L S6 instant 14-Richelieu 12p.

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Armand-Jean du Plessis,
cardinal de Richelieu
Biographie en résumé
"Richelieu (Armand du Plessis, cardinal, duc de), célèbre ministre de Louis XIII, né à Paris en 1585,
était d’une maison noble du Poitou, originaire du bourg de Richelieu, et avait pour père François du Plessis,
capitaine des gardes de Henri IV. Il fut d’abord destiné aux armes, puis reçut les ordres et fut sacré en 1607
évêque de Luçon, n’ayant que 22 ans.
Député aux États généraux de 1614 par le clergé de Poitou, il s’y fit remarquer, sut plaire au maréchal
d’Ancre, qui disposait de tout, et à Marie de Médicis, alors régente, fut nommé aumônier de cette princesse
(1615), puis secrétaire d’État pour l’intérieur et la guerre (1616). Il suivit en 1617 à Blois la reine mère, alors en
disgrâce, mais sans se brouiller avec Louis XIII : chargé de négocier un accommodement entre la mère et le fils,
il réussit dans cette mission délicate et fit conclure les traités d’Angoulême (1620) et d’Angers (1621) : le
chapeau de cardinal lui fut donné en récompense (1622). Il entra en 1623 au conseil par la protection de la reine
et presque malgré Louis XIII, qui avait de la répugnance pour sa personne, et il y montra une telle supériorité
qu’il fut bientôt nommé premier ministre. Arrivé au souverain pouvoir, il forma trois grandes entreprises qu’il ne
perdit jamais de vue : détruire la puissance politique du protestantisme en France, abattre l’orgueil et l’esprit
factieux de la noblesse, et abaisser la maison d’Autriche.
Dirigeant d’abord ses efforts contre les protestants, il leur reprit, en 1626, l’île de Ré, leur enleva, en
1628, leur dernier boulevard, La Rochelle, en fermant le port par un môle gigantesque, et anéantit leur puissance
par la paix d’Alais et l’édit de Nîmes (1629), qui leur enlevaient leurs privilèges politiques.
Dans le même temps, il replaçait sous la domination de la Suisse la Valteline, que l’Espagne lui
disputait (1626), assurait au duc de Nevers le duché de Mantoue et le Montferrat en forçant le Pas de Suze
(1629), s’emparait des États du duc de Savoie (1630), et se préparait à combattre l’Autriche. Prenant part dans ce
but à la guerre de Trente ans, il ne craignit pas de soutenir le parti protestant en Allemagne, s’unit à GustaveAdolphe, roi de Suède, qui était à la tête de ce parti (1630), seconda ce prince de tout son pouvoir dans ses
efforts contre l’Autriche, et, après sa mort (1632), solda les troupes de Bernard de Weimar, qui l’avait remplacé;
puis, combattant ouvertement l’Autriche (1634-41), il attaque cette maison dans toutes ses possessions à la fois,
dirigea des armées en Alsace, dans les Pays-Bas, en Italie, en Catalogne, obtint partout des succès et prépara la
prépondérance de la France qu’assurèrent après sa mort les traités de Westphalie (1648) et des Pyrénées (1659).
Ce qui coûta le plus de peine à Richelieu, ce furent ses luttes contre les grands : il eut à déjouer mille
cabales, et compta parmi ses principaux adversaires la reine mère, Marie de Médicis, devenue jalouse de
l’ascendant qu’il exerçait sur le roi, la reine régnante, Anne d’Autriche, le frère du roi, Gaston d’Orléans, le duc
de Bouillon, le comte de Soissons et tous les favoris de Louis XIII. Un jour, tous ses ennemis conjurés avaient
déterminé le faible roi à l’éloigner; mais, averti à temps, il va le trouver à Versailles, reprend tout son pouvoir et
fait subir à ses ennemis le sort qu’ils lui destinaient : à la suite de cette journée (11 novembre 1630), qui fut
appelée la Journée des dupes, le garde des sceaux Marillac fut exilé; son frère, le maréchal de Marillac,
condamné à mort comme coupable de péculat, le maréchal de Bassompierre envoyé à la Bastille. Ne pouvant
réussir auprès du roi, les grands cherchèrent un appui chez l’étranger, et excitèrent plusieurs révoltes : toujours
instruits à temps de leurs complots, Richelieu sut les faire échouer. Il exila la reine mère à Bruxelles (1631),
réduisit à la soumission Gaston d’Orléans, qui avait pris les armes, vainquit à Castelnaudary le duc de
Montmorency, qui avait trempé dans la révolte du prince, le fit condamner à mort et exécuter à Toulouse (1632);
livra quelques années après au comte de Soissons et au duc de Bouillon, ligués avec l’Autriche, une bataille où le
comte trouva la mort (bataille de la Marfée, 1641), fit trancher la tête à Cinq-Mars, favori de Louis XIII, qui
traitait avec l’Espagne, et n’épargna pas même le jeune De Thou, coupable de n’avoir pas révélé le complot
(1642).
Richelieu
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Richelieu mourut peu de temps après cette dernière exécution, le 4 décembre 1642. Il n’avait pu
terminer les guerres qu’il avait entreprises, mais il avait déjà assuré partout le succès des armes françaises. Ce
ministre est incontestablement le plus grand qui ait gouverné la France; il eut de grandes vues et en poursuivit
l’exécution avec une persévérance, une fermeté inébranlables, mais on l’accuse de s’être montré implacable et
d’avoir quelquefois exercé des vengeances personnelles sous le prétexte des intérêts de l’État.
Il s’occupa de l’administration intérieure aussi bien que de la direction politique; rétablit l’ordre dans
les finances, réforma la législation, créa une marine, donna une grande extension aux établissements coloniaux,
fit occuper le Canada, les Petites-Antilles, Saint-Domingue, la Guyane, le Sénégal, etc.; en outre, il favorisa les
lettres et créa l’Académie française (1635). Il est fâcheux qu’il ait voulu lui-même être auteur (il ne fit que des
pièces médiocres, Mirame, tragi-comédie, La Grande pastorale), et qu’il se soit montré jaloux du grand
Corneille après avoir commencé parle protéger. On lui doit plusieurs établissements utiles : il construisit le
collège du Plessis (attenant à celui de Louis le Grand), répara la Sorbonne et en rebâtit l’église (où l’on voit
encore aujourd’hui son mausolée), agrandit la Bibliothèque et l’imprimerie royale, fonda le Jardin du Roi.
Richelieu s’était fait construire au centre de Paris un palais magnifique qu’on nommait le Palais-Cardinal
(aujourd’hui Palais-Royal); il le légua à Louis XIII. Il a laissé, outre quelques écrits théologiques, des mémoires
fort curieux, publiés d’abord en partie sous les titres de : Histoire de la Mère et du Fils; puis d’une manière plus
complète, dans les Mémoires relatifs à l’histoire de France, de Petitot, 1823; un Testament politique, dont la
meilleure édition est due à Foncemagne, 1764, et qui renferme de précieuses leçons de politique : cette pièce,
longtemps contestée, est aujourd’hui reconnue authentique. On lui attribue à tort le Journal du M. le cardinal de
Richelieu durant le grand orage de la cour (1630 et 31), Amsterdam, 1664, écrit indigne de lui. M. Avenel a
publié ses Lettres, instructions et papiers d’État, 1853-1863 (dans les Documents inédits de l’histoire de
France)."
Marie-Nicolas Bouillet, Dictionnaire universel d'histoire et de géographie. Ouvrage revu et continué
par Alexis Chassang. Paris, Hachette, 1878, p. 1608-1609
Le cardinal de Richelieu
Peinture de Phillippe de Champaigne
Source: Prints and Photographs Division,
Bibliothèque du Congrès américain
Reproduction number: LC-USZ62-100477
(domaine public)
Vie et œuvre
"Armand-Jean du Plessis, cardinal, duc de
Richelieu, né à Paris le 9 septembre 1585, mort à
Paris le 4 décembre 1642.
Troisième fils de François du Plessis et de Suzanne de La Porte, il avait cinq ans à la mort de son père.
Il vécut d’abord à Richelieu et reçut les leçons de Hardy Guillot, prieur de Saint-Florent de Saumur. Son oncle
Amador de La Porte le fit venir à Paris et entrer au collège de Navarre. Son frère Alphonse devant être d’Église,
on destinait Armand à être d’épée, comme leur frère aîné Henri. Au sortir du collège, il entra, sous le nom de
marquis du Chillou, à l’Académie de Pluvinel, où il reçut l’éducation d’un gentilhomme. Mais la détermination
prise par Alphonse de se faire chartreux menaçait de faire sortir l’évêché de Luçon de la maison de Richelieu.
