L La recherche clinique à l’heure de la biologie moléculaire :

114 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XVII - n° 3 - mai-juin 2014
DOSSIER
FFCD-PRODIGE 2014
La recherche clinique
à l’heure de la biologie
moléculaire :
quelles conséquences ?
Clinical research at the time of molecular biology:
what consequences?
P. Michel*
* Service d’hépato-gastroentérologie,
CHU de Rouen.
L
a biologie moléculaire bouleverse nos connais-
sances concernant les tumeurs solides. Cette
révolution silencieuse a des conséquences sur la
prise en charge des pathologies les plus fréquentes.
À titre d’exemple, le traitement du cancer du côlon
non métastatique repose sur des études conçues au
e siècle, avant l’émergence de la biologie molé-
culaire de routine. Le traitement chirurgical suivi
d’une chimiothérapie adjuvante par FOLFOX (5-FU,
oxaliplatine) pour les cancers du côlon de stade III ou
II à haut risque fait l’objet d’un consensus fort fondé
sur des études randomisées. Ces études ont montré
un bénéfi ce statistiquement signifi catif. Lanalyse
critique des résultats montre cependant que le
bénéfi ce est relativement faible : 6,6 % de survie
sans récidive selon les données brutes de l’étude
MOSAIC (1). Dans cette étude, 26,9 % des patients
présentaient une récidive à 3 ans malgré l’utilisation
du FOLFOX, et 66,5 % n’avaient pas de récidive dans
le bras sans oxaliplatine ! Létude était positive en
raison du grand nombre de patients inclus (plus de
1 500). Qui sont donc les rares patients qui béné-
cient de l’oxaliplatine ? Le cancer du côlon est-il
une entité homogène ? Sommes-nous toujours prêts
(médecins et patients) à faire des études incluant
plus de 1 500 malades pour apporter un bénéfi ce à
moins de 10 % des sujets et une toxicité touchant
50 % des inclus ?
Le cancer du côlon n’est pas une entité homogène :
la biologie moléculaire nous permet aujourd’hui, au
quotidien, de prendre en compte la présence d’un
phénotype RER (instabilité microsatellitaire [MSI] ou
dMMR [defi cient MisMatch Repair]), d’une mutation
de la PI3K, d’une mutation de RAS ou de BRAF (2, 3).
Toutes ces altérations ne sont pas, à ce jour, utiles à
la décision thérapeutique, mais peut-être le seront-
elles demain. Ces différentes altérations molécu-
laires, associées à des critères morphologiques,
segmentent la population des cancers du côlon en
petites entités, estimées en France à entre 30 et
4 000 individus. Cette segmentation de la popula-
tion par les données de la biologie rend illusoire la
réalisation d’études simples nécessitant de grands
effectifs.
La première conséquence pour les investigateurs
pourrait être le découragement et la démobilisation,
et, en parodiant la tirade de Flambeau dans LAiglon
d’Edmond Rostand, nous pourrions dire :
“Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades
Qui screenons chaque jour toujours plus de malades
Sans espoir de succès ni même d’inclusion
Nous qui cherchons toujours et jamais ne trouvons
Ces mutations trop rares, trop savantes, qui inhibent
La marche de nos malades vers le crizotinib…
La deuxième conséquence de l’introduction de la bio-
logie moléculaire est le développement de schémas
d’études spécifi ques. Au moins 3 types de schéma
ont été proposés (4) :
Létude d’enrichissement, dans laquelle la sélec-
tion des patients est faite sur la présence ou l’absence
d’un marqueur. Lexemple type est l’étude ToGA,
réalisée dans la population des patients atteints de
cancers de l’estomac ayant une hyper expression du
récepteur HER2. L’avantage principal est la dimi-
nution de l’effectif à inclure.
© La Lettre du Cancérologue
2014;5(XXIII):158-9.
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XVII - n° 3 - mai-juin 2014 | 115
Point fort
»La segmentation des tumeurs par la biologie moléculaire reflète une nouvelle ère de la cancérologie.
