Psychomotricité n Entretiens de Psychomotricité 2010 Favoriser l'amélioration des mécanismes d'apprentissage chez un élève TDA/H : un exemple de collaboration PsychomotricienProfesseur des Ecoles F. Puyjarinet*, P. Madramany** Université de Versailles St-Quentin, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Service des Urgences Médico-chirurgicales, * Psychomotricien, email : [email protected] ** Professeur des Écoles - Académie de Montpellier L'élève souffrant d'un Trouble Déficit de l'Attention avec ou sans Hyperactivité (TDA/H) présente une altération plus ou moins importante des fonctions exécutives indispensables aux apprentissages, notamment l'attention, la planification, la flexibilité, ou la mémoire de travail (Barkley, 1998, 2000, 2005 ; MarquetDoléac, Soppelsa, Albaret, 2008 ; Albaret, 2010). Ces dysfonctionnements freinent grandement ses capacités d'adaptation aux exigences scolaires et la mise en place de stratégies de résolution de problème, contrairement aux enfants sans trouble attentionnel qui peuvent plus facilement extraire et manipuler les informations essentielles en provenance de leur environnement. Nous proposons dans cet article d'évoquer les aspects théoriques actuels qui rendent compte de l'altération des mécanismes d'apprentissage chez l'enfant TDA/H, puis nous présenterons un exemple de collaboration entre psychomotricien et professeur des écoles qui vise à une meilleure généralisation dans la sphère scolaire des techniques travaillées en rééducation psychomotrice. INTRODUCTION Les fonctions attentionnelles occupent une place prépondérante dans les mécanismes d'apprentissage du jeune enfant, et interviennent dans la plupart des tâches cognitives. Elles participent en grande partie à son adaptation au milieu. Les enfants porteurs d'un 32 - © ENTRETIENS DE BICHAT 2010 TDA/H montrent, en plus des manifestations classiques de la triade symptomatique décrite dans la CIM-10 ou le DSM-IV-TR un ensemble de déficits neuropsychologiques qui sont souvent regroupés sous le terme de « fonctions exécutives » (Barkley, 1997), et qui constituent les troubles internalisés, plus difficiles à mettre en évidence que les symptômes externalisés (agitation motrice, non adhésion au traitement, intolérance aux frustrations, etc.) mais dont l'impact sur les situations d'apprentissages peut être désastreux. Les fonctions exécutives englobent les capacités de pensée abstraite, de planification, d'initiation et d'exécution de séquences d'action ainsi que le contrôle et l'arrêt d'un comportement complexe. L'altération des fonctions exécutives est le plus souvent hétérogène chez un enfant TDA/H, ce qui justifie une évaluation psychomotrice et neuropsychologique fine, en plus de l'investigation d'éventuelles comorbidités (Soppelsa, Albaret, & Corraze, 2009 ; Rapport Collectif INSERM, 2007). C'est dans ce cadre d'évaluation psychométrique pluridisciplinaire (neuropsychologue, psychomotricien et orthophoniste notamment, sans négliger le recueil de questionnaires remplis par les parents et l'enseignant), que s'inscrit la compréhension du profil particulier de chaque enfant TDA/H. Les altérations des fonctions attentionnelles et exécutives peuvent être différentes selon les profils d'enfants TDA/H, ce qui signifie que les prises de décisions thérapeutiques doivent être adaptées à chaque patient. Le psychomotri- Psychomotricité n cien a donc le choix entre plusieurs techniques, notamment d'inspiration cognitivocomportementale (Douglas, 1972 ; Corraze, & Albaret, 1996) afin de fournir aux enfants agités et distraits des méthodes de contrôle personnalisées et adaptées à leur âge et à leur pathologie, dans l'optique de lui permettre d'apprendre à apprendre. LES DÉFICITS SPÉCIFIQUES EN LIEN AVEC LES APPRENTISSAGES Les différents modules attentionnels et exécutifs indispensables aux apprentissages sont pour plusieurs auteurs directement reliés à leurs substrats neuro-anatomiques, c'est à dire qu'ils renvoient à des réseaux cérébraux différents (Mirsky, Anthony, Duncan, Ahearn, & Kellam, 1991 ; Posner, & Fan, 2008 ; Posner, & Petersen, 1990 ; Van Zomeren, & Brouwer, 1994). Les études et les outils d'évaluation qui leur sont consacrés sont variés, c'est pourquoi la compréhension et la mesure des fonctions attentionnelles et exécutives sont loin d'être aisées, d'autant que les modèles théoriques qui tentent de rendre compte des altérations du TDA/H sont eux-mêmes en perpétuel renouvellement. Nous nous limiterons à définir quelques