. THÈSE En vue de l'obtention du DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSE Délivré par L’Université Toulouse III – Paul Sabatier Discipline ou spécialité : Pharmacologie Présentée et soutenue par Anne-Sylvie KESTEMAN Le 14 décembre 2009 Titre : Influence des facteurs associés à une antibiothérapie de type métaphylactique sur les relations pharmacocinétiques/pharmacodynamiques (PK/PD) des antibiotiques. Conséquences sur les schémas posologiques et sur l’émergence de résistance JURY Monsieur le Professeur Alain BOUSQUET-MELOU Examinateur Monsieur le Professeur Pascal GUSTIN Rapporteur Monsieur le Professeur Georges HOUIN Examinateur Madame le docteur Isabelle KEMPF Rapporteur Monsieur le Docteur Michel LAURENTIE Examinateur Monsieur le Professeur Pierre-Louis TOUTAIN Examinateur Membre invité : Madame Agnès PERRIN-GUYOMARD Ecole doctorale : Biologie-Santé-Biotechnologies Unité de recherche : UMR 181 Physiopathologie et Toxicologique Expérimentales, INRA, ENVT Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Médicaments Vétérinaires et les Désinfectants, AFSSA Directeur(s) de Thèse : Monsieur le Professeur Pierre-Louis TOUTAIN Monsieur le Docteur Michel LAURENTIE Monsieur le Professeur Alain BOUSQUET-MELOU Rapporteurs : Monsieur le Professeur Pascal GUSTIN Madame le docteur Isabelle KEMPF A Madame le Docteur Isabelle KEMPF, et Monsieur le Professeur Pascal GUSTIN, qui ont accepté de consacrer de leur temps à la lecture et à l’appréciation de ce manuscrit, qu’ils trouvent ici le témoignage de notre respectueuse gratitude. A Monsieur le Professeur Georges HOUIN, qui nous a fait l’honneur d’accepter de faire partie de notre jury de thèse. Qu’il soit assuré de nos plus sincères remerciements. A Messieurs les Professeurs Alain BOUSQUET-MELOU et Pierre-Louis TOUTAIN, qui nous ont accueillie comme doctorante, nous ont aidés et guidés tout au long de ces années de thèse avec rigueur et optimisme. Qu’ils soient assurés de notre sincère reconnaissance. A Messieurs les Docteurs Michel LAURENTIE et Pascal SANDERS, qui nous ont accueillie au sein de leur laboratoire. Qu’ils soient assurés de tout notre respect et de toute notre reconnaissance. A tous les membres de l’équipe « Antibiothérapie et Antibiorésistance » de l’UMR 181 qui ont contribué à la réalisation de ce travail : Madame Nathalie ARPAILLANGE, Madame le Docteur Véronique DUPOUY, et Madame Sylvie PUEL. Sincères remerciements. A toute l’équipe zootechnie de l’UMR181 : Monsieur Sylvain BRUYAS, Monsieur Jean-Pierre GAU, Monsieur Joseph MALIGOY, Monsieur Patrice ROUBY et Monsieur René SCHAN. Un grand merci pour leur aide précieuse. A tous les membres de l’unité Pharmacocinétique Pharmacodynamique du LERMVD de l’AFSSA de Fougères qui m’ont accueillis chaleureusement et ont contribué à la réalisation de ce travail : Madame Annick Brault, Madame le Docteur Mireille BRUNEAU, Mademoiselle Pamela LOUÂPRE, pour sa bonne humeur et sa disponibilité, Madame Jacqueline MANCEAU, et Madame Catherine POIRIER. Sincères remerciements. 1 A Madame Agnès PERRIN-GUYOMARD, pour ses conseils, son soutien, ses critiques toujours constructives, pour s’être investie dans ce travail de fourmi, en souvenir de toutes ces boîtes ensemencées et comptées un très grand merci. A l’équipe zootechnie du LERMVD, Monsieur Stéphane MARTEAU, Monsieur Jean-Guy ROLLAND, mes deux anges gardiens de Fougères. Un grand merci pour leur précieuse aide durant les phases animales, pour leur inventivité, pour leur bonne humeur et leur soutien durant les longues journées d’expérimentation. A toute l’équipe des thésards, anciens et actuels à Toulouse : Julie ANTIC, Delphine BIBBAL pour sa bonne humeur et toutes nos discussions, Séverine COLLET pour son aide précieuse sur la dernière ligne droite, Aude FERRAN ma binôme, pour tous ses conseils, son immense patience et ces heures passées enfermées dans notre bocal !, Elizabeth JEUNESSE, Julien LEGHAIT, pour son initiation à la pose de cath, son calme et son optimisme et Béatrice ROCQUES, bon courage à elle qui débute. Merci à tous pour votre bonne humeur et les tous les bons moments passés ensemble. A Fougères : Emmanuel BAZIN, Julie DAVID, merci de m’avoir initiée aux joies du pays fougerais, pour nos ballades, tous ces moments où l’on a refait le monde, et pour m’avoir accueilli chez elle de façon si spontanée !, Stéphanie FAURE, et Jérôme HENRI, merci à tous pour votre accueil et tous ces bons moments passés ensemble. A tous les membres de l’AFSSA Fougères, pour leur bonne humeur et leurs encouragements, avec une mention spéciale aux « Cantine’s squatters » avec qui j’ai passé d’excellent moments musicaux. A tous les membres de l’UMR181, pour toute l’aide indispensable, qu’elle soit technique, administrative ou scientifique qu’ils m’ont apportée, leur soutien, leur bonne humeur et leurs encouragements. Un immense merci. A ma famille pour leur amour, leur soutien et leurs encouragements tout au long de mes études. A Emmanuel pour son amour, pour sa confiance et ses conseils 2 AVANT PROPOS Ces travaux de thèse ont fait l’objet, à l’heure actuelle, des publications et communications suivantes : PUBLICATIONS A.-S. KESTEMAN, A PERRIN-GUYOMARD, M. LAURENTIE, P. SANDERS, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU Emergence of Resistant Klebsiella pneumoniae in the Intestinal Tract during Successful Treatment of Klebsiella pneumoniae Lung Infection in Rats. Antimicrobial Agents and Chemotherapy, 2010 Jul; 54(7):2960-64 A.-S. KESTEMAN, A.A. FERRAN, A PERRIN-GUYOMARD, M. LAURENTIE, P. SANDERS, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU Influence of Inoculum Size and Marbofloxacin Plasma Exposure on the Amplification of Resistant Subpopulations of Klebsiella pneumoniae in a Rat Lung Infection Model. Antimicrobial Agents and Chemotherapy, 2009 Nov; 53(11):4740-48 A.A. FERRAN, A.-S. KESTEMAN, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU Pharmacokinetic/Pharmacodynamic Analysis of the Influence of Inoculum Size on the Selection of Resistance in Escherichia coli by a Quinolone in a Mouse Thigh Bacterial Infection Model. Antimicrobial Agents Chemotherapy. 2009 Aug;53(8):3384-90 COMMUNICATIONS ORALES A.-S. KESTEMAN, A.A. FERRAN, A PERRIN-GUYOMARD, M. LAURENTIE, P. SANDERS, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU Influence of Inoculum size and Dosing Regimen on the Selection of Marbofloxacin Resistant Mutants in Experimental Rat Klebsiella pneumoniae Lung Infection. 11th International Congress of the European Association for Veterinary Pharmacology and Toxicology (EAVPT), 2009, Leipzig, Germany A.-S. KESTEMAN, A PERRIN-GUYOMARD, M. LAURENTIE, P. SANDERS, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU Impact d’une fluoroquinolone sur la flore pathogène et la flore commensale intestinale dans un modèle d’infection pulmonaire par Klebsiella pneumoniae chez le rat dixénique. Journée d’Animation Scientifique du département santé animale de l’INRA, 2009, Port d’Albret, France A.-S. KESTEMAN, A.A. FERRAN, A PERRIN-GUYOMARD, M. LAURENTIE, P. SANDERS, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU Influence of inoculum size and dosage regimens on the selection of marbofloxacin resistant mutants in experimental rat Klebsiella pneumoniae lung infection. 4th International conference on Antimicrobial Agents in Veterinary Medicine (AAVM), 2008 Prague, République Tchèque 3 A.-S. KESTEMAN, A.A. FERRAN, A PERRIN-GUYOMARD, M. LAURENTIE, P. SANDERS, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU Influence of inoculum size on the selection of marbofloxacin resistant mutants in experimental rat Klebsiella pneumoniae lung infection. 4th European Network of Excellence for Zoonoses research annual meeting (Med-Vet-Net), 2008, St Malo, France POSTERS A.-S. KESTEMAN, A PERRIN-GUYOMARD, M. LAURENTIE, P. SANDERS, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU Impact of Marbofloxacin Dosing Regimen on Intestinal Flora in a Dixenic Rat Model with Klebsiella pneumoniae Lung Infection. 11th International Congress of the European Association for Veterinary Pharmacology and Toxicology (EAVPT), 2009, Leipzig, Germany A.-S. KESTEMAN, A.A. FERRAN, A PERRIN-GUYOMARD, M. LAURENTIE, P. SANDERS, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU Influence of inoculum size and dosage regimen on the selection of marbofloxacin resistant mutants in experimental Klebsiella pneumoniae lung infection in rats. 3rd Symposium on Antimicrobial Resistance in Animals and the Environment (ARAE), 2009, Tours, France A.-S. KESTEMAN, A.A. FERRAN, A PERRIN-GUYOMARD, M. LAURENTIE, P. SANDERS, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU La taille de l’inoculum influence la sélection de mutant résistant à la marbofloxacine dans un modèle expérimental d’infection pulmonaire chez le rat par Klebsiella pneumoniae. Journée Doctorants de l’AFSSA, 2008, Maison-Alfort, France A.