MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE
BULLETIN
DE L’INSTITUT FRANÇAIS
D’ARCHÉOLOGIE ORIENTALE
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© Institut français d’archéologie orientale - Le Caire
BIFAO 98 (1998), p. 247-262
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Le tombeau de Pétosiris (4). Le souverain de l’Égypte.
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Le tombeau de Pétosiris (4)
Le souverain de l’Égypte
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Œ
UVRE COMPOSITE mêlant et intégrant avec bonheur des éléments
architecturaux et décoratifs à la fois égyptiens et gréco-macédoniens 1,
le tombeau de Pétosiris (IVes. av. J.-C.) renferme des textes qui nous
font partager la réflexion d’un Sage dont l’expérience personnelle et
familiale, largement traditionnelle, a été profondément marquée par
deux événements aux conséquences considérables: la domination perse et la conquête
macédonienne.
Une dynastie hermopolitaine de grands prêtres au service de Thot s’est trouvée étroitement
liée à la conjoncture politique: Sishou, le père de Pétosiris, a exercé ses fonctions de sacerdote
et de conseiller royal sous Nectanébo II. Djethotefânkh, le fils aîné de Sishou, lui a succédé
vers la fin du règne du dernier pharaon égyptien; il s’est maintenu en place sous la seconde
domination perse. Quant à Pétosiris, le fils cadet de Sishou, il a été nommé mer-shen à
l’arrivée des Macédoniens; cela signifie que non seulement il a succédé à son frère dans ses
fonctions, mais qu’il a été investi par le nouveau pouvoir d’une charge administrative très
importante: la restauration du temple de Thot (bâtiments, approvisionnement, fonctionnement,
personnel, cérémonies et rites).
Les circonstances ont entraîné, pour Pétosiris, une révision profonde et mesurée de ses
conceptions philosophico-religieuses, morales et juridiques, enfin politiques 2. Ancrée dans le
legs ancestral, la pensée de Pétosiris s’ouvre et s’enrichit au contact des cultures voisines,
principalement grecque et proche-orientale, véhiculées depuis deux ou trois siècles, non
seulement par les pouvoirs dominants mais par les intiatives individuelles, le changement des
mentaliés s’opérant à la faveur de la circulation des idées, facilitée par les relations commerciales
11
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1C. PICARD, «Les influences étrangères au tom-
beau de Pétosiris: Grèce ou Perse?», BIFAO 30,
1931, p. 201-227; S. NAKATEN, IV, 995-998.
22
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2Voir mes précédents articles: B. MENU, «Le tom-
beau de Pétosiris. Nouvel examen», BIFAO 94, 1994,
p. 311-327; «Le tombeau de Pétosiris (2). Maât, Thot
et le droit», BIFAO 95, 1995, p. 281-295; «Le tom-
beau de Pétosiris (3). Culpabilité et responsabilité»,
BIFAO 96, 1996, p. 343-357; «La “voie de Dieu”
dans les inscriptions du tombeau de Pétosiris»,
Trans. 16 (= Mél. J. Briend), 1998, p. 21-30.
Ajouter à ma bibliographie précédente: C. THIERS,
«Civils et militaires dans les temples. Occupation
illicite et expulsion», BIFAO 95, 1995, p. 493-516.
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et militaires, ou par les échanges artistiques guidés par les phénomènes de mode. Pétosiris
s’adapte aux courants intellectuels qu’il rencontre mais, surtout, il met son savoir, nourri à
des sources séculaires, à l’épreuve des expériences vécues par ses deux prédécesseurs.
Le présent article sera consacré à l’analyse du problème politique crucial auquel Pétosiris
a été confronté: la souveraineté de l’Égypte et la légitimité royale. En effet, si l’obédience
au dernier pharaon se présente comme un modèle, une référence érigée en âge d’or, la
«realpolitik» de Djethotefânkh sous les Perses n’est suggérée qu’en demi-teintes dans les
inscriptions du tombeau de Pétosiris. Sans doute s’est-elle avérée en fin de compte néfaste
pour la personne de son promoteur 3, mais fut-elle un échec au niveau de l’intérêt général?
Il semble bien au contraire qu’elle ait permis à la famille sacerdotale de conserver et même
d’augmenter une autorité devenue très puissante à l’arrivée du conquérant macédonien.
Même si Djethotefânkh a été à ce moment-là physiquement écarté, voire éliminé, son
héritage moral, recueilli par son frère Pétosiris, montre que le grand prêtre de Thot avait
accumulé suffisamment de pouvoir pour détenir la capacité d’exercer des fonctions
régaliennes 4. D’après les inscriptions, la position de Pétosiris vis-à-vis du souverain
macédonien se résume à l’essentiel: le grand prêtre s’est montré efficient et fidèle au
nouveau maître de l’Égypte, il en a été récompensé par l’intermédiaire de son dieu, Thot 5.