dimensions des fonctions attentionnelles d'un point de vue neuropsychologique, leurs altérations et leurs manifestations comportementales possibles dans le cadre du TDA/H (selon les principaux modèles théoriques actuels), et nous citerons un ou deux tests standardisés qui permettent de mettre en évidence quelques-unes de ces altérations (voir Albaret, 2010 pour une revue plus détaillée). Le déficit d'attention L’attention est appréhendée aujourd'hui comme un concept qui regroupe des sousprocessus imbriqués, et qui s’exerce sur des représentations cognitives, perceptives, conceptuelles ou motrices. Elle n’est pas, à elle seule, un mécanisme unique, mais correspond à un ensemble d’opérations et de capacités neuropsychologiques en inter-relation (Couillet, Leclercq, Moroni, & Azouvi, 2002). Plusieurs types d'attention qui interagissent ont été identifiés et peuvent être plus ou moins déficitaires et mis en évidence chez le sujet TDA/H à l'aide de tests standardisés. L'attention soutenue est le fait de maintenir sur la durée et avec efficacité son niveau d'attention et de vigilance pendant au moins 10 minutes. Plusieurs épreuves de barrages visent l'évaluation de l'attention soutenue : le D2 (Brickenkamp, 1967) ou le T2B (Zazzo, 1960). L'attention sélective, qui est la capacité à maintenir l'attention sur une cible malgré des distracteurs, est évaluée par le test de Stroop (Albaret & Migliore, 1999). L'attention divisée consiste à gérer ses ressources attentionnelles en partageant ou en changeant rapidement la focalisation de l'attention afin de traiter une situation de double tâche notamment. L'épreuve d'attention divisée du TEA-Ch est conçue spécifiquement pour évaluer ce module. L'attention visuelle est la capacité à établir et maintenir une attitude performante de traitement visuel des informations. Le subtest Attention Visuelle de la NEPSY (Korkman, Kirk & Kemp, 2003) évalue cette dimension attentionnelle. L'attention auditive est la capacité à établir et maintenir une attitude d'écoute en portant intention aux messages sonores. La NEPSY et la batterie d'évaluation du TEA-Ch (Manly, Robertson, Anderson, & Mimmo-Smithy, 2004) y consacrent un de leurs subtests. L'inattention est reconnue comme l'un des trois piliers du syndrome avec l'impulsivité et l'agitation motrice. Ses manifestations comportementales sont en général rapidement repérées par les enseignants, puisque toute situation d'apprentissage nécessite un minimum d'attention. L'élève TDA/H est décrit comme étant « dans la lune », multiplie les oublis ou les erreurs par manque d'écoute et d'observation, a le plus grand mal à terminer un exercice sans se laisser distraire par les camarades ou le bruit des pas de la personne qui passe dans le couloir, etc. Une des priorités du psychomotricien sera d'améliorer la qualité du soliloque par des techniques d'auto-instruction (Meichenbaum & Goodman, 1969, 1971), en encourageant l'enfant à verbaliser les stratégies utilisées afin de mieux focaliser son attention et affiner secondairement ses capacités de résolution de problème. © ENTRETIENS DE BICHAT 2010 - 33 Psychomotricité n Le déficit des fonctions exécutives Il est communément admis que le concept de fonctions exécutives est un terme « parapluie » qui englobe un ensemble d'habiletés de haut niveau nécessaires à la réalisation d'un comportement dirigé vers un but, sous la dépendance essentiellement du lobe frontal et de ses réseaux (Luria, 1966 ; Shallice, 1982 ; Stuss & Benson, 1986). Barkley (1997) propose un modèle explicatif des fonctions exécutives chez l'enfant TDA/H et met l'accent sur la pauvreté de l'inhibition comportementale. Ce déficit primaire de l'inhibition aurait des répercussions sur quatre fonctions exécutives : la mémoire de travail non verbale, l'internalisation du langage en lien avec la mémoire de travail verbale, l'autorégulation des motivations et de l'éveil, la reconstitution ou capacité à organiser des éléments d'une façon originale. Ce quadruple dysfonctionnement va engendrer à son tour une réduction du contrôle de la motricité qui va donner au TDA/H sa dimension psychomotrice (Corraze, 1999). Les fonctions exécutives, dans leur aspect global, peuvent être évaluées à la faveur du Laby 5-12 (Marquet-Doléac, Soppelsa & Albaret, 2010). Depuis le modèle proposé par Barkley, d'autres auteurs ont avancé des modèles explicatifs qui tentent également de rendre compte des conséquences comportementales et des anomalies du sujet TDA/H. L'aversion du délai (ou