-S. KESTEMAN, A.A. FERRAN, V. DUPOUY, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU Influence of inoculum size on the selection of marbofloxacin resistant mutants in experimental rat Klebsiella pneumoniae lung infection. 2nd Symposium on Antimicrobial Resistance in Animals and the Environment (ARAE), 2007, Tours, France A.-S. KESTEMAN, A.A. FERRAN, A PERRIN-GUYOMARD, M. LAURENTIE, P. SANDERS, P.-L. TOUTAIN and A. BOUSQUET-MELOU Influence du schéma d’administration des fluoroquinolones sur l’émergence de bactéries résistantes dans la flore pathogène et la flore commensale du tube digestif. Journée Doctorants de l’AFSSA, 2007, Maison-Alfort, France 4 Table des matières TABLE DES MATIERES AVANT PROPOS................................................................................................ 3 TABLE DES MATIERES .................................................................................. 5 TABLE DES ILLUSTRATIONS....................................................................... 9 LISTE DES ABREVIATIONS ........................................................................ 11 INTRODUCTION ............................................................................................. 15 CHAPITRE 1 – ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE........................................... 21 1.1. LES ANTIBIOTIQUES EN MEDECINE VETERINAIRE.......................................... 21 1.1.1. Utilisation des antibiotiques en médecine vétérinaire ............................................. 21 1.1.2. Impact de l’antibiothérapie vétérinaire sur la santé humaine ................................. 23 1.2. LES FLUOROQUINOLONES ...................................................................................... 25 1.2.1. Présentation générale des fluoroquinolones ............................................................ 25 1.2.2. Mode d’action des fluoroquinolones ........................................................................ 26 1.2.3. Propriétés pharmacologiques des fluoroquinolones................................................ 28 1.2.4. Utilisation des fluoroquinolones .............................................................................. 29 1.2.5. Un exemple de fluoroquinolone vétérinaire : la marbofloxacine............................. 32 1.3. MECANISMES DE RESISTANCE AUX FLUOROQUINOLONES.......................... 35 1.3.1. Mécanisme de tolérance phénotypiques ................................................................... 35 1.3.2. Diminution de la perméabilité de la membrane externe .......................................... 36 1.3.3. Protéines d’efflux...................................................................................................... 37 1.3.4. Mutations des enzymes cibles ................................................................................... 38 1.3.5. Résistance plasmidique............................................................................................. 40 1.4. LES ETUDES PHARMACOCINETIQUE-PHARMACODYNAMIQUE DES ANTIBIOTIQUES : EXEMPLE DES FLUOROQUINOLONES ....................................... 43 1.4.1. Les principaux paramètres PK/PD utilisés .............................................................. 43 1.4.2. Un nouvel indice PK/PD : le temps dans la fenêtre de sélection ............................. 47 1.4.3. Facteurs influençant les indices PK/PD................................................................... 50 1.5. ECOSYSTEME INTESTINAL ET ANTIBIOTHERAPIE........................................... 55 1.5.1. Composition de la flore commensale du tube digestif.............................................. 55 1.5.2. Resistance à la colonisation ..................................................................................... 55 1.5.3. Impact de l’antibiothérapie sur la flore digestive .................................................... 56 1.5.4. Emergence de bactéries résistantes dans la flore digestive chez l’animal et conséquences en termes de santé publique......................................................................... 56 1.5.5. Impact de l’utilisation des fluoroquinolones sur la flore commensale .................... 58 1.6. LES MODELES D’ETUDES DE L’IMPACT DES ANTIBIOTIQUES SUR LA FLORE INTESTINALE........................................................................................................ 61 1.6.1. Paramètres étudiés ................................................................................................... 61 1.6.2. Les modèles in vitro.................................................................................................. 61 1.6.3. Les études cliniques chez l’Homme .......................................................................... 63 1.6.4. Les modèles animaux à flore totale (conventionnels) .............................................. 64 1.6.5. Les modèles animaux à flore contrôlée ou gnotoxénique......................................... 64 1.7. CONCLUSIONS ET OBJECTIFS DE LA THESE....................................................... 67 5 Table des matières CHAPITRE 2 - ETUDE EXPERIMENTALE ............................................... 71 2. IMPACT DE LA MARBOFLOXACINE SUR LA FLORE PATHOGENE ................................................................................................... 71 2.1. INTRODUCTION.......................................................................................................... 71 2.2. ETUDE DE LA BACTERIE UTILISEE ....................................................................... 73 2.2.1. Problématique et objectifs ........................................................................................ 73 2.2.2. Matériels et méthodes............................................................................................... 73 2.2.3. Résultats.................................................................................................................... 74 2.2.4. Conclusions .............................................................................................................. 75 2.3. IMPACT DE LA CHARGE BACTERIENNE SUR L’EMERGENCE DE BACTERIES RESISTANTES A LA MARBOFLOXACINE .................................................................... 77 2.3.1. Problématique et objectifs ........................................................................................ 77 2.3.2. Matériels et méthodes............................................................................................... 77 2.3.3. Résultats.................................................................................................................... 80 2.3.4. Conclusion ................................................................................................................ 83 2.4. IMPACT DE LA CHARGE BACTERIENNE SUR LA CINETIQUE DE LA MARBOFLOXACINE CHEZ LE RAT ............................................................................... 85 2.4.1. Problématique et objectifs ........................................................................................ 85 2.4.2. Matériels et méthodes............................................................................................... 85 2.4.3. Résultats.................................................................................................................... 87 2.4.4. Conclusion ................................................................................................................ 90 2.5. ETUDE DE LA RELATION ENTRE LES INDICES PK/PD ET L’EMERGENCE DE BACTERIES RESISTANTES .............................................................................................. 91 2.5.1. Problématique et objectifs ........................................................................................ 91 2.5.2. Matériels et méthodes............................................................................................... 91 2.5.3. Résultats.................................................................................................................... 92 2.5.4. Conclusion ................................................................................................................ 96 2.6. DISCUSSION ................................................................................................................ 99 2.6.1. Influence de la charge bactérienne sur la pharmacocinétique ................................ 99 2.6.2. Influence d’un traitement métaphylactique ou curatif sur le devenir de l’infection et l’émergence de résistance .................................................................................................. 99 2.6.3. Etude PK/PD .......................................................................................................... 100 2.6.4. Conclusion .............................................................................................................. 104 2.7. ARTICLE 1 .................................................................................................................. 