ÉDITORIAL Expansion volémique par hydroxyéthylamidons : la suite (et la fin ?) de l’histoire… Hydroxyethyl starch for fluid resuscitation: the follow up (and the end?) of the story… “ L’ Fabrice Bruneel Service de réanimation médicochirurgicale, centre hospitalier de Versailles, Le Chesnay. 1. Perner A, Haase N, Guttormsen AB et al. Hydroxyethyl starch 130/0.42 versus Ringer’s acetate in severe sepsis. N Engl J Med 2012;367(2):124-34. 2. Myburgh JA, Finfer S, Bellomo R; CHEST Investigators; Australian and New Zealand Intensive Care Society Clinical Trials Group. Hydroxyethyl starch or saline for fluid resuscitation in intensive care. N Engl J Med 2012;367(20):1901-11. expansion volémique, ou remplissage vasculaire, est une prescription très fréquente, réalisée dans de nombreux services, particulièrement en réanimation, aux urgences et au bloc, et notamment au cours du sepsis. Elle repose sur les cristalloïdes (sérum dit physiologique, Ringer lactate, etc.) ou sur les colloïdes, dont les hydroxyéthylamidons (HEA). Dans notre numéro de janvier 2013 consacré aux meilleures publications de 2012 en infectiologie, nous avions rapporté 2 grandes études de haut niveau méthodologique, qui montraient, chez des patients de réanimation, que les HEA de deuxième génération étaient, par rapport aux cristalloïdes, responsables d’une toxicité rénale, de plus d’effets indésirables et même, dans une des études, d’une augmentation de la mortalité chez les patients en sepsis sévère (1, 2). Ces articles venaient confirmer 2 études antérieures qui avaient montré des résultats similaires avec des HEA de première génération (3, 4). Ces données, renforcées par plusieurs méta-analyses (5), ont suscité immédiatement dans les services des débats animés sur la pertinence des HEA, d’autant que ces derniers sont beaucoup plus coûteux que les cristalloïdes. Les experts de la Surviving Sepsis Campaign se sont clairement positionnés contre l’utilisation des HEA au cours du sepsis sévère (6). En novembre 2012, l’Allemagne a porté ce dossier au niveau européen, devant l’Agence européenne des médicaments (EMA), pour que soit évalué le rapport bénéfice/risque des HEA. C’est ainsi que le Pharmacovigilance Risk Assessment Committee (PRAC) de l’EMA a commencé, fin novembre 2012, une procédure de réévaluation des solutés de remplissage contenant des HEA, qui a abouti, le 14 juin 2013, à une recommandation en faveur de la suspension des autorisations de mise sur le marché (AMM) des solutés contenant des HEA. En parallèle, le Royaume-Uni et l’Italie ont décidé d’arrêter la commercialisation des HEA. En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) recommande aux professionnels de santé, dans un avis du 28 juin 2013, “de prendre en compte dès à présent les risques liés à l’utilisation des solutés contenant des HEA et d’éviter leur prescription notamment dans certaines situations (hospitalisation en réanimation, insuffisance rénale, insuffisance hépatique sévère…)”. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) recommande notamment aux professionnels de santé “de ne pas utiliser les HEA chez les patients adultes hospitalisés en réanimation, d’éviter de les utiliser en cas d’insuffisance rénale préalable, et d’éviter l’utilisation en cas de chirurgie cardiaque du fait d’un risque accru d’hémorragie”. 158 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 5 - septembre-octobre 2013 LI 5 sept-oct 2013.indd 158 29/10/13 10:39 ÉDITORIAL 3. Schortgen F, Lacherade JC, Bruneel F et al. Effects of hydroxyethylstarch and gelatin on renal function in severe sepsis: a multicentre randomized study. Lancet 2001;357(9260):911-6. 4. Brunkhorst FM, Engel C, Bloos F et al. Intensive insulin therapy and pentastarch resuscitation in severe sepsis. N Engl J Med 2008;358(2):125-39. 5. Perel P, Roberts I, Ker K. Colloids versus crystalloids for fluid resuscitation in critically ill patients. Cochrane Database Syst Rev 2013;2:CD000567. 6. Dellinger RP, Levy MM, Rhodes A et al. Surviving sepsis campaign: international guidelines for management of severe sepsis and septic shock, 2012. Intensive Care Med 2013;39(2):165-228. L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec Astellas et Pfizer. L’enjeu commercial sur le plan mondial nous dépasse. En Europe, plus de 200 solutés de remplissage contiennent des HEA, fabriqués essentiellement par 3 grands laboratoires. L’un d’entre eux a d’ailleurs décidé de retirer du marché l’un de ses solutés. Néanmoins, le 12 juillet 2013, les titulaires des AMM des solutés contenant des HEA ont demandé un réexamen de l’avis initial du PRAC dans le cadre d’une procédure d’appel auprès de l’EMA. En parallèle, et à la suite des décisions tranchées du Royaume-Uni et de l’Italie, une nouvelle procédure de réévaluation a été engagée. Une position définitive sur l’ensemble de ce dossier est attendue pour fin octobre 2013. En attendant, les prescripteurs utilisent beaucoup moins les HEA, que ce soit en réanimation ou dans les autres spécialités. On peut se demander pourquoi ces HEA de deuxième génération ont été prescrits pendant plus de 10 ans après le retrait de la quasi-totalité des HEA de première génération. A contrario, certains prescripteurs soulignent l’intérêt (ressenti au lit du patient) de ces HEA au cours de certains gestes programmés. Compte tenu des données scientifiques actuelles – mais les résultats de quelques études sont attendus –, on voit mal comment le PRAC de l’EMA et les autres agences de santé pourraient revenir sur leurs décisions. En attendant une décision probablement définitive, il nous a semblé intéressant de vous informer sur les mécanismes, les méandres et les enjeux qu’implique une telle décision quand il s’agit d’un produit de santé aussi fréquemment utilisé. Dernière minute ” On apprend que le PRAC (Pharmacovigilance Risk Assessment Committee) de l’Agence euro­ péenne du médicament (EMA) a rendu son avis en date du 11 octobre 2013 (http://www.ema. europa.eu/ema/index.jsp?curl=pages/news_and_events/news/2013/10/news_detail_001917. jsp&mid=WC0b01ac058004d5c1). Le Comité conclut que les HEA ne doivent plus être utilisés chez les patients de réanimation ou ayant un sepsis, compte tenu d’un risque avéré en termes de mortalité et de toxicité rénale. Cependant, le Comité accepte que les HEA puissent être utilisés chez les patients en choc hémorragique quand le remplissage par des cristalloïdes seuls apparaît insuffisant. Le Comité stipule que dans cette dernière situation, il faudra mettre en place des mesures pour limiter les risques potentiels, et recommande que les HEA ne soient pas utilisés plus de 24 heures, et que la fonction rénale de ces patients soit surveillée jusqu’à J90. Enfin, le PRAC demande que des études soient réalisées pour évaluer l’intérêt des HEA dans 2 popula­ tions spécifiques : chirurgie élective et polytraumatisés. Ces recommandations vont maintenant être envoyées au Coordination Group for Mutual Recognition and Decentralized Procedures – Human, qui adoptera une position définitive fin 2013 et qui se chargera de la diffuser aux diffé­ rents états de l’Union européenne. En bref, la position initiale du PRAC a été légèrement nuancée, mais ces recommandations limitent très nettement l’usage des HEA. La porte n’est pas totalement fermée mais l’avenir de ces solutés apparaît tout de même très compromis. La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 5 - septembre-octobre 2013 | 159 LI 5 sept-oct 2013.indd 159 29/10/13 10:39