16 CHAPITRE 1. NOMBRES PREMIERS
§1.3. Le théorème des nombres premiers
Rappelons que l’on note Pl’ensemble des nombres premiers et º(x) le cardinal
de P\[1,x]. L’objectif de ce paragraphe est le théorème suivant, communément ap-
pelé théorème des nombres premiers :
THÉORÈME 1.3.1. — On a l’équivalent, lorsque x tend vers +1,
º(x)ªx
logx.
Je vais essentiellment suivre, en rajoutant quelques détails, la présentation (en à
peine 4 pages !) que donne Zagier dans [8] d’une démonstration due à D. J. Newman.
Comme dans presque toutes les preuves du théorème des nombres premiers, nous au-
rons à faire usage de la théorie des fonctions holomorphes. Presque toutes, car il existe
des démonstrations « élémentaires » qui ne recourrent pas à l’analyse complexe ; ces
démonstrations sont cependant moins transparentes et plus difficiles à exposer ! La
première démonstration élémentaire est due à Erdös et Selberg, une démonstration de
Daboussi est exposée dans le bien joli petit livre [7].
A. La fonction de zêta de Riemann et sa dérivée logarithmique
Définissons, pour tout nombre complexe stel que <(s)>1,
(s)=1
X
n=1
1
ns.
La fonction ainsi définie est appelée fonction zêta de Riemann ; bien qu’introduite par
Euler vers 17 ? ?, c’est B. Riemann qui, dans un somptueux article publié en 1859, en a
révélé toute l’importance dans la théorie des nombres premiers.
Par comparaison à l’intégrale R1
1dt/ta, pour a>1, on voit que cette série converge
normalement dans le demi-plan fermé d’équation <(s)6a. Comme chaque terme
de la série est une fonction holomorphe dans le demi-plan ouvert <(s)>a, la fonc-
tion zêta de Riemann est une fonction holomorphe sur ce demi-plan, donc sur leur
réunion qui est le demi-plan ouvert d’équation <(s)>1. Son comportement au bord
de ce demi-plan va s’avérer crucial. Pour a2R, on notera al’ensemble des nombres
complexes stels que <(s)>a.
Le lien avec les nombres premiers provient de la formule :
PROPOSITION 1.3.2. — Pour tout nombre complexe s tel que <(s)>1, on a
(s)=1
1°2°s
1
1°3°s···= Y
p2P
1
1°p°s,
où le produit infini converge absolument dans l’ouvert 1, uniformément dans chaque
demi-plan aavec a >1.
§1.3. LE THÉORÈME DES NOMBRES PREMIERS 17
Démonstration. Pour <(s)>1, ØØp°sØØ<1 et l’on a
1
1°p°s=1
X
m=0
p°ms.
La convergence absolue du produit infini pour <(s)>1, et sa convergence uniforme
pour <(s)>asi a>1, proviennent ainsi du fait que
ØØØØ
1
1°p°s°1ØØØØ
62
ØØp°sØØ
et de la convergence absolue (resp. uniforme...) de la série de Riemann.
Soit Tun nombre entier. On peut alors développer le produit des facteurs 1/(1°p°s)
pour ppremier, p6T: si P\[1,P]={p1,...,pt}, on obtient
Y
p2P\[1,T]
1
1°p°s=Y
i6t
1
X
mi=0
p°mis
i=1
X
m1=0
... 1
X
mt=0
(pm1
1...pmt
t)°s.
C’est une sous-série de la série qui définit la fonction zêta de Riemann : seuls sont pré-
sents les termes n°snest un entier dont tous les facteurs premiers sont inférieurs
àT, et ces termes apparaissent une fois et une seule d’après le théorème de décompo-
sition en facteurs premiers. En particulier, cette série multiple converge absolument si
<(s)>1, ce qui justifie le développement fait. En outre,
ØØØØØ
(s)°Y
p6T
1
1°p°sØØØØØ
6X
n>TØØn°sØØ;
ce dernier terme tend vers 0 quand Ttend vers l’infini en vertu de la convergence de la
série de Riemann. Par suite, le produit infini écrit vaut (s).
PROPOSITION 1.3.3. — La fonction s’étend en une fonction méromorphe sur C.Ce
prolongement a un unique pôle en s =1, simple et de résidu s =1.
Démonstration. On se contente de montrer l’existence d’un prolongement à l’ou-
vert 0. Pour cela, observons que pour <(s)>1,
(s)°1
s°1=1
X
n=1
n°s°Z1
1x°sdx
=1
X
n=1Zn+1
nµ1
ns°1
xsdx.
18 CHAPITRE 1. NOMBRES PREMIERS
Notons fn(s) l’intégrale figurant au n-ième terme de cette série. Par intégration par
parties,
fn(s)=Zn+1
nµ1
ns°1
xsdx
=∑µ 1
ns°1
xs(n+1°x)n+1
n+sZn+1
n(n+1°x)x°s°1dx
=sZn+1
n(n+1°x)x°s°1dx,
si bien que
ØØfn(s)ØØ6|s|
n<(s)+1.
La fonction fnest holomorphe sur 0et la majoration précédente entraîne que la série
Pfn(s) converge pour tout s20, uniformément dans tout ouvert aavec a>0. La
somme de cette série définit donc une fonction holomorphe fsur le demi-plan 0.
Pour <(s)>1, on a (s)=1
s°1+f(s) ; cette dernière expression fournit le prolongement
voulu.
Dans la suite, on notera encore le prolongement méromorphe de la fonction zêta
de Riemann.