107 CHAPITRE 3 - ETUDE EXPERIMENTALE ............................................. 121 3. IMPACT D’UN TRAITEMENT A LA MARBOFLOXACINE SUR LA FLORE DU TUBE DIGESTIF ...................................................................... 121 3.1. INTRODUCTION........................................................................................................ 121 3.2. IMPACT DE LA CHARGE BACTERIENNE SUR LA CINETIQUE D’ELIMINATION DE LA MARBOFLOXACINE DANS LES FECES .......................... 123 3.2.1. Problématique et objectifs ...................................................................................... 123 3.2.2. Résultats.................................................................................................................. 125 3.2.3. Conclusion .............................................................................................................. 126 3.3. ETUDE DES MICROORGANISMES IMPLANTES................................................. 127 3.3.1. Problématique et objectifs ...................................................................................... 127 6 Table des matières 3.3.2. Matériels et méthodes............................................................................................. 127 3.3.3. Résultats.................................................................................................................. 128 3.3.4. Conclusion .............................................................................................................. 128 3.4. IMPACT DE DIFFERENTS SCHEMAS POSOLOGIQUES DE MARBOFLOXACINE SUR LA FLORE COMMENSALE .............................................. 129 3.4.1. Problématique et objectifs ...................................................................................... 129 3.4.2. Matériels et méthodes............................................................................................. 129 3.4.3. Résultats.................................................................................................................. 133 3.4.4. Conclusion .............................................................................................................. 137 3.5. DISCUSSION .............................................................................................................. 139 3.5.1. Impact de la charge bactérienne sur l’élimination de la marbofloxacine dans les fèces .................................................................................................................................. 139 3.5.2. Impact des différentes modalités de traitement antibiotique sur la flore pathogène au niveau du site infectieux .............................................................................................. 140 3.5.3. Impact des différentes modalités de traitement sur la flore commensale du tube digestif .............................................................................................................................. 141 3.5.4. Colonisation du tractus digestif par la bactérie pathogène et émergence de résistance .......................................................................................................................... 142 3.5.5. Conclusion .............................................................................................................. 144 3.6. ARTICLE 2 .................................................................................................................. 147 DISCUSSION GENERALE ........................................................................... 157 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES...................................................... 165 TITRE ET RESUME EN ANGLAIS ............................................................ 181 7 8 Table des illustrations TABLE DES ILLUSTRATIONS Tableaux Tableau 1 : Fluoroquinolones utilisées chez l’animal en France (d’après le Dictionnaire des Médicaments Vétérinaires 2009) ............................................................................ 30 Tableau 2 : Valeurs des AUC/CMI et AUC/MPC qui limitent l’émergence de bactéries résistantes aux fluoroquinolones dans différents modèles in vitro et in vivo.......... 49 Tableau 3 : Population bactérienne totale et pourcentage d’animaux porteurs de R-2×MIC et R-8×MIC 96 h après l’initiation des différents traitements à la marbofloxacine pour le petit et le grand inoculum.................................................................................... 81 Tableau 4 : Paramètres pharmacocinétiques estimés pour la population étudiée .................... 87 Tableau 5 : AUC0-24 et AUC0-96 pour les différentes doses de marbofloxacine testées............ 90 Tableau 6 : Valeurs des différents indices PK/PD après l’administration de 16, 64 ou 100 mg/kg de marbofloxacine en administration unique ou fractionnée. ............... 92 Tableau 7: Quantité moyenne de marbofloxacine excrétée dans les fèces des animaux infectés par un petit ou un grand inoculum. ....................................................................... 125 Tableau 8 : Population bactérienne totale et pourcentage d’animaux porteurs de KP résistantes dans les poumons 7 jours après l’initiation du traitement à la marbofloxacine. ... 133 Tableau 9 : Quantité d’E. coli résistantes, de KP et de KP résistantes dans les fèces des animaux infectés par le petit inoculum de KP, 4 et 7 jours après l’initiation du traitement à la marbofloxacine.............................................................................. 136 Tableau 10 : Quantité d’E. coli résistantes, de KP et de KP résistantes dans les fèces des animaux infectés par le grand inoculum de KP, 4 et 7 jours après l’initiation du traitement à la marbofloxacine.............................................................................. 136 Figures Figure 1 : Relations entre l’administration d’antibiotique et l’exposition des flores bactériennes chez l’animal. ..................................................................................... 16 Figure 2 : Structure des quinolones.......................................................................................... 25 Figure 3 : Effet des quinolones sur l’ADN gyrase et la topoisomérase IV.............................. 27 Figure 4 : Schéma général du mode d’action des quinolones .................................................. 28 Figure 5 : Structure chimique de la marbofloxacine ................................................................ 32 Figure 6 : Les différentes familles de pompes à efflux ............................................................ 38 Figure 7 : Présentation des principaux paramètres PK/PD utilisés en antibiothérapie. ........... 44 Figure 8 : Fluoroquinolones et AUC/CMI ............................................................................... 45 Figure 9 : Relation entre différents indice PK/PD et l’efficacité des fluoroquinolones .......... 46 Figure 10 : La Fenêtre de Sélection ......................................................................................... 48 Figure 11 : Effet des indices PK/PD seuils sur la population majoritaire sensible et sur la population minoritaire résistante............................................................................. 48 Figure 12 : Impact du niveau d’exposition dans la fenêtre de sélection sur la sélection de mutants résistants, in vivo........................................................................................ 50 Figure 13 : Isolateurs souples pour l’élevage d’animaux axéniques........................................ 65 Figure 14 : Croissance in vitro de Klebsiella pneumoniae ATCC 43816................................ 75 Figure 15 : Cinétique de la marbofloxacine en fonction de la taille de l’inoculum ................. 88 Figure 16 : Simulation des profils de concentration de marbofloxacine pour les différents schémas posologiques ............................................................................................. 89 Figure 17 : Relation entre Cmax/CMI et l’émergence de bactéries résistantes.......................... 93 Figure 18 : Relation entre le TMSW et l’émergence de bactéries résistantes............................. 94 9 Table des illustrations Figure 19 : Relation entre le T>MPC et l’émergence de bactéries résistantes ............................ 95 Figure 20 : Relation entre le rapport T>MPC/TMSW et l’émergence de bactéries résistantes...... 97 Figure 21 : Quantité de marbofloxacine excrétée dans les fèces en fonction des doses administrées........................................................................................................... 125 Figure 22 : Evolution de la population fécale d’E. faecium au cours du temps..................... 134 Figure 23 : Evolution de la population fécale d’E. coli au cours du temps ........................... 