Armand quitta alors l’Académie pour rentrer à l’Université (vers 1602 ou 1603) et se mettre surtout à l’étude de
la théologie; il prit sa nouvelle carrière très au sérieux, et se proposa comme modèle le cardinal Duperron ; son
rêve à cette époque était de devenir grand orateur et grand controversiste. Protégé auprès du roi par son frère
Henri, l’un des dix-sept seigneurs, il fut nommé (c.-à.-d. désigné par le roi) évêque de Luçon en 1606, cinq ans
avant l’âge canonique. Duperron, alors à Rome, fut chargé par le roi de solliciter les bulles de dispense. Comme
elles tardaient à venir, le jeune prélat, impatient, alla lui-même trouver Paul V; il est faux qu’il ait à cette
occasion falsifié son acte de baptême; le pape l’ordonna avant l’âge, en considération de son mérite, à Pâques
1607. Il soutint ensuite avec éclat ses thèses en Sorbonne, et prêcha devant la cour. Mais il tenait à résider, et dès
1608, en plein hiver, dans un carrosse prêté par un ami, il partait pour son évêché, « le plus vilain de France, le
plus crotté et le plus désagréable ». Pauvre, aimant le luxe et le paraître, il fut obligé de vivre petitement, de se
meubler d’occasion, et dut attendre jusqu’en 1614 pour avoir de la vaisselle plate : « Je suis gueux, écrivait-il, de
façon que je ne puis faire l’opulent. » Il gouvernait de près son diocèse, entrait dans le détail, choisissait ses
curés au concours, tentait de créer un séminaire, terminait par une transaction le procès de sa famille avec le
Richelieu
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chapitre, réparait l’église cathédrale, prêchait les protestants, mais les traitait avec tolérance. Il se croyait déjà
promis à de plus hautes destinées, comme le prouve le Mémoire d’A. du Plessis de Richelieu, évêque de Luçon,
écrit de sa main l’année 1607 ou 1610, alors qu’il méditait de paraître à la cour. S’il n’avait qu’à moitié réussi
comme orateur sacré, on pressentait dès lors en lui un homme d’État. Sa réputation était si grande que Duperron
disait « qu’il ne le fallait point mettre entre les jeunes prélats, que les plus vieux devaient lui céder ». Il échoua
cependant dans sa tentative pour se faire députer par la province de Bordeaux à l’assemblée du clergé.
I. La conquête du pouvoir
À la mort de Henri IV, il crut son heure venue, fit du zèle, s’agita beaucoup, et prématurément. Il
adressa au jeune roi et à la reine mère des protestations de fidélité tellement excessives que son frère et son beaufrère Pontcourlay ne les remirent pas à leurs destinataires. Il parti en hâte pour Paris, mais ne retira rien de son
séjour : « C’est grand’pitié, disait-il, que de pauvre noblesse. » Dès lors il résida peu à Luçon, où il souffrait des
fièvres paludéennes et où il avait des difficultés avec son chapitre et ses grands vicaires ; il habitait aux Roches
ou au prieuré de Coussay. Tout dévoué au parti de la reine, il revint à Paris en 1613 pour voir Concini.
Son rôle politique commence avec les États de 1614, où il est député du clergé pour les diocèses de
Poitiers, Luçon et Maillezais. Après avoir joué un rôle important dans les négociations et les querelles entre les
trois ordres, il fut désigné par Marie de Médicis pour présenter le cahier de son ordre à la séance de clôture (23
février 1615) : il exprima, en un langage brillant et habile, les idées de la majorité du clergé, et ne ménagea pas
les flatteries à la reine. Ses amis, les Bouthillier, le mirent en relation avec les favoris de Concini, Mangot,
Bullion, Barbin ; ce dernier le présenta à Léonore Galigaï et à Marie. Avant le voyage de Bayonne, on décida sa
nomination comme aumônier de la future reine Anne d’Autriche. Conseiller d’État, il eut, avant le titre, les
fonctions de secrétaire des commandements de la reine mère ; peut-être sut-il même gagner sinon le cœur, du
moins les sens de la Florentine.
À la chute de Sillery (1616), il quitte Coussay pour venir à Paris surveiller les événements. Il assiste à la
dislocation du ministère légué par Henri IV à son fils (Jeannin et Villeroy), à l’avènement des hommes
nouveaux. Chargé d’amadouer Condé, il agit sur lui par ses amis les du Tremblay (le père Joseph), l’attire à Paris
où il est arrêté et embastillé le 1er septembre. Richelieu allait partir en Espagne comme ambassadeur
extraordinaire lorsque le chancelier du Vair dut céder les sceaux à Mangot; le secrétariat d’État, devenu vacant,
fut donné à M. de Luçon (fin novembre). Il venait de perdre sa mère (14 novembre).
Ministre cinq mois, il fut chargé de la guerre et des affaires étrangères. Enfin il touchait au pouvoir. On
le croyait Espagnol, les huguenots et les politiques se méfiaient. En réalité, tout forcé qu’il était de ménager la
faction Concini, il avait dès lors une politique, de la décision, de l’énergie. Il montre une réelle rigueur contre les
seigneurs rebelles, Nevers et Bouillon. Il envoie La Tour en Angleterre, La Nouve en Hollande, Schomberg en
Allemagne avec mission d’expliquer à nos alliés les changements qui se sont produits à Paris, « dissiper les
factions qu’on y pourrait faire au préjudice de la France, y porter le nom du roi le plus avant que faire se pourra,
et y établir puissamment son autorité ». Ce ton n’était plus, depuis Henri IV, celui de la France. « C’est une pure
calomnie, ajoutait-il, de dire que nous soyons tellement Romains ou Espagnols… Autres sont les intérêts d’État
qui lient les princes, et autres les intérêts du salut de nos âmes… » Il aurait voulu réunir une conférence à Paris
pour régler les affaires de Savoie (contre l’Espagne) et de Venise (contre Ferdinand de Styrie), rendre à la France
sa situation d’antagoniste de la maison d’Autriche. Mais cette fois encore, comme en 1610, Richelieu avait été
entraîné trop tôt et trop loin par sa pétulance; il n’était pas encore assez fort pour jouer ce rôle. Les vieux
diplomates trouvèrent bien outrecuidant ce prêtre de trente ans qui leur écrivait : « Ils peuvent croire que
j’embrasserai toutes les occurrences qui se présenteront…; de leur part, ils me feront plaisir de me les donner.
Mais ils se peuvent assurer que je n’aurai point besoin d’avis en celles que je verrai moi-même. » - Luçon était,
quoiqu’il en eût, de la coterie de la reine : il fut entraîné dans la chute des Concini; le roi le chassa du Louvre.
Il résolut de laisser passer l’orage. Confiné dans son évêché, dans son prieuré de Coussay, il écrivait
contre les huguenots de Charenton : l’homme d’État redevenait prêtre. Luynes, qui connaissait sa valeur, le
trouva trop près de Marie et de la petite cour de Blois, et l’exila à Avignon. Richelieu, pour désarmer ses
ennemis, redoubla de théologie et employa ses loisirs à composer un catéchisme (1618). Quand les choses se
gâtèrent par la fuite de Marie à Angoulême, Luynes fut trop heureux de faire appel à l’expérience de Richelieu, à
son esprit politique, à son influence sur la reine mère; il voulut le placer à côté d’elle à la fois comme conseiller
et comme surveillant. Arrêté un instant par un agent trop zélé, il rejoignit Marie et obtint pour elle le
gouvernement de l’Anjou (1610). Il désirait vivement la réconciliation de la mère et du fils qui était conforme à
son intérêt; il négocia les entrevues, déconseilla la rébellion, il n’y entra qu’à l’heure où il ne pouvait s’en
dispenser sans abandonner la reine, et se trouva en mesure de faire la paix après « la drôlerie » des Ponts-de-Cé
(1620). Il avait, à Angers, perdu son frère le marquis, tué en duel par Thémines (8 juillet 1619). Son oncle lui
restait.