incapacité à attendre) serait, d'après Sonuga-Barke (2003), le socle des manifestations observées chez l'enfant TDA/H (Figure 1) et entretiendrait des liens étroits avec les mécanismes de renforcements et de récompenses de l'environnement (familial, éducatif). Le rôle de l'enseignant auprès de l'enfant TDA/H apparaît ici comme essentiel pour permettre à l'élève d'apprendre à attendre en utilisant par exemple le retrait d'attention, ou en utilisant avec finesse les mécanismes bien connus d'extinction des comportements inadaptés que sont les renforcements (Corraze, 1999). Sonuga-Barke (2003) propose un modèle à deux voies, regroupant les deux modèles précédents (déficit des fonctions exécutives et aversion du délai). 34 - © ENTRETIENS DE BICHAT 2010 Figure 1 - Modèle de l’aversion du délai (Sonuga-Barke, 2003). La mémoire de travail réduite Il semblerait que la mémoire de travail soit un facteur commun à l’ensemble des fonctions exécutives. La mémoire de travail permet non seulement le maintien et la manipulation des informations pertinentes pendant la tâche en cours (cognitive ou motrice), mais aussi le maintien des buts et des étapes de la planification. Le modèle de Baddeley reste un des plus aboutis à ce jour (Baddeley & Hitch, 1974 ; Baddeley 1986). Celui-ci postule que deux systèmes « esclaves », la boucle phonologique et le calepin visuo-spatial, sont contrôlés par un administrateur central qui coordonne l'ensemble. La mémoire de travail est indispensable à la réalisation de tâches complexes. Plusieurs auteurs (Kuntsi, Oosterlaan, & Stevenson, 2001 ; Hinson, Jameson, & Whitney, 2003) ont mis en lumière un déficit de la mémoire de travail non verbale chez des sujets TDA/H. La déficience en mémoire de travail pourrait expliquer que ces enfants soient davantage influencés par les évènements ayant des conséquences immédiates que par des événements dont les retombées sont plus distantes dans le temps. Leur conduite pourrait être caractérisée comme une façon de vivre dans « l'ici et maintenant ». Cela les amènerait à prendre le premier choix sans considérer minutieusement chaque alternative possible. L'épreuve des blocs de Corsi (De Agostini, Kremin, Curt, & Dellatolas, 1996) mesure l'empan de la mémoire de travail visuo-spatiale. La mémoire de travail verbale, elle, sera évaluée par les épreuves du WISC-IV (Wechsler, 2005) regroupées dans l'indice Mémoire de Travail. L'élève TDA/H présente des lacunes lorsqu'il s'agit de conserver en mémoire suffisamment Psychomotricité n longtemps des informations en provenance de l'environnement. Il peut oublier les consignes de l'exercice qui ont été lues il y a à peine quelques secondes, il ne tient plus compte des recommandations orales de l'enseignant au bout de quelques instants, oublie en classe le matériel pour les devoirs du lendemain, etc. L'insuffisance des capacités de planification La planification est une activité cognitive qui consiste à élaborer et coordonner une séquence d'actions visant l'atteinte d'un but. Cela implique également de savoir modifier les stratégies pour aboutir au même résultat et éviter ainsi les persévérations infructueuses. Ainsi, pour planifier efficacement, il est nécessaire d’avoir une représentation adéquate de la situation et du but à atteindre, d’élaborer un ensemble de stratégies appropriées à la situation et au but visé, et de superviser l’exécution du plan afin de s’assurer que les actions stratégiques choisies contribuent effectivement à l’atteinte du but (Haith, 1997 ; Scholnick & Friedman, 1987). De nombreux travaux ont démontré que des déficits dans la capacité de planification et d’organisation de l’activité cognitive sous-tendent très souvent les difficultés d’apprentissage, et que ces déficits sont aussi associés au trouble déficitaire de l’attention. Le test de la Tour de Londres (Mc Carthy & Shallice, 1982), et l'épreuve de la Tour de la NEPSY (avec une sensibilité moindre) évaluent spécifiquement les capacités de planification. L'élève TDA/H a en général beaucoup de difficultés à planifier ses actes. Il peut se perdre dans un exercice qui requiert des capacités de résolution de problème, peut avoir du mal à s'organiser et à organiser son matériel, à prévoir les conséquences de ses actes, à faire le lien entre les connaissances nouvelles et celles qui sont plus anciennes, à évaluer en temps réel la pertinence des actions à privilégier pour résoudre une situation-problème. Il présente en résumé des lacunes lorsqu'il faut établir la priorité