OBSERVATION DISCUSSION Médecine & enfance

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Médecine
& enfance
Du syndrome cardio-facial de Cayler
au syndrome CATCH 22
G. Dutau, allergologue, pneumologue, pédiatre, Toulouse
C’est en 1969 que, pour la première fois, Glen G. Cayler a décrit le syndrome qui
porte son nom à propos de 14 cas, 9 filles et 5 garçons, qui étaient tous porteurs d’une cardiopathie congénitale et d’une asymétrie faciale aux pleurs. Depuis
cette date, le nombre de cas publiés a augmenté, des variantes ont été décrites,
puis on s’est aperçu que cette maladie orpheline était liée à un syndrome de délétion 22q11.2 dont le phénotype clinique est beaucoup plus large qu’on ne le
croyait, ce qui a justifié l’extension de son cadre sous le sigle CATCH 22. Nous
avons observé un cas de ce curieux syndrome à une époque où la nature exacte
des anomalies chromosomiques responsables n’était pas encore identifiée.
Cependant, de nos jours, il n’est pas certain que ce syndrome soit bien connu.
D’où l’impératif de le rechercher dès les premiers jours de vie en examinant le faciès de l’enfant aux cris et aux pleurs, ce qui n’est pas compliqué…
OBSERVATION
Alice K. est admise à l’âge de vingt-deux
mois pour la découverte d’une asymétrie des traits du visage évoquant pour
son médecin traitant la possibilité d’une
paralysie faciale. Alice est une enfant
unique, née au terme d’une grossesse
normale, pesant 3 350 g et mesurant
49 cm. Son périmètre crânien était normal (35 cm). L’accouchement s’est déroulé sans incident par voie basse, sans
application de ventouses ou de forceps.
Dès les premiers mois de vie, les parents
se sont aperçus que l’enfant avait une
asymétrie faciale, apparaissant uniquement aux pleurs, alors que son visage
était normal au repos.
L’inspection montre en effet que les
traits du visage sont symétriques au repos, mais qu’il existe une asymétrie faciale inférieure au moment des cris et
des pleurs : la commissure labiale est attirée vers la gauche (voir figure). Il n’y a pas
d’anomalie d’occlusion des yeux. Le reste
de l’examen clinique est normal. Les
foyers d’auscultation cardiaque sont déplacés vers la droite. Il n’existe pas de
souffle cardiaque. Le développement
psychomoteur de l’enfant est normal.
En fait, l’auteur de ces lignes, connaissant la publication inaugurale de
G.G. Cayler, pense d’emblée qu’il s’agit
d’un syndrome cardio-facial, et que
l’asymétrie aux pleurs est due à une hypoplasie ou à une aplasie du muscle triangulaire des lèvres. Dans ce cas, les
traits du visage sont attirés du côté sain
par le muscle triangulaire présent. Dans
le cas d’Alice, le triangulaire des lèvres
était absent du côté droit, et la commissure labiale était attirée à gauche par le
muscle triangulaire présent. Le sillon naso-génien était présent des deux côtés.
L’électromyographie sélective confirma
que le muscle triangulaire des lèvres
était présent à gauche mais absent à
droite (pas d’activité électrique). La radiographie du thorax révélait une aplasie pulmonaire droite, expliquant la déviation des foyers d’auscultation cardiaque vers la droite. Il n’existait pas
d’anomalie de la silhouette cardiaque.
L’échographie cardiaque était normale.
Alice était donc atteinte d’un syndrome
cardio-facial de Cayler avec présence
d’une agénésie pulmonaire droite. La
recherche d’autres anomalies, en particulier cardiaques, osseuses, uro-génitales et digestives, fut négative.
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DISCUSSION
Dans la publication princeps de
G.G. Cayler [1], l’aspect du visage du patient n° 3 est typique au repos et lors des
cris. La commissure labiale est déviée du
côté sain. Cet aspect caractéristique suffit pour évoquer le diagnostic et pour
entreprendre la recherche des anomalies associées, qui sont très fréquentes.
En dehors de l’asymétrie faciale aux
pleurs, on peut observer un aspect mal
ourlé de la commissure labiale, lié à l’absence du triangulaire des lèvres.
Dans la série de G.G. Cayler, les 14 patients avaient tous des anomalies cardiaques : communication interventriculaire (7 cas) isolée ou associée à d’autres
anomalies aortiques, tétralogie de Fallot
(2 cas), communication atrio-ventriculaire (2 cas), sténose pulmonaire
(1 cas), ventricule unique (1 cas), coarctation aortique (1 cas) [1]. La sévérité de
ces malformations était majeure dans
2 cas ; une insuffisance cardiaque était
présente dans 8 cas ; un retard de croissance existait dans 9 cas (63 %), important dans 5 cas [1]. D’autres anomalies
étaient présentes, touchant l’appareil digestif (4 fois), le squelette (4 fois), le
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système nerveux (3 fois) ou d’autres organes : agénésie rénale, hypertension
artérielle par sténose de l’artère rénale,
troubles du rythme cardiaque [1]. En dehors de notre observation, une agénésie
pulmonaire n’avait jamais été décrite,
sauf dans le cas rapporté par H. Dorchy
en 2004 [2].