135 10 Liste des abréviations LISTE DES ABREVIATIONS ABC ATP binding cassette AFSSA Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments ATCC American Type Cell Culture AUC Aire sous la courbe des concentrations plasmatiques en fonction du temps BHI Brain Hearth Infusion CFU Colony Forming Unit Cl Clairance plasmatique CLSI Clinical and Laboratory Standards Institute Cmax Concentration Plasmatique maximale CMB Concentration Minimale Bactéricide CMI Concentration Minimale Inhibitrice E. coli Escherichia coli E. faecium Enterococcus faecium ENVT Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse EOPS Exempt d’Organisme Pathogène Spécifique FQ Fluoroquinolone FS Fenêtre de Sélection HEPA High Efficiency Particulate Air Filter HFA Human Flora Associated HPLC Chromatographie en phase liquide à haute performance INRA Institut National de la Recherche Agronomique K. pneumoniae Klebsiella pneumoniae KP Klebsiella pneumoniae LERMVD Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Médicaments Vétérinaires et les Désinfectants LMR Limites Maximales de Résidus LOQ Limite of quantification MAE Malt Extract Agar MAR Multiple Antibiotic Resistance MATE Multiple Antimicrobial and Toxin Extrusion MDR Multi Drug Resistant MFS Major Facilitator Superfamily MH Mueller Hinton MPC Mutant Prevention Concentration MRP Multidrug Resistance-related Protein MSW Mutant Selection Window 11 Liste des abréviations P. aeruginosa Pseudomonas aeruginosa P-gp P-Glycoprotéine PK/PD Pharmacocinétique/Pharmacodynamie PMQR Plasmid Mediated Quinolone Resistance Qnr Quinolone Resistance QRDR Quinolone Resistance Determining Region RND Resistance-Nodulation-Division S. aureus Staphylococcus aureus S. pneumoniae Streptococcus pneumoniae SMR Small Multidrug Resistance T>MPC Temps supérieur à la MPC T1/2 Temps de demi-vie TA Toxine-Antitoxine TGY Trypticase Glucose Yeast extract Tmax Temps d’occurrence de la concentration plasmatique maximale TMSW Temps passé dans la fenêtre de sélection UMR Unité Mixte de Recherche 12 INTRODUCTION 13 14 Introduction INTRODUCTION Les travaux de recherche présentés dans ce document ont été réalisés au sein de deux structures : le Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Médicaments Vétérinaires et les Désinfectants, LERMVD, situé à l’AFSSA de Fougères et l’UMR 181 de Physiologie et Toxicologie Expérimentales INRA, ENVT, située à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse. L’unité Pharmacocinétique-Pharmacodynamie du LERMVD, animée par le Docteur Michel Laurentie, étudie le développement des outils d’analyse pharmacocinétique et pharmacodynamique afin d’optimiser les posologies des antibiotiques vis-à-vis de la résistance aux antibiotiques sur des modèles in vitro et in vivo. L’équipe « Antibiothérapie et Antibiorésistance » de l’UMR 181, animée par le Professeur Alain Bousquet-Mélou étudie la problématique de l’antibiorésistance chez les animaux à deux niveaux : - L’émergence de résistance chez les pathogènes cibles d’une antibiothérapie, dont les enjeux concernent la santé animale, et - L’émergence de résistance dans la flore commensale digestive, avec ses conséquences potentielles en santé humaine via la contamination de la chaîne alimentaire et/ou l’environnement. Les enjeux touchent ici à la santé publique et à la sécurité sanitaire des aliments. La Figure 1 illustre les enjeux liés au contrôle simultané de la résistance au niveau d’un foyer infectieux et de la flore commensale digestive. Mon travail de thèse fait le lien entre les différentes thématiques des deux équipes avec une première partie du travail portant sur les relations Pharmacocinétiques-Pharmacodynamiques (PK/PD) associées à l’émergence de résistance au niveau des pathogènes cibles et une deuxième partie portant sur la résistance des bactéries de la flore commensale digestive. Ce travail a été réalisé sous la direction des Professeurs Alain Bousquet-Mélou et Pierre-Louis Toutain au sein de l’UMR181 ainsi que des Docteurs Michel Laurentie et Pascal Sanders au sein du LERMVD. Il est actuellement reconnu que le développement constant des antibiotiques en médecine vétérinaire, et notamment celui des fluoroquinolones, est associé à une augmentation de la résistance à ces antibiotiques au niveau de la flore pathogène du site infectieux et de la flore commensale du tube digestif. Le contrôle de l’antibiorésistance pour ces deux flores constitue un double enjeu pour la santé animale et la santé publique, les bactéries commensales du tube digestif pouvant jouer un rôle de réservoir de bactéries résistantes transmissibles à l’Homme via la chaîne alimentaire ou l’environnement. Une stratégie de lutte contre l’antibiorésistance consiste à élaborer des schémas posologiques 15 Introduction garantissant à la fois un effet bactéricide et la prévention de l’émergence de souches résistantes. Antibiotique Biophase Pathogène d'intérêt vétérinaire SANG Circulation Résistance chez l’animal = Echec thérapeutique = Enjeu de Santé Animale Bile Sécrétions intestinales Contenu digestif Flore commensale Pathogènes zoonotiques résistants (salmonelles, campylobacters spp) Gènes de résistance Exposition de l'environnement Chaîne alimentaire H O M M E Résistance chez l’homme = Enjeu de Santé Publique Figure 1 : Relations entre l’administration d’antibiotique et l’exposition des flores bactériennes chez l’animal. Le développement de la résistance aux antibiotiques au niveau des flores cibles (foyers infectieux) et non cibles (flore commensale digestive) aura un impact sur la santé animale et la santé publique. La fraction de l’antibiotique atteignant le tube digestif exerce une pression de sélection importante sur les bactéries de l’écosystème du tube digestif distal. Cela peut conduire à l’émergence de résistance de germes zoonotiques (Salmonelle, E. coli, …) et/ou la constitution d’un réservoir de gènes de résistance chez des bactéries non pathogènes pour l’homme mais qui peuvent servir de vecteur de diffusion à ces gènes de résistance vers l’environnement ou la chaîne alimentaire. L’antibiothérapie en élevage est pratiquée selon trois modalités : l’usage curatif, consistant à traiter des animaux présentant des signes cliniques d’infection, l’usage métaphylactique, consistant à traiter tous les animaux d’un groupe lorsqu’une faible proportion d’entre eux présente des signes cliniques d’infection et l’usage prophylactique qui consiste à traiter tous les animaux d’un groupe avant même l’occurrence d’une infection. L’antibiothérapie de type métaphylactique est particulièrement controversée, car il lui est reproché d’induire une surconsommation des antibiotiques, ce qui favoriserait l’émergence de bactéries résistantes, ce dernier point n’étant pas prouvé. Le rationnel de la métaphylaxie, également appelée « prévention en milieu infecté », repose sur l’hypothèse que, au moment de l’intervention, tous les individus du groupe sont déjà infectés ou le seront dans un délai très bref, et qu’il est plus favorable, et surtout plus pratique, de traiter au cours de la phase d’incubation avant que les symptômes de la maladie ne se soient manifestés. En effet, cette phase d’incubation se distingue de la phase clinique par le statut physiopathologique des animaux et par la population bactérienne cible. Le statut physiologique des animaux est très important car le développement de l’infection et ses manifestations cliniques ont un impact sur i) les capacités de défense de l’organisme, 16 Introduction ii) la consommation alimentaire (anorexie associée au syndrome fébrile) ce qui interdit ou limite un traitement par voie orale et iii) l’exposition de l’animal pour une dose donnée, la pharmacocinétique des antibiotiques pouvant être altérée par la fièvre. La taille de la population bactérienne (inoculum) cible présente au niveau du site infectieux à l’initiation de l’antibiothérapie diffère également entre d’un traitement de type métaphylactique et un traitement de type curatif. La précocité du traitement par rapport aux signes cliniques d’infection permet à l’antibiotique d’agir sur une faible population bactérienne alors que cette population est plus importante avec une initiation de l’antibiothérapie plus tardive comme c’est le cas lors d’un traitement de type curatif. De plus, les principales résistances aux fluoroquinolones étant liées à des mutations ponctuelles sur les gènes codant pour leurs cibles et sous l’hypothèse d’un taux de mutation constant, une augmentation de la taille de l’inoculum bactérien est associée à l’augmentation de la probabilité de la présence de mutants résistants dans la population bactérienne. Les facteurs précités (pharmacocinétique, taille de la population bactérienne, statut physiopathologique, système immunitaire) ont un impact sur l’efficacité des antibiotiques. En effet ils interviennent sur les deux paramètres clefs du schéma posologique : l’exposition et les concentrations efficaces. En termes de santé publique ils peuvent donc être impliqués dans le développement de résistances. A ce titre il n’est pas évident que les antibiothérapies curatives soient la meilleure stratégie d’utilisation des antibiotiques en élevage. Dans ce contexte, notre hypothèse de travail est que la stratégie métaphylactique offre plusieurs caractéristiques favorables en termes d’usage prudent des antibiotiques. Dans une première partie du travail de thèse (chapitre 2) nous avons donc choisi d’étudier l’influence des facteurs caractéristiques de la métaphylaxie sur les relations Pharmacocinétiques-Pharmacodynamiques (PK/PD) des antibiotiques sur la flore pathogène cible et d’en déduire les schémas posologiques adaptés à la métaphylaxie afin d’apporter un bénéfice en terme d’efficacité clinique et bactériologique, de contrôle de l’émergence de pathogènes résistants et de consommation globale d’antibiotiques dans les élevages. Dans un deuxième temps, compte tenu des conséquences réelles et potentielles pour la santé publique, il nous a paru pertinent de nous intéresser également à l’impact des différents types d’antibiothérapies sur la flore commensale du tube digestif des animaux traités. Dans une seconde partie du travail de thèse (chapitre 3) nous avons donc étudié l’émergence de bactéries commensales résistantes, ainsi que des bactéries pathogènes résistantes au niveau du tube digestif des animaux traités selon une antibiothérapie de type curative ou métaphylactique. 