des informations importantes à traiter de façon séquentielle en fonction des démarches futures à mener. Le déficit de flexibilité/fluence La flexibilité ou fluence est la capacité à passer rapidement et d'une manière fluide d'une tâche à une autre, ou d'une réponse comportementale à une autre, en fonction des exigences de l'environnement. L'épreuve de Fluidité de Dessins de la NEPSY pour la fluence figurale, et le test du classement des cartes du Wisconsin (Heaton, Chelune, Talley, Kay, & Curtiss, 2002) pour la flexibilité cognitive évaluent cette dimension des fonctions exécutives. L'élève TDA/H présente la plupart du temps une flexibilité réduite. Il réitère souvent plusieurs fois d'affilée ses mauvais choix (persévérations), et peut notamment avoir des difficultés à passer d'une stratégie de résolution de problème infructueuse à une plus efficace. Le déficit d'inhibition et l'insuffisance du délai de la réponse L'inhibition permet l'arrêt d'une réponse en cours, et le remplacement d'une réponse automatisée par une réponse contraire ou inverse. Le test d'Appariement d'Images évalue les capacités d'inhibition cognitive (Marquet-Doléac, Albaret, & Bénesteau, 1999), alors que l'épreuve de la Statue de la NEPSY donnera des indications sur les capacités d'inhibition motrice de l'enfant. Le sujet TDA/H ne peut se ménager un temps de réflexion entre la présentation d’un stimulus et la réponse qu’il fournira afin qu’elle soit de la meilleure qualité possible en tenant compte des alternatives existantes. Il présente un déficit dans la gestion des distracteurs externes à la tâche. Cela se traduit par exemple sur le plan comportemental par des difficultés à attendre son tour lorsque l'enseignante interroge d'autres camarades de classe à l'oral. L'enfant TDA/H coupe souvent la parole et interrompt les autres en se montrant très impatient, donne des réponses automatiques (et le plus souvent erronées) parfois même avant la fin de la question posée. Les déficits relatifs au sens subjectif du temps De nombreuses études ont mis en lumière un cumul d'incapacités en lien avec la perception © ENTRETIENS DE BICHAT 2010 - 35 Psychomotricité n subjective du temps chez l'enfant TDA/H, ellemême en étroite relation avec la mémoire de travail (Bronowski, 1977 ; Fuster, 1989). Il en résulte notamment des difficultés à percevoir le rapport de cause à effet entre ses actes et ses conséquences futures : plus la conséquence (positive ou négative) d'un événement est différée loin dans le temps, moins l'enfant TDA/H fait le lien entre les deux. Cela explique en grande partie la forte nécessité de les renforcer positivement ou négativement immédiatement après l'apparition d'un comportement adapté ou non. L'estimation des durées prospectives et rétrospectives est perturbée chez le sujet TDA/H qui trouve que le temps passe plus lentement qu'en réalité et présente une grande prédisposition à l'ennui si la nouveauté n'intervient pas régulièrement dans les situations d'apprentissage. L'agitation motrice dans le TDA/H serait d'après certains modèles théoriques la conséquence de ce type de déficits temporels. Les anomalies du circuit de la motivation Les comportements adaptés des enfants TDA/H dépendront des renforcements immédiats puisque les renforcements différés ne sont pas pour eux une source motivationnelle efficace, comme l'ont évoqué certains auteurs (Sonuga-Barke, 2002) qui considèrent que les manifestations comportementales observées chez certains enfants TDA/H dans des tâches de délai de gratification sont à mettre en relation avec une perturbation des processus motivationnels. Les difficultés d'accès à la métacognition L'utilisation efficace de stratégies d'apprentissage demande une prise de conscience de son propre fonctionnement cognitif de la part de l'élève (Dignath, Büttner, & Langfeldt, 2008). Cette prise de conscience est aussi appelée métacognition, ou métaconnaissance (Flavell, & Wellman, 1977) et joue un rôle important dans le processus d'apprentissage. La métacognition est étroitement liée aux capacités de planification et de contrôle. L'élève TDA/H, lui, ne se rend souvent pas compte de l'inefficacité 36 - © ENTRETIENS DE BICHAT 2010 de sa démarche et persiste dans une manière de procéder infructueuse, sans chercher à modifier les stratégies de résolution de problème inefficaces, ou à généraliser les stratégies pertinentes à d'autres contextes d'apprentissages. L'élève TDA/H présente donc un déficit de la prise de conscience de ses propres