Darwin, entre créationnisme et création

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NUM.
SEP.09 71
T R I M E S T R I E L
M A G A Z I N E
D E
L ’ U N I V E R S I T É
D E
N A M U R
Réaction
Darwin entre
créationnisme
et création
L
e cent-cinquantième
anniversaire de la publication
de L’origine des espèces
de Charles Darwin a suscité de
multiples conférences, études et
émissions de radio ou de télévision.
Cela a notamment permis de
faire le point sur l’état actuel de
la théorie de l’évolution (avec ses
composantes récentes : Evo-Devo,
System Biology…) et de découvrir des
facettes moins connues de la vie et
de l’œuvre du naturaliste anglais.
Curieusement, les différentes
célébrations ont été aussi l’occasion
de prendre conscience de l’ampleur
désastreuse, pour la culture et pour
l’éducation, d’un antidarwinisme
primaire et de l’étonnant appui
politique et financier dont celui-ci
peut bénéficier, y compris en
Europe. Ce fait est consternant
pour tout scientifique honnête
qui ne sait que trop bien qu’un
abandon de la théorie actuelle de
l’évolution reviendrait à ne plus
rien comprendre à la paléontologie,
à la génétique, à la biologie du
développement mais aussi à
l’anatomie humaine et au fait
hélas courant de l’apparition de
souches bactériennes hyperrésistantes dans nos hôpitaux !
Cet antidarwinisme s’accompagne
souvent d’une position religieuse
dite « créationniste » fondée sur
une lecture strictement littérale
de la Genèse qui ne peut plus être
acceptée par aucun philologue
biblique ou exégète un peu au
fait des genres littéraires. Le
créationnisme prétend qu’il
n’est pas possible d’expliquer
l’émergence de nouvelles espèces
sans une intervention explicite et
ponctuelle de Dieu « dans » la suite
des causes physico-chimiques.
4
Télématique médicale
Faut-il en avoir peur ?
4
Voitures de société
Un jouet de luxe ?
9
Parcours d’ancien
Melchior Wathelet,
secrétaire d’État
Plan Marshall à Namur
14 projets scientifiques au service de la relance wallonne
Suite page 2
SOMMAIRE
INNOVATION
Plan Marshall à Namur
14 projets scientifiques
au service de la relance
wallonne..........................................................................3
Groupe de recherche sur les
transports
La voiture de société est-elle
un jouet de luxe ? ................................................4
Droit, santé et technologies
Faut-il avoir peur de
la télématique médicale ? ........................4
Histoire de l’informatique
La Belgique au rang des pionniers..... 5
Recherches en économie
La Wallonie : performante ou pas
plus mauvaise que les autres ? .........6
CONNEXION
Paraplégie et tétraplégie
Un outil pour une vie affective,
relationnelle et sexuelle épanouie ......7
Colloque international en finance
Les banques centrales face
à de nouveaux défis ? ....................................7
Économie du développement
École d’été internationale
à Namur ...........................................................................7
Récit de prof
Enseignement bilingue
au Vietnam....................................................................8
Protection du citoyen
Réinventer le contrôle
de la légalité ?..........................................................8
Parcours d’ancien
Melchior Wathelet, secrétaire
d’État au budget et à la politique
des familles ................................................................9
INSTITUTION
Enseignement & international
Namur délivre ses premiers
diplômes de master .....................................10
Distinctions..............................................................11
FAC Télévision
Relookée et en ligne ....................................12
Édition ............................................................................12
Agenda .........................................................................12
INNOVATION
RÉACTION
(suite de la page 1)
Darwin entre créationnisme et création
B
que l’on ne peut jamais éliminer les
eaucoup de créationnistes
vies plus fragiles ou les individus les
croient d’ailleurs qu’une
plus défavorisés sans porter atteinte
telle position fait partie de
à « la partie la plus noble de notre
la grande tradition théologique
nature ». Pour Darwin, la sélection
chrétienne. En fait, il n’en est rien.
naturelle a sélectionné des êtres
Plusieurs Pères de l’Église, dont
capables de s’y opposer par des
Saint Augustin, n’ont jamais parcomportements qui permettent justagé cette thèse. Ils estimaient au
tement de protéger les plus faibles.
contraire que Dieu avait placé dès
Darwin est d’ailleurs d’une exceple commencement du monde toutionnelle qualité humaine. Il est, à
tes les potentialités susceptibles de
son époque,
produire progresl’un des rares
sivement, au cours
et courageux
d’une histoire,
opposants
toutes les formes
L’antidarwinisme
tente
à l’esclavade vie connues.
gisme et à la
Les grands théoloaussi de gagner des
discrimination.
