Le tombeau de Pétosiris

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MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE
BULLETIN
DE L’INSTITUT FRANÇAIS
D’ARCHÉOLOGIE ORIENTALE
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BIFAO 98 (1998), p. 247-262
MENU (Bernadette)
Le tombeau de Pétosiris (4). Le souverain de l’Égypte.
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Annales islamologiques 49
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Instantanés d'Egypte
Roland-Pierre Gayraud, Lucy Vallauri
Thomas Faucher, Andrew R. Meadows, Catharine Lorber
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Mahmoud Abd el-Raziq, Georges Castel, Pierre Tallet
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Le tombeau de Pétosiris (4)
Le souverain de l’Égypte
Bernadette MENU
Œ
mêlant et intégrant avec bonheur des éléments
architecturaux et décoratifs à la fois égyptiens et gréco-macédoniens 1,
le tombeau de Pétosiris (IVe s. av. J.-C.) renferme des textes qui nous
font partager la réflexion d’un Sage dont l’expérience personnelle et
familiale, largement traditionnelle, a été profondément marquée par
deux événements aux conséquences considérables: la domination perse et la conquête
macédonienne.
Une dynastie hermopolitaine de grands prêtres au service de Thot s’est trouvée étroitement
liée à la conjoncture politique: Sishou, le père de Pétosiris, a exercé ses fonctions de sacerdote
et de conseiller royal sous Nectanébo II. Djethotefânkh, le fils aîné de Sishou, lui a succédé
vers la fin du règne du dernier pharaon égyptien; il s’est maintenu en place sous la seconde
domination perse. Quant à Pétosiris, le fils cadet de Sishou, il a été nommé mer-shen à
l’arrivée des Macédoniens; cela signifie que non seulement il a succédé à son frère dans ses
fonctions, mais qu’il a été investi par le nouveau pouvoir d’une charge administrative très
importante: la restauration du temple de Thot (bâtiments, approvisionnement, fonctionnement,
personnel, cérémonies et rites).
Les circonstances ont entraîné, pour Pétosiris, une révision profonde et mesurée de ses
conceptions philosophico-religieuses, morales et juridiques, enfin politiques 2. Ancrée dans le
legs ancestral, la pensée de Pétosiris s’ouvre et s’enrichit au contact des cultures voisines,
principalement grecque et proche-orientale, véhiculées depuis deux ou trois siècles, non
seulement par les pouvoirs dominants mais par les intiatives individuelles, le changement des
mentaliés s’opérant à la faveur de la circulation des idées, facilitée par les relations commerciales
UVRE COMPOSITE
1 C. PICARD, «Les influences étrangères au tombeau de Pétosiris: Grèce ou Perse?», BIFAO 30,
1931, p. 201-227; S. NAKATEN, LÄ IV, 995-998.
2 Voir mes précédents articles: B. MENU, «Le tombeau de Pétosiris. Nouvel examen», BIFAO 94, 1994,
p. 311-327; «Le tombeau de Pétosiris (2). Maât, Thot
et le droit», BIFAO 95, 1995, p. 281-295; «Le tombeau de Pétosiris (3). Culpabilité et responsabilité»,
BIFAO 96, 1996, p. 343-357; «La “voie de Dieu”
dans les inscriptions du tombeau de Pétosiris»,
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Le tombeau de Pétosiris (4). Le souverain de l’Égypte.
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Trans. 16 (= Mél. J. Briend), 1998, p. 21-30.
Ajouter à ma bibliographie précédente: C. THIERS,
«Civils et militaires dans les temples. Occupation
illicite et expulsion», BIFAO 95, 1995, p. 493-516.
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et militaires, ou par les échanges artistiques guidés par les phénomènes de mode. Pétosiris
s’adapte aux courants intellectuels qu’il rencontre mais, surtout, il met son savoir, nourri à
des sources séculaires, à l’épreuve des expériences vécues par ses deux prédécesseurs.
Le présent article sera consacré à l’analyse du problème politique crucial auquel Pétosiris
a été confronté: la souveraineté de l’Égypte et la légitimité royale. En effet, si l’obédience
au dernier pharaon se présente comme un modèle, une référence érigée en âge d’or, la
«realpolitik» de Djethotefânkh sous les Perses n’est suggérée qu’en demi-teintes dans les
inscriptions du tombeau de Pétosiris. Sans doute s’est-elle avérée en fin de compte néfaste
pour la personne de son promoteur 3, mais fut-elle un échec au niveau de l’intérêt général?
Il semble bien au contraire qu’elle ait permis à la famille sacerdotale de conserver et même
d’augmenter une autorité devenue très puissante à l’arrivée du conquérant macédonien.
Même si Djethotefânkh a été à ce moment-là physiquement écarté, voire éliminé, son
héritage moral, recueilli par son frère Pétosiris, montre que le grand prêtre de Thot avait
accumulé suffisamment de pouvoir pour détenir la capacité d’exercer des fonctions
régaliennes 4 . D’après les inscriptions, la position de Pétosiris vis-à-vis du souverain
macédonien se résume à l’essentiel: le grand prêtre s’est montré efficient et fidèle au
nouveau maître de l’Égypte, il en a été récompensé par l’intermédiaire de son dieu, Thot 5.
Bien entendu, la théorie politique dépasse largement ce constat sommaire, elle émane du
tombeau dans sa totalité: choix artistiques, disposition et progression des inscriptions 6,
contenu des textes et valeur exemplaire des biographies savamment composées.
Dans la première partie de l’article, j’examinerai, d’une part, les textes de Pétosiris qui
nous renseignent sur l’activité politique du personnage central, de son père et de son frère
aîné, et, d’autre part, l’activité architecturale présumée de Pétosiris en rapport avec Alexandre
le Grand et Philippe Arrhidée à Hermopolis.
La seconde partie sera consacrée au problème de l’insertion d’Alexandre le Grand et de
ses deux successeurs directs dans l’idéologie pharaonique. Quelques éléments de preuve
permettent de formuler l’hypothèse selon laquelle Pétosiris en fut l’un des artisans actifs.
1. Légitimité royale et concept de souveraineté
dans les inscriptions biographiques du tombeau de Pétosiris.
Aspects politiques de l’activité architecturale de Pétosiris
1. Les textes du tombeau
Aucun souverain n’est nommé dans les inscriptions, aucune date ne figure, mais on peut
restituer une chronologie des règnes, en regard de la biographie de chacun des trois principaux
personnages. Une terminologie précise et subtile est en outre utilisée pour désigner les
3 Cf. particulièrement BIFAO 94, 1994,
p. 315-320 et 326-327; BIFAO 95, 1995,
p. 289-292; BIFAO 96, 1996, p. 350-357.
4 G. LEFEBVRE, Le tombeau de Pétosiris, I, p. 9.
5 Inscr. 81, 87, traduction reproduite infra.
6 BIFAO 96, 1996, p. 348-353.
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LE TOMBEAU DE PÉTOSIRIS (4)
maîtres successifs du pays: Nectanébo II est nsw, bjty, «roi de Haute Égypte, roi de
Basse Égypte», tandis que le roi perse est Ìq“ n ≈“s.wt, «chef des pays étrangers», et le
souverain macédonien, Ìq“ n Kmt, «prince d’Égypte».
La chronologie familiale des grands prêtres hermopolitains, telle qu’elle résulte de l’analyse
des inscriptions, est la suivante: Sishou a exercé ses fonctions sous Nectanébo II;
Djethotefânkh a été choisi par Nectanébo II pour succéder à son père Sishou; des étrangers
sont venus gouverner l’Égypte; Pétosiris a reçu les faveurs du prince d’Égypte (le souverain
macédonien: voir infra).