Bien entendu, la théorie politique dépasse largement ce constat sommaire, elle émane du
tombeau dans sa totalité: choix artistiques, disposition et progression des inscriptions 6,
contenu des textes et valeur exemplaire des biographies savamment composées.
Dans la première partie de l’article, j’examinerai, d’une part, les textes de Pétosiris qui
nous renseignent sur l’activité politique du personnage central, de son père et de son frère
aîné, et, d’autre part, l’activité architecturale présumée de Pétosiris en rapport avec Alexandre
le Grand et Philippe Arrhidée à Hermopolis.
La seconde partie sera consacrée au problème de l’insertion d’Alexandre le Grand et de
ses deux successeurs directs dans l’idéologie pharaonique. Quelques éléments de preuve
permettent de formuler l’hypothèse selon laquelle Pétosiris en fut l’un des artisans actifs.
1. Légitimité royale et concept de souveraineté
dans les inscriptions biographiques du tombeau de Pétosiris.
Aspects politiques de l’activité architecturale de Pétosiris
1. Les textes du tombeau
Aucun souverain n’est nommé dans les inscriptions, aucune date ne figure, mais on peut
restituer une chronologie des règnes, en regard de la biographie de chacun des trois principaux
personnages. Une terminologie précise et subtile est en outre utilisée pour désigner les
33
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3Cf. particulièrement BIFAO 94, 1994,
p. 315-320 et 326-327; BIFAO 95, 1995,
p. 289-292; BIFAO 96, 1996, p. 350-357.
44
44
4G. LEFEBVRE, Le tombeau de Pétosiris, I, p. 9.
55
55
5Inscr. 81, 87, traduction reproduite infra.
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6BIFAO 96, 1996, p. 348-353.
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LE TOMBEAU DE PÉTOSIRIS (4)
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maîtres successifs du pays: Nectanébo II est nsw, bjty, «roi de Haute Égypte, roi de
Basse Égypte», tandis que le roi perse est Ìq“ n ≈“s.wt, «chef des pays étrangers», et le
souverain macédonien, Ìq“ n Kmt, «prince d’Égypte».
La chronologie familiale des grands prêtres hermopolitains, telle qu’elle résulte de l’analyse
des inscriptions, est la suivante: Sishou a exercé ses fonctions sous Nectanébo II;
Djethotefânkh a été choisi par Nectanébo II pour succéder à son père Sishou; des étrangers
sont venus gouverner l’Égypte; Pétosiris a reçu les faveurs du prince d’Égypte (le souverain
macédonien: voir infra).
A. LA LÉGITIMITÉ PHARAONIQUE
Elle est incarnée en la personne de Nectanébo II, le dernier pharaon de la XXXe
dynastie. La carrière de Sishou s’est déroulée sous son règne, et Djethotefânkh a été nommé
par lui.
Inscr. 69, 10 (Sishou) = Lefebvre, I, 126
«Aussi, je fus l’objet des faveurs du roi (nsw), et j’acquis l’amour de ma ville. Je causais
avec le roi (nsw) seul à seul (?), je lui exposais mes pensées véritables, sans dire de mensonges.»
Inscr. 90, 1-2 (Sishou) = Lefebvre, I, 151
«Le Grand des Cinq, maître des sièges, aimé du roi de Haute Égypte (nsw), favorisé de
son dieu, faisant ce qui plaît à son père et à sa mère, bienveillant pour ses frères, délégué de
Sa Majesté (Ìm≠f) pour administrer le temple de Thot de Khmounou, faisant toutes les
choses pour lesquelles Sa Majesté l’a envoyé, – le prophète Sishou, vie et paix.
«Le Grand des Cinq, maître des sièges, favorisé du roi de Haute Égypte (nsw) à cause de
sa sagesse, honoré du roi de Basse Égypte (bjty) à cause de sa perfection, aimé du roi de
Haute Égypte parce qu’il pratique l’équité, cher au cœur du roi de Basse Égypte parce qu’il
dit la vérité, élevé par le roi (nsw) au-dessus de tous ses pairs, – le prophète Sishou, vie et
paix 7».
Inscr. 102, 4 (Djethotefânkh) = Lefebvre, I, 184-185
«(Le Grand des Cinq, etc., Djethotefânkh) distingué par le roi (nsw) de préférence à tous
ses pairs pour administrer le temple de Thot seigneur de Khmounou.»