giens, dont Thomas
partisans à sa cause
d’Aquin, estiment
On évod’ailleurs que, d’oren laissant supposer
que souvent
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ouvement
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de l’évolution seraient m
dit de l’Intelcausalités naturelnécessairement à
ligent Design.
les. Celles-ci posSans refuser
sèdent leur pleine
la
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des
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directement
a u t o n o m i e, a u
la théorie de
point qu’il est pareugénistes mises
l’évolution, ce
faitement légitime
en
œuvre
par
les
néo-créationde ne jamais faire
nisme prétend
intervenir Dieu
totalitarismes
que la biologie
dans une lecture
contemporains
ne peut expliscientifique des
quer l’émerphénomènes. Sur
gence de cerce point d’ailleurs,
tains systèmes
que l’on appelle,
très complexes (l’œil…) et que
à la suite d’Henri de Dorlodot, le
cela impose donc le recours à une
« naturalisme chrétien », Darwin
« science de la création » utilisant,
lui-même et Thomas d’Aquin se
dans le contexte scientifique, la
rejoignent en estimant qu’il ne
notion d’intentionnalité divine pour
serait pas respectueux de transforrendre compte de cette émergence.
mer l’action de Dieu en une cause
Tout comme l’ancien créationnisme,
naturelle parmi d’autres.
celui-ci confond, sans prudence, les
niveaux de discours scientifiques
L’antidarwinisme tente aussi
et théologiques et s’éloigne comde gagner des partisans à sa cause
plètement du « naturalisme chréen laissant supposer que Darwin
tien » cher aux plus célèbres Pères
et la théorie de l’évolution seraient
de l’Eglise. De plus, la plupart des
nécessairement à la base des dériexemples traités par la « science
ves eugénistes mises en œuvre par
de la création » peuvent faire l’objet
les totalitarismes contemporains.
d’explications, en partie ou totaleOn peut opposer à cela une série
ment satisfaisantes, au cœur de la
de textes de Darwin, spécialement
génétique du développement, de la
dans la conclusion de son ouvrage
biologie des systèmes ou de la théoThe Descent of Man, où le naturarie des systèmes complexes.
liste anglais déclare explicitement
Paradoxalement, la lutte, pleinement justifiée, contre l’antidarwinisme a conduit elle-même, au travers des médias, à sombrer dans des
simplismes et des erreurs conceptuelles et historiques. Ainsi par
exemple, le créationnisme est maintes fois confondu avec la doctrine de
la création et le rejet du premier est
souvent pris comme équivalent à la
négation de la deuxième. Or il faut le
rappeler, on peut croire à la création
en refusant le créationnisme au sens
défini ci-dessus. Dire que le monde
est créé, c’est dire que la cause de
son existence est Dieu. On conçoit
aisément que création et évolution
ne sont pas contradictoires, dans la
mesure où Dieu peut poser et soutenir dans l’existence un monde
évoluant, dans le plan des causes
naturelles, selon le processus darwinien ! La théorie darwinienne souligne d’ailleurs beaucoup mieux que
le fixisme toute la part de « liberté »
qui est laissée au monde : « Dieu ne
fait pas le monde », disent les Pères,
« il fait que le monde puisse se faire
(par lui-même) ».
un génial programme d’ordinateur.
Dans la tradition biblique, Dieu est
Père et un père de famille peut très
bien avoir un réel projet (un dessein !)
éducatif pour ses enfants, sans que
cela veuille signifier qu’il doive les
transformer en des automates obligés de suivre une trajectoire imposée à l’avance !
Une émission récente de télévision, en confondant joyeusement
création et créationnisme, a de plus
laissé sous-entendre que l’Église
catholique serait créationniste. Il
s’agit là d’une contre-vérité flagrante
qu’il convient de dénoncer. Non seulement Darwin ou les darwiniens ne
se sont jamais retrouvés à l’Index - il
n’y a jamais eu « d’affaire Darwin »
comme il y a eu une « affaire Galilée » -, mais en outre, les prises de
positions récentes de l’Eglise catholique (par exemple celles de Jean-Paul
II en 1996 à l’Académie pontificale
des Sciences) montrent très clairement qu’elle entend pleinement respecter la théorie de l’évolution dans
son domaine propre de compétence.
En mars 2009, à Rome, un colloque
international sur l’évolution a été
organisé, en hommage à Darwin, à
l’Université Pontificale Grégorienne
sous le patronage de la Commission
pontificale de la culture en présence
du cardinal William Joseph Levada,
président de la Congrégation pour
la Doctrine de la Foi et du cardinal
Georges Cottier, ancien théologien
personnel de Jean-Paul II. Tout en
maintenant bien évidemment la
création et la nécessaire transcendance de l’homme d’un point de
vue métaphysique et théologique, ce
colloque (où intervenaient des biologistes de tout haut niveau : W. Arber,
Prix Nobel, S. Kauffman, L. Margulis,
S. Gilbert, Y. Coppens…) a très clairement récusé tout créationnisme
fondamentaliste et toute tentative
de minimisation ou de récupération
de la théorie de l’évolution.