17 18 Chapitre 1 ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE 19 20 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Les antibiotiques en médecine vétérinaire CHAPITRE 1 – ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE 1.1. Les antibiotiques en médecine vétérinaire Les antibiotiques utilisés en médecine humaine et vétérinaire appartiennent aux mêmes familles, à l’exception de quelques sous familles spécifiques de la médecine humaine. Les traitements antibiotiques ont pour objectifs la maîtrise des maladies, la restauration ou le maintien du bien-être animal et la prévention de la transmission des agents pathogènes aux autres animaux voire à l’Homme. 1.1.1. Utilisation des antibiotiques en médecine vétérinaire En médecin vétérinaire, il existe quatre usages possibles des antibiotiques, chacun ayant un objectif précis (202, 203). 1.1.1.1. L’usage curatif L’usage curatif ou thérapeutique, consiste à traiter individuellement les animaux qui présentent des signes cliniques d’infection, c'est-à-dire à traiter une infection bactérienne existante. L’objectif majeur est d’obtenir la guérison de ces animaux cliniquement malades et d’éviter la mortalité. En général le traitement est individuel et il est mis en œuvre chez les animaux domestiques, et les grands animaux de rentes (vaches laitières, …). Le plus souvent, le traitement antibiotique est donné par voie orale ou par voie parentérale. Dans le cas d’une antibiothérapie de type curative, à l’initiation du traitement, il est généralement admis que la charge bactérienne est importante (118, 176) étant donné que les animaux ont déjà développé des symptômes cliniques. 1.1.1.2. L’usage métaphylactique Les traitements individuels sont souvent impossibles pour les grands élevages d’animaux tels que les bandes de porcs, de volailles ou de veaux. Lorsqu’une infection contagieuse se déclare chez quelques animaux dans un élevage à grand effectif, l’ensemble du groupe (la case pour les porcelets, le lot, …) est traité, c’est ce qu’on appelle la métaphylaxie ou prévention en milieu infecté. Cet usage permet de traiter les animaux 21 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Les antibiotiques en médecine vétérinaire soumis à la pression infectieuse alors qu’ils sont encore en phase d’incubation ou lorsque les manifestations cliniques sont très discrètes. La métaphylaxie est généralement mise en œuvre à partir d’un seuil d’atteinte des animaux au sein du lot de 10-15% de l’effectif. Une antibiothérapie précoce sur la totalité des animaux du groupe (lot, parquet, …) peut permettre de réduire le nombre d’animaux malades et/ou la mortalité et peut diminuer la quantité d’antibiotique qui aurait été nécessaire pour traiter un grand nombre d’animaux malades présentant des signes cliniques d’infection. Généralement, les traitements métaphylactiques se font par administration dans l’eau de boisson ou dans l’aliment. Ce type d’administration comporte certains risques tels que : une non homogénéité de la préparation antibiotique-nourriture, une incompatibilité de la substance avec les composés de la nourriture ou une insolubilité dans l’eau de boisson. De plus, une prise insuffisante de l’antibiotique, résultant de la diminution de la prise alimentaire et hydrique due au syndrome fébrile, ou à la modification du goût de l’aliment ou de la boisson peut conduire à une mauvaise exposition des animaux car la dose individuelle n’est pas contrôlée. Lors d’une antibiothérapie de type métaphylactique, les animaux traités ne sont probablement porteurs que d’une faible charge bactérienne étant donné qu’ils ont peu ou pas encore développé de signes cliniques d’infection. Pour les traitements métaphylactiques, le germe impliqué est connu a priori ainsi que ce que sera le devenir de la pathologie si rien n’est fait. 1.1.1.3. L’usage prophylactique Les antibiothérapies prophylactiques sont mises en place lors de situations critiques c'est-à-dire lors de présence d’un facteur de risque très souvent associées au développement d’infections. Il s’agit notamment de périodes associées à un stress comme lors de transports, de regroupement d’animaux provenant d’élevages divers ou du sevrage, mais aussi lors de traitements chirurgicaux. Elles peuvent être appliquées de façon individuelle ou sur un groupe d’animaux. Les animaux traités ne présentent alors aucun signe clinique d’infection mais la connaissance a priori des infections se développant dans ces situations permet de choisir une classe d’antibiotique adaptée à la prévention des infections dues aux bactéries les plus fréquemment rencontrées. La principale différence entre la métaphylaxie et la prophylaxie est que lors d’une prophylaxie il n’y a pas encore de germe impliqué mais seulement un facteur de risque. 22 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Les antibiotiques en médecine vétérinaire 1.1.1.4. Facteurs de croissance Les antibiotiques peuvent être utilisés dans l’aliment au titre d’additifs en vue d’améliorer la croissance et les performances des animaux, sans que les mécanismes à l’origine de l’amélioration de ces performances aient été clairement élucidés (52). Cet usage fait l’objet de nombreuses critiques et il est totalement interdit au sein de l’union Européenne depuis 2006 (211). 1.1.2. Impact de l’antibiothérapie vétérinaire sur la santé humaine 1.1.2.1. Résidus de traitement et flore intestinale humaine Des résidus d’antibiotiques sont parfois retrouvés dans le lait ou la viande, lorsque, après un traitement antibiotique préventif ou thérapeutique des animaux, l'éleveur n'observe pas le temps d’attente prescrit par la législation. Chez certains animaux il est possible de retrouver des résidus antibiotiques même après le temps d’attente officiel mais ce risque est très faible. Les résidus d’antibiotiques présents dans les denrées animales représentent un danger dont les risques associés sont d’ordres allergique, toxicologique, microbiologique et industriel. Ces résidus peuvent notamment perturber la flore intestinale humaine. En effet, même à très faibles doses les antibiotiques ingérés ont un impact sur l’écologie de la flore intestinale comme cela a été montré in vitro (28) et in vivo (39, 173, 174), ce qui peut comporter certains risques pour la santé humaine (voir paragraphe 1.5.). C’est pourquoi, de nombreux pays surveillent la quantité de résidus d’antibiotiques dans les produits animaux et évaluent ces différents risques afin de fixer des limites maximales acceptables de résidus (LMR). De ce fait, l’impact des résidus retrouvés dans les produits animaux sur l’Homme est théoriquement nul. En France en 2007, seuls 0.4% des échantillons testés sur 4401 n’étaient pas conformes aux LMR pour les antibiotiques (1). 