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Mais déjà Luçon n’avait plus besoin d’appui. Dans la retraite, puis dans l’action, il s’était révélé un
homme supérieur, avec qui tous devaient compter. Luynes envoyait à Rome pour lui obtenir le chapeau, et lui
offrait, pour sa nièce Pontcourlay, son propre neveu Combalet : Richelieu, pour se rapprocher du tout-puissant
favori, rompit un mariage à moitié fait. Presque ouvertement on le désignait, dès 1621, comme le ministre à
venir : le P. Arnoux, confesseur de Luynes et du roi, fut même disgracié pour l’avoir dit trop haut. Le P. Joseph
faisait répéter partout que Richelieu était l’homme nécessaire. On se disputait déjà sa faveur future. « Protégé,
favori des dévots », dit Fagniez (Le Père Joseph et Richelieu), il avait ce privilège (grâce à son ministère de
1616) de grouper en même temps autour de lui les politiques, les gallicans, les ennemis des jésuites et de
l’Espagne, ceux qui s’appelaient eux-mêmes les bons Français.
La mort de Luynes (15 décembre 1621) lui ouvrait le chemin du pouvoir. Mais il fallut encore deux ans
pour triompher des préventions que le roi avait gardées contre le protégé de Concini, cardinal dès 1622. Après
l’avènement de La Vieuville, on lui offrit les affaires étrangères; il eut la force de recevoir ces offres, qu’il
brûlait d’accepter, avec une ostentation de modestie, mêlant habilement ses talents et sa mauvaise santé, sa
connaissance de l’Europe et son peu de goût pour les affaires, proposant de donner des conseils sans exercer le
pouvoir. Il feignit de n’accepter que par obéissance (19 avril 1624) : à peine assis au conseil, il parla en maître,
fit au roi un crayon de la France et de l’Europe, organisa une véritable campagne de presse pour s’ouvrir les
avenues du pouvoir, se débarrassa de La Vieuville au bout de quatre mois et devint premier ministre, seul
ministre en réalité. Il le restera jusqu’à sa mort, pendant dix-huit ans.
C’est se faire de ces dix-huit années une idée très fausse que de croire que Richelieu, de 1624 à 1642,
n’a pas changé et qu’il eut dès le début, suivant le mot de Mignet, « les intentions de toutes les choses qu’il fit ».
Après coup, dans ses Mémoires, le cardinal a mis une belle et dramatique unité dans sa vie. En fait, il a été un
homme d’État, singulièrement souple et avisé, aux prises avec les difficultés grandes ou mesquines de tous les
jours, cherchant à tirer le meilleur parti des incidents et des accidents. Il est impossible de comprendre sa
politique intérieure si l’on fait abstraction des mouvements de l’Europe, les fluctuations de sa politique
européenne si l’on oublie les grands et les huguenots, ses errements financiers si l’on ne songe à la guerre. Il
faudrait étudier son « règne », comme nous avons étudié sa patiente ascension, chronologiquement. Pour la clarté
et la brièveté de l’exposition, nous serons obligés d’étudier successivement en lui le ministre d’État, le chef de la
coalition européenne contre la maison d’Autriche, l’homme.
II. Richelieu ministre
Une France forte sous un roi puissant, telle est sa conception de l’État. Pour support à cette conception
grandiose, il avait sous la main un homme faible, d’intelligence médiocre, mais qui avait au moins une vertu de
roi : le sens de l’honneur, de la grandeur de l’État. On a bâti force romans sur la nature des rapports entre Louis
XIII et son ministre; les uns ont vu en Louis un simple jouet aux mains du cardinal, les autres ont cru que
Richelieu devait chaque jour lutter désespérément pour conserver le pouvoir. En réalité, Richelieu était obligé de
ménager la fierté de Louis XIII, le cardinal n’était pas roi; au fond, Louis n’aimait pas cet homme d’Église aux
mœurs peu sévères, arrivé au pouvoir par une intrigue florentine, et qui s’y maintenait en frappant ses anciens
amis; il se laissa, à deux reprises, arracher la promesse de s’en séparer et ne pleura pas à sa mort; mais il le
sentait nécessaire à la France, et il lui sacrifia mère, femme, frère et favoris. On voit admirablement la nature du
lien qui attachait Louis XIII à son ministre dans le récit que Saint-Simon (d’après les souvenirs de son père) nous
a laissé de la Journée des Dupes (9 novembre 1630). Entre ses devoirs de fils et ses devoirs de roi très-chrétien,
Louis n’hésita que quelques heures. Pour raffermir de temps en temps son autorité ébranlée, Richelieu n’avait,
par un stratagème singulièrement hardi, qu’à se déclarer fatigué, à menacer le roi de sa retraite.
Les ordres
Noblesse. Autour du roi, les nobles. – On a vu dans Richelieu un ennemi de la noblesse. Idée ridicule,
puisqu’il était noble lui-même, très fier de sa gentilhommerie, élevé pour les armes, et toute sa vie plus homme
d’épée que d’Église. S’il poursuit le duel avec tant de rigueur, c’est que le duel, surtout tel qu’on le pratiquait
alors, amènerait rapidement la disparition de la noblesse et priverait le roi de ses meilleurs soldats. La douleur
qu’il a ressentie à la mort de son beau-frère s’ajoute aux raisons d’État. L’ancien marquis de Chillou ne peut
s’empêcher d’admirer les duellistes, mais le cardinal-ministre les châtie impitoyablement, du moins quand
l’éclat, l’effronterie même de leur faute ne permet plus la pitié (Montmorency-Boutteville et des Chapelles,
1627). S’il réussit à réduire les duels, il n’arriva d’ailleurs pas à les supprimer.
Il veut une noblesse, mais non pas celle qui a fait la Ligue, les soulèvements de la Régence, la guerre
des Ponts-de-Cé, et qui fera la Fronde; noblesse turbulente et incapable, avide d’argent et de places, toujours
prête à s’allier à l’étranger pour s’avantager dans le royaume. Il veut une noblesse sans châteaux, sans guerres
civiles, sans influence politique. Il la veut active, et lui réserve « la plus grande partie des charges militaires, des
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évêchés et des bénéfices » (Fagniez). Il la veut riche, et cherche à la pousser vers les entreprises commerciales et
coloniales, décide que le haut commerce ne déroge pas. Il se heurte, malgré sa puissance, aux préjugés
nobiliaires. Il veut raser les places inutiles, « ôter toutes les garnisons particulières des places, augmenter les
troupes que le roi avait sur pied, et tour à tour en envoyer dans les places et châteaux particuliers, en les
changeant de temps en temps, ce qui ferait que, bien que les gouvernements fussent à des grands, ils le seront
plus de nom que d’effet. » Il veut annihiler les pouvoirs de ces gouverneurs qui, ayant vendu leur soumission à
Henri IV, sont rois en leur province, tel roi d’Austrasie, tel autre roi des Alpes ou du Languedoc.
À cette politique, la noblesse répond par des révoltes et des complots. Dès 1626, les courtisans,
mécontents de ne plus pouvoir piller le trésor à leur gré, trouvent un chef en la personne de Monsieur, frère du
roi (Gaston d’Orléans) et (Louis XIII étant malade et sans enfants) roi de demain. Chalais, Ornano, Mme de
Chevreuse, les Vendôme, même la jeune reine entrent dans un complot pour détrôner le roi, marier la reine à son
beau-frère, assassiner le cardinal. En 1630, à Lyon, d’accord avec l’Espagne, les deux reines et Gaston arrachent
au roi moribond la promesse qu’il renverra Richelieu après la paix. Il triomphe à la Journée des Dupes, mais
Marie de Médicis intrigue à Bruxelles, Gaston à Nancy. L’invasion de la Lorraine, les condamnations à la prison
(le chancelier de Marillac), à l’exil, à la mort (le maréchal de Marillac, par contumace Mme du Fargis, etc.)
n’arrêtent pas les complots. Celui de 1632 s’achève en soulèvement provincial : c’est une véritable armée que
l’armée royale rencontre à Castelnaudary (1er septembre). Montmorency décapité, la Lorraine de nouveau
envahie, la leçon ne suffit pas. Richelieu, malade, faillit être trahi par ses créatures mêmes, comme le chancelier
Châteauneuf. Il se releva terrible, fit casser le mariage secret de Monsieur avec la sœur du duc de Lorraine,
envoya le roi prendre Nancy. Il gagna le favori de Monsieur, Puylaurens, et relégua Gaston à Blois.
Nouveau complot, en 1640, devant l’ennemi, pour tuer Richelieu au siège d’Arras. En 1641, la reine
mère et Bouillon poussent en avant un prince du sang, le comte de Soissons. À la cour, Cinq-Mars, que le
cardinal lui-même a placé auprès du roi, trame la plus folle, mais la plus dangereuse des conspirations avec
Monsieur, Bouillon, tous les mécontents et l’Espagne. Mourant, ministre d’un roi mourant, Richelieu fait
décapiter Cinq-Mars et de Thou à Lyon (12 septembre 1642). Il n’eut pas trois mois entiers de répit entre la
répression du dernier complot des nobles et la mort. – Tous ces complots, il importe de le rappeler, ont eu lieu
avec le concours de l’étranger, de l’Espagnol, à l’heure où la France était engagée dans une lutte à mort contre la
maison d’Autriche; les conjurés traitaient avec Madrid, renonçaient à nos conquêtes, acceptaient, comme au
temps de la Ligue, le démembrement de la patrie. La noblesse française se montrait, une fois de plus, incapable
d’avoir une politique nationale.