activités stratégiques et de leurs effets. Des stratégies de résolution de problème inefficaces Pour D’Zurilla et Goldfried (1971), la résolution de problèmes est un processus comportemental qui rend valable une variété de réponses potentielles pour faire face à la problématique d’une situation, et qui augmente les probabilités de sélection de la réponse la plus efficace parmi ces différentes alternatives. Chez l'enfant TDA/H, ces stratégies sont déficitaires. L'analyse des informations dont il dispose est insuffisante, tout comme la mémoire de travail qui permet de maintenir les sous-objectifs fixés avant d'arriver au résultat final. Enfin, la dernière étape de la résolution de problème, à savoir la vérification, est souvent abrégée ou absente chez le sujet TDA/H, ce qui entraîne une indifférence aux résultats des actions (insuffisance du rétrocontrôle). L'ÉLÈVE TDA/H ET L'ENSEIGNANT Généralités Il est aujourd'hui admis qu'environ 5,5 % des enfants présenteraient un TDA/H, soit 1 enfant en moyenne par classe. Les professeurs des écoles connaissent donc bien ces enfants qui ne semblent pas écouter, qui se distraient au moindre bruit, qui sont incapables de se concentrer suffisamment longtemps, qui s'agitent et parlent exagérément (TDA/H de type hyperactif ou mixte), ou qui sont calmes, mais « dans leur monde », « physiquement présents mais ailleurs dans leur tête » (TDA/H à dominance inattention). C'est d'ailleurs souvent le milieu scolaire qui alerte les familles face aux comportements de l'élève, ou face à la gestion des situations d'apprentissage qui se révèle souvent mystérieuse (« il ne travaille que lorsqu'il veut », ou encore « il est doué, mais très immature ! »). Psychomotricité n S'ils ont donc l'habitude d'être au contact de ces enfants, les enseignants connaissent pourtant mal les mécanismes cognitifs qui soustendent le trouble, et sous-estiment souvent les conséquences à long terme, en pensant parfois à tort dans le cadre du TDA/H que les comportements problématiques sont transitoires ou que les difficultés d'apprentissage, l'agitation et l'inattention sont les conséquences d'une éducation parentale inappropriée. De plus, les enseignants sont en général beaucoup plus en alerte face à un élève TDA/H à prédominance impulsivité/hyperactivité (« Il n'arrête pas de bouger, il est monté sur ressort », que face à un TDA/H de type inattention dont le comportement passe plus inaperçu, mais dont les difficultés d'apprentissage ne sont pas à négliger. Dans ce contexte relativement flou pour les enseignants, et lorsque le diagnostic de TDA/H est formellement posé par une équipe pluridisciplinaire, les informations au sujet des causes du syndrome, des éventuelles comorbidités, et surtout des adaptations pédagogiques doivent absolument être transmises aux enseignants. Dans notre démarche de collaboration psychomotricien-professeur des écoles, la priorité est d'amener les enseignants à comprendre les rouages du trouble pour avoir une meilleure emprise sur le syndrome et favoriser ainsi la généralisation des techniques utilisées en séance de rééducation. L'enseignant, l'élève, et la pédagogie différenciée Les enseignants estiment parfois que différencier la pédagogie pour les élèves en difficulté reviendrait à leur faire une leçon particulière. A ce modèle repoussoir, ils opposent les contraintes d'effectifs, d'horaires ou de programmes. Face à l'élève en grande difficulté scolaire, beaucoup semblent baisser les bras. Pourtant, tout le monde s'accorde à penser que les élèves sont différents et, depuis plusieurs années, de nombreux travaux sur le TDA/H insistent sur la forte nécessité de proposer à l'élève agité et distrait des aménagements pédagogiques. Face à un traitement scolaire identique, les différences se transforment en inégalités. Un mode unifié d'enseignement valorise toujours les mêmes élèves. Les recherches montrent aussi que personne ne peut apprendre à la place de l'enfant, mais que personne ne peut apprendre seul. Ces perspectives modifient le rôle de l'enseignant qui n'est plus le dispensateur du savoir, mais devient l'organisateur de situations d'apprentissage variées. Puisque les obstacles ne sont pas les mêmes pour tous, ils pourront être franchis en mettant à la disposition de chacun une diversité d'outils (textes, parole, objets à manipuler, photocopies, informatique) et de démarches visant de meilleures conditions d'apprentissage (place dans la classe, travaux de groupes, systèmes d'économie de