A. LA
LÉGITIMITÉ PHARAONIQUE
Elle est incarnée en la personne de Nectanébo II, le dernier pharaon de la XXXe
dynastie. La carrière de Sishou s’est déroulée sous son règne, et Djethotefânkh a été nommé
par lui.
• Inscr. 69, 10 (Sishou) = Lefebvre, I, 126
«Aussi, je fus l’objet des faveurs du roi (nsw), et j’acquis l’amour de ma ville. Je causais
avec le roi (nsw) seul à seul (?), je lui exposais mes pensées véritables, sans dire de mensonges.»
• Inscr. 90, 1-2 (Sishou) = Lefebvre, I, 151
«Le Grand des Cinq, maître des sièges, aimé du roi de Haute Égypte (nsw), favorisé de
son dieu, faisant ce qui plaît à son père et à sa mère, bienveillant pour ses frères, délégué de
Sa Majesté (Ìm≠f) pour administrer le temple de Thot de Khmounou, faisant toutes les
choses pour lesquelles Sa Majesté l’a envoyé, – le prophète Sishou, vie et paix.
«Le Grand des Cinq, maître des sièges, favorisé du roi de Haute Égypte (nsw) à cause de
sa sagesse, honoré du roi de Basse Égypte (bjty) à cause de sa perfection, aimé du roi de
Haute Égypte parce qu’il pratique l’équité, cher au cœur du roi de Basse Égypte parce qu’il
dit la vérité, élevé par le roi (nsw) au-dessus de tous ses pairs, – le prophète Sishou, vie et
paix 7».
• Inscr. 102, 4 (Djethotefânkh) = Lefebvre, I, 184-185
«(Le Grand des Cinq, etc., Djethotefânkh) distingué par le roi (nsw) de préférence à tous
ses pairs pour administrer le temple de Thot seigneur de Khmounou.»
• Inscr. 105, 16 (discours de Pétosiris à Djethotefânkh) = Lefebvre, I, 186-187
«Combien est beau ce tombeau que j’ai construit pour toi!… J’ai parachevé ce tombeau
dans cette nécropole, et tous ceux qui y travaillèrent me remercièrent de ce que je fis pour
eux, (car) je leur fus agréable en toute chose […], les comblant de biens, et leur donnant
comme on faisait jadis, quand le roi était dans le Palais (jw nsw wn m ©Ì).»
Remarquons que bjty et nsw sont employés de manière alternative et non conjointe dans
ces inscriptions, bjty s’y présentant comme un synonyme restrictif de nsw (inscr. 90).
7 Autrement dit, Sishou exerce des fonctions judiciaires; il applique le droit, et il dit le droit, c’est-à-dire
qu’il crée la jurisprudence: BIFAO 95, 1995, p. 289-290.
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B. LE
GOUVERNEMENT DES
ÉTRANGERS
Sur la stèle de Naples, Sémataouitefnakht appelle le roi perse Ìq“ SÚt, «souverain d’Asie»,
tandis que Nectanébo II y est désigné comme netjer nefer, «dieu parfait» (stèle de Naples,
lignes 7-8) 8.
Pétosiris reste volontairement dans le flou lorsqu’il évoque la seconde domination perse.
• Inscr. 59, 2-3 (Pétosiris) = BIFAO 94, p. 321-322, et Lefebvre, I, 79-80
«On m’attribua (la charge) de mer-shen de Thot, seigneur de Khmounou, pendant sept ans.
Des Étrangers étant (venus) 9 gouverner l’Égypte (rmÚ ≈“sw.t m Ìq“ Kmt), je trouvai le temple
de Thot [tombé en ruine]… – car il y avait fort longtemps qu’on n’y avait effectué aucun
travail, depuis que des Étrangers étaient venus et avaient envahi l’Égypte (ƒr jj ≈“st(y)w m h(“)
Ìr Kmt).»
• Inscr. 62, 3 (Pétosiris) = BIFAO 94, p. 323
«[Je passai sept ans…], etc., à remplir ses greniers d’orge et de blé, et ses réserves
précieuses de toutes choses parfaites, au-delà de ce qui existait avant que des Étrangers ne
viennent gouverner l’Égypte (rmÚ ≈“sw.t m Ìq“ Bkt).»
• Inscr. 81, 26-27 (Pétosiris) = BIFAO 94, p. 323
«Alors qu’un chef des pays étrangers (Ìq“ n ≈“sw.t) exerçait son protectorat (nƒty) sur
l’Égypte, il n’y avait plus rien qui fût dans sa place d’autrefois.»
Notons que le titre de Ìq“ n ≈“sw.t n’est en rien méprisant lorsqu’il désigne un roi
égyptien ou considéré fictivement comme tel (c’est le nom des Deux-Déesses de Philippe
Arrhidée), de même lorsqu’il s’applique à un chef des armées (c’est le cas du général Nectanébo
sous Ptolémée Ier). En revanche, il est péjoratif pour le roi étranger qui gouverne à l’extérieur
pour des intérêts extérieurs à l’Égypte (voir infra).
C. LE
SOUVERAIN MACÉDONIEN, ROI D’ÉGYPTE
• Inscr. 81, 87 (Pétosiris) = Lefebvre, I, 136-144
«J’ai agi de telle sorte que mon maître Thot <m’>a exalté au-dessus de tous <mes> pairs,
en récompense de ce que j’ai fait: il <m’>a enrichi en toutes bonnes choses, en or, en argent,
en récoltes, etc.; je fus l’objet des faveurs du souverain de l’Égypte (Ìq“ n Kmt), et j’acquis
l’amour de ses courtisans.»
Venant à la fin de la longue autobiographie de Pétosiris, après l’énumération de tous ses
travaux de restauration, cette mention ne peut faire allusion qu’au nouveau souverain, le roi
macédonien Alexandre le Grand.
Dans un cadre limité aux inscriptions de Pétosiris, ces distinctions subtiles que je viens de
mettre en évidence acquièrent une grande importance: succédant au «souverain des pays
étrangers», un Ìq“, un souverain, exerce son gouvernement sur l’Égypte (n Kmt); on ne le dit
pas encore nsw bjty, pour ne pas le confondre avec Nectanébo II, mais aussi, peut-être, parce
8 P. TRESSON, «La stèle de Naples», BIFAO 30 (= Mél. V. Loret), 1931, p. 369-391.
9 BIFAO 94, 1994, p. 322-323.
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LE TOMBEAU DE PÉTOSIRIS (4)
que la légitimité protocolaire n’est pas le plus urgent; le Ìq“, c’est celui qui gouverne selon
les règles de la maât, c’est le bon pasteur: le sceptre-Ìq“ est le crochet à l’aide duquel le
berger ramène au troupeau, en le saisissant par la patte, le mouton qui s’égare; le Ìq“ est le
rassembleur qui produit la subsistance et accumule les vivres. Le Ìq“ n Kmt est donc celui
qui va apporter la prospérité au pays, alors que le Ìq“ n ≈“s.wt gouverne à l’extérieur, pour
des intérêts en grande partie étrangers à l’Égypte. L’espoir de Pétosiris, le riche, se trouve
donc dans l’abondance promise et revenue grâce au respect des rites par le nouveau souverain qui exerce ainsi pleinement sa fonction-Ìq“ 10.
Les dieux retrouvent la possession de leurs biens, leurs temples sont restaurés, leurs
domaines leur sont restitués, leurs autels sont bien pourvus en offrandes de toutes sortes;
bientôt, leurs statues enlevées par les Perses rentreront en Égypte (cf. la stèle du satrape).
À la fuite des richesses, source de malheur, imputable aux Perses, s’oppose le rassemblement
bénéfique, l’accumulation des biens opérée par les Macédoniens.