Clergé. Cardinal de l’Église romaine, on pourrait croire que Richelieu fut avant tout un prêtre, dévoué
aux intérêts du Saint-Siège. – En réalité, il se sert de son titre de prince de l’Église pour être le chef du clergé de
France, il le veut très français, très dévoué au roi. Il le recrute surtout dans la noblesse, dont il est lui-même, afin
de lui donner plus d’autorité. Il exige que les évêques résident (il avait donné l’exemple à Luçon), visitent,
examinent, réforment. Il ne déteste pas les évêques guerriers (Sourdis, évêque de Maillezais, le cardinal La
Valette), qui remplacent la soutane par la cuirasse: lui-même fut général d’armée au pas de Suze, à La Rochelle,
à Pignerol. Il voudrait rétablir l’autorité épiscopale sur les réguliers, réduire et réformer les couvents. Pour être le
maître des moines comme des prêtres, il se fait élire supérieur général de Saint-Benoît. Mais le pape le valide
seulement pour Cluny, refuse pour Cîteaux et Prémontré. Quant aux jésuites, Fagniez dit très bien : « Il les
craignait plus qu’il ne les aimait »; il avait trouvé souvent leur main (le P. Monod, le P. Caussin) dans les
complots contre sa politique et contre sa vie. Les capucins lui sont plus sympathiques parce que leur chef, le P.
Joseph, est son ami; il le laisse constituer une sorte de ministère de capucins, qu’il emploie à des missions
diplomatiques, à la lutte contre l’Autriche, au maintien de notre influence dans le Levant.
La politique religieuse est, au fond, d’un gallican. Mais, comme il a besoin de Rome pour sa politique
européenne, il refrène les intransigeants du gallicanisme. En 1614, il s’était opposé au tiers dans la question de
l’indépendance de la couronne. Sous l’influence du P. Joseph, il imposa brutalement à Richer une rétractation en
1629. Il voyait avec plaisir la Sorbonne condamner le livre de Santarelli et le Parlement attaquer le santarellisme
et les jésuites, mais il imposa à ces deux corps une certaine modération dans la forme.
Il espérait, par ses ménagements à l’égard du Saint-Siège, faire passer les hardiesses de sa politique
allemande. Ne trouvant pas à Rome l’appui sur lequel il avait cru pouvoir compter, il s’orienta de plus en plus
dans le sens gallican. Dans l’affaire du mariage de Gaston, il entra résolument en conflit avec le pape.
L’assemblée du clergé, la Faculté, les communautés religieuses, bref l’Église de France se prononça pour
l’annulation, posant « en principe que le contrat civil est la matière du sacrement… que celui-ci ne peut exister
que si le contrat est valide… » (Fagniez). C’est déjà le principe révolutionnaire, « la laïcisation de l’acte
constitutif de la famille ». En 1639, il fit publier le célèbre Traité des droits et libertés de l’Église gallicane. Son
désir aurait été d’être légat perpétuel du Saint-Siège en France, d’unir en sa main les pouvoirs spirituel et
temporel. Dès 1527, il demandait au pape la légation a latere et la vice-légation d’Avignon; en 1629, à
Montauban, il faisait mettre sur les arcs de triomphe, à côté de la couronne ducale, la croix du légat. Il a
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certainement rêvé d’être patriarche des Gaules; il voulut faire lancer l’idée du patriarcat par Pierre de Marca,
mais celui-ci n’osa pas aller si loin. Il brigua également la coadjutorerie de Trèves, pour assurer l’indépendance
des évêchés français qui en dépendaient.
S’il voulait être le chef de l’Église gallicane, il prenait très au sérieux son rôle de défenseur de
l’orthodoxie. À l’instigation du P. Joseph, il poursuivit les Filles de la Croix de Roye, soupçonnées
d’illuminisme (1630). Il fut d’abord en bonnes relations avec Saint-Cyran; mais en 1633 il déféra ses doctrines à
Rome, et en 1638 il le fit arrêter, de même qu’un oratorien, le P. Séguenot.
Tiers. Pas plus qu’un ennemi des nobles, Richelieu n’est un ami du peuple. Le rasement des châteaux
forts, qu’il confie aux provinces et aux municipalités, a les apparences d’une mesure démocratique : ce n’est
qu’un épisode de la lutte contre la noblesse ligueuse. Ce que veut Richelieu, c’est développer les forces vives de
la France, et protéger les professions qui contribuent à la richesse nationale. Il aurait certainement voulu réduire
les tailles, supprimer les gabelles. En 1626, il demandait « à augmenter les recettes, mais non par nouvelles
impositions que les peuples ne sauraient plus porter ». Il était assurément sincère lorsqu’il faisait annoncer par
Louis XIII au Parlement de Rennes (1626) une décharge des tailles de 600 000 livres, suivie d’une réduction
égale tous les ans pendant cinq ans, dans un lit de justice (1634) une décharge de six millions, et en 1637 une
décharge de moitié. Mais il ne put tenir ses promesses et réprima avec la dernière rigueur les insurrections contre
l’impôt. Il aurait voulu le peuple moins pauvre, mais il ne le souhaitait pas trop riche, crainte qu’il devint moins
soumis. Nous verrons qu’il n’était pas plus d’humeur à tolérer les privilèges du tiers que ceux des nobles. Il avait
d’abord pensé à supprimer la vénalité des charges : l’incapacité des nobles à les remplir et des raisons fiscales
l’en empêchèrent. Le cardinal-duc n’avait rien d’un bourgeois ni dans son allure, ni dans ses goûts; il n’est pire
contresens que de le comparer à Louis XI.
Les huguenots
Richelieu n’était ni sceptique ni foncièrement intolérant. En Poitou, il avait cherché à convertir sans
persécuter. Il y a certainement de la véhémence, une véhémence peut-être « un peu artificielle » (Fagniez) dans
l’opuscule qu’il publia à Poitiers en 1617 : Les Principaux Points de la foi de l’Église catholique défendus contre
l’écrit adressé au roi par les quatre ministres de Charenton. Il s’agissait pour Richelieu de se rappeler à
l’attention du roi et de gagner le P. Arnoux. Mais, ministre, il avait déjà écrit ces fermes paroles : « Les diverses
créances ne nous rendent pas de divers États; divisés en la foi, nous demeurons unis en un prince au service
duquel nul catholique n’est si aveugle d’estimer, en matière d’État, un Espagnol meilleur qu’un Français
huguenot… » Lui-même employait des calvinistes dans la diplomatie, dans l’armée; il respectait si bien l’Édit de
Nantes que, dans les cercles dévots et à Rome, on le traitait de pape des huguenots et de cardinal de La Rochelle.
S’il a cependant combattu les huguenots, c’est pour les mêmes raisons qui l’ont fait combattre les nobles : parce
que leurs privilèges politiques limitaient le pouvoir absolu de la royauté. « Il n’est pas question de religion,
disait-il, mais de pure rébellion…; le roi veut traiter ses sujets, de quelque religion qu’ils soient, également; il
veut aussi, comme la raison le requiert, que les uns et les autres se tiennent à leur devoir… » Ce n’est pas que les
huguenots n’eussent des griefs légitimes (construction du Fort-Louis, etc.) ; mais la révolte de 1625 prit un
caractère aristocratique, et elle éclata au moment même où Richelieu avait besoin de toutes ses forces contre
l’Espagne; il se contenta cependant de renouveler le traité de Montpellier (paix de La Rochelle, 5 février 1626).
