Cas clinique Prostate, adénome et diplopie Jean-Marc Kuhn* M * Service d’endocrinologie, diabète et maladies méta­ boliques, CHU de Rouen. Photo. 128 onsieur C.J. a 75 ans. Ses antécédents sont constitués d’un diabète de type 2, identifié 5 ans auparavant et traité par règles diététiques et glinide (Novonorm®). Une hypercholestérolémie associée est traitée par statine (Elisor® 40). Tout récemment a été mis en évidence un carcinome prostatique dont l’extension a fait récuser l’ablation chirurgicale. La thérapeutique a reposé sur une irradiation pelvienne et, en attendant sa pleine efficacité, la mise en route d’un traitement par agoniste de la GnRH (Décapeptyl® LP 3 mg). La première injection a été parfaitement tolérée. En particulier, il n’a été observé aucun symptôme de flare up. Un mois plus tard, une nouvelle injection intramusculaire de la formulation retard de Décapeptyl® est effectuée. Elle est très rapidement suivie de l’apparition de céphalées intenses, d’une baisse de l’acuité visuelle, d’une diplopie et d’un ptosis droit, deux signes témoins d’une parésie du III homolatéral. Cette bruyante symptomatologie amène à hospitaliser le patient en urgence. Aux céphalées frontales et rétro-orbitaires intenses s’associent des nausées. L’examen ophtalmologique confirme le déficit partiel du nerf moteur oculaire commun droit. Le reste de l’examen neurologique est normal. Le patient pèse 85 kg pour 1,70 m, sa pression artérielle est à 130/80 mmHg. Il apparaît en euthyroïdie et en eucortisolisme cliniques. Le tableau clinique fait réaliser en urgence une IRM encéphalique, qui objective la présence d’une lésion hétérogène de l’hypophyse. Le diaphragme sellaire est discrètement bombant. On est donc en présence d’un tableau d’apoplexie hypophysaire (photo). Une intervention transsphénoïdale de décompression est rapidement réalisée et est suivie d’une évolution postopératoire simple avec disparition des céphalées et correction partielle de la diplopie. L’évaluation de la fonction antéhypophysaire retrouve alors un déficit pituitaire composite associant insuffisances corticotrope, thyréotrope et somatotrope. Le taux de prolactine plasmatique est à 3 ng/ml pour une norme inférieure à 25. Le taux plasmatique des gonadotrophines est indétectable, avec une testostéronémie inférieure à 0,1 ng/ml, chez un patient qui a reçu 2 injections d’une formulation retard d’un agoniste de la GnRH. Une substitution par hydrocortisone (15 mg/j) et LT4 (75 µg/j) est mise en route. Les injections de Décapeptyl® sont interrompues et le relais est pris par un traitement antiandrogénique pur. Le tableau observé est donc celui d’une apoplexie hypophysaire. Deux explications sont possibles à cet accident aigu survenu soit sur un adénome pituitaire silencieux et méconnu, soit sur une métastase pituitaire du carcinome prostatique. La première hypothèse est la plus vraisemblable. La chronologie des événements permet de conclure à la responsabilité du traitement par analogue de la GnRH. Cet “effet secondaire” a déjà été rapporté à plusieurs reprises dans deux situations particulières. Il s’agissait, dans les premières circonstances, d’évaluations de la fonction hypophysaire chez des patients atteints d’un adénome hypophysaire antérieurement identifié. L’injection i.v. de GnRH a été suivie d’un tableau aigu d’apoplexie hypophysaire (1-3). Ce risque, rare mais réel, a fait déconseiller l’utilisation du test à la GnRH pour l’évaluation fonctionnelle hypophysaire dans un contexte de macroadénome pituitaire. La deuxième Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIII - n° 3 - mai-juin 2009 Prostate, adénome et diplopie situation correspond à celle de Monsieur C.J. avec apoplexie, induite par un analogue de la GnRH prescrit à titre thérapeutique, d’un adénome hypophysaire silencieux et méconnu. Ce genre d’événement