1.1.2.2. Diffusion des bactéries résistantes entre l’animal et l’Homme Les agents antimicrobiens couramment utilisés pour traiter ou prévenir des infections bactériennes chez les animaux appartiennent essentiellement aux mêmes classes de composés que ceux utilisés en médecine humaine. De plus, les bactéries isolées chez les animaux et celles isolées chez l’Homme, que ce soit lors d’une infection ou en situation de colonisation, partagent les mêmes mécanismes de résistance. Cela est un argument 23 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Les antibiotiques en médecine vétérinaire extrêmement solide de l’absence d’étanchéité entre le monde animal et les populations humaines. Les animaux de rente et les animaux de compagnie, comme les humains, peuvent être des réservoirs de bactéries résistantes et le développement de bactéries résistantes peut se produire aussi bien chez l’Homme que chez l’animal. La dissémination de ces bactéries résistantes entre les différents hôtes (animal-animal, humain-humain, animalhumain ou humain-animal) peut se produire par contact direct ou par contact avec des matières contenant des bactéries (salive, fèces, …) mais peut également se produire par la contamination de la nourriture, de l’air ou de l’eau. Lorsqu’elle atteint un nouvel hôte, la bactérie peut coloniser ou infecter. Elle peut alors disséminer ses gènes de résistance aux bactéries présentes (commensales ou pathogènes) mais également recevoir elle-même des gènes de résistance d’autres bactéries. La diffusion de bactéries résistantes aux antibiotiques de l’animal à l’Homme est donc non seulement possible, mais de nombreux arguments attestent de sa réalité pour certains pathogènes. Dès 1969 un rapport de Swann au Royaume Uni a attiré l’attention sur le potentiel de dissémination via la chaîne alimentaire des bactéries résistantes issues d’animaux traités par des antibiotiques (216). Depuis, différentes études ont mis en évidence des transferts d’entérobactéries résistantes (E. coli, Salmonella et Campylobacter) de l’animal à l’Homme via la chaîne alimentaire ou via un contact direct, conduisant à l’établissement d’un réservoir de gènes de résistances (125, 223-225). Cependant, les bactéries zoonotiques résistantes sont les seules dont on peut dire avec certitude qu’elles passent de l’animal à l’Homme (Salmonelles, Campylobacter, entérocoques et E. coli) (158, 233), principalement via la chaîne alimentaire car il n’y a pas de contamination inter-humain pour ce pathogène. Cela dit, il est important de considérer qu’il peut y avoir un portage asymptomatique de certaines de ces bactéries chez l’Homme et que, par conséquent, toutes les infections zoonotiques ne sont pas forcement dues à une contamination directe via les animaux ou les produits animaux (153). 24 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Présentation des Fluoroquinolones 1.2. Les fluoroquinolones 1.2.1. Présentation générale des fluoroquinolones Les quinolones, ou acide pyridine-β-carboxylique, forment une large classe d'antibactériens de synthèse. Le premier composé de ce groupe, l'acide nalidixique a été décrit pour la première fois en 1962. Cependant, les premières quinolones développées ont eu une application clinique limitée (infections urinaires) due à leur faible absorption lors d’une administration orale, à une activité antibactérienne modérée, à une liaison aux protéines importantes et à une toxicité importante (23). Dans les années 1980, l’addition d’une molécule de fluor en position 6 et la substitution pipérazine en position 7 a augmenté l’activité des ces composés ainsi que leur absorption orale et leur distribution dans les tissus (12). Les molécules portant un groupement fluor sur le noyau quinolone forment le groupe des fluoroquinolones (Figure 2). Figure 2 : Structure des quinolones Le groupe R (Bleu) est généralement un groupe pipérazine; si la molécule est liée à un fluor (F), il s'agit d'une fluoroquinolone. Les fluoroquinolones sont des antibiotiques à large spectre qui sont devenus très utilisés en médecine humaine et vétérinaire au fur et à mesure de l’émergence de résistance vis-à-vis des autres antibiotiques. En 2007, la consommation de fluoroquinolones en France a été de 4.7 tonnes dont 42% pour les bovins, 32% pour les volailles, 16% pour les porcs et 10% pour les animaux de compagnie (34). Sur la même période, 2% et 11% des Escherichia coli isolées de volailles et de porcs étaient résistantes aux fluoroquinolones (données AFSSA 2007). Les quinolones sont classées en quatre générations basées sur leur activité et leur spectre d’action. En médecine vétérinaire, seules les 3 premières générations de quinolones sont utilisées, les fluoroquinolones de 4ème génération étant réservées à la médecine humaine. 25 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Présentation des Fluoroquinolones Les quinolones de première génération, comme l’acide nalidixique ou l’acide oxolinique, du fait de leurs faibles concentrations sériques, étaient réservées aux infections urinaires (12). Les quinolones de deuxième génération, qui sont des fluoroquinolones, comme la ciprofloxacine, la norfloxacine ou l’ofloxacine en médecine humaine et la fluméquine en médecine vétérinaire ont une activité plus importante sur les bactéries à Gram négatif ainsi que contre certains pathogènes atypiques. Ces substances ont une bonne biodisponibilité orale. Leur principal inconvénient est leur efficacité limitée envers les bactéries à Gram positif. Les fluoroquinolones de troisième génération, comme la gatifloxacine, la grepafloxacine, la levofloxacine, la moxifloxacine ou la sparfloxacine en médecine humaine et la danofloxacine, l’enrofloxacine, la difloxacine, l’orbifloxacine, l’ibafloxacine ou la marbofloxacine en médecine vétérinaire ont une activité étendue aux bactéries à Gram positif. Les fluoroquinolones de quatrième génération, comme la gémifloxacine ou la trovafloxacine ont un spectre d’activité étendu aux bactéries anaérobies. 1.2.2. Mode d’action des fluoroquinolones Lorsqu'elles ont diffusé dans le cytoplasme, les fluoroquinolones vont inhiber de manière sélective la réplication de l'ADN bactérien. Les fluoroquinolones ciblent deux enzymes parentes appartenant à la famille des topoisomérases II et qui sont impliquées dans la synthèse de l’ADN bactérien : l'ADN-gyrase (généralement cible principale chez les bactéries à Gram négatif) et la topoisomérase IV (généralement cible principale chez les bactéries à Gram positif) (106). Les nouvelles fluoroquinolones comme la gatifloxacine et la moxifloxacine possèdent les deux activités (82). L’ADN Gyrase, est composée de deux sous-unités GyrA codées par le gène gyrA et de deux sous-unités GyrB codées par le gène gyrB. Elle introduit un super-enroulement négatif dans la double hélice d’ADN bactérien en amont de la fourche de réplication (124). Cette activité est essentielle pour l’initiation de la réplication de l’ADN bactérien et pour la transcription. La topoisomérase IV a une activité de décaténation qui permet la séparation des chromosomes répliqués à la fin d’une séquence de réplication (3, 243). Elle est composée de 4 sous-unités homologues de celles de la gyrase, deux sous-unités ParC (homologues de GyrA) et deux sous-unités ParE (homologues de GyrB) encodées par les gènes parC et parE respectivement. 26 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Présentation des Fluoroquinolones La structure et la fonction de l’ADN gyrase et de la topoisomérase IV sont présentées de façon schématique dans la Figure 3. ADN gyrase GyrA GyrA GyrB GyrB ADN superenroulé ADN relaché Quinolone ADN caténé ADN décaténé ParC ParC ParE ParE Topoisomérase IV Figure 3 : Effet des quinolones sur l’ADN gyrase et la topoisomérase IV Les quinolones bloquent les activités de l’ADN gyrase et de la topoisomérase IV en stabilisant le complexe enzyme-ADN. Ceci agit comme une barrière pour les autres enzymes comme l’ADN polymérase et l’ARN polymérase. D’après Hooper, 1999 (106). Les fluoroquinolones interagissent avec le complexe enzyme-ADN (la gyrase ou la topoisomérase IV), ceci crée des changements conformationnels qui entraînent l’inhibition de l’activité normale de l’enzyme (58). La mort cellulaire induite par les fluoroquinolones passe par deux étapes. La première est réversible (bactériostatique, Figure 4, d), elle consiste en la formation du complexe quinolone-enzyme-ADN qui bloque la progression de la fourche de réplication et inhibe ainsi la synthèse de l’ADN bactérien (143). Ceci induit une réponse de type SOS qui conduit à la filamentation puis à la mort de la bactérie. La seconde étape, qui conduit à la fragmentation des chromosomes, requiert des concentrations de quinolone plus importantes. Les complexes quinolone-enzyme-ADN qui sont répartis tout le long du chromosome entraînent des cassures de l’ADN afin de libérer les contraintes, dues au super-enroulement ce qui conduit à la fragmentation du chromosome et à la mort cellulaire (57, 58, 105) (Figure 4). 27 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Présentation des Fluoroquinolones ADN DNA-gyrase Topoisomérase IV Quinolone Quinolone de première génération Fluoroquinolone Mort cellulaire Figure 4 : Schéma général du mode d’action des quinolones a) Formation d’un complexe ternaire Quinolone-enzyme-ADN b) Liaison des quinolones aux sous-unités GyrA ou ParC c) Coupure du premier brin d’ADN et formation d’un complexe de clivage d) Coupure du deuxième brin d’ADN (correspond à l’activité bactériostatique) e) Coupures des doubles brins (mort cellulaire) f) Coupures des doubles brins par dissociation des sous-unités (mort cellulaire) D’après Drlica et al. 1997 (58) 1.2.3. Propriétés pharmacologiques des fluoroquinolones La liaison des fluoroquinolones aux protéines plasmatiques est généralement faible, inférieure à 30 % pour la ciprofloxacine, l’ofloxacine, la péfloxacine, la norfloxacine et la marbofloxacine. Les fluoroquinolones pénètrent bien dans les tissus et le volume de distribution important suggère une concentration de ces substances dans les tissus. Le temps de demi-vie d’élimination des fluoroquinolones dépend de la substance et de l’espèce cible. Néanmoins, un temps de demi-vie d’élimination relativement long fait des fluoroquinolones des substances idéales pour des administrations toutes les 24 ou 48 h. L’élimination se produit par les voies rénales et non rénales (voie hépatique et gastrointestinale). Pour la plupart de ces substances, le métabolisme compte pour moins de 20% de l’élimination (235). 