L La recherche clinique à l’heure de la biologie moléculaire :

publicité
Actualités
à la 25e JFCD
La recherche clinique
à l’heure de la biologie
moléculaire :
quelles conséquences ?
Clinical research at the time of molecular biology:
what consequences?
P. Michel*
L
a biologie moléculaire bouleverse nos connaissances concernant les tumeurs solides. Cette
révolution silencieuse a des conséquences sur la
prise en charge des pathologies les plus fréquentes.
À titre d’exemple, le traitement du cancer du côlon
non métastatique repose sur des études conçues au
XXe siècle, avant l’émergence de la biologie moléculaire de routine. Le traitement chirurgical suivi
d’une chimiothérapie adjuvante par FOLFOX (5-FU,
oxaliplatine) pour les cancers du côlon de stade III ou
II à haut risque fait l’objet d’un consensus fort fondé
sur des études randomisées. Ces études ont montré
un bénéfice statistiquement significatif. L’analyse
critique des résultats montre cependant que le
bénéfice est relativement faible : 6,6 % de survie
sans récidive selon les données brutes de l’étude
MOSAIC (1). Dans cette étude, 26,9 % des patients
présentaient une récidive à 3 ans malgré l’utilisation
du FOLFOX, et 66,5 % n’avaient pas de récidive dans
le bras sans oxaliplatine ! L’étude était positive en
raison du grand nombre de patients inclus (plus de
1 500). Qui sont donc les rares patients qui bénéficient de l’oxaliplatine ? Le cancer du côlon est-il
une entité homogène ? Sommes-nous toujours prêts
(médecins et patients) à faire des études incluant
plus de 1 500 malades pour apporter un bénéfice à
moins de 10 % des sujets et une toxicité touchant
50 % des inclus ?
* Service hépato-gastroentérologie,
CHU de Rouen.
Le cancer du côlon n’est pas une entité homogène :
la biologie moléculaire nous permet aujourd’hui, au
quotidien, de prendre en compte la présence d’un
phénotype RER (instabilité microsatellitaire [MSI] ou
dMMR [deficient MisMatch Repair]), d’une mutation
158 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 5 - mai 2014
de la PI3K, d’une mutation de RAS ou de BRAF (2, 3).
Toutes ces altérations ne sont pas, à ce jour, utiles à
la décision thérapeutique, mais peut-être le serontelles demain. Ces différentes altérations moléculaires, associées à des critères morphologiques,
segmentent la population des cancers du côlon en
petites entités, estimées en France à entre 30 et
4 000 individus. Cette segmentation de la population par les données de la biologie rend illusoire la
réalisation d’études simples nécessitant de grands
effectifs.
La première conséquence pour les investigateurs
pourrait être le découragement et la démobilisation,
et, en parodiant la tirade de Flambeau dans L’Aiglon
d’Edmond Rostand, nous pourrions dire :
“Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades
Qui screenons chaque jour toujours plus de malades
Sans espoir de succès ni même d’inclusion
Nous qui cherchons toujours et jamais ne trouvons
Ces mutations trop rares, trop savantes, qui inhibent
La marche de nos malades vers le crizotinib…”
La deuxième conséquence de l’introduction de la biologie moléculaire est le développement de schémas
d’études spécifiques. Au moins 3 types de schéma
ont été proposés (4) :
➤ L’étude d’enrichissement, dans laquelle la sélection des patients est faite sur la présence ou l’absence
d’un marqueur. L’exemple type est l’étude ToGA,
réalisée dans la population des patients atteints de
cancers de l’estomac ayant une hyperexpression du
récepteur HER2. L’avantage principal est la diminution de l’effectif à inclure.
Résumé
» La segmentation des tumeurs par la biologie moléculaire reflète une nouvelle ère de la cancérologie.