indésirable, révélateur de la présence de l’adénome hypophysaire, a en effet été décrit à plusieurs reprises (4-8). Cet accident spectaculaire apparaît suffisamment rare pour ne pas faire conseiller la réalisation d’une IRM hypophysaire avant l’initiation d’un traitement par analogue de la GnRH pour carcinome de prostate. Au demeurant, les prescripteurs doivent garder présent à l’esprit qu’un tel événement peut survenir et qu’il nécessite alors une prise en charge endocrinologique et neurochirurgicale en urgence dans le double but de lever la compression des organes de voisinage par l’adénome hypophysaire apoplectique et de substituer l’insuffisance anté­hypophysaire. Enfin, la chronologie des événements observés chez le patient (apparition des céphalées et de l’ophtalmoplégie après injection d’un analogue de la GnRH) permet d’écarter l’hypothèse d’une métastase hypophysaire du carcinome de prostate, cette localisation secondaire, quoique rare, étant possible. Dans ce dernier cas, la symptomatologie précède l’injection de l’agoniste de la GnRH, ce qui amène à réaliser des examens radiologiques encéphaliques avant la mise en route du traitement. Une fois le diagnostic de métastases du carcinome de prostate établi, l’évolution, dans les cas publiés, apparaît favorable sous traitement par analogue de la GnRH, la lésion régressant sous l’influence du traitement médical du carcinome prostatique (9, 10). ■ Références 1. Otsuka F, Kageyama J, Ogura T, Makino H. Pituitary apoplexy induced by a combined anterior pituitary test: case report and literature review. Endocr J 1998;45:393-8. 2. Hernandez Morin N, Huet D, Hautecouverture M. Two cases of non-functional gonadotroph adenoma pituitary apoplexy following GnRH-agonist treatment revealing gonadotroph adenoma and pseudopituitary apoplexy after GnRH administration. Ann Endocrinol 2003;64:227-31. 3. Yoshino A, Katayama Y, Watanabe T et al. Apoplexy accompanying pituitary adenoma as a complication of preoperative anterior pituitary function tests. Acta Neurochir (Wien) 2007;149(6):557-65. 4. Chanson P, Schaison G. Pituitary apoplexy caused by GnRH- agonist treatment revealing gonadotroph adenoma. J Clin Endocrinol Metab 1995;80:2267-8. 5. Reznik Y, Chapon F, Lahlou N, Deboucher N, Mahoudeau J. Pituitary apoplexy of a gonadotroph adenoma following gonadotrophin releasing hormone agonist therapy for prostatic cancer. J Endocrinol Invest 1997;20:566-8. 6. Błaut K, Wiśniewski P, Syrenicz A, Sworczak K. Apoplexy of clinically silent pituitary adenoma during prostate cancer treatment with LHRH analog. Neuro Endocrinol Lett 2006;27:569-72. 7. Massoud W, Paparel P, Lopez JG, Perrin P, Daumont M, Ruffion A. Discovery of a pituitary adenoma following a gonadotropin-releasing hormone agonist in a patient with prostate cancer. Int J Urol 2006;13:303-4. 8. Hands KE, Alvarez A, Bruder JM. Gonadotropin-releasing hormone agonist-induced pituitary apoplexy in treatment of prostate cancer: case report and review of literature. Endocr Pract 2007;13:642-6. 9. Couldwell WT, Chandrasoma PT, Weiss MH. Pituitary gland metastasis from adenocarcinoma of the prostate. Case report. J Neurosurg 1989;71:138-40. 10. Losa M, Grasso M, Giugni E, Mortini P, Acerno S, Giovanelli M. Metastatic prostatic adenocarcinoma presenting as a pituitary mass: shrinkage of the lesion and clinical improvement with medical treatment. Prostate 1997;32:241-5. Les articles publiés dans “Correspondances en Métabolismes-Hormones-Diabètes et Nutrition” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tout droits de reproduction, d’adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. © octobre 1997 - Edimark SAS (éditions DaTeBe) Imprimé en France – Axiom Graphic SAS - 95830 Cormeilles-en-Vexin – Dépôt légal à parution Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIII - n° 3 - mai-juin 2009 129