B. Non-annulation de la fonction zêta sur la droite <(s)=1
Même s’il est difficile de le concevoir au premier abord, c’est dans cette propriété
analytique de la fonction zêta de Riemann que réside le cœur de la démonstration du
théorème des nombres premiers.
PROPOSITION 1.3.4. — Pour tout nombre complexe s 6=1tel que <(s)>1, on a (s)6=0.
Démonstration. Lorsque <(s)>1, cela résulte de l’expression de (s) comme pro-
duit infini, aucun facteur n’étant nul. Toujours pour <(s)>1, la dérivée logarithmique
du produit infini Qp1/(1°p°s) s’écrit
°0(s)
(s)=X
p
logp
ps°1=X
p
logp
ps+X
p
logp
ps(ps°1).
Comme logp=O(p") pour tout ">0, les deux séries du second membre convergent
pour <(s)>1et<(s)>1/2, par comparaison avec la série de Riemann et définissent
des fonctions holomorphes dans les ouverts 1et 1/2 respectivement, que l’on notera
©et . (En effet, elles convergent uniformément dans tout aavec a>1eta>1/2.)
L’expression ©(s)=°0(s)/(s)°(s) montre que ©possède un prolongement mé-
romorphe dans le demi-plan 1/2. Ses pôles proviennent du pôle simple de en s=1,
avec résidu 1, et des zéros de dans le demi-plan 1/2, avec résidu °1. Autrement dit,
lim
æ!1(æ°1)©(æ)=1, lim
æ!1(æ°1)©(æ+iø)=°m
§1.3. LE THÉORÈME DES NOMBRES PREMIERS 19
si possède un zéro d’ordre men 1+iø.
Suppsosons donc que ait un zéro d’ordre men s=1+iøet un zéro d’ordre nen
1+2iø. Comme (¯
s)=(s), a aussi un zéro d’ordre men s=1°iøet un zéro d’ordre n
en 1°2iø. Observons que pour tout nombre réel æ>0,
2
X
k=°24
2+k!©(æ+iøk)=X
p
logp
pæp°2iø+4p°iø+6+4piø+p2iø¥
=X
p
logp
pæp°iø+piø¥4
=X
p
logp
pæ(2cos(ølog p))4>0.
Lorsque l’on multiplie cette expression par æ°1, pour æun nombre réel >1, et que
l’on fait tendre ævers 1, on obtient
°n°4m+6°4m°n>0,
c’est-à-dire 8m+2n66. Nécessairement, m=0 : la fonction ne s’annule pas en
1+iø.
Mettons en exergue un résultat établi au cours de la démonstration :
COROLLAIRE 1.3.5. — La série ©(s)=Pp(logp)/psconverge pour <(s)>0, définit une
fonction méromorphe dans l’ouvert 1/2, et n’a pas de pôle dans un voisinage du demi-
plan {<(s)>0}.
C. Un théorème taubérien, et la conclusion
Pour tout nombre réel x>0, on pose
µ(x)=X
p6x
logp.
Nous allons voir que la connaissance du comportement de µéquivaut à celle du com-
portement de la fonction º, mais elle est plus facile à étudier.
LEMME 1.3.6. — Si µ(x)ªx en +1, alors º(x)ªx/log(x).
Démonstration. Supposons donc µ(x)ªx. On a donc
µ(x)=X
p6x
logp6X
p6x
logx6º(x)logx.
En particulier,
limsup
x!1
º(x)
x/logx6limsup
x!1
µ(x)
x61.
20 CHAPITRE 1. NOMBRES PREMIERS
Dans l’autre sens, si "est un nombre réel tel que 0 <"<1,
µ(x)>X
x1°"6p6x
logp
>X
x1°"6p6x
(1°")logx
>(1°")logx°º(x)°º(x1°")¢
>(1°")º(x)logx+O(x1°"/2)
puisque º(x)=O(x). Il en résulte que
liminf µ(x)
x>(1°")liminf
x!1
º(x)
x/logx,
soit encore, en faisant tendre "vers 0,
liminf
x!1
º(x)
x/logx6liminf µ(x)
x=1.
Le lemme est ainsi démontré.
Il suffit donc de démontrer l’équivalent µ(x)ªx, ce qui va passer par une forme
apparemment plus faible :
LEMME 1.3.7. — Si l’intégrale
(§)Z1
1
µ(x)°x
x2dx
converge, alors µ(x)ªx au voisinage de +1.
Démonstration.—Sixest un nombre réel tel que µ(x)>x, avec >1, alors
Zx
x
µ(t)°t
t2dt >Zx
x
µ(x)°t
t2dt >Zx
x
x°t
t2dt =Z
1
°t
t2dt >0.
(La première inégalité provient de ce que µest croissante.) L’existence de tels nombres
réels arbitrairement grands contredit donc le critère de Cauchy pour la convergence de
l’intégrale de (µ(x)°x)/x2. Dans l’autre sens, si xest un nombre réel tel que µ(x)<x,
avec <1, alors
Zx
x
µ(t)°t
t2dt 6Zx
x
µ(x)°t
t2dt 6Zx
x
x°t
t2dt =Z1
°t
t2dt <0.
Là encore, l’existence de tels nombres réels arbitrairement grands contredit le critère
de Cauchy. Cela démontre le lemme.
La relation entre l’intégrale (§) et notre problème vient de la relation suivante, pour
<(s)>1. Notons p1,p2,... la suite (croissante) des nombres premiers; posons aussi
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