuis ces dernières années. Plutôt que de voir le côté agressif ou procédurier des patientes, il faut se tourner vers une nouvelle éthique de l’information qui contribue au partage des responsabilités dans un climat de confiance, de clarté et de réciprocité. LES DROITS DE L’OBSTÉTRICIEN (P. Madelenat) Quels sont les droits de l’obstétricien à imposer ou à refuser une césarienne à une patiente ? L’orateur a distingué plusieurs types de situation selon la notion d’urgence ou non. Avant d’envisager les différents “cas cliniques”, il faut rappeler que la place du fœtus en tant que personne varie d’un pays à l’autre ; en France, deux affaires de jurisprudence nous amènent à considérer le fœtus comme un être humain dès le début de la vie, ce qui n’est pas forcément le cas aux États-Unis. L’obstétricien peut effectivement convenir du bien-fondé de la demande de césarienne de convenance compte tenu des risques périnéaux et des risques de souffrance pernatale lors d’un accouchement par les voies naturelles. Malheureusement, l’évaluation des risques réels d’un accouchement par voie basse varie d’une maternité à l’autre ou d’une étude à une autre, sans qu’il soit vraiment possible d’obtenir de “vrais chiffres”. • En dehors du travail, le médecin peut s’appuyer sur deux arguments pour refuser une demande de césarienne de convenance. Le premier argument est celui de la raison proportionnée, qui interdit au médecin d’intervenir si la demande de la patiente comporte plus de risques prévisibles que de bénéfice escompté. Le deuxième est celui de la clause de conscience, qui laisse au médecin, hors contexte d’urgence, la possibilité de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. En Grande-Bretagne, la situation est identique, puisque la patiente ne peut imposer un acte contre son gré à son médecin. En revanche, en Italie, la patiente a le choix de son mode d’accouchement, et pourrait donc imposer la pratique d’une césarienne de convenance à son obstétricien. Contre toute attente, le taux de césariennes de convenance en Italie est faible (seulement 4 %). Suite à une enquête parmi les femmes obstétriciennes londoniennes, qui préconiseraient une césarienne systématique sur un fœtus unique en présentation céphalique dans 31 % des cas, Paterson-Brown considère que l’on doit se plier à la demande de la patiente compte tenu des risques périnéaux, du risque des grossesses prolongées et de la dystocie perpartum après avoir donné des explications claires et loyales sur les risques et conséquences de la césarienne. Cet article a fait l’objet d’une controverse dans le British Medical Journal ; la majorité des auteurs obstétriciens anglosaxons avaient un avis contraire à celui de Paterson-Brown, refusant de pratiquer une césarienne systématique sur une primipare sans contre-indication à un accouchement par les voies naturelles. En France, dans une situation où l’accouchement comporte des 16 E E T S O C I É T É risques particuliers et quantifiables (présentation du siège, grossesse gémellaire, macrosomie fœtale), Patrick Madelenat trouve difficile de ne pas répondre favorablement à la demande de césarienne. Et lorsque la raison de la demande d’accouchement par voie haute par la patiente est le risque de dégâts périnéaux, il peut sembler raisonnable d’accepter sa requête lorsque l’on met en balance ces risques et ceux d’une césarienne programmée. Lorsque la situation est inverse, à savoir que la patiente refuse la césarienne avant tout début de travail, le médecin occupe une place difficile à gérer. Il peut s’aider de l’article 36-2 du Code de déontologie et de l’article 16-3 du Code civil : “Le médecin ne doit accepter le refus de soins qu’après avoir mis en œuvre tous les moyens de nature à faire prendre au patient la véritable mesure des conséquences de son refus”. Il faut donc tenter de fléchir l’avis de sa patiente, mais le médecin ne peut passer outre son refus, sauf si l’autonomie de sa patiente se heurte au principe de l’assistance à personne en péril, soit le fœtus. La jurisprudence n’apporte pas de réponse franche. Le médecin doit alors trancher entre son obligation d’intervention sur la personne du fœtus et le respect de la volonté de sa patiente. Dans ce contexte, il faut opter pour le dialogue direct avec la patiente. Lorsque celui-ci est bloqué avec le praticien, la patiente refusant toujours l’intervention malgré les explications, il faut alors lui conseiller de prendre l’avis médical d’un autre confrère. • Pendant la période du travail, devant une demande de césarienne par la patiente, les droits de l’obstétricien sont très flous. On peut supposer que la demande fait suite à un travail difficile ou à des anomalies du rythme cardiaque fœtal, auquel cas elle ne fait que précéder la décision de l’obstétricien devant une telle situation. Mais lorsque la demande ne repose sur aucune justification, le médecin se trouve en situation très délicate, et ne peut défendre sa position que par un dialogue persuasif. Lors d’un refus de césarienne par la patiente en situation d’urgence, le médecin peut s’appuyer sur l’article 9 du Code de déontologie médicale et l’article 223-6 du Code pénal. Il doit agir pour le bien de son malade sans obligation d’obtenir son consentement puisque, en cas d’urgence, celui-ci disparaît. Le bien-être du fœtus est également à considérer d’après l’article 16 du Code civil dans la décision thérapeutique ; en cas de souffrance fœtale aiguë, il existe une situation de sauvetage d’un être humain (le fœtus) requérant une césarienne en urgence, sans nécessité d’obtenir le consentement maternel. Cette position n’est pas celle des pays anglo-saxons, où le fœtus ne constitue pas une base légale pour agir contre le consentement maternel, d’autant plus que les auteurs anglo-saxons n’agissent pas contre le gré de leur patiente, même en cas d’urgence. Leur avis est plus mitigé lorsque l’indication de la césarienne est materno-fœtale, auquel cas l’obstétricien pourrait forcer la décision de sa patiente. En France, nos droits d’obstétriciens devant un refus de césarienne en urgence ou devant une demande de césarienne de convenance sont clairement établis par le Code de déontologie médicale ou par le Code pénal. La patiente ne peut contraindre son praticien à une césarienne de convenance. Cependant, devant certains arguments (macrosomie fœtale, présentation du siège, grossesse gémellaire, risque de dégâts périnéaux), il revient à chacun de répondre selon sa conscience médicale. ■ La Lettre du Gynécologue - n° 252 - mai 2000