jetons, tutorat d'un autre élève, « contrat » de comportement entre l'élève et l'enseignant, travail et évaluations individualisés, etc.). La pédagogie différenciée fait partie intégrante de l'arsenal du professeur des écoles face aux élèves souffrant de troubles des apprentissages. CAS CLINIQUE ET COLLABORATION PSYCHOMOTRICIEN-PROFESSEUR DES ÉCOLES Présentation Noé est âgé de 8 ans et 4 mois lors de l'évaluation psychomotrice. L'enfant est en CE2. Il est adressé par l'école qui s'inquiète de ses comportements : instabilité motrice, inattention, manque d'autonomie et difficultés d'écriture. Noé n’a jamais redoublé. A l’école, l'enfant se sent délaissé et n'a pas beaucoup d'amis. Il avoue se sentir « un peu isolé » et s’ennuyer à la récréation. Le maître du CP avait déjà alerté ses parents, comme la maîtresse de l’année dernière qui s'était posée la question de la présence d'un déficit d'attention. Ses résultats scolaires sont très irréguliers. Les parents de Noé précisent qu'il a toujours été un enfant vif, ayant du mal à respecter les règles de vie familiale sans être pour autant opposant ou provocateur. Les résultats aux questionnaires de Conners indiquent un dépassement de la note-seuil pour les facteurs « Hyperactivité/Impulsivité » et « Troubles d'apprentissage ». © ENTRETIENS DE BICHAT 2010 - 37 Psychomotricité n L'évaluation psychomotrice réalisée retrouve des difficultés importantes d'attention. La batterie d'évaluation attentionnelle de la NEPSY met en relief des déficits de l'attention visuelle (note standard : 6, -1,6 DS), de l'attention auditive (note standard : 5, -1,8 DS), et dans une moindre mesure de la flexibilité (note standard : 8, -0,5 DS). La planification (Tour de Londres : -1,3 DS) est également problématique. Les persévérations sont nombreuses. On relève une impulsivité significative au Test d'Appariement d'Images (index d'impulsivité : - 1,4 DS), un trouble de l'attention sélective (test de Stroop, nombre d'erreurs en condition d'interférence : - 2,1 DS). Les fonctions motrices et sensorimotrices sont déficitaires (NEPSY, centile 9 ; M-ABC : centile 3). A la batterie d'évaluation du M-ABC le score de dégradation global est de 18,5, soit le centile 3. Les syncinésies faciales sont marquées et nombreuses sur les activités de dextérité fine qui révèlent en outre une lenteur supérieure à la normale. Le niveau d'écriture est également déficitaire sur l'échelle d'évaluation de l'écriture BHK (qualité : - 1,7 DS, et vitesse : - 2,1 DS). L'écriture est chaotique, les lignes manquent de rectitude, les liens sont souvent interrompus entre les lettres. L'évaluation psychologique du WISC-IV mentionne un QI Total de 97, un indice de compréhension verbale de 132, un indice de raisonnement perceptif de 88, un indice de mémoire de travail à 91, et un indice de vitesse de traitement de 71. L'intelligence moyenne de Noé est donc normale, avec un grand décalage entre les aspects verbaux et non verbaux en faveur des premiers. Après plusieurs entretiens et en regard de ces différentes évaluations psychométriques et cliniques, le diagnostic de TDA/H mixte est posé, associé à une dysgraphie elle-même intriquée à un Trouble de l'Acquisition de la Coordination (TAC). Une prise en charge psychomotrice est entamée pour travailler spécifiquement et en priorité sur les déficits attentionnels de Noé. Les parents sont reçus ponctuellement en consultation par l'hôpital afin d'être informés sur les principes psychoéducatifs à mettre 38 - © ENTRETIENS DE BICHAT 2010 en place. Noé participera également à un groupe d'affirmation de soi à l'hôpital. Les aspects moteurs seront secondairement abordés en rééducation psychomotrice, une fois que les mécanismes attentionnels auront été améliorés. Le travail en collaboration avec l'enseignante de Noé peut débuter. Première étape : informer l'enseignante sur le TDA/H L'enseignante est informée lors d'un entretien à l'école par le psychomotricien de ce qu'est le TDA/H, des particularités de fonctionnement des enfants qui en sont porteurs, des causes étiologiques candidates (facteurs de risques), des conséquences comportementales et cognitives et des altérations des mécanismes d'apprentissage. Un CD-Rom sur les troubles des apprentissages scolaires (dans lequel figure le TDA/H et ses possibles aménagements pédagogiques) lui est remis. Deuxième étape : comparer les données objectives et les données subjectives Il s'agit d'une étape fondamentale de la démarche de collaboration. L'enseignante donne des