D. LE «MAÎTRE
DES
DEUX-TERRES»
DANS L’INSCRIPTION
63
L’inscription 63, vers laquelle convergent tous les textes du tombeau 11, contient l’aveu
de crimes politiques commis par Djethotefânkh au cours de l’exercice de son pontificat;
Djethotefânkh a infligé le châtiment suprême – la peine de mort –, outrepassant ainsi ses
attributions 12, mais il a agi de la sorte pour sauvegarder la royauté. Le parallèle qu’il faut
établir entre le texte de Djethotefânkh et une inscription d’Ankhnesnéferibrê 13 montre que
les deux personnages ont été guidés par un seul et même but: maintenir coûte que coûte le
principe royal dans son essence première.
«Elle (Ankhnesnéferibrê) a égorgé des hommes pour Sekhmet; elle a rôti des cœurs pour
la grande Maîtresse du Sud (nb(.t) Ωm© ©“(.t), avec le déterminatif du cobra); elle a renversé
les ennemis de Toum et les rebelles au maître universel.»
«Il (Djethotefânkh) a égorgé des hommes pour Sekhmet; il a rôti des cœurs pour le
Maître des Deux-Terres (nb t“.wy); il a renversé les ennemis [de Toum et les rebelles au
maître universel (?)].»
Des meurtres ont été perpétrés par Ankhnesnéféribrê et par Djethotefânkh, pour la
fonction royale légitime, incarnée respectivement en la personne de la Divine Adoratrice et
du roi national, sur ordre d’une autorité étrangère. Qu’importe la jeunesse (euphémisme
désignant l’ignorance) des deux héros d’un même drame se reproduisant à plusieurs décennies
d’intervalle: seule l’intention compte, et si la responsabilité politique est indéniable, la
culpabilité juridique et religieuse est exclue 14. Le sort de Djethotefânkh, entre Nectanébo II,
10 La double fonction royale (puissance-s≈m et
gouvernement-Ìq“) est exprimée dès les documents
de Narmer: B. MENU , Recherches sur l’histoire
juridique, économique et sociale de l’ancienne
Égypte, II, Le Caire, 1998, p. 12-13, p. 86-88, p. 95,
p. 122-125; sa mise en œuvre constitue la charte
fondamentale de tout pharaon: B. MENU, Ramsès
II. Souverain des Souverains, Paris, 1998, p. 57101; ead., «Le système économique de l’Égypte
pharaonique», Méditerranées 17, 1998, p. 71-97.
11 Voir la note (6), supra.
12 BIFAO 96, 1996, p. 350-353.
13 Le parallélisme entre l’inscription 63 du tombeau de Pétosiris et un texte du sarcophage de la
BIFAO 98 (1998), p. 247-262 MENU (Bernadette)
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Divine Adoratrice Ankhnesnéferibrê a été mis en
évidence par J. YOYOTTE lors d’une conférence
prononcée à l’AIDEA le 24 Juin 1989; cf. BIFAO 96,
1996, p. 350.
14 BIFAO 96, 1996, p. 352 et p. 356-357.
251
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Khababash (?) et Artaxerxès III, nous échappe en grande partie. La finalité de sa carrière
réside principalement dans la volonté de sauver l’essentiel des intérêts moraux et matériels
du dieu Thot et de ses desservants, devenus des relais du pouvoir pharaonique.
2. Les vestiges aux noms d’Alexandre le Grand et de Philippe Arrhidée dans
le temple de Thot à Hermopolis
L’activité architecturale restauratrice de Pétosiris est largement décrite dans son autobiographie (inscr. 59, 62 et 81, notamment). Le grand portique du temple de Thot à Hermopolis, construit par Nectanébo Ier, a reçu sous les règnes d’Alexandre le Grand et de Philippe
Arrhidée une décoration dont le maître d’œuvre est, selon la plus grande vraisemblance,
Pétosiris. Cette hypothèse a déjà été formulée par D.M. Bailey et S. R. Snape, au vu d’une
comparaison stylistique entre ce portique et celui qui précède la façade du tombeau de
Pétosiris 15; elle ne peut être que corroborée par l’analyse des inscriptions de ce tombeau.
Le portique du temple, actuellement détruit, nous est bien connu grâce aux représentations
fidèles qu’en ont donné Vivant Denon ainsi que les dessinateurs de la Description de l’Égypte.
Les missions anglaises du British Museum qui ont fouillé le site 16 ont permis de dégager
l’infrastructure et de regrouper les restes épars: bases de colonnes, blocs; ainsi, une base de
colonne retrouvée en 1982 a-t-elle livré la titulature complète de Philippe Arrhidée, et la
publication des blocs, en dépit de leur mauvais état, nous donne une liste des nomes de
Haute et de Basse Égypte (celle-ci moins complète que celle-là) présentant leurs productions
alimentaires à Thot, par les mains de Philippe Arrhidée, reconnu ainsi comme un souverain
véritable. Voici deux exemples bien conservés de cette litanie cérémonielle dont l’écho
politique est considérable: «Thot, successeur de Rê. Le roi de Haute et de Basse Égypte,
Maître des Deux-Terres, Mérikarê-Sétepen[amon] 17, fils [de Rê], Maître des sacres, Philippe,
est venu vers toi, t’apportant toutes les provisions-Ì.w et toutes les provisions-ƒf“.w qui sont
dans le VIIe nome de Basse Égypte, de sorte que tu lui donnes toute domination et toute
victoire, accédant comme roi de Haute et de Basse Égypte sur le trône d’Horus des vivants, à
jamais» (bloc 9, pl. 20). «Thot, Seigneur d’[Hermo]polis, [chef] des ibis. Le roi de Haute et
de Basse Égypte, Maître des Deux-Terres, Mérikarê-Sétepenamon, fils de Rê, Maître des
sacres, Phil[ippe] est venu vers toi, t’apportant toutes les provisions-k“.w et toutes les provisionsƒf“.w et toutes les bonnes choses qui sont dans le XIIe nome de Basse Égypte; il te les a
assignées pour ton Trésor, de sorte que tu lui donnes le ciel et la terre pour le satisfaire, et
tous les dieux comme protection derrière lui» (bloc 11, pl. 25).
15 D.M. BAILEY and S.R. SNAPE, The Great Portico
at Hermopolis Magna (= BMOP 63), Londres, 1988,
p. 5-6.
16 Voir, pour notre propos : D.M. BAILEY et S.R.
SNAPE, op. cit., d’où sont extraits les textes des blocs
cités ci-dessous; A.J. SPENCER, Excavations at ElAshmunein: II, The Temple Area, Londres, 1989.
L’extraction, en 1982, d’une section de colonne polygonale inscrite au nom de Philippe Arrhidée, est
mentionnée aux p. 42-43 de cet ouvrage.
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Le tombeau de Pétosiris (4). Le souverain de l’Égypte.
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17 Voir H. DE MEULENAERE, «Le protocole royal de
Philippe Arrhidée», CRIPEL 13, 1991, p. 53-58,
et infra.
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LE TOMBEAU DE PÉTOSIRIS (4)
2. La dynastie macédonienne et l’idéologie pharaonique
De la fin de l’année 332, marquée par la conquête d’Alexandre le Grand, jusqu’à
l’an 305-304, date de l’accession au trône de Ptolémée Sôter, vingt-huit années se sont écoulées
en Égypte, sous les règnes d’Alexandre III de Macédoine, «Pharaon Alexandre» dans les
documents démotiques, de son frère consanguin Philippe III ou Philippe Arrhidée, «Pharaon
Philippe», et de son fils Alexandre IV Aegos, «Pharaon Alexandre fils d’Alexandre-le-dieu»
jusqu’à l’an 6 de son règne, puis simplement «Pharaon Alexandre fils d’Alexandre» dans un
papyrus démotique daté de l’an 6, et également par la suite, non seulement jusqu’à sa mort
en l’an 8 (310 av. J.-C.), mais jusqu’à l’an 13, date de l’intronisation de Ptolémée 18.