28 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Présentation des Fluoroquinolones L’élimination intestinale des fluoroquinolones passe principalement via la voie transépithéliale étant donné que 1 à 3 % de la dose administrée est éliminée via la sécrétion biliaire (209, 236). L’excrétion intestinale des fluoroquinolones semble se produire via des mécanismes complexes combinant la diffusion passive et le transport actif. Différentes études ont montrés que cette excrétion intestinale passe notamment par les Pglycoprotéines (P-gp) ainsi que les MRP (Multidrug Resistance-related Protein) (133, 193, 239). 1.2.4. Utilisation des fluoroquinolones Chez l’homme, les fluoroquinolones sont utilisées pour traiter de nombreuses infections, incluant les infections urinaires, les prostatites, les maladies sexuellement transmissibles, les infections du tractus digestif et du tractus respiratoire, les infections osteo-articulaires et les infections cutanées et des tissus mous (50, 235). Un autre domaine d’indication vise la microflore digestive. Il s’agit des traitements des entérites bactériennes, des décontaminations sélectives, ou des prophylaxies des diarrhées du voyageur. Les fluoroquinolones sont notamment utilisées en prophylaxie chez les patients suivant une chimiothérapie, afin de diminuer le risque d’infections opportunistes par les bactéries commensales du tube digestif. Elles sont également utilisées en prophylaxie chez les patients immunodéprimés pour décontaminer le tube digestif, avant une chirurgie ou pour prévenir la survenue d’une péritonite chez les patients cirrhotiques (50, 92). Chez l’animal, elles sont utilisées pour le traitement d’infections respiratoires à Pasteurella multocida, Mannheimia haemolytica et Mycoplasma bovis chez les bovins et à Actinobacillus pleuropneumoniae, Mycoplasma hyopneumoniae et Pasteurella multocida chez le porc. Elles sont également indiquées dans le traitement des gastroentérites à Escherichia coli K99 chez le veau et pour le traitement du syndrome mammite-métritesagalactie chez la truie. Chez les carnivores domestiques, les fluoroquinolones sont indiquées dans le traitement des pyodermites, des infections respiratoires et des infections du tractus urinaire dues à E. coli ou à Proteus mirabilis, mais peuvent également être administrées en prophylaxie chirurgicale (Tableau 1). 29 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Présentation des Fluoroquinolones Tableau 1 : Fluoroquinolones utilisées chez l’animal en France (d’après le Dictionnaire des Médicaments Vétérinaires 2009) PRINCIPE ACTIF NOM ESPECES DEPOSE VOIE CIBLES en France FORMES INDICATIONS telles que proposées par la firme FLUOROQUINOLONES DE 2EME GENERATION Veaux Bovins Ovins Caprins Porcins VO Bolus Poudres orales Lapins IM Suspension injectable Chiens Chats VO Comprimés Flumisol® Veaux Volailles VO Solution buvable Salmonellose, Pasteurellose, Colibacillose (K99) Flumival® Veaux Volailles VO Solution buvable Salmonellose, Pasteurellose, Colibacillose (K99) Flumiquil® Fluméquine Porcs Flumix® VO Prémélange médicamenteux Ibaflin® Chien Affections à germes sensibles à la fluméquine Infections respiratoires à Pasteurella multocida, Actinobacillus pleuropneumoniae, Haemophilus parasuis Entérites à Escherichia coli et Salmonella Infection septicémiques à Aeromonas salmonicida, Yersinia ruckeri et Vibrio anguillarum Poissons Ibafloxacine Salmonellose, Pasteurellose, Colibacillose (K99) Infections à Bordetella, Klebsiella et certains staphylocoques VO comprimés Infection dermique à staphylocoques, E. coli et Proteus mirabilis Infection du tractus urinaire à Proteus spp. , Enterobacter spp., E. coli ou Klebsiella spp. Infection de l’appareil respiratoire supérieur à staphylocoques, E. coli ou Klebsiella spp. FLUOROQUINOLONES DE 3EME GENERATION A180® Bovins SC Solution injectable Advocine® 25 Bovins Porcins IM Solution injectable Danofloxacine Infections respiratoires à Pasteurella multocida, Manheimia heamolytica, Mycoplasma bovis Entérites à E.a coli chez le veau Infections respiratoires à Pasteurella multocida, Manheimia heamolytica, Mycoplasma bovis Infections respiratoires à Actinobacillus pleuropneumoniae et Pasteurella multocida Entérites à E. coli chez le veau et le porcelet SC Solution injectable VO Comprimés Bovins SC Solution injectable Poules Dindes VO Chiens Difloxacine Dicural® Infections aiguës et non compliquées du tractus urinaire par E. coli ou Staphylococcus spp. Pyodermites superficielles par Staphylococcus intermedius Infections respiratoires à Pasteurella multocida, Manheimia heamolytica, Mycoplasma bovis Infections respiratoires à E. coli ou Solution buvable Mycoplasma gallisepticum Infections à Pasteurella multocida 30 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Présentation des Fluoroquinolones PRINCIPE ACTIF NOM ESPECES DEPOSEen VOIE CIBLES France FORMES INDICATIONStelles que proposées par la firme Infections des voies respiratoires supérieures Chat VO Comprimés Veaux Bovins VO SC IM Porcins VO SC IM Bolus Solution buvable Solution Bolus Solution buvable Solution injectable Poules Dindes VO Lanflox® Poules Dindes VO Solution buvable Quinoflox® Poules Dindes VO Infections respiratoires dues à Mycoplasma gallisepticum, Mycoplasma Solution buvable synoviae et E. coli. Chien Baytril® Bolus Infections de l’appareil urinaire à E. coli et Proteus mirabilis Pyodermites superficielles et profondes Infections respiratoires à Pasteurella multocida, Manheimia heamolytica Infections respiratoires à Actinobacillus pleuropneumoniae, Pasteurella multocida et Mycoplasma hyopneumoniae Infections respiratoires à Mycoplasma synoviae ou Mycoplasma gallisepticum Solution buvable Infections digestives ou génitales à E. coli Enrofloxacine Infections respiratoires dues à E. coli et/ou Mycoplasma gallisepticum Infections génitales dues à E. coli Veaux SC IM Solution injectable Infections respiratoires à Pasteurella multocida, Manheimia heamolytica Porcins SC IM Solution injectable Infections respiratoires à Actinobacillus pleuropneumoniae, Pasteurella multocida et Mycoplasma hyopneumoniae Volailles VO Revoflox® Tenotryl® Infections respiratoires à Mycoplasma Solution buvable synoviae ou Mycoplasma gallisepticum Infections digestives ou génitales à E. coli Chiens Xeden® Marbofloxacine Marbocyl® VO Comprimés Infections des voies urinaires basses (associées ou non à une prostatite) et hautes provoquées par Escherichia coli ou Proteus mirabilis Pyodermites superficielles et profondes. Chats Infections des voies respiratoires hautes Veaux Infections respiratoires à Pasteurella multocida, Manheimia heamolytica, Mycoplasma bovis Infections respiratoires à Actinobacillus pleuropneumoniae, Pasteurella multocida et Mycoplasma hyopneumoniae Chats VO Bolus VO Comprimés SC IV Solution injectable VO Comprimés SC IV Solution injectable Chiens Infections cutanées et sous-cutanées (plaies, abcès, phlegmons) Plaies infectées et abcès Prévention des infections chirurgicales Pyodermites superficielles et profondes Infections de l’appareil urinaire à E. coli et Proteus mirabilis associées ou non à une prostatite ou une épididymite Infection de l’appareil respiratoire Plaies infectées et abcès Infections basses du tractus urinaires Prévention des infections chirurgicales 31 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Présentation des Fluoroquinolones 1.2.5. Un exemple de fluoroquinolone vétérinaire : la marbofloxacine 1.2.5.1. Propriétés chimiques La marbofloxacine est une fluoroquinolone de troisième génération possédant une structure plane qui lui permet de s’intercaler entre les chaînes de molécule d’ADN (Figure 5). La structure de base de la molécule est constituée d’un noyau quinolone, d’un groupement carboxylique en C6, d’un atome de fluor et d’un cycle pipérazine. C’est une molécule amphotère. Le groupement quinolone lui confère son activité antibactérienne dirigée essentiellement contre les bactéries à Gram négatif. L’atome de fluor élargit son spectre d’activité aux bactéries à Gram positif et le cycle pipérazine étend encore le spectre aux Pseudomonas et aux Mycoplasmes (107). L’adjonction d’un groupement méthyl en position para sur le cycle pipérazine permet d’augmenter son volume de distribution et sa liposolubilité. Elle se distingue des autres fluoroquinolones par son cycle oxadiazine qui confère à la molécule une durée de demi-vie d’élimination prolongée et une bonne biodisponibilité (107). Figure 5 : Structure chimique de la marbofloxacine Sa formule chimique est : Acide 9-fluoro- 2, 3-dihydro- E-méthyl- 10(4-méthyl-1-piperazinyl)- 7-oxo7H- pyrido(3,2,1 –ij) (4,1,2) benzoxadiazine- 6 carboxylique Son poids moléculaire est de 362.36 g.mol-1 La marbofloxacine est éliminée lentement chez le veau pré-ruminant (T1/2 = 59 heures) et le porc (T1/2 = 8-10 heures), plus rapidement chez les bovins ruminants (T1/2 = 47 heures). Elle est éliminée principalement sous forme active, pour 2/3 par voie urinaire et pour 1/3 par voie fécale. Le temps de demi-vie varie selon les espèces (< 14 h en général). La marbofloxacine pénètre dans le cytoplasme des bactéries à Gram positif par diffusion. Le passage de la membrane externe des bactéries à Gram négatif se fait par la complexation des ions magnésium qui provoque une désorganisation des lipopolysaccharides ou par un passage actif à travers des protéines transmembranaires appelées porines. 