La seconde révolte fut plus grave encore, puisque le parti avait l’alliance de l’Angleterre et que la flotte de
Buckingham parut à l’île de Ré. Richelieu eut soin de séparer la question politique de la question religieuse en
promettant le maintien de la liberté de conscience. Il mena le roi devant La Rochelle, s’improvisa général,
amiral, ingénieur, força les Anglais à se rembarquer, ceignit la ville d’une ligne de forts et fit construire par
Métezeau la célèbre digue, repoussa un nouvel assaut des Anglais, et entra dans la ville (28 octobre 1628). La
criminelle alliance des Rohan avec l’Espagne ne l’empêcha pas (Édit de grâce, 27 juin 1629) de laisser aux
protestants la liberté du culte. Pas plus après qu’avant, Richelieu ne les persécuta, malgré la pression que
cherchaient à exercer sur lui le P. Joseph et le P. de Bérulle; il employa même Rohan dans les Grisons. Mais, par
la force des choses, il avait touché à l’Édit de Nantes, dont les deux parties, la politique et la religieuse, étaient
indissolublement unies: la suppression des places fortes, l’abolition des assemblées et des cercles livraient les
huguenots sans défense à leurs futurs ennemis. Sans le vouloir peut-être, Richelieu a préparé la Révocation.
Ce qu’il désirait, c’était la réunion des protestants à l’Église. Il cherchait, par des faveurs, de l’argent,
des éloges à gagner à cette idée quelques ministres; il aurait ensuite réuni une sorte de colloque, formé d’évêques
et de ministres fidèles, qui eût prononcé la réunion.
Le gouvernement
Pour établir le pouvoir absolu de la royauté, Richelieu supprima les dernières de ces grandes charges
qui donnaient à la noblesse un semblant de puissance : la connétablie (1627, après la mort de Lesdiguières), et
l’amirauté, qu’il racheta de Henri de Montmorency (1626). Les gouverneurs de province, qui sont des nobles,
subsistent; mais leur puissance est absorbée par les intendants de justice, police et finances, simple maîtres des
Richelieu
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requêtes : Richelieu n’a pas, comme on l’a dit, créé cette institution; mais il l’a généralisée et il en a fait
largement usage, malgré les résistances des juridictions locales et même des parlements; il en fit des agents
directs du gouvernement, centralisant entre leurs mains tous les pouvoirs; quelques-uns de ses intendants,
Laubardemont, Laffemas, se sont rendus célèbres par leur vigueur et leur cruauté. Au centre, il constitua
fortement le conseil, en écarta les nobles, le peupla de ses créatures, les Châteauneuf, les Bouthillier de
Chavigny, les Bullion, les Marillac.
Richelieu avait vu de trop près (1614) les États généraux pour désirer les réunir. Il n’était pas davantage
d’humeur à tolérer les velléités politiques des Parlements; il fut en cela soutenu par Louis XIII qui déchira de sa
propre main la délibération du Parlement de Paris, refusant d’enregistrer une déclaration contre les complices de
Monsieur (1631). En 1641, dans un lit de justice, le roi reprocha au Parlement d’avoir voulu « ordonner du
gouvernement de notre royaume et de notre personne », rappela que « nos cours n’ont été établies que pour
rendre la justice à nos sujets », et leur commanda d’enregistrer sans examen les édits sur le gouvernement; les
remontrances ne seront admises que pour les édits bursaux. – Les États provinciaux, qui existaient encore dans la
plus grande partie des provinces, ne furent pas mieux traités. Richelieu voulut leur enlever leurs prérogatives
financières et établir en pays d’États le système des élections; des révoltes éclatèrent (Provence, Bourgogne,
Dauphiné, Languedoc), qui furent durement réprimées. Les privilèges communaux eux-mêmes portaient
ombrage à Richelieu; il profita de la capitulation de La Rochelle pour supprimer sa constitution républicaine. Il
en fut de même de Rouen après la révolte des va-nu-pieds.
Tout despote qu’il fût, le cardinal sentait le besoin, pour un pouvoir qui veut être fort, de s’appuyer sur
l’opinion publique. À défaut d’États généraux, il aimait à réunir des assemblées de notables : en 1625 et 1626, il
fit approuver par ces assemblées sa politique intérieure et étrangère. Il cherchait même à agir sur l’opinion par la
voie de la presse, par Le Mercure, par La Gazette, à laquelle collaborait le roi lui-même, par de petites brochures
de polémique. Mais le terrible journaliste n’aimait pas qu’il y eût en France d’autres journalistes que lui : « Les
faiseurs de livres serviraient grandement le roi et obligeraient bien fort ceux qui sont auprès de lui, s’ils ne se
mêlaient point de parler de leurs actions, ni en bien ni en mal… » Dans les circonstances graves, Richelieu savait
entrer directement en contact avec la foule : témoin la terrible crise de Corbie (1636) où, les Croates étant à
Pontoise, le cardinal haï, menacé, n’hésita pas à traverser Paris en carrosse, et suscita un admirable élan
patriotique.
Justice
Le grand crime de Richelieu, c’est d’avoir systématiquement violé les formes tutélaires de la justice. Ce n’est pas
que la plupart de ses victimes ne fussent des coupables; mais ils ont été jugés de façon à passer pour innocents,
arrachés à leurs juges naturels, jugés par des commissions extraordinaires, jugés sous l’œil du maître, parfois
dans la propre maison de Rueil, jugés souvent sans preuves. Lui-même a exposé avec un cynisme effrayant sa
théorie de la raison d’État : « En matière de conspiration, il est presque impossible d’en avoir (des preuves) de
mathétiques, mais quand les conjonctures sont pressantes, les autres doivent en tenir lieu, lorsqu’on les juge
telles… », et encore : « Au cours des affaires ordinaires, la justice requiert une clarté et une évidence de
preuves… Mais ce n’est pas de même aux affaires d’État, car souvent les conjectures doivent tenir lieu de
preuves… » - Il y a cependant d’excellentes choses dans l’ordonnance qu’il fit rédiger en 1629 par Michel (d’où
le nom de code Michau) de Marillac. – Il fit tenir des grands jours à Poitiers en 1634.
Finances
Richelieu, « si bien informé en politique, ne l’était jamais en matière de finances » (d’Avenel). Ses intentions
étaient bonnes. Il voulait mettre fin au désordre et au pillage qui duraient depuis le départ de Sully. Il voulait dès
1625 dresser un état des dépenses et des recettes. Aidé par le surintendant d’Effiat, il n’y parvint guère qu’en
1640. Les dépenses de guerre rendaient ces précautions illusoires, faisant monter dès 1634 l’extraordinaire de 30
à 80 millions. Il dut recourir à des expédients : emprunts forcés, taxe des aisés, création de rentes (1626-32-3439); la dette de l’État passa de 12 à 18 millions de rente. Volé par les financiers, il avait essayé vainement de leur
faire rendre gorge au moyen d’une chambre de justice; il arracha à Bullion l’aveu écrit de ses vols; il fit
condamner Marillac pour malversations. Mais son incompétence financière le mettait à leur discrétion. Toujours
à court d’argent, il fut obligé d’emprunter à son compte personnel pour prendre La Rochelle, et perdit la
Valteline faute d’avoir pu envoyer 30 000 écus à Rohan. – Les rébellions contre l’impôt furent constantes. Il
fallut Gassion et 4000 hommes pour réprimer la sédition de Normandie. En Guyenne, on tuait les receveurs, une
insurrection paysanne éclatait, les régiments refusaient de marcher (1635). Les croquants de Gascogne livraient
bataille au duc de La Valette, perdaient 14 000 hommes, et se retiraient à Bergerac, à 5000 ou 6000, avec du
canon. « Je ne sais, écrivait alors Richelieu à Bullion, comment vous ne pensez un peu plus que vous ne faites
aux conséquences des résolutions que vous prenez dans votre conseil des finances ». Mais il était incapable de
réaliser une réforme financière.
Richelieu
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Commerce et colonies
Il faisait cependant de louables efforts pour développer la richesse de la nation, reprenant sur ce point
l’œuvre de Henri IV. Le code Michau rétablit les édits sur la fabrication des tissus ; il encourageait le commerce
maritime, réservait le cabotage aux navires français et interdisait aux Français d’employer des navires étrangers.
(c’était déjà l’esprit qui dictera à Cromwell l’Acte de navigation), établit la réciprocité pour les marchandises
étrangères. « Il n’y a royaume, avait dit Richelieu à l’assemblée de 1626, si bien situé que la France et si riche de
tous les moyens nécessaires pour se rendre maître de la mer; pour y parvenir, il faut voir comme nos voisins s’y
gouvernent, faire de grandes compagnies… » Cette même année, il poussait à la fondation de celle du Morbihan
ou des Cents associés, que le Parlement de Rennes refusa d’enregistrer; en 1627, nouvel échec avec la Nacelle
de Saint-Pierre fleurdelysée. Cela ne l’empêcha pas de créer successivement les compagnies du Canada, des îles
de l’Amérique, une Compagnie normande (1633, pour le Sénégal), celle de l’Ile Saint-Christophe (1635, réorg.