A. La problématique, telle qu’elle est annoncée dans l’intitulé de cette seconde partie du
présent article, n’est pas exempte de difficultés, même si je me place dans un cadre résolument
institutionnel et sur le terrain exclusivement égyptien. Sur le plan idéologique, il n’est guère
possible d’isoler Alexandre de ses deux successeurs directs; ces trois souverains ont laissé en
Égypte des monuments relativement peu nombreux, mais très signifiants, qu’il est utile de
comparer entre eux. Les sources égyptiennes montrent, en outre, qu’il est impossible d’exclure
de notre période Ptolémée fils de Lagos, devenu satrape d’Égypte à la mort d’Alexandre le
Grand, en Juin 323, et proclamé roi en 305-304, cinq ans après l’assassinat d’Alexandre IV.
Ce que nous savons, actuellement, des rapports d’Alexandre le Grand avec l’Égypte,
nous a été légué par la tradition classique 19; or, les témoignages contemporains d’Alexandre
sont rares, et nous disposons de biographies de deuxième ou de troisième main souvent
empreintes de subjectivité. Qui plus est, ces récits s’intègrent dans un contexte grec ou latin
étranger à la vision pharaonique du pouvoir. Lorsque nous ferons parler les documents ou
les monuments égyptiens, il faudra tenter de relier les informations qu’ils nous livrent à des
interprétations déformées ou apparemment peu crédibles, soit pour les confirmer, soit pour
leur conférer un meilleur sens, je ne dirai pas pour les infirmer car je ne pense pas qu’il y ait
eu, même chez les auteurs tardifs, des inventions pures et simples; il y a sans doute toujours,
à la base, un fait ou un concept mal compris.
18 Cette dynastie macédonienne succédait à une
dynastie perse, constituée de trois rois
(Artaxerxès III, Arsès, Darius III Codoman) et qui,
elle-même, faisait suite à la dernière dynastie autochtone - la XXXe selon le découpage effectué par
Manéthon - dont le dernier grand souverain,
Nectanébo II, s’était enfui en Nubie lors de la reconquête de l’Égypte réalisée par Artaxerxès III au profit
de l’empire achéménide. Un dernier roi indigène,
Khababasch, avait tenté de s’imposer à la fin de la
seconde domination perse, mais son règne fut bref,
il a duré tout au plus deux ans. Voir: N. GRIMAL, Histoire de l’Égypte ancienne, Paris, 1988, p. 441-455;
P. BRIANT, Histoire de l’Empire perse. De Cyrus à
Alexandre, Paris, 1996, passim et p. 700-896; A.
SPALINGER, «The Reign of King Chabbash: An
Interpretation», ZÄS 105, 1978, p. 142-154.
19 Il n’est pas possible de reproduire ici toute la bibliographie relative à Alexandre le Grand. On se reportera, pour l’essentiel, à: P. BRIANT, Alexandre le
Grand4, Paris, 1994; la bibliographie des sources
classiques, p. 125, est celle que j’ai utilisée; P. BRIANT,
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De la Grèce à l’Orient, Alexandre le Grand2, Paris,
1997. On ajoutera: P. GOUKOWSKY, Essai sur les origines du mythe d’Alexandre (336-270 av. J.-C.), 2 vol.,
Nancy, 1978-1981, avec une abondante bibliographie ; sur la fin d’Alexandre: W. HECKEL, The Last Days
and Testament of Alexander the Great:
A Prosopographical Study, Stuttgart, 1988; sur l’oracle d’Amon dans l’oasis de Siwa: J. LECLANT, «‘Per
Africae Sitientia’. Témoignages des sources
classiques sur les pistes menant à l’oasis d’Ammon»,
BIFAO 49, 1950, p. 193-253.
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La difficulté provient aussi de la dimension du personnage d’Alexandre le Grand. Il est
admis 20 que le mythe d’Alexandre le Grand a été forgé principalement en Égypte, en
particulier à Alexandrie, grâce à l’action de son ami et confident Ptolémée, dont les Mémoires
ont inspiré maints biographes. Le constat selon lequel l’Égypte a constitué un milieu propice
au développement du mythe d’Alexandre rend compte aussi de l’aspect politique de ce
mythe; ce n’est pas seulement l’ampleur de ses conquêtes, son prestige, son charisme, sa
façon de gouverner, ses qualités personnelles, éléments certes fondamentaux, qui ont fait
d’Alexandre le Grand un mythe; c’est aussi que, selon l’idéologie pharaonique, Alexandre
est dieu, fils de dieu, on peut aisément le démontrer à partir de ses monuments égyptiens;
c’est aussi qu’Alexandre le Grand a été la courroie de transmission entre le «Proche-Occident»
et l’Orient méditerranéen (il est le premier grand souverain européen d’Égypte), à une
époque où l’une et l’autre de ces deux régions du monde était en possession d’un modèle
politique ayant fait ses preuves:
– la démocratie en Grèce;
– l’impérialisme au Proche et au Moyen Orient et en Égypte, avec deux applications
particulièrement réussies: d’une part, l’Empire égyptien et son apogée idéologique sous la
XVIIIe dynastie et particulièrement sous les règnes de Thoutmosis III et d’Amenhotep III
qui furent choisis comme modèles par Alexandre le Grand et Philippe Arrhidée; d’autre
part, l’Empire achéménide dont Alexandre se veut l’héritier.
Alexandre le Grand a tenté un tour de force: celui de concilier deux systèmes politiques
difficilement compatibles, en évinçant les tyrans d’Asie Mineure et en essayant d’introduire
la démocratie dans leurs cités, tout en faisant sienne l’idée impériale. On peut, en tout cas,
considérer qu’Alexandre le Grand a acclimaté en Europe occidentale l’idée impériale qui
prendra corps à Rome.
Dans la formation d’Alexandre le Grand à l’idéologie pharaonique, il reste à souligner
un élément fondamental et déterminant: le rôle du clergé égyptien. Alexandre a fort
probablement été initié à Héliopolis et/ou à Memphis, capitales religieuses de l’Égypte.
Deux autres villes prennent une part importante à la politique égyptienne du conquérant
macédonien: la troisième grande capitale religieuse de l’Égypte, Thèbes du dieu Amon dont
Alexandre est le fils choisi, et Hermopolis, la capitale provinciale du dieu juriste Thot, et là
nous retrouvons l’action de son grand prêtre, Pétosiris.
Enfin, comme les rois perses, les souverains macédoniens sont des rois absents. À partir
de la mort d’Alexandre, tout rentre dans l’ordre puisque Ptolémée prend intelligemment le
relais, en préservant bien entendu les droits de Philippe Arrhidée et d’Alexandre IV, mais
qu’en est-il auparavant? L’administration mise en place par Alexandre a somme toute
fonctionné; Cléomène de Naucratis, placé à la tête des finances, a exercé pratiquement des
fonctions de satrape, mais surtout, c’est aux grands prêtres égyptiens que revient le mérite
d’avoir assuré la permanence idéologique du régime; on en connaît quelques-uns: Pétosiris,
sans aucun doute et, de manière tout à fait certaine, les grands prêtres d’Amon qui ont fait
20 P. GOUKOWSKY, op. cit.
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procéder aux constructions et restaurations thébaines d’Alexandre le Grand et de Philippe
Arrhidée, et qui ont laissé leurs témoignages sur un mur du temple de Louxor, dans deux
très beaux graffiti, publiés par Daressy à la fin du siècle dernier, et repris en 1983 par
M. Abd el-Raziq 21.
L’absence des rois perses était réelle, leur satrape faisait office de chef étranger.
