Le consommateur mais pas seulement ! L’une des tendances émergentes de l’économie contemporaine tient
effectivement à la montée en puissance du client, de l’usager, du résident, ou du simple citoyen dans la production des
biens, des services et, plus largement, des innovations qui irriguent les sociétés. Même s’il conviendrait d’engager un
inventaire sérieux sur ce processus, nous entrerions alors dans un modèle d’innovation plus ouverte où la capacité à
associer les individus et les communautés dans la production-même des innovations est un moyen de soutenir une
dynamique de développement territorial renouvelée. Concrètement, il s’agirait alors de chercher à enrichir le triptyque
désormais canonique entreprises-universités- gouvernements locaux qui fonde bien des politiques de développement
(clusters et autres pôles de compétitivité) pour y faire entrer les résidents, les associations, les usagers, les citoyens. Ce
faisant, l’on peut espérer tirer mieux partie des transformations à l’œuvre dans les usages sociaux, de la multiplicité des
solutions nouvelles mises en place au quotidien, le tout se produisant d’ailleurs dans le cadre de relations collaboratives
et bien souvent non-marchandes. Ceci ouvre des perspectives stimulantes pour les métropoles qui peuvent espérer tirer
partie, encore une fois, de la multiplication des interactions permises par leur taille démographique et la grande variété
des populations, des savoirs, et des cultures (professionnelles, ethniques, etc.) qui les caractérisent. Il reste cependant à
explorer les promesses de ces évolutions en cours. D’un côté, l’idée du territoire métropolitain comme laboratoire
d’innovations sociales laisse entrevoir des pistes où des enjeux économiques comme ceux du développement de
l’emploi peuvent s’accompagner d’une ambition plus large visant à « refaire société ». Pour autant, le risque d’un
dévoiement est fort. La tentation d’une réduction à des concepts formatés comme celui de la « ville créative » l’illustre
lorsqu’il s’agit de brandir des idéaux de tolérance par exemple, pour mieux servir les intérêts de certaines catégories de
population (les fameuses « classes créatives »), ou, plus sûrement encore, d’élites économiques et politiques qui ont tôt
fait d’accroire qu’une ville créative peut tenir dans une série d’équipements, de projets immobiliers ou de grands projets
d’aménagement.
On vient de voir que les métropoles sont au cœur des évolutions économiques contemporaines.
Comment cela s’inscrit-il dans le reste du paysage national ?
Plusieurs travaux ont souligné combien les métropoles offrent une productivité plus forte que les autres territoires. Les
investissements dans les facteurs de production (capital et travail) seraient ainsi plus rentables ou plus productifs à
New-York ou à Londres qu’ailleurs. À ce sujet, Marie-Paule Rousseau avait calculé que, dans les années 1990, les
facteurs de production créaient 30% de richesse additionnelle lorsqu’ils étaient mobilisés en Île-de-France plutôt que
dans le reste du territoire français. Laurent Davezies évoque la valeur de 50%. C’est à ce titre que les régions
métropolitaines sont parfois qualifiées de « moteurs » ou de « locomotives » du développement national. Le terme de
métropole doit d’ailleurs être fortement contextualisé. Dans le cas français, comme dans celui du Royaume-Uni, on
constate des différences sensibles entre la région-capitale, et les autres métropoles dites « régionales ». D’un côté, il y a
une métropole de douze millions d’habitants d’envergure mondiale, qui joue un rôle central dans le réseau des
principales métropoles de la planète. De l’autre, nous avons des agglomérations dont il serait plus exact de dire qu’elles
sont en cours de métropolisation. Leur rayonnement à l’échelle européenne par exemple est limité, en particulier par
rapport à d’autres métropoles du continent, ce qui n’empêche pas, pour certaines, de connaître une dynamique de
développement plus soutenue que celle de Paris.
Moteurs de la croissance, les métropoles sont justement souvent perçues comme des territoires accaparant les
richesses elles-mêmes, au détriment des autres territoires. Cette vision est-elle juste
Comme l’ont bien montré les travaux de Laurent Davezies sur l’Île-de-France, la surproductivité relative des métropoles
ne se traduit pas mécaniquement dans les revenus de leurs habitants ou par des créations d’emplois en leur sein. Ceci
en raison notamment de puissants mécanismes, en particulier publics, de redistribution des richesses au profit d’autres
espaces du territoire national. En effet, dans les pays de tradition sociale- démocrate, ce sont les dépenses publiques
qui, sur la base des prélèvements effectués auprès des entreprises et des ménages, opèrent des transferts depuis les
métropoles au profit des territoires qui accueillent des bénéficiaires.
Autrement dit, à l’exception des transferts privés issus de la mobilité des ménages travaillant dans ces métropoles mais
dépensant leur argent ailleurs, les travaux de Laurent Davezies soulignent comment la métropolisation n’est pas
intrinsèquement redistributive, loin s’en faut : sans dispositifs publics de solidarité entre territoires, les métropoles
concentreraient non seulement les capacités de création de richesses mais les richesses elles-mêmes. Voici d’ailleurs
quelque chose qui n’est pas sans alimenter des résurgences néo-régionalistes dans certaines régions métropolitaines
d’Europe, lorsque les populations résidentes de ce qui apparaît comme les locomotives économiques d’un pays
rechignent à accepter ces transferts de richesse au profit d’autres territoires. Dans le cas français, la situation est fort
différente : malgré l’ampleur des redistributions observées, j’ai parfois l’impression que la vielle crainte d’un Paris face au
« désert français » reste vivace. Or, les travaux sur les dynamiques comparées entre les territoires infra-nationaux
pointent plutôt l’urgence à éviter un double écueil, celui certes de l’appauvrissement des territoires hors métropolisation,
et en particulier ceux qui sont les moins bien armés dans la mondialisation en cours, mais aussi celui de l’affaiblissement
de la dynamique économique des métropoles elles-mêmes.