1642), enfin celle des Côtes orientales de l’Afrique (1642, Madagascar), à la fois compagnie de commerce et
société de colonisation, où il entrait lui-même et où il faisait entrer les nobles et les gens en place. Il protégea les
explorateurs (Champlain, Desnambuc, Razilly), il favorisa le peuplement des terres neuves (il eut le tort
d’interdire aux protestants le séjour du Canada). Il envoie Tavernier en Perse, il signe des traités de commerce
avec le tsar, avec le Danemark, même avec le Maroc (1631); il obtient la restitution du Bastion de France (1640).
Marine-armée
« Les compagnies seules ne seraient pas suffisantes, si le roi, de son côté, n’était armé d’un bon nombre
de vaisseaux pour les maintenir ». Richelieu veut une marine pour protéger le commerce français contre les
corsaires, mais aussi pour enlever à l’Espagne l’empire des mers. Lorsqu’il supprima l’amirauté, il se fit donner
à lui-même le titre de grand maître et surintendant de la navigation (1626); il avait été obligé, pour lutter contre
La Rochelle en 1625, de demander des vaisseaux à la Hollande et à l’Angleterre. Ne voulant accorder et n’osant
refuser le salut aux Anglais, il faisait naviguer nos vaisseaux sous pavillon hollandais. Après le grand siège, il fit
visiter nos côtes par d’Infreville et établit des arsenaux au Havre, à Brest, à Brouage. Il avait déjà (dans le
Ponant) 90 navires de 600 tonneaux, et fit construire la Couronne de 2000 tonneaux. Sur les galères du Levant, il
porta l’effectif des rameurs de 150 à 300 et 400 et créa des vaisseaux ronds.
L’armée n’était pas en moins mauvais état que la marine. Aussi est-ce d’abord par les mains de ses
alliés, puis avec des armées étrangères à ses gages, que Richelieu combat la maison d’Autriche. Il rendit les
capitaines responsables du recrutement des compagnies, renonça au système vieilli de l’arrière-ban, confia les
commandements à des gens sûrs, ses parents (Maillé-Brézé) et ses protégés (Marillac, La Valette). À la fin de
son ministère, il obtint déjà des succès militaires; il avait préparé l’armée de Condé et de Turenne.
III. SA POLITIQUE ETRANGERE
On aimerait à retrouver dans la politique étrangère du cardinal cette belle unité qu’il y a mise dans ses
mémoires : « plus homme d’État qu’homme d’Église », chef de la coalition protestante contre la maison
d’Autriche, il veut donner à la France ses frontières naturelles et maintenir l’anarchie allemande.
En réalité, la situation de la France imposait à Richelieu, en 1624, des plans beaucoup plus modestes,
une politique purement défensive : garder les clefs des Alpes, garantir la frontière du Nord-Est; pour cela,
empêcher les deux branches de la maison d’Autriche de reformer l’empire de Charles-Quint, et maintenir
l’équilibre établi à Vervins. De là, l’importance capitale de la question de la Valteline et des Grisons, chemin du
Milanais espagnol au Tirol autrichien. Dès juin 1624, il envoyait de Coeuvres comme ambassadeur
extraordinaire auprès des Suisses et des Ligues grises; en novembre, devenu maître absolu, il n’hésita pas à
entrer en guerre avec Urbain VIII, à transformer de Coeuvres en général, qui s’empare de la Valteline. Il exige
du pape que le passage ne puisse être accordé aux Espagnols que contre les Turcs, et avec le consentement du roi
très-chrétien; il désavoue le P. Joseph qui voulait transiger sur ce point; il fait approuver par les notables cette
politique antipapale, à l’heure même où il défait Soubise. Il noue un faisceau d’alliances protestantes, renouvelle
les traités avec les Provices-Unies, marie, malgré les résistances des dévots, la sœur du roi au prince de Galles,
beau-frère du Palatin, soutient Mansfeld, pousse Christian IV à entrer dans la lutte. Malheureusement les
agitations intérieures le forcent à s’arrêter; s’il désavoue l’alliance signée à Madrid, à l’instigation du parti
catholique, par du Fargis, il doit se contenter du traité bâtard de Monçon (1626). Il est ensuite immobilisé par la
révolte de La Rochelle et la rupture avec l’Angleterre qui l’empêchent de tirer parti du brillant fait d’armes du
pas de Suze (1629).
En Allemagne, son idée de derrière la tête était certainement de dégager la lutte contre la maison
d’Autriche de tout élément religieux, de « rompre le faisceau des États catholiques qui, en Allemagne et en Italie,
Richelieu
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s’unissaient autour de la maison d’Autriche et à les attirer sous le patronage et la direction de la France »
(Fagniez). Entre la ligue évangélique et l’empereur, il voudrait constituer un tiers-parti (Savoie, Venise,
Électeurs ecclésiastiques, Bavière), dont le chef nominal (Maximilien) eût remplacé les Habsbourg. Ce plan était
naturellement caressé par le P. Joseph et par la diplomatie capucine. Mais les tergiversations du Bavarois
rejetèrent Richelieu dans le camp protestant; il se contenta dès lors de stipuler, dans ses traités avec les princes
luthériens, des garanties pour leurs sujets catholiques.
Il désavoue le traité signé à Ratisbonne par le P. Joseph (qui a cependant empêché l’élection du roi des
Romains) au sujet de l’affaire de Mantoue; et par celui de Cherasco il obtient l’investiture du duc de Nevers,
l’évacuation de la Valteline, Pignerol (1631). En relations avec Gustave-Adolphe dès 1624, il lui a moyenné en
1629 une trève de six ans avec la Pologne; par le traité de Baerwald (1631), il lui accorde un subside annuel de
plus d’un million; le roi de Suède doit entrer en Allemagne avec 30 000 hommes et 6000 chevaux, rétablir les «
libertés germaniques » comme avant 1618, garantir les droits des catholiques, respecter la Bavière et la ligue
catholique si elles restent neutres. Le génie et les succès foudroyants de Gustave, sa marche hardie sur le Rhin
inquiétèrent Richelieu, et la mort de son allié fut peut-être pour lui un soulagement. Mais cette mort devait forcer
la France à sortir peu à peu de son attitude défensive, à prendre la tête de la coalition protestante. Comme
compensation à cette politique active, Richelieu entrevoyait ces résultats : démembrer les Pays-Bas et mettre
Paris à l’abri d’une invasion; détacher complètement les Trois-Évêchés de l’empire, occuper et garder la
Lorraine et les places de la Haute-Alsace, étendre notre protectorat sur Trèves, prendre le Roussillon, exercer une
influence en Italie par Pignerol et le Montferrat. L’intervention du duc de Lorraine dans les affaires de Gaston lui
sert de prétexte; La Force occupe le duché, Saverne et Hagueneau, et Richelieu, dès 1634, protège les places de
la Haute-Alsace.
La situation devient très grave après la défaite de nos alliés à Nordlingen. La Saxe, le Brandebourg,
Mecklembourg, Brunswick abandonnent la ligue de Heilbronn; la guerre va devenir une lutte nationale : d’un
côté, la France et ses alliés, de l’autre, presque toute l’Allemagne autour de l’empire. Richelieu sent que l’heure
suprême est venue (1635). Il signe (3 février) un traité d’alliance offensive et défensive avec les ProvincesUnies. À Compiègne (28 avril), la France et la Suède s’engagent à ne pas traiter l’une sans l’autre; Bernard de
Saxe-Weimar met à notre disposition ses 18 000 hommes, moyennant 4 millions par an et la promesse d’être
landgrave. La Savoie s’unit à nous (Rivolu, juillet). Dès le 19 mai, Richelieu a déclaré la guerre à l’Espagne.
L’infériorité militaire de la France faillit tout perdre (1636, année de Corbie). Le relèvement national
(volontaires, 60 000 hommes, défense de Saint-Jean-de-Losne, Gallas rejeté au delà du Rhin) permet à Richelieu
de combiner une opération gigantesque : attaquer les Pays-Bas pendant que Baner par la Bohême et Bernard par
le Danube marcheront sur Vienne, que le Transylvain Rakoczy et les Turcs envahiront la Hongrie (1637). Baner
échoua, mais Bernard prit Brisach (1638). Il mourut, comme était mort son maître Gustave, à l’heure précise où
il devenait dangereux pour la France. Ses lieutenants nous cédèrent l’Alsace (traité de Brisach, 9 octobre 1639)
dont la conquête fut achevée par Guébriant. En même temps qu’il prenait Arras, Richelieu soudoyait contre
l’Espagne les révoltes du Portugal et de la Catalogne; les Catalans choisirent Louis XIII pour leur roi, et
Richelieu mourant s’empara de Perpignan. Lorsque le grand prieur des dominicains, chargé par Ferdinand III de
faire appel à la conscience de ce prince de l’Église chef des hérétiques, arriva à Paris, le cardinal était mort. – Sa
politique étrangère, qui aboutira aux traités de Westphalie, a été à la fois prudente et hardie; il s’est parfois laissé,
du premier coup, emporter trop loin, mais il savait reculer, attendre, choisir son heure, profiter des circonstances.