Au contraire, l’absence des rois macédoniens est compensée par une intense présence rituelle
organisée par une classe sacerdotale hautement responsable.
B. La présence effective d’Alexandre le Grand en Égypte a duré quelques mois, de la fin
de 332 au printemps 331. Rappelons très rapidement les faits tels qu’ils nous sont rapportés
par les auteurs classiques. Après les sièges de Tyr et de Gaza, Alexandre pénètre en Égypte
avec une armée, une partie de la flotte le rejoint, mais le satrape perse Mazakès se rend sans
combattre. Le Macédonien se dirige alors vers Héliopolis puis Memphis; il va ensuite consulter
l’oracle d’Amon dans l’oasis de Siwa et fonde au retour Alexandrie (à moins que ce ne soit
l’inverse, les témoignages divergent); il revient à Memphis où se déroulent des festivités et
des jeux et là, Alexandre le Grand fait un sacrifice à Apis, le taureau sacré qui est l’hypostase
du dieu Ptah; il y reçoit les ambassades, et organise l’administration de l’Égypte, avant de
repartir vers la Syrie avec son armée.
L’autre voyage d’Alexandre le Grand en Égypte n’est pas le moindre, c’est celui qu’il
effectuera après sa mort à Babylone, lorsque, momifié par des embaumeurs chaldéens et
égyptiens, il sera transporté en grande pompe dans un sarcophage en or, sur un étincelant
fourgon funéraire rendu fameux par la description qu’en a donné Diodore de Sicile (XVIII,
26-28), et que le convoi, intercepté par Ptolémée, stationnera à Memphis où le corps du
souverain sera inhumé, en attendant d’être transporté à Alexandrie dans un non moins
célèbre mausolée.
D’après les sources classiques, les actes royaux accomplis par Alexandre le Grand lors de
son séjour en Égypte, durant l’hiver 332-331, sont les suivants:
– fondation d’une capitale;
– célébration de fêtes et accomplissement de rites;
– actions gouvernementales, diplomatiques et administratives.
On peut y ajouter la quête d’une caution religieuse à travers l’oracle d’Amon, bien que la
demande oraculaire par elle-même ne soit pas réservée à la personne royale, car l’ambition
d’Alexandre le Grand est claire: il s’agit pour lui de se faire reconnaître comme le fils du
dieu, comme le maître de l’univers. Ces prétentions ont été abondamment commentées par
les auteurs classiques, parfois avec une certaine gêne.
21 DARESSY, RT 14, 1893, p. 33-34; M. ABDER-RAZIQ, «Ein Graffito der Zeit Alexanders des Grossen im
Luxortempel», ASAE 69, 1983, p. 211-218.
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Mon propos est d’interroger les sources égyptiennes 22 sur deux points, en étroite relation
avec l’idéologie pharaonique:
1. la divinité d’Alexandre le Grand, le fils choisi par Amon, son héritier, et la continuité
royale;
2. l’accomplissement des rites pharaoniques et la réactivation de l’idée impériale.
Les vestiges monumentaux des Macédoniens sont tous profondément en rapport avec
des points forts de l’idéologie pharaonique.
1. La divinité d’Alexandre le Grand et la continuité pharaonique
A. Posons d’emblée une question récurrente qui risque fort d’être un faux problème:
Alexandre le Grand a-t-il été pharaon d’Égypte 23?
Les principaux arguments présentés à l’encontre, sont en fait des arguments a silentio:
silence des sources classiques, qu’il s’agisse du courant officiel issu de Ptolémée et représenté
principalement par Arrien, ou de la vulgate transmise par Clitarque notamment à Diodore de
Sicile, Quinte-Curce, Justin; Plutarque, dans sa Vie d’Alexandre, ne fait aucune référence à un
quelconque couronnement. Seul le pseudo-Callisthène mentionne qu’Alexandre le Grand fut
intronisé dans le sanctuaire de Ptah lorsqu’il arriva à Memphis, mais aucun monarque
hellénistique n’y aurait été couronné pharaon avant Ptolémée V Épiphane.
22 Outre les papyri démotiques qui sont surtout
utiles pour la datation et pour la désignation courante
des souverains, citée supra, j’ai retenu, pour une première analyse, les inscriptions et monuments royaux,
les stèles royales, les attestations des grands prêtres d’Amon. Voici toutefois une liste plus large des
sources macédoniennes. Pour Alexandre le Grand:
le sanctuaire du temple de Louxor (M. ABD EL-RAZIQ,
Die Darstellungen und Texte des Sanktuars
Alexanders des Grossen im Tempel von Luxor,
Mayence, 1984; compte rendu: J.-Cl. GOYON, CdE 62,
1987, p. 167-170); les inscriptions au nom d’Alexandre sur le IVe pylône du temple de Karnak (PM II,
p. 79; LEGRAIN, ASAE 5, p. 42; P. BARGUET, Le temple
d’Amon-Rê à Karnak, Le Caire, 1962, p. 90); diverses
réfections entre le IVe et le VIe pylône (Cl. TRAUNECKER,
Karnak 8, 1987, p. 352, n.29); le sanctuaire royal
de Thoutmosis III à l’est de l’Akh-menou: il s’agit de
deux salles, une antichambre restaurée par Alexandre le Grand, et le sanctuaire proprement dit entièrement refait par lui (PM II, p. 119-120; BARGUET,
op. cit., p. 191-197); la petite chapelle, au nom
d’Alexandre le Grand, du mur d’enceinte du temple
de Khonsou (Cl. T RAUNECKER, «La chapelle de
Khonsou du mur d’enceinte et les travaux d’Alexandre», Cahiers de Karnak 8, 1987, p. 347-353, avec
une énumération des travaux thébains d’Alexandre,
p. 352-353); la porte du pylône du temple de
Khonsou, en partie au nom d’Alexandre le Grand
(PM II, p. 228); les graffiti du mur du temple de
Louxor, datés du règne de Philippe Arrhidée, mais
faisant mention de l’activité architecturale des grands
prêtres d’Amon sous Alexandre le Grand et Philippe
Arrhidée (M. ABDER-RAZIQ, ASAE 69, 1983,
p. 211-218); pour clore l’énumération des vestiges
thébains au nom d’Alexandre le Grand, on ajoutera
un inventaire des objets cultuels du temple de Maât,
daté de l’an 2 du règne (A. VARILLE, BIFAO 41, 1942,
p. 135-139); en dehors de Thèbes, on trouve des
traces d’Alexandre le Grand à Hermopolis (PM IV,
p. 165); son nom figure sur un autel découvert dans
l’oasis de Baharya (H. de MEULENAERE, CRIPEL 13,
p. 53, n. 2); une stèle du Bucheum est datée de l’an
4 de son règne (R. MOND and O.H. MYERS, The
Bucheum II, Londres, 1934, p. 3 (traduction), et III,
Londres, 1934, pl. XXXVII et XXXVIIA).
Pour Philippe Arrhidée: le sanctuaire de barque du
temple de Karnak, reconstruit par Thoutmosis III,
entièrement refait par Philippe Arrhidée (PM II,
p. 99-102; BARGUET, op. cit., p. 136-141); des inscriptions, au nom de Philippe, dans le temple de Thot
à Hermopolis (D.M. BAILEY et S.R. SNAPE, The Great
Portico at Hermopolis Magna, Londres, 1988), et
sur des fragments de corniche, dans le temple
d’Onouris-Chou à Sébennytos (PM IV, p. 43).