Pour respecter Darwin et son
génial travail, il conviendrait donc
d’éviter de le mépriser en autorisant, dans nos sociétés ou dans
nos programmes d’enseignement, la prolifération d’argumentations fallacieuses néo-créationnistes.
Mais il serait tout aussi
utile de rappeler que
Darwin refusa toujours
de se laisser entraîner
dans un militantisme anti-religieux et qu’il
convient, d’un
point de vue
logique et philosophique, de ne
point confondre création
et créationnisme !
La contestation du
statut et du contenu des
thèses de l’Intelligent
Design, parfaitement
légitime et nécessaire,
s’est vue identifiée, dans
certaines publications
ou émissions de télévision, à la négation de
toute pertinence
du concept
métaphysique
ou théologique de finalité.
Cependant, il est
crucial de rappeler que
s’il est correct de dire qu’il
n’y a pas de théologie chrétienne
de la création sans une référence
explicite à un dessein de Dieu, il est
faux de prétendre que la représentation de cette finalité serait identique à la conception simpliste
qu’en donnent les tenants de
l’Intelligent Design en l’assimilant à un plan d’ingénieur ou à
Dominique Lambert,
professeur à la Faculté
des sciences et à la Faculté
de philosophie et lettres de
l’Université de Namur.
ENSEIGNEMENT & CRÉATIONNISME
Un DVD pour désamorcer les conflits
Le Centre Interfaces de l’Université de Namur met à la disposition des professeurs de l’enseignement secondaire un DVD les aidant à comprendre les enjeux
des théories créationnistes, et à aborder la question en classe. Explications avec
Florence Hosteau et Dominique Martens, membres de ce centre.
Comment expliquez-vous que
ces théories créationnistes
séduisent de plus en plus de
monde ?
Ces théories apportent des certitudes. Tout d’abord, une certitude de
ne pas être rien, que la vie a du sens
et qu’elle est désirée par quelqu’un
de supérieur. « Je ne suis pas le fruit
d’un hasard ! » Ensuite, ces théories
apaisent une angoisse : celle de ne
pas savoir ce que l’on est. Qu’est-ce
que la vie ? La réponse échappe
même à la science, les créationnistes
ont une réponse simple et rassurent.
Enfin, à travers ces mouvements
créationnistes se cache sans doute
un désir politique de reconquête
2
religieuse d’une société profondément sécularisée.
Vous avez créé un outil à
destination des professeurs. Le
créationnisme représente donc
un problème pour l’école ?
Certains élèves et professeurs
se trouvent dans des « conflits de
loyauté ». « Que dois-je enseigner ?
Ce que je pense être la vérité ou ce
qui m’est dicté par le programme ?
Que dois-je répondre à une interrogation ou à un examen ? La vérité
révélée par la religion ou ce que le
professeur m’a enseigné ? » Ce sont
ce genre de questions auxquelles
l’école est confrontée. Ce conflit
de loyauté est d’autant plus présent qu’une diversité culturelle et
convictionnelle apparaît.
resitue les enjeux de la problématique pour l’école, avec l’intervention
d’acteurs de l’enseignement.
Comment cet outil peut-il
aider les professeurs ?
Notre DVD leur permet de tenter, en classe, une approche de la
délicate question de l’évolution et
du créationnisme, car son fil rouge
est l’articulation nécessaire entre
les sciences et la foi, ou la question
du sens en général.
Les professeurs ont ainsi à
leur disposition un outil rigoureux,
interdisciplinaire et pluri-convictionnel. À l’heure où les savoirs
gagneraient à être décloisonnés,
tenter une articulation entre différentes disciplines nous paraît
constituer un enjeu majeur en ce
début de XXIe siècle.
Il présente aussi bien ce qu’est la
théorie créationniste, expliquée par
un créationniste, que les multiples
preuves qui démontent cette théorie :
des scientifiques issus de différentes
disciplines interviennent (biologie,
paléontologie, philosophie, etc.). En
outre, il donne la parole à des représentants des différentes religions, et
Florence Hosteau et
Dominique Martens,
L’évolution dévoilée.
Quand sciences et sens se
rencontrent,
Presses universitaires
de Namur, 2009
www.pun.be
MAGAZINE DE L’UNIVERSITÉ DE NAMUR
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