informations sur sa propre perception des difficultés de l'élève. Un questionnaire conçu spécialement pour ce travail est proposé à l'institutrice (voir Annexe) afin de vérifier si les déficits mis en évidence lors du bilan ont des implications comportementales en classe (données métriques et objectives versus données subjectives en situation écologique). L'enseignante doit donner une note pour chaque comportement de l'enfant en lien direct avec l'une des différentes dimensions attentionnelles, de 0 : absence de compétence, à 10 : excellentes compétences. Les résultats apparaissent dans la figure 2 (test). Les informations qui ressortent du questionnaire vont dans le sens de certaines données objectives. Noé en classe est mis en difficulté lorsque il doit prendre le temps de répondre (impulsivité massive), lorsqu'il doit écouter attentivement des consignes, lorsqu'il doit focaliser son attention sur une tâche et ne pas prêter attention aux conversations ou aux mouvements des camarades. Bien observer les Psychomotricité n Figure 2 - Résultats de Noé au questionnaire des manifestations comportementales en classe des enfants porteurs d’un Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDA/H). consignes écrites est également problématique : Noé a du mal à recopier un texte sans faire trop de fautes. Il est aussi assez désorganisé lorsqu'il doit mettre en place une stratégie de résolution de problème et sollicite beaucoup la maîtresse dans ce type de situation. Enfin Noé a des difficultés à se mettre au travail sans perdre de temps ou à finir une tâche à temps (lenteur dans les tâches écrites). L'enseignante de Noé rajoute que l'enfant n'est pas opposant ou provocateur, que son agitation motrice reste relativement discrète même si parfois elle peut déranger quelque peu les camarades. Noé est globalement un élève volontaire mais très parasité par ses problèmes d'attention, d'impulsivité, et d'écriture. Troisième étape : établir les domaines précis à améliorer et assurer la généralisation en classe D'après les données quantitatives (résultats aux tests métriques) et écologiques (résultats du questionnaire rempli par l'enseignante) nous établissons les priorités du travail à mener en séances de psychomotricité et le psychomotricien propose à l'enseignante, lors d'un nouvel entretien, des techniques et des conseils pour assurer la généralisation des objectifs de rééducation dans le contexte scolaire (Tableau 1). Dernière étape : la vérification Le travail avec Noé s'est étalé, pour les 15 séances de psychomotricité, de début octobre 2009 à mai 2010. Un bilan d'évolution a été réalisé juste avant la dernière équipe éducative de l'année. Les questionnaires de Conners et des manifestations comportementales en classe ont à nouveau été remplis par l'enseignante. Les résultats apparaissent dans les figures 1 (retest), 3 et 4. DISCUSSION La première lecture des résultats consiste à admettre les progrès de Noé aux tests attentionnels et exécutifs après rééducation psychomotrice (Figure 3). Hormis la fluence/flexibilité qui est quasiment identique, tous les autres modules se sont améliorés. Noé focalise mieux son attention, a progressé dans ses comportements d'inhibition, et l'attention sélective s'est normalisée en condition de test. La seconde lecture des résultats qui peut être faite est celle du contexte de la classe (Figures 1 et 4). L'enseignante note à la dernière équipe éducative que l'agitation de l'enfant a diminué, ce que confirment les questionnaires. Sa concentration est globalement bien meilleure dans la journée, malgré des moments d'absence. L'impulsivité est beaucoup © ENTRETIENS DE BICHAT 2010 - 39 Psychomotricité n Tableau 1 - Liste des dimensions attentionnelles à améliorer en priorité, et conseils de généralisation. Figure 3 - Résultats de Noé aux différentes épreuves attentionnelles et exécutives. Figure 4 - Résultats au questionnaire de Conners pour les enseignants. 