Les documents au nom d’Alexandre IV sont les
suivants: quatre contrats démotiques à ma
connaissance, contre deux pour chacun des règnes
précédents (P.W. PESTMAN, Chronologie égyptienne
d’après les textes démotiques, Leyde, 1967,
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p. 10-13); la porte du temple de Chnoum à Éléphantine, publiée récemment par S. BICKEL dans H. JENNI,
Elephantine XVII, ArchVer 90, 1998, p. 115-150;
quelques blocs, inscriptions et scènes d’offrandes
dans le temple de Sébennytos (V. RONDOT, RdE 48,
1997, p. 275, n.13); un bloc de granit trouvé à Boulaq
(PM IV, p. 73); un bloc au musée de Besançon publié récemment par V. R ONDOT, RdE 48, 1997,
p. 274-276 (avec une énumération des monuments
au nom d’Alexandre IV); des vestiges au Spéos
Artémidos (PM IV, p. 165); le temple d’Osiris-babouin
de Touna el-Gebel (V. RONDOT, op. cit., p. 275, n. 10);
enfin, la stèle dite du satrape, datée de l’an 7
d’Alexandre IV (A. Bey KAMAL, Stèles ptolémaïques
et romaines, I et II, CGC, Le Caire, stèle nº 22182).
Cf. aussi LÄ, s.v. «Alexander “Der Grosse”», «Alexander IV», «Philipp Arrhidaios».
23 Voir notamment: S.M. BURSTEIN, «Pharaoh
Alexander: A Scholarly Myth», AncSoc 22, 1991,
p. 139-145; également: G. HÖLBL, «Königliche
Legitimität und historische Umstände im Spiegel der
pharaonischen Titulaturen der griechisch-römischen
Zeit. Einige Interpretationen und Diskussionsvorschläge», Sesto congresso internazionale di
egittologia. Atti I, Turin, 1992, p. 273-278; H. van
VOSS, «Alexander und die ägyptische Religion.
Einige ägyptologische Bemerkungen», Alexander the
Great. Reality and Myth, Rome, 1993, p. 71-73;
J.-Cl. GRENIER, «Le protocole des empereurs
romains», RdE 38, 1987, spécialement p. 98-99.
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En outre, Alexandre ne possède pas une titulature complète, comportant les cinq noms
canoniques.
Reprenons chacun des deux principaux arguments invoqués.
a. Les faits et les témoignages ne s’opposent pas au couronnement d’Alexandre le Grand
et, sur le plan institutionnel, on ne voit pas ce qui aurait empêché Alexandre de se faire
couronner, bien au contraire. Les scènes d’imposition des couronnes qui figurent sur les
tableaux des sanctuaires thébains d’Alexandre le Grand et de Philippe Arrhidée seraient-elles
fictives, et feraient-elles déjà partie de l’ «illusion sacerdotale» dont parle Philippe Derchain 24?
C’est très possible, mais elles sont peut-être aussi, au moins pour Alexandre, le reflet d’une
réalité qui a pu échapper aux chroniqueurs de l’époque, le couronnement royal étant une
cérémonie initiatique et intime, réalisée à l’abri des regards, entre le roi et le dieu représenté
par son prêtre.
D’après le pseudo-Callisthène, témoignage certes tardif, Alexandre aurait donc été
couronné dans le temple de Ptah, à Memphis où on sait, cette fois d’après des sources
convergentes, que le souverain macédonien a séjourné et que des fêtes furent célébrées; ces
festivités pourraient bien avoir été liées à un tel événement et présentées comme des «jeux»
au public grec. Ptolémée V, couronné à Memphis, recevra dans sa titulature un nom associé
au dieu de la ville, Ptah: il est «élu de Ptah», Sétepenptah, comme d’ailleurs son père
Ptolémée IV. Les noms de couronnement d’Alexandre le Grand sont: Sétepenamon-Méryrê,
c’est-à-dire «élu d’Amon», «aimé de Rê» (et non Sétepenrê-Méryamon, nous allons revenir
sur cette lecture du cartouche). Le choix d’Amon (Sétepenamon) a été confirmé à Alexandre
par l’oracle, dans le sanctuaire de l’oasis de Siwa; l’autre partie du nom (Méryrê) résulteraitelle d’un rituel héliopolitain (notons la proximité géographique d’Héliopolis par rapport à
Memphis)? Et même, pourquoi ne pas supposer qu’Alexandre le Grand a été couronné par
le prêtre du sanctuaire d’Amon de Siwa, succursale en quelque sorte, du grand Amon
thébain qu’Alexandre honorera brillamment dès ses premières années? Comme Cambyse,
Alexandre le Grand instaure en Égypte une nouvelle lignée; comme Cambyse, sans doute, il
a eu à cœur de se conformer aux pratiques rituelles et protocolaires. On verrait très bien
Pétosiris, prêtre de Thot, composer une titulature pour Alexandre le Grand, ainsi que le fit
jadis Oudjahorresnê pour Cambyse.
b. Le fait qu’on ne connaisse pas la titulature complète d’Alexandre (il nous manque son
nom des Deux-Déesses et son nom d’Horus d’or) ne signifie pas, en effet, qu’il en ait été
dépourvu. Ni dans les sanctuaires d’Alexandre, ni dans celui de Philippe Arrhidée, qui sont
pourtant des sanctuaires de consécration du pouvoir royal, on ne trouve les cinq noms du
souverain, et si un exemple de la titulature complète de Philippe Arrhidée nous est parvenu,
c’est bien grâce au hasard, grâce aux copies qui en ont été faites à la fin du XVIIIe siècle et au
début du XIXe, avant que le portique du temple de Thot à Hermopolis ne soit voué à la
24 P. DERCHAIN, «Pharaon dans le temple ou l’illusion sacerdotale», Les moyens d’expression du pouvoir
dans les sociétés anciennes (= Lettres Orientales 5), Louvain, 1996, p. 91-99.
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démolition et à la disparition presque totale, et grâce à une découverte récente faite sur une
base de colonne, laissée sur le site par les chaufourniers de Méhémet Aly (voir supra).
Examinons les titulatures des souverains macédoniens.
Le protocole complet de Philippe Arrhidée a été restitué récemment par
H. de Meulenaere 25. Philippe a deux noms d’Horus qui varient selon les endroits: Ouadj-taoui
à Hermopolis et Kanakht-mérymaât à Thèbes; son nom de nebty, les Deux-maîtresses,
c’est-à-dire les déesses tutélaires de la Haute et de la Basse Égypte, est Heqa-khasout; son
nom d’Horus d’or est Méry-rekhyt; enfin, son nom de couronnement et son nom de naissance,
tous deux encerclés dans un cartouche, sont respectivement: Mérykarê-Sétepenamon hors de
Thèbes, Méryrê-Sétepenamon (ou Sétepenamon-Méryrê) à Thèbes, et: Philippe, avec de
nombreuses possibilités de transcription hiéroglyphique. Il est important d’avoir en mémoire
que H. de Meulenaere donne du nom de couronnement de Philippe, c’est-à-dire celui qui
figure dans le premier cartouche, une lecture différente de celle qui était admise jusqu’à
présent, selon un principe sur lequel je vais revenir à propos d’Alexandre, puisqu’Alexandre
et Philippe ont le même nom de couronnement, au moins à Thèbes.