Il y a plus de sagesse dans cette politique que dans celle de ses successeurs, moins de cette ambition désordonnée
qui deviendra un danger pour l’Europe.
IV. L’HOMME
Nous connaissons l’aspect physique de Richelieu par l’admirable portrait de Philippe de Champaigne
[…]. Le cardinal y paraît en pied en pied, superbement vêtu, avec son amour du faste et de l’élégance ; le visage
fin et long, d’un gentilhomme plus que d’un prêtre, avec la moustache et la barbe en pointe ; le nez mince et
grand, la bouche railleuse; l’œil petit, mais perçant, avec quelque chose de douloureux; le front vaste, et sur tout
cela l’air comédien ; le geste à la fois poli et hautain, une main tenant la barrette, l’autre tout ensemble
dominatrice et souple, le corps en mouvement, frémissant d’impatience. C’est ainsi qu’il dut parler à Louis XIII,
le jour où il lui remontra tout ce qui lui manquait pour être un grand roi, le faisant rentrer en lui-même, menaçant
de le quitter, enfin le reprenant par ses manières séduisantes, presque caressantes. De Ph. de Champaigne, nous
avons également (à Londres, National Gallery, 798) un curieux tableau, représentant la face et les deux profils,
d’ailleurs assez dissemblables, du cardinal.
Il lui fallait déployer toutes ses ressources pour se débattre contre les obstacles. Sa santé d’abord :
depuis les fièvres de Luçon, sa tête était « la plus mauvaise du monde ». « Mon mal de tête me tue », écrivait-il
Richelieu
10
en 1621. Il promettait par écrit de faire célébrer à Richelieu une messe tous les dimanches « s’il plaît à la divine
bonté, par l’intercession du bienheureux apôtre et bien-aimé saint Jean, me renvoyer ma santé et me délivrer
dans huit jours d’un mal de tête extraordinaire qui me tourmente ». À cela s’ajoutèrent des hémorroïdes qui lui
rendaient le travail de cabinet extrêmement pénible, une maladie de vessie, enfin des furoncles qui le tuèrent à
cinquante-huit ans. Toujours en guerre contre son misérable corps, il soutenait une lutte de tous les instants
contre son entourage, contre les indécisions du roi, contre la reine mère, Monsieur, la reine régnante, les favoris,
les complots, l’assassinat. Toutes les grandes choses qu’il a faites, ce fut entre une maladie et la menace d’un
coup de poignard. Avec cela, impopulaire, haï, seul responsable aux yeux de la foule de toutes les sévérités du
règne, ministre détesté de « Louis le Juste ». Il y a quelque chose de vraiment tragique (encore que romanciers et
poètes en aient exagéré la sauvage grandeur) dans ses derniers jours : le cardinal-duc et le roi, tous deux
mourants, chacun dans un lit, dans la même chambre, gardant tout juste assez de force pour faire couler le sang
des traîtres ; puis Richelieu porté par ses gardes, aux eaux de Bourbon et à Paris, dans une vraie chambre si vaste
qu’il faut abattre les murailles des villes, passant à travers la terreur et la haine, sentant sa mort désirée. Celui
qu’il eût voulu pour successeur, le P. Joseph, était mort avant lui : il laissait son fidèle serviteur, Chavigny, un
bon travailleur, Sublet du Noyer, et Mazarin.
Un tel homme était-il accessible à la tendresse ? Ses apologistes ont été jusque-là. En réalité, c’était un
caractère âpre et dur, sans scrupules comme sans faiblesse. Il a écrit des phrases comme celles-ci : « Un homme
de grand cœur ne doit jamais refuser un parti douteux, quand il y a apparence qu’il puisse réussir… En tel cas, la
retenue et la prudence est criminelle, et la témérité vertu », et comme celle-là : « Il fallait lors acheter les
moments non seulement au prix de l’or, mais du sang des hommes ». La seule détente qu’il se permît parfois,
c’était le rire : les gambades folles quand il apprit sa promotion au cardinalat, les facéties de Boisrobert. Il ne
faut pas voir en lui un saint de désintéressement. Il a aimé l’argent comme le pouvoir et l’a poursuivi de la même
passion âpre. S’il est moins avide que la plupart de ses contemporains et que son successeur, s’il a refusé une
pension de 20 000 écus, 40 000 de l’amirauté, 100 000 de droit d’amiral, 1 million que lui offraient les partisans,
il a, dès 1617, un revenu de 25 000 livres en biens-fonds et autant en bénéfices ; en 1642, il laisse en terres 200
000 livres de rente et il a collectionné des abbayes (Coursay, Redon, Pontlevoy, Ham, Cluny, Marmoutiers,
Saint-Benoît, La Chaise-Dieu, Saint-Arnoul de Metz, etc.) jusqu’à 500 000 écus de rentes, plus de 100 000 écus
de pensions, plus le gouvernement de la Bretagne, qui vaut 100 000 écus, etc. Mais il ne thésaurise pas, il
dépense, dépenses d’apparat et de gloire : dot à sa nièce d’Aiguillon, à sa nièce de Maillé ; constructions
superbes à Paris : le Palais-Cardinal, magnifique parure dont il enveloppe orgueilleusement sa chambre natale
(ancien hôtel de Rambouillet) ; la Sorbone qu’il reconstruit et qu’il augmente d’une chapelle où il se fit ensevelir
(son monument par Girardon) ; à Rueil, à Richelieu, où il édifie toute une ville, avec jardins, eaux jaillissantes,
pour y enchâsser le modeste manoir des du Plessis ; dépenses pour se constituer un duché : il achète l’IleBouchard à La Trémouille, échange Chinon au roi, Champigny à Monsieur. Il sait donner, pour la politique, pour
les lettres. Il offre au roi (dès 1636) le Palais-Cardinal, sa « chapelle de diamants », et son « grand buffet
d’argent ciselé ».
Il était très vaniteux et tenait à ses nombreux titres : duc de Richelieu et de Fronsac, pair, commandeur
du Saint-Esprit, gouverneur de Bretagne, grand maître de la navigation, etc.
Était-il avide encore d’autres jouissances ? A-t-il eu des relations intimes avec Marie de Médicis, avec
la duchesse d’Aiguillon sa nièce, avec Marion de Lorme? « Il n’est pas douteux, dit Avenel, que… les bruits
dont s’amusaient les ruelles et qu’ont propagés les chroniques scandaleuses sur ses mœurs peu sévères n’aient eu
quelque fondement. » Du moins l’histoire de son amour pour Anne d’Autriche est-elle pure légende.
Ce cardinal, très peu prêtre, n’était pas un homme sans religion. Si le P. Joseph eut sur lui tant
d’influence, c’est un peu comme confesseur et directeur. Ce grand esprit n’était pas inaccessible à la dévotion ni
à la superstition : on l’a vu vouer une messe à saint Jean son patron pour guérir ses migraines ; dans la crise de
1636, il voua la France à la Vierge; il vit dans la délivrance de Saint-Jean-de-Losne l’accomplissement d’une
prophétie d’une calvairienne ; il se laissa prendre aux alchimistes, il crut aux sorciers (il y a autre chose que de la
politique et de la rancune dans l’affaire d’Urbain Grandier). Persuadé que la Providence intervient dans les
affaires du monde, il n’hésite cependant pas à se servir de son caractère sacré pour des fins purement humaines.
Quelques jours avant l’exécution de Chalais, il officie lui-même devant le roi, la reine et Monsieur, il leur fait un
sermon sur l’eucharistie, et, avant de leur donner la communion, menace Gaston d’«une seconde descente du
grand Dieu sur sa personne, non en manne comme celle d’aujourd’hui, mais en feu et en tonnerre». S’il n’a pas
dit « Je couvre tout de ma soutane rouge », il l’a pensé.