Elle est possible grâce à l’émergence de biomarqueurs prédictifs et/ou pronostiques capables de modifier
la décision thérapeutique et de mieux définir des groupes de patients susceptibles de bénéficier des
traitements. En corollaire, elle bouleverse l’organisation de la recherche clinique qui nécessitera de plus
en plus souvent une vision transversale, fondée sur le profil moléculaire des tumeurs.
Mots-clés
Biologie moléculaire
Biomarqueur
Profil moléculaire
Tumeur
➤ L’étude de stratification, dans laquelle la randomisation est stratifiée sur la présence ou l’absence
du biomarqueur. L’avantage de ce schéma est de
démontrer l’effet prédictif d’un biomarqueur.
➤ L’étude de stratégie comparant le traitement en
l’absence d’utilisation du biomarqueur à un traitement utilisant le biomarqueur pour adapter le traitement. Ce schéma démontre l’utilité d’un biomarqueur
mais nécessite un nombre de patients élevé.
La troisième conséquence du développement de la
biologie moléculaire est la possibilité et la nécessité de rassembler des tumeurs morphologiquement différentes mais qui présentent une cible
thérapeutique commune. Le premier exemple en
pathologie digestive a été le ciblage des mutations
activatrices de BRAF dans le cancer du côlon par
des inhibiteurs utilisés dans le mélanome. L’échec
de cette stratégie a conduit au développement de
programmes thérapeutiques de grande envergure
fondés sur l’identification d’une cible thérapeutique
commune mais évaluant l’efficacité dans des
cohortes parallèles. C’est le modèle du programme
AcSé actuellement en cours en France.
Cette évolution des connaissances de la biologie
tumorale devrait aboutir non pas à une segmentation
à l’infini, fruit d’une course à la personnalisationindividualisation fantasmée, mais à de nouvelles
classifications identifiant des profils de tumeurs
de pronostic différent, de sensibilité spécifique à
certains traitements. Cette évolution est en marche
dans les cancers du côlon et de l’estomac (5, 6). Ces
regroupements doivent nous permettre de montrer
un effet thérapeutique pertinent au regard des
critères de nos sociétés du XXIe siècle.
■
Highlights
» Tumours segmentation
by molecular biology marks
a new era for oncology. It is
made possible by the emerging
predictive and/or prognostic
biomarkers, which are able
to influence the therapeutic
decision and to better define
groups of patients likely to
profit from the treatments.
It thus modifies the organization of clinical research,
which will increasingly require
a cross-cutting approach vision,
based on the molecular profile
of the tumours.
Keywords
P. Michel n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.
Molecular biology
Biomarker
Molecular profile
Tumor
Références bibliographiques
1. André T, Boni C, Navarro M et al. Improved overall survival
with oxaliplatin, fluorouracil, and leucovorin as adjuvant
treatment in stage II or III colon cancer in the MOSAIC trial.
J Clin Oncol 2009;27(19):3109-16.
2. Ogino S, Liao X, Imamura Y et al. Alliance for Clinical
Trials in Oncology. Predictive and prognostic analysis of
PIK3CA mutation in stage III colon cancer intergroup trial.
J Natl Cancer Inst 2013:105(23):1789-98.
3. Tougeron D, Sha D, Manthravadi S, Sinicrope FA. Aspirin
and colorectal cancer: back to the future. Clin Cancer Res
2014;20(5):1087-94.
4. Dancey JE, Dobbin KK, Groshen S et al. Biomarkers Task
Force of the NCI Investigational Drug Steering Committee.
Guidelines for the development and incorporation of
biomarker studies in early clinical trials of novel agents.
Clin Cancer Res 2010;16(6):1745-55.
5. Marisa L, de Reyniès A, Duval A et al. Gene expression
classification of colon cancer into molecular subtypes:
characterization, validation, and prognostic value. PLoS
Med 2013;10(5):e1001453.
6. Lei Z, Tan IB, Das K et al. Identification of molecular
subtypes of gastric cancer with different responses to
PI3-kinase inhibitors and 5-fluorouracil. Gastroenterology
2013;145(3):554-65.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 5 - mai 2014 | 159
Téléchargement