Alexandre le Grand possède plusieurs noms d’Horus actuellement attestés 26: Heqaqenou ou Heqa-nakht, Heqa-qenou-Teken-khasout, Meky-Kemet (on notera la haute valeur
symbolique de ces noms qui exaltent la fonction-s≈m du roi). En ce qui concerne son nom de
couronnement, la lecture Sétepenamon-Méryrê découle des observations formulées par
H. de Meulenaere dans l’article que je viens de citer, et de la méthode qu’il préconise pour la
lecture des cartouches des Macédoniens, en comparaison avec ceux de Nectanébo II et de
Ptolémée II: lorsque le cartouche comporte deux divinités et deux éléments complémentaires
(par exemple, deux participes passifs comme c’est le cas ici), le premier élément est rattaché à
la première divinité, et le second élément à la seconde divinité. Suivant cette méthode, le
cartouche d’Alexandre le Grand se lit bien Sétepenamon («élu d’Amon») Méryrê («aimé de
Rê»). Le dernier nom royal d’Alexandre le Grand est son nom de naissance, Alexandre, écrit
en hiéroglyphes, lui aussi avec des variantes orthographiques qui permettent sans doute de
proposer des datations.
Pour Alexandre IV comme pour Philippe Arrhidée, on a un exemple, celui qui figure sur
la stèle du satrape, de titulature complète et développée, avec les cinq noms. Les voici en
traduction: Horus, «le Jeune, puissant de force»; Deux-Déesses, «Aimé des dieux, celui à
qui est donnée la fonction de son père»; Horus d’Or, «Souverain de bravoure dans le pays
tout entier»; roi de Haute et de Basse Égypte, maître des Deux-Terres Sétepenamon-Hââïbrê
(nom de couronnement qui signifie: «élu d’Amon, exaltant le cœur de Rê»); enfin: fils de
Rê, Alexandre.
Notons que les trois souverains sont Setepenamon, «élus d’Amon».
25 H. DE MEULENAERE, CRIPEL 13, 1991, p. 53-58.
26 Ibid., p. 53, n.2.
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B. Comme les pharaons, Alexandre le Grand a revendiqué sa filiation divine et sa vocation à la domination universelle, mais cela n’a sûrement pas été bien compris par son entourage grec et macédonien.
Alexandre affirme sa nature amonienne en portant des cornes de bélier de part et d’autre
de son visage, sur les pièces de monnaie à son effigie, et le choix de Thèbes pour y réaliser,
dès l’an 3, deux sanctuaires très importants sur le plan idéologique, n’est naturellement pas
gratuit. Des légendes théogamiques courent d’ailleurs à son sujet: Olympias aurait conçu
Alexandre des œuvres du dieu Amon lui-même; on retrouve là, bien entendu, des dogmes
égyptiens particulièrement vivaces sous la XVIIIe dynastie, et cela explique aussi le choix des
grands rois de cette dynastie comme «parrains» du nouveau pharaon, ainsi que, plus tard, la
présence d’inscriptions au nom d’Alexandre IV au Spéos Artémidos où le thème de la filiation
divine est développé par Hatchepsout.
Enfin, dans plusieurs de ses inscriptions, et notamment sur le IVe pylône du temple de
Karnak, Alexandre le Grand est nÚr nfr, «dieu accompli», variante alternative de nsw bjty, la
désignation du pharaon d’Égypte qui est, elle aussi, appliquée à Alexandre le Grand dans les
inscriptions de ses sanctuaires thébains. Fils de dieu et dieu lui-même comme tout pharaon,
Alexandre le Grand se considère comme le successeur direct du dernier pharaon légitime
d’Égypte, Nectanébo II. Plus tard, le Roman d’Alexandre fera même de Nectanébo le père
physique d’Alexandre. Certaines des constructions des Macédoniens poursuivent ou
renouvellent l’œuvre de Nectanébo II, dans l’enceinte du temple de Khonsou à Karnak, à
Hermopolis, ou dans le temple de Sébennytos, la ville dont Nectanébo était originaire. Il
faudra attendre l’an 7 d’Alexandre IV pour voir apparaître dans notre documentation le nom
de Khababasch, lié à la propagande entreprise par Ptolémée, satrape; le contexte est bien
particulier, il fait allusion à la restitution de leurs biens aux dieux de Bouto, opérée par
Khababasch, le roi éphémère et rebelle au pouvoir perse; or, Ouadjyt n’est rien moins que la
déesse tutélaire de toute la Basse Égypte, la protectrice du pharaon, avec sa consœur Nekhbet
de Nekheb pour la Haute Égypte.
2. La fonction royale et l’idée impériale
A. LA
CONCEPTION DU POUVOIR ROYAL ET L’ACCOMPLISSEMENT DES RITES
a. Une utile comparaison entre les sanctuaires amoniens d’Alexandre le Grand et de
Philippe Arrhidée ne pourra être effectuée que lorsque les trois monuments auront été
publiés, ce qui, pour le moment, n’est le cas que pour le sanctuaire d’Alexandre à Louxor.
Les données théologiques et architecturales devront venir au secours de l’interprétation
idéologique et politique. Toutefois, pour le moment, nous avons à notre disposition les
descriptions qu’en a faites P. Barguet 27, et les visites faites sur place m’ont permis une
meilleure compréhension des lieux.
27 P. BARGUET, Le temple d’Amon-Rê à Karnak. Essai d’exégèse, Le Caire, 1962.
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Les trois sanctuaires sont étroitement liés à la conception divine du pouvoir royal, à
l’origine divine de la royauté, à la filiation divine du pharaon, à la régénération amonienne
en symbiose avec celle du pharaon. Devenue sanctuaire de barque sous Alexandre le Grand,
c’est-à-dire lieu de repos du dieu lorsqu’il vient se revivifier dans son temple de Louxor, la
chapelle d’Alexandre était probablement tout autre chose sous Amenhotep III: le per-noub,
mentionné dans le graffito du grand prêtre Ankhpakhered qui a commémoré son activité
architecturale sous Alexandre le Grand, est le lieu mystérieux où les statues divines prenaient
vie 28. Le sanctuaire situé à l’est de l’Akh-menou est ostensiblement une chapelle royale,
comportant au milieu et vers le fond, les restes d’une majestueuse statue du dieu faucon
Horus, dieu de la royauté. Quant au monument de Philippe Arrhidée, il s’agit du sanctuaire
de barque de Karnak, refait à l’identique sur le modèle de celui de Thoutmosis III, c’est
donc l’endroit où le dieu Amon rejoignait son temple principal, après sa régénération à
Louxor.
Chacun des trois monuments est lié aux moments les plus forts des cycles divins en
rapport avec la royauté du pharaon, en la personne d’Amon-Rê, le créateur, sous ses deux
formes (normale, en tant que «roi des dieux», et ithyphallique, en qualité de Kamoutef,
«taureau de sa mère»). Les tableaux qui décorent les parois explicitent le processus, qu’il
s’agisse de la conception divine du roi, de la montée royale vers le dieu, de l’imposition des
couronnes, de la réception des attributs royaux, de la transmission de la royauté, de l’éternité
du roi ou de l’accomplissement des rites: scènes d’offrandes spécifiques, cérémonies d’accueil,
de purification, de lustration, d’encensement…, et les formules viennent en préciser le sens.
b. Alexandre le Grand, nous disent encore les auteurs classiques, a sacrifié à Memphis au
taureau Apis, alors qu’Artaxerxès III s’était livré à des actes de barbarie et aurait tué le
taureau sacré.
Une stèle, datée de l’an 4 d’Alexandre le Grand, commémore le décès du taureau
Boukhis d’Hermonthis, l’incarnation de Montou, la réplique de Rê. Dans la partie supérieure bien conservée de la stèle, Alexandre le Grand, précédé de ses cartouches et de
l’épithète nÚr-nfr, fait l’offrande du vin (Ìnk jrp) au taureau Boukhis debout sur un naos et
précédé de ses noms. Le texte, en-dessous, est réduit à un fragment médian de la stèle qui
permet toutefois d’en restituer la substance, par comparaison avec des parallèles intacts et
quasi identiques, datés respectivement des règnes de Nectanébo II et de Ptolémée II.