40 - © ENTRETIENS DE BICHAT 2010 Psychomotricité n moins marquée, même si l'enseignante avoue avoir eu du mal à mettre en place la technique de retrait d'attention pour contrer, par exemple, les manifestations de prise de parole intempestive. Noé s'est pris au jeu des sabliers lorsqu'il doit prendre le temps de lire un énoncé avant d'entamer l'exercice, mais cette façon de visualiser le temps est apparue, par moments, comme une source de distraction supplémentaire. L'utilisation du sablier a du finalement être gérée par l'enseignante avec beaucoup de parcimonie, mais s'est avérée profitable : Noé ne se précipite plus autant sur les tâches, et à l'inverse, perd moins de temps à se mettre au travail. Les difficultés d'apprentissage de l'enfant paraissent toujours importantes (moyenne des notes > 1,5 au questionnaire de Conners). La vitesse d'écriture est toujours très problématique (dysgraphie importante) et de grandes lacunes pénalisent Noé dans le domaines visuo-spatial. La collaboration psychomotricien-enseignant a donc amélioré les comportements d'attention de Noé, mais de réels déficits associés (dysgraphie, dyspraxie gestuelle et visuo-constructive) sont toujours invalidants. Ces déficits constitueront les axes de travail prioritaire pour les séances de psychomotricité à venir, puisque une demande d'Allocation d' Education de l'Enfant Handicapé (A.E.E.H) a été faite et que les parents de Noé devraient bénéficier de cette aide financière pour poursuivre les rééducations (psychomotricité, et ergothérapie pour l'apprentissage de l'ordinateur). L'enfant sera placé en situation duelle et bénéficiera d'aménagements pour les évaluations scolaires de fin d'année. Quoi qu'il en soit, un bilan des fonctions attentionnelles et exécutives est programmé dans plusieurs mois afin de vérifier si les effets bénéfiques se maintiennent à long terme. CONCLUSION Le nombre d'enfants souffrant d'un TDA/H, la méconnaissance générale des déficits internalisés qui le gouvernent, ajoutés entre autre au démantèlement progressif des Réseaux d'Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté (R.A.S.E.D) nécessitent que les troubles attentionnels soient connus et reconnus des enseignants. La collaboration psychomotricienprofesseur des écoles présentée ici n'est qu'une tentative de rapprochement entre un des professionnels les mieux informés pour accompagner l'enfant TDA/H, et l'enseignant qui le côtoie au quotidien, sans comprendre toujours pourquoi son élève ne répond pas de la même manière que ses camarades à la pédagogie traditionnelle mise en place dans les diverses situations d'apprentissage. Le pont jeté entre le personnel enseignant et le psychomotricien dont le décret de compétence, datant de 1988, précise qu'il est amené à traiter les enfants présentant une « instabilité psychomotrice » (ancienne appellation du TDA/H, qu'il conviendrait rapidement d'actualiser), permet de placer le psychomotricien en tant que personne-ressource auprès des professeurs des écoles, parfois très démunis, malgré leur bonne volonté, face à ce syndrome fréquent. Cette collaboration se nourrit bien entendu des regards croisés entre les professionnels, d'un dialogue régulier, et de leur volonté affichée de trouver des solutions concrètes pour aider ces enfants intelligents, mais paradoxalement parfois très en difficulté dans les apprentissages. Cette collaboration, dans le cadre des apprentissage scolaires, vise essentiellement la généralisation des savoirs faire transmis en séance de psychomotricité, et non les résultats scolaires en tant que tels. L'enseignant est invité à créer des conditions favorables à la progression de l'élève TDA/H (valorisations, encouragements constants et mise en confiance, adaptations pédagogiques dans le cadre de la pédagogie différenciée, etc.). La collaboration psychomotricien-professeur des écoles peut ainsi devenir un élément très important de la prise en charge pluridisciplinaire des enfants TDA/H dans l'optique de leur fournir les moyens de mieux gérer leurs ressources attentionnelles en classe. Les élèves agités et distraits devraient ainsi s'approprier à terme et avec l'appui de leurs enseignants, des méthodes de contrôle et de gestion indispensables au bon déroulement de leurs ap© ENTRETIENS DE BICHAT 2010 - 41 Psychomotricité n prentissages, et cheminer avec un peu plus de maîtrise sur la voie de l'autonomie. RÉFÉRENCES 1 - Albaret, J.-M., & Migliore, L. (1999). Manuel du test de Stroop (8-15 ans). Paris : Editions du Centre de Psychologie Appliquée. 2 - Albaret, J.-M., Soppelsa, R., & Marquet-Doléac, J. (2010). Evaluation neuropsychologique et psychomotrice des troubles attentionnels de l’enfant. In O. Revol & V. Brun (Eds.), Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (pp. 12-22). Paris : Masson. 3 - Albaret, J.-M. (2001). Les troubles psychomoteurs chez l'enfant. Encyclopédie Médico-Chirurgicale, Pédiatrie, 4-101-H-30, Psychiatrie, 37-201-F-10, Paris: Elsevier, 16 p. 4 - American Psychiatric Association (2000). 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