Inscr. 105, 16 (discours de Pétosiris à Djethotefânkh) = Lefebvre, I, 186-187
«Combien est beau ce tombeau que j’ai construit pour toi!… J’ai parachevé ce tombeau
dans cette nécropole, et tous ceux qui y travaillèrent me remercièrent de ce que je fis pour
eux, (car) je leur fus agréable en toute chose […], les comblant de biens, et leur donnant
comme on faisait jadis, quand le roi était dans le Palais (jw nsw wn m ©Ì).»
Remarquons que bjty et nsw sont employés de manière alternative et non conjointe dans
ces inscriptions, bjty s’y présentant comme un synonyme restrictif de nsw (inscr. 90).
77
77
7Autrement dit, Sishou exerce des fonctions judiciaires; il applique le droit, et il dit le droit, c’est-à-dire
qu’il crée la jurisprudence: BIFAO 95, 1995, p. 289-290.
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B. LE GOUVERNEMENT DES ÉTRANGERS
Sur la stèle de Naples, Sémataouitefnakht appelle le roi perse Ìq“ SÚt, «souverain d’Asie»,
tandis que Nectanébo II y est désigné comme netjer nefer, «dieu parfait» (stèle de Naples,
lignes 7-8) 8.
Pétosiris reste volontairement dans le flou lorsqu’il évoque la seconde domination perse.
Inscr. 59, 2-3 (Pétosiris) = BIFAO 94, p. 321-322, et Lefebvre, I, 79-80
«On m’attribua (la charge) de mer-shen de Thot, seigneur de Khmounou, pendant sept ans.
Des Étrangers étant (venus) 9 gouverner l’Égypte (rmÚ ≈“sw.t m Ìq“ Kmt), je trouvai le temple
de Thot [tombé en ruine]… – car il y avait fort longtemps qu’on n’y avait effectué aucun
travail, depuis que des Étrangers étaient venus et avaient envahi l’Égypte (ƒr jj ≈“st(y)w m h(“)
Ìr Kmt).»
Inscr. 62, 3 (Pétosiris) = BIFAO 94, p. 323
«[Je passai sept ans…], etc., à remplir ses greniers d’orge et de blé, et ses réserves
précieuses de toutes choses parfaites, au-delà de ce qui existait avant que des Étrangers ne
viennent gouverner l’Égypte (rmÚ ≈“sw.t m Ìq“ Bkt).»
Inscr. 81, 26-27 (Pétosiris) = BIFAO 94, p. 323
«Alors qu’un chef des pays étrangers (Ìq“ n ≈“sw.t) exerçait son protectorat (nƒty) sur
l’Égypte, il n’y avait plus rien qui fût dans sa place d’autrefois.»
Notons que le titre de Ìq“ n ≈“sw.t n’est en rien méprisant lorsqu’il désigne un roi
égyptien ou considéré fictivement comme tel (c’est le nom des Deux-Déesses de Philippe
Arrhidée), de même lorsqu’il s’applique à un chef des armées (c’est le cas du général Nectanébo
sous Ptolémée Ier). En revanche, il est péjoratif pour le roi étranger qui gouverne à l’extérieur
pour des intérêts extérieurs à l’Égypte (voir infra).
C. LE SOUVERAIN MACÉDONIEN, ROI D’ÉGYPTE
Inscr. 81, 87 (Pétosiris) = Lefebvre, I, 136-144
«J’ai agi de telle sorte que mon maître Thot <m’>a exalté au-dessus de tous <mes> pairs,
en récompense de ce que j’ai fait: il <m’>a enrichi en toutes bonnes choses, en or, en argent,
en récoltes, etc.; je fus l’objet des faveurs du souverain de l’Égypte (Ìq“ n Kmt), et j’acquis
l’amour de ses courtisans.»
Venant à la fin de la longue autobiographie de Pétosiris, après l’énumération de tous ses
travaux de restauration, cette mention ne peut faire allusion qu’au nouveau souverain, le roi
macédonien Alexandre le Grand.
Dans un cadre limité aux inscriptions de Pétosiris, ces distinctions subtiles que je viens de
mettre en évidence acquièrent une grande importance: succédant au «souverain des pays
étrangers», un Ìq“, un souverain, exerce son gouvernement sur l’Égypte (n Kmt); on ne le dit
pas encore nsw bjty, pour ne pas le confondre avec Nectanébo II, mais aussi, peut-être, parce
88
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8P. TRESSON, «La stèle de Naples», BIFAO 30 (= Mél. V. Loret), 1931, p. 369-391.
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9BIFAO 94, 1994, p. 322-323.
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Le tombeau de Pétosiris (4). Le souverain de l’Égypte.
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