Le cardinal revit dans de nombreuses œuvres d’apologétiques et de controverse : les Ordonnances
synodales de 1613, la réponse Aux quatre ministres de Charenton (Poitiers, 1617) ; l’Instruction du chrestien ou
Catéchisme de Luçon (Avignon, 1619), et ses deux œuvres posthumes, le Traité de la perfection du chrestien
(1646) et le Traité qui contient la méthode la plus facile et la plus asseurée pour convertir ceux qui se sont
séparés de l’Église (1651). Soucieux de la postérité, très accessible à la vanité littéraire, Richelieu écrivait
Richelieu
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beaucoup, et dictait beaucoup à ses secrétaires (Charpentier et autres); avant d’agir, il rédigeait des notes sur ses
desseins. Aussi avons-nous de lui son Testament politique (Amsterdam, 1633), dont Voltaire a vainement
contesté l’authenticité ; ses Mémoires (1823 ; un fragment paru en 1730), où il s’est drapé devant l’avenir; son
Journal de 1630-1631 (Paris, 1645). Avenel a publié ses Lettres (8 volumes des Doc. inéd.); Hanotaux, ses
Maximes d’État (même collection). Le cardinal y paraît tour à tour précieux, maniéré, guindé quand il veut faire
du style, grand écrivain quand il s’oublie pour ne songer qu’à la politique. Il se croyait grand écrivain toujours, et
surtout grand auteur dramatique. On sait qu’il faisait travailler cinq auteurs à des pièces (Les Tuileries, La
Grande Pastorale, Mirame) qu’on n’applaudissait qu’en sa présence. Il fut certainement jaloux des succès de
Corneille, et à peine avait-il créé l’Académie française (1635) qu’il la chargeait de critiquer Le Cid. - [Sur
Richelieu auteur dramatique et sur la querelle du Cid, voir la note qui suit cette notice. L'Enc. de L'Ag.]
On a jugé très diversement Richelieu. On l’a loué d’avoir porté un coup terrible à la féodalité. On l’a
accusé d’avoir renversé l’antique constitution française. Toujours est-il qu’il avait le droit de dire en mourant : «
Je n’ai eu d’ennemis que ceux de l’État ». Il est impossible d’énumérer les œuvres littéraires qu’il a inspirées.
Citons seulement la Marion Delorme de Hugo et le Cinq-Mars de Vigny."
H. Hauser, article «Richelieu» de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres
et des arts. Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig
Derenbourg, F.-Camille Dreyfus [et al.]. Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, Société
anonyme de «La grande encyclopédie», [191-?]. Tome vingt-huitième (Rabbinisme-Saas), p. 641-648.
Richelieu a-t-il persécuté Corneille?
M. Batifol s’attache à détruire la légende qui veut que Richelieu, jaloux du succès du Cid où il aurait vu
l’exaltation des Espagnols et du duel, ait persécuté Corneille. En examinant les papiers du Cardinal et à l’aide
des faits du temps, mieux connus, il apparaît que Richelieu, grand seigneur, très intelligent, a aimé le théâtre,
mais être lui-même, ainsi qu’on le prétend, auteur dramatique; que, trop préoccupé par la situation intérieure et
extérieure de la France, il n’eut certainement pas le loisir de suivre de près la querelle du Cid. La pièce, jouée
avec un si éclatant succès, fut donnée deux fois sur le théâtre particulier du Cardinal et valut à son auteur
l’anoblissement et une pension. En réalité, le consentement que Boisrobert, l’intendant des menus plaisirs de
Richelieu, enleva à son maître, devint un ordre aux yeux de l’Académie, qui rédigea alors Les sentiments de
l’Académie sur le Cid; Richelieu les lut et s’attacha à les adoucir autant qu’il put; ce fut lui enfin qui arrêta la
polémique, de plus en plus envenimée, et dès lors il ne cessa pas ses bonnes relations avec Corneille. Ainsi cette
légende, née du récit de Pellisson, dans l’Histoire de l’Académie, parut en 1653, connut le succès à cette date,
parce qu’elle flattait ceux qui attaquaient si violemment le souvenir du Cardinal; mais aujourd’hui, possédant
mieux le caractère de Richelieu, la vérité nous apparaît plus vraisemblable que la légende. (Louis Batiffol, Revue
des Deux Mondes, 1er avril 1923). Ce résumé a paru dans: Chronique des lettres françaises, 1ère année, no 3,
mai-juin 1923, p. 368.
Œuvres de Armand-Jean du Plessis, cardinal de Richelieu
Mémoires du cardinal de Richelieu sur le règne de Louis XIII, depuis 1610 jusqu'à 1638. Publiés par JosephFrançois Michaud et Jean-Joseph-François Poujoulat. Paris, Éditions du commentaire analytique du Code civil,
1837 (Nouvelle collection des mémoires pour servir à l'histoire de France): (première partie) : 624 p.; (deuxième
partie): 673 p.; (troisième partie): 660 p. (BNF, Gallica – mode image, format PDF)
Collection complète des mémoires relatifs à l'histoire de France. Deuxième série: Mémoires du cardinal de
Richelieu. Seconde partie. Édité par Claude-Bernard Petitot. Paris, Foucault, 1821, 541 p. (BNF, Gallica – mode
image, format PDF)
Documentation
Jules Michelet, Richelieu et la Fronde. Reproduction de l’édition : Paris, Chamerot, 1858, 466 p. (BNF, Gallica
– mode image, format PDF)
Charles-Jacques-Victor-Albert de Broglie, «Richelieu et la monarchie absolue», dans l’ouvrage du même auteur:
Histoire et diplomatie, Paris, Calmann-Lévy, 1889, p. 167-206 (BNF, Gallica – mode image, format PDF) – on
inscrit 167 dans la section Pagination pour accéder au début du texte.
Portrait du cardinal de Richelieu, par La Bruyère.
Maximin Deloche, "Le Testament politique du cardinal de Richelieu", Revue historique, année 55, tome 165,
septembre 1930 (Bibliothèque nationale de France, Gallica - mode image, format PDF)
Richelieu
12
DOCUMENTS ASSOCIES
Pensées tirées de ses écrits
État, guerre, paix, corruption, bien public, etc.
Pensées tirées des oeuvres de Richelieu La Paix et la Guerre Faire mal une paix, c’est préparer une nouvelle
guerre et quelque fois pire que celle qu’on veut finit. Ceux qui violent la foi publique manquent autant à eux
comme à autrui. Un ami abandonné est ennemi plus irréconciliable que ceux qui de tout temps ont été ennemis.
Toute la prudence politique ne consiste qu’à prendre l’occasion la plus avantageuse qu’il se peut de faire ce
qu’on veut. Le temps est le plus précieux trésor non seulement de la guerre mais de toutes les glorieuses
entreprises. Il n’y a point d’autre conseil à prendre que de se résoudre à continuer fortement la guerre, jusques à
ce que les ennemis soient réduits à vouloir une juste paix. Plus on va en avant, plus reconnaît-on qu’il ne faut
qu’un chef en une armée et point de conseils publics. Le soldat qui tue en une juste guerre par le commandement
de son capitaine n’est non plus coupable que l’épée qui poussée de sa main perce le cœur de celui à qui il ôte la
vie. Jugements sur les peuples La légèreté ordinaire des Français leur fait désirer le changement à cause de
l’ennui qu’ils ont des choses présentes. Toutes les affaires de France n’ont rien de chaud que les
commencements. Notre grande ville se perdra par sa trop grande grandeur, son accroissement en bâtiments,
l’abord pour y habiter de toutes sortes de (...)
Le cardinal de Richelieu dans la littérature et l’art
GUSTAVE LARROUMET
art, littérature, théâtre, représentation, mémoire collective, historiographie
Représentation de la figure de Richelieu dans les lettres et dans les arts, à son époque et ultérieurement. L'auteur
insiste sur le fait qu'une réévaluation du rôle et de la valeur du personnage survient dans la littérature et
l'historiographie françaises à partir du milieu du 19e siècle.
Armand-Jean du Plessis, cardinal duc de Richelieu
FRIEDRICH VON SCHILLER
politique, raison d'état, morale, immoralité, mensonge, duplicité, manipulation, Guerre de trente ans, Marie de
Médicis, Louis XIII, cardinal de Retz
II. Armand-Jean du Plessis, cardinal duc de Richelieu (1) « Le cardinal de Richelieu avait de la naissance. Sa
jeunesse jeta des étincelles de son mérite. Il se distingua en Sorbonne; on remarqua de fort bonne heure qu’il
avait de la force et de la vivacité dans l’esprit. Il prenait d’ordinaire très-bien son parti. Il était homme de parole
où un grand intérêt ne l’obligeait pas au contraire; et en cela il n’oubliait rien pour sauver les apparences de la
bonne foi.»
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