On a donc:
«An 4, premier mois de l’inondation [le jour manque] sous la Majesté du roi de Haute et
de Basse Égypte [le nom et les épithètes d’Alexandre manquent]. Ce jour, la Majesté de ce
dieu est montée au ciel, le Ba resplendissant, le Ba vivant de Rê, qui est né d’Isis (nom de la
vache, mère du Boukhis). La durée de sa vie fut de [le nombre d’années, de mois et de jours
manque]. Il est né en [telle année, tel mois] du roi de Haute et de Basse Égypte Darius (dans
28 M. ABDER-RAZIQ, ASAE 69, 1983, p. 217. Sur le mythe de la naissance divine d’Alexandre: J. ASSMANN,
Ägypten. Eine Sinngeschichte, Munich, Vienne, 1996, p. 418-419.
BIFAO 98 (1998), p. 247-262
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LE TOMBEAU DE PÉTOSIRIS (4)
un cartouche), qu’il vive à jamais! Il a été installé [d’après les parallèles, à Thèbes ou à
Hermonthis, à telle date]. Puisse-t-il demeurer sur son trône, pour toujours et à jamais 29!»
Le taureau d’Alexandre aurait pu succéder au taureau de Nectanébo II, puisque dix-sept
années séparent la stèle d’Alexandre de celle de l’an 14 de Nectanébo, et que cette durée
représente un âge normal pour un taureau arrivé à la fin de sa vie. Malheureusement, le
règne sous lequel est né l’animal est clairement celui de Darius III. Fairman, dans son
commentaire 30, semble embarrassé et esquive la difficulté. Le taureau d’Alexandre est né
sous Darius, c’est-à-dire qu’il a succédé à un autre taureau dont on n’a pas la trace, qui serait
né sous Nectanébo II et mort, soit sous Darius, soit sous un de ses prédécesseurs immédiats.
Serait-ce là l’information initiale qui permettrait de donner corps à la réputation de cruauté
dont Artaxersès III a hérité?
Cette question ne tend qu’à souligner la difficulté de communication et d’interpénétration des deux cultures qui ont présidé à la formation du pouvoir hellénistique en Égypte.
B. LES TROIS SANCTUAIRES D’ALEXANDRE ET DE PHILIPPE sont en outre des réfections de
monuments antérieurs qui sont l’œuvre de deux pharaons qui ont particulièrement exalté
l’idée impériale: Thoutmosis III (la chapelle d’Alexandre à l’est de l’Akh-menou et le sanctuaire
de barque de Philippe Arrhidée) et Amenhotep III (le sanctuaire d’Alexandre à Louxor).
En inscrivant ses cartouches, précédés d’une dédicace de rénovation, sur le IVe pylône du
temple de Karnak, Alexandre le Grand montre qu’il a bien compris la portée de l’œuvre
architecturale des pharaons de la XVIIIe dynastie et particulièrement de Thoutmosis III,
œuvre novatrice dans le contexte idéologique. L’Akh-menou est un monument unique,
construit par Thoutmosis III après sa victoire de Megiddo, exaltant la divinité royale et
l’épanouissement de l’Empire. En s’appropriant, tout près du sanctuaire divin, la chapelle du
Faucon, Alexandre exprime clairement dans la pierre sa royauté divine et sa volonté impériale. Fils d’Amon au fil des registres qui animent les parois, le roi hérite, par là même, de la
vocation à la domination universelle. Le souverain rédige ainsi sa dédicace: «C’est une
réfection de monument qu’a faite le roi de Haute et de Basse Égypte, maître des DeuxTerres, Sétepenamon-Méryrê, le fils de Rê, maître des sacres, Alexandre – qu’il vive à jamais!
– après qu’il l’eut trouvé construit 31 sous la majesté de l’Horus: Taureau vaillant qui s’est
levé dans Thèbes, le maître des Deux-Terres, Menkhéperrê, le fils de Rê, Thoutmosis, aimé
d’Amon-Rê, doué de vie.» Les épithètes d’Amon sont, à gauche, sur le mur du fond lorsqu’on
tourne le dos à l’entrée: «Maître des trônes des Deux-Terres, présidant à Karnak, maître du
29 D’après The Bucheum II, p. 3 et III, pl. XXXVIIXXXVIIA.
30 The Bucheum II, p. 28.
31 Le terme est sjpy, on ne dit pas que le sanctuaire est en ruine. À titre de comparaison, voici la
dédicace de Philippe Arrhidée dans le sanctuaire de
barque de Karnak: «La Majesté du roi de Haute et
de Basse Égypte, Maître des trônes des Deux-Terres,
accomplissant les rites, Sétepenamon-Méryrê, le fils
de Rê de son corps, son aimé, Philippe, a trouvé le
grand siège (st wrt) d’Amon allant à la ruine, alors
qu’il avait été construit au temps de la Majesté du
roi de Haute et de Basse Égypte, Menkheperrê, le
fils de Rê de son corps, son aimé, maître des sacres,
Thoutmosis. Sa Majesté l’a reconstruit, comme
quelque chose de nouveau, en granit, en travail
excellent d’éternité; qu’il soit doué de toute vie –
stabilité – force, toute santé et toute joie, comme
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Rê, à jamais! L’Horus «Taureau-puissant-aimé-deMaât», le roi de Haute et de Basse Égypte,
Sétepenamon-Méryrê, le fils de Rê, Philippe. Il a fait
son monument à son père Amon-Rê, maître des
trônes des Deux-Terres, qui préside à Karnak.»
(d’après P. BARGUET, Le temple d’Amon-Rê à Karnak, Le Caire, 1962, p. 137).
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ciel, de la terre, des eaux et des montagnes» et, à droite: «Maître du ciel, roi des dieux,
créateur de tout ce qui existe, depuis le commencement et éternellement». On ne peut pas
être plus universel.
Succédant à Amon, à travers Thoutmosis III, Alexandre le Grand émet des prétentions
claires.
Conclusion
Pétosiris, ses collègues de Thèbes, et d’autres prêtres, sans doute, se présentent désormais
à nos esprits comme des théoriciens de la royauté, des gardiens du pouvoir unique et
bénéfique, des garants du contenu de la pharaonité. Ils ont très vraisemblablement poussé
Alexandre le Grand à se faire couronner, afin de tirer de l’événement la quintessence d’un
pouvoir légitimé et représenté activement dans les principaux sanctuaires des temples royaux.
Après une dizaine d’années de gouvernement étranger, il leur fallait ramener et fixer en
Égypte la stature du pharaon parfait, à la fois combattant et gouvernant, source de victoire et
de richesse; il leur fallait installer durablement l’image souveraine qui préside aux rites,
image-reflet d’un idéal autochtone, héritier de la plus glorieuse tradition 32. La représentation, mise en place avec éclat par le clergé certainement soutenu par Ptolémée, a pu survivre
pendant plus de dix ans à l’action fondatrice d’Alexandre et à la renommée du conquérant,
au bénéfice de ses deux successeurs.
Cette étape constitue le prélude à l’établissement de la monarchie lagide, soigneusement
préparée, avec l’aide des prêtres, par Ptolémée, satrape, pour être plus tard magnifiquement
incarnée en la personne du même Ptolémée Ier Sôter, puis de son fils Ptolémée II Philadelphe,
suivis d’une dynastie royale (les «Ptolémées» ou «Lagides») qui a présidé au destin de
l’Égypte jusqu’à la conquête romaine.
32 À cette construction artificielle, œuvre du haut clergé, les Égyptiens plus modestes ont certainement
opposé une vision plus réelle: H.S. SMITH a relevé à Saqqara un exemplaire du nom d’Alexandre écrit en
démotique avec le déterminatif du pays étranger (cité par S.M. BURSTEIN, op. cit.).
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