La consultation du site Orphanet [3, 4]
indique que l’asymétrie faciale aux
pleurs, due à une agénésie ou à une hypoplasie du muscle triangulaire des
lèvres, est associée dans plus de 50 %
des cas à d’autres malformations, qui
portent sur la tête et le cou (50 %), le
cœur (40 %), le squelette (20 %), l’appareil génito-urinaire (20 %), le système nerveux central (10 %) et/ou l’appareil digestif (6 %). De nombreuses
anomalies mineures sont possibles
(8 %). Des troubles du développement
psychomoteur et un retard mental peuvent apparaître dans 6 à 10 % des cas.
Une délétion 22q11.2 a été observée
dans plusieurs cas d’agénésie ou d’hypoplasie du muscle triangulaire des
lèvres (muscle abaisseur des lèvres),
s’intégrant dans le cadre du syndrome
de Cayler. D’ailleurs, même si G.G. Cayler envisageait une possible « théorie virale » (rubéole congénitale, infection
maternelle à cytomégalovirus) ou la
prise par la mère de toxiques comme le
LSD (diéthylamide de l’acide lysergique), il avait mis en évidence des fractures chromosomiques et/ou des microdélétions dans les 3 cas où un caryotype
avait été effectué [1].
Avec la publication de nouveaux cas et
une meilleure connaissance de leur évolution, il apparaît que le phénotype du
syndrome de délétion 22q11.2 est variable, incluant des anomalies modérées à sévères. En sus des malformations classiques, plus de 75 % des patients ont des malformations palatines
(fente palatine ou labio-palatine, insuffisance vélo-pharyngienne). Les dysmorphies faciales sont fréquentes (ptôsis, hypertélorisme, épicanthus, nez
proéminent, hypoplasie malaire), ainsi
que les anomalies vertébrales. La prévalence de l’immunodéficience (75 %),
liée à une aplasie/hypoplasie thymique,
Syndrome cardio-facial de Cayler
Au repos, les traits du visage sont symétriques. Aux pleurs, la commissure labiale est
attirée vers la gauche par le muscle triangulaire présent. Le triangulaire des lèvres est
absent à droite.
était peu ou non signalée au cours des
premières descriptions. Les autres
risques associés sont le purpura thrombopénique immunologique, l’arthrite
juvénile idiopathique, l’hypocalcémie
néonatale. Les autres malformations
sont gastro-intestinales (imperforation
anale), rénales (agénésie), dentaires
(hypoplasie de l’émail), auditives (surdité), psychiques (syndrome d’hyperactivité, schizophrénie), etc.
Naguère, on considérait que ces anomalies étaient liées à des syndromes
distincts (syndrome de Di George, syndrome vélo-cardio-facial, syndrome
cardio-facial). En fait, ces syndromes
sont identiques et regroupés sous le
phénotype CATCH 22 (cardiac defects,
abnormal facies, thymic hypoplasia, cleft
palate, and hypocalcemia, and a variable
deletion on chromosome 22) [5] ou délétion 22q11.2, due à une recombinaison
méiotique non allélique pendant la spermatogenèse ou l’ovogenèse.
Le diagnostic, suspecté devant l’asymétrie faciale aux pleurs, étayé par la découverte de malformations associées, est
confirmé par la détection de la délétion
22q1.2, en particulier par l’hybridation
fluorescente in situ. Il faut éliminer plusieurs syndromes dysmorphiques, comme le syndrome CHARGE, le syndrome
de Smith-Lemli-Opitz (SLO), le syndrome VATER/VACTERL, le syndrome
d’Alagille, celui de Goldenhar, etc.
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La prévalence du phénotype CATCH 22
est estimée entre 1 p. 2 000 et 1 p. 4 000
naissances vivantes, la même que celle
de l’hypothyroïdie congénitale, laquelle
bénéficie d’un dépistage à huit jours de
vie sur l’éluat de sang prélevé sur papier
buvard après piqûre au talon. Selon la
plupart des auteurs, en sus de la recherche de la délétion 22q11.2 et d’une
exploration cardiologique (électrocardiogramme, radiographie du thorax,
échographie cardiaque), une radiographie de l’ensemble du squelette, une
échographie rénale et un examen ORL
첸
sont indispensables [6, 7].
G. Dutau déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
[1] CAYLER. G.G. : « Cardiofacial syndrome. Congenital heart disease and facial weakness, a hitherto unrecognized association », Arch. Dis. Child., 1969 ; 44 : 69-75.
[2] DORCHY H. : « Association of asymmetric crying facies and
pulmonary agenesis : a new syndrome ? », Eur. J. Pediatr., 2004 ;
163 : 698.
[3] « Hypoplasie unilatérale congénitale du muscle abaisseur de
l’angle de la bouche », www.orpha.net/consor/www/cgi-bin/
index.php?lng=FR.
[4] « Syndrome de délétion 22q11.2 », www.orpha.net/consor/
www/cgi-bin/index.php?lng=FR.
[5] SERGI C., SERPI M., MULLER-NAVIA J et al. : « CATCH 22 syndrome : report of 7 infants with follow-up data and review of the
recent advancements in the genetic knowledge of the locus
22q11 », Pathologica, 1999 ; 91 : 166-72.
[6] PAWAR S.J., SHARMA D.K., SRILAKSHMI S. et al. : « Cayler
cardio-facial syndrome : an uncommon condition in newborns »,
Iran. J. Pediatr., 2015 ; 25 : e502.
[7] BELLAICHE J., CORREIA N., BOUCHE PILLON PERSYN M.A.
et al. : « Syndrome de Cayler : à propos d’un cas et revue de la
littérature », Ann. Chir. Plast. Esthet., 2016 ; 61 : 307-10.
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