Elle est possible grâce à l’émergence de biomarqueurs prédictifs et/ou pronostiques capables de modifier
la décision thérapeutique et de mieux définir des groupes de patients susceptibles de bénéficier des
traitements. En corollaire, elle bouleverse l’organisation de la recherche clinique qui nécessitera de plus
enplus souvent une vision transversale, fondée sur le profil moléculaire des tumeurs.
Mots-clés
Biologie moléculaire
Biomarqueur
Profi l moléculaire
Tumeur
Létude de stratifi cation, dans laquelle la rando-
misation est stratifi ée sur la présence ou l’absence
du biomarqueur. L’avantage de ce schéma est de
démontrer l’effet prédictif d’un biomarqueur.
Létude de stratégie comparant le traitement en
l’absence d’utilisation du biomarqueur à un traite-
ment utilisant le biomarqueur pour adapter le traite-
ment. Ce schéma démontre l’utilité d’un biomarqueur
mais nécessite un nombre de patients élevé.
La troisième conséquence du développement de la
biologie moléculaire est la possibilité et la nécessité
de rassembler des tumeurs morphologiquement
différentes mais qui présentent une cible thérapeu-
tique commune. Le premier exemple en pathologie
digestive a été le ciblage des mutations activatrices
de BRAF dans le cancer du côlon par des inhibiteurs
utilisés dans le mélanome. Léchec de cette stratégie
a conduit au développement de programmes théra-
peutiques de grande envergure fondés sur l’identi-
cation d’une cible thérapeutique commune mais
évaluant l’effi cacité dans des cohortes parallèles.
C’est le modèle du programme AcSé actuellement
en cours en France.
Cette évolution des connaissances de la biologie
tumorale devrait aboutir non pas à une segmentation
à l’infi ni, fruit d’une course à la personnalisation-
individualisation fantasmée, mais à de nouvelles
classifi cations identifi ant des profi ls de tumeurs
de pronostic différent, de sensibilité spécifi que à
certains traitements. Cette évolution est en marche
dans les cancers du côlon et de l’estomac (5, 6). Ces
regroupements doivent nous permettre de montrer
un effet thérapeutique pertinent au regard des
critères de nos sociétés du e siècle.
L’auteur n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.
Highlight
»
Tumours segmentation
bymolecular biology marks
a new era for oncology. It is
made possible by the emerging
predictive and/or prognostic
biomarkers, which are able to
infl uence the therapeutic deci-
sion and to better defi ne groups
of patients likely to profi t from
the treatments. Itthus modi-
es the organization of clinical
research, which will increasingly
require across-cutting approach
vision, based on the molecular
profi le of the tumours.
Keywords
Molecular biology
Biomarker
Molecular profi le
Tumor
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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue
le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
© février 1998 - EDIMARK SAS - Dépôt légal : à parution. Imprimé en France - AXIOM GRAPHIC - 95830 Cormeilles-en-Vexin
Un fl yer “DDW” est routé avec ce numéro.
1. André T, Boni C, Navarro M et al. Improved overall survival
with oxaliplatin, fl uorouracil, and leucovorin as adjuvant
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J Clin Oncol 2009;27(19):3109-16.
2. Ogino S, Liao X, Imamura Y et al. Alliance for Clinical
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3. Tougeron D, Sha D, Manthravadi S, Sinicrope FA. Aspirin
and colorectal cancer: back to the future. Clin Cancer Res
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4. Dancey JE, Dobbin KK, Groshen S et al. Biomarkers Task
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Guidelines for the development and incorporation of
biomarker studies in early clinical trials of novel agents.
Clin Cancer Res 2010;16(6):1745-55.
5. Marisa L, de Reyniès A, Duval A et al. Gene expression
classification of colon cancer into molecular subtypes:
characterization, validation, and prognostic value. PLoS
Med 2013;10(5):e1001453.
6. Lei Z, Tan IB, Das K et al. Identification of molecular
subtypes of gastric cancer with different responses to
PI3-kinase inhibitors and 5-fl uorouracil. Gastroenterology
2013;145(3):554-65.
Références bibliographiques
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