32 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Présentation des Fluoroquinolones 1.2.5.2. Propriétés pharmacocinétiques, pharmacodynamiques La marbofloxacine a un large spectre d’action, orienté contre les bactéries à Gram négatif, à Gram positif et les mycoplasmes. Elle est rapidement absorbée après une administration sous-cutanée ou intramusculaire et sa biodisponibilité varie entre 62% et 100% selon la voie d’administration. Le temps pour atteindre le pic de concentration plasmatique est court (inférieur à 2 h). La diffusion dans l’organisme de cette substance est large ; le volume de distribution à l’équilibre est d’environ 1.3 L/kg. Elle est faiblement liée aux protéines plasmatiques (moins de 10% chez le porc et le rongeur, moins de 30% chez les bovins) (70). 33 34 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Mécanismes de résistance aux fluoroquinolones 1.3. Mécanismes de résistance aux fluoroquinolones La résistance aux fluoroquinolones passe par trois mécanismes principaux : i) l’altération des cibles enzymatiques de la substance et/ou ii) l’altération de l’accès de la substance à ces enzymes due à une imperméabilité de la membrane et/ou iii) une surexpression des systèmes pompe à efflux. Récemment, des éléments mobiles, de type plasmidique, porteurs de différents gènes de résistance aux fluoroquinolones ont également été observés. De plus, un autre mécanisme peu étudié peut entrer en jeu dans la résistance aux fluoroquinolones, le phénomène de tolérance aux antibiotiques. 1.3.1. Mécanisme de tolérance phénotypiques Lorsqu’une population bactérienne génétiquement homogène est exposée à une concentration suffisante en antibiotique, la plupart de ces organismes meurent, mais une fraction de cette population peut survivre à ce stress. Contrairement à des bactéries mutantes résistantes, ces organismes persistants restent sensibles et ont une CMI inchangée vis-à-vis de l’antibiotique. J. Bigger (17) fut le premier à décrire ce phénomène en 1944. Au cours de son étude, il a observé que, in vitro, la pénicilline ne stérilisait pas totalement une culture de Staphylocoque. Lorsqu’il a replacé ces bactéries qui avaient survécu à l’antibiotique, qu’il nomma « bactéries persistantes », dans du milieu frais celles-ci étaient de nouveau sensibles à la pénicilline (17). Les bactéries persistantes sont dues à des bactéries préexistantes en quiescence qui ne sont pas sensibles aux antibiotiques (11). Ce sont des variants phénotypiques de la population sauvage. Elles se trouvent en faible quantité lors de la croissance exponentielle d’un inoculum (10-6-10-5 par inoculum), mais leur nombre augmente lorsque la culture entre en phase stationnaire (11, 17). Ce phénomène est sans doute une stratégie de protection déployée par les bactéries pour survivre lors de conditions défavorables telles que le manque de nutriment, le stress ou l’exposition à un antibiotique. Leur implication d’un point de vu clinique est très important puisqu’on les trouve notamment dans les biofilms (126). De plus chez les patients immunodéprimés, cette population bactérienne tolérante à l’antibiotique peut être à l’origine d’une recroissance bactérienne étant donné que le système immunitaire de l’individu n’est pas capable de les éliminer. Moyed et al. (156) furent les premiers à réaliser une étude moléculaire sur les bactéries persistantes dans une population d’E. coli. Cette étude à permis d’identifier un gène appelé hipA (high persistence) dont la mutation entraîne une augmentation du nombre de bactéries résistantes à la pénicilline de 100 à 1000 fois (156). HipA est une toxine régulée 35 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Mécanismes de résistance aux fluoroquinolones par le répresseur HipB, avec qui elle forme un complexe toxine-antitoxine (TA). HipA est une protéine kinase (40) qui inhibe la synthèse de macromolécules (119), mais son mécanisme d’action exact est encore mal connu. La surexpression d’autres toxines telles que RelE (113), YgiU (204) et MazF (226) peut augmenter la formation de cellules persistantes, mais également la surexpression de protéines de choc thermique (heat shock) telles que DnaJ et PmrC (226). Récemment, un nouveau gène de persistance, phoU, à été identifié. Les bactéries chez qui ce gène est inactivé montrent une plus grande activité métabolique et une plus forte sensibilité aux différents stress, physiques ou chimiques (132). 1.3.2. Diminution de la perméabilité de la membrane externe Pour atteindre leurs cibles qui sont cytoplasmiques, les fluoroquinolones doivent traverser la paroi cellulaire et la membrane cytoplasmique des bactéries. Dans le cas des bactéries à Gram négatif, les fluoroquinolones doivent, en plus, traverser la membrane externe de la bactérie. Pour traverser la membrane externe, les quinolones ont deux possibilités : passer à travers des porines spécifiques ou diffuser à travers la bicouche lipidique. La paroi bactérienne n’offre qu’une faible barrière à la diffusion des petites molécules comme les quinolones, qui ont des poids moléculaires entre 300 et 400 daltons (106), mais seules les molécules ayant une forte hydrophobicité peuvent traverser la bicouche lipidique (31). Dans le cas des bactéries à Gram négatif, la diminution sur leur membrane externe des protéines impliquées dans la diffusion de la substance, comme les porines OmpA, OmpC et OmpF pour E. coli (100, 101, 178) et OmpK pour K. pneumoniae (4, 53), entraîne une diminution de l’accumulation des fluoroquinolones dans le cytoplasme. L’expression de ces porines est soumise à la régulation de l’opéron Mar. Les mutants résistants MAR (Multiple Antibiotic Resistance) peuvent être sélectionnés par la tétracycline, le chloramphénicol et les fluoroquinolones (36, 106). Les mutations de marR qui résultent d’une diminution du répresseur MarR entraînent une augmentation de l’expression de MarA, un activateur de la transcription qui augmente l’expression de micF et d’autres locus. Le gène micF code pour un ARN anti-sens qui induit une réduction de l’expression de la porine OmpF (37). Chez K. pneumoniae, le gène ramA confère le même phénotype que marA chez E. coli (86). Le phénotype multi résistant des mutants MAR implique également la surexpression de pompes à efflux (voir paragraphe suivant). 36 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Mécanismes de résistance aux fluoroquinolones La diminution de la diffusion des fluoroquinolones dans la cellule contribue à la résistance bactérienne vis-à-vis de ces substances (106). Les mutants MAR pouvant être sélectionnés par plusieurs classes d’antibiotique le risque de sélection de ces mutants augmente. 1.3.3. Protéines d’efflux Un autre mécanisme de résistance possible afin de limiter l’accumulation de fluoroquinolone dans le cytoplasme consiste à faire ressortir la substance de la bactérie. Ceci se produit par l’expression de pompes à efflux associées à la membrane qui peuvent prendre en charges différentes molécules, d’où leur nom de « Multi Drug Resistant » (MDR) (Figure 6). Ces pompes MDR font ressortir de façon active la substance antibiotique en dehors de la cellule ce qui entraîne une réduction de l’activité des fluoroquinolones et confère à la bactérie un faible niveau de résistance (106) (Figure 6). Les pompes à efflux MDR responsables d’une résistance aux quinolones les mieux connues à ce jour sont MexAB-OprM pour P. aeruginosa (129, 131), AcrAB-TolC pour E. coli (138), qui appartiennent toutes les deux à la super famille des RND (Resistance-NodulationDivision) et NorA pour S. aureus (221, 238) qui appartient à la super famille des MFS (Major Facilitator Superfamily). La majorité des pompes à efflux qui ont une importance clinique font partie de la super famille RND. AcrB et ses homologues sont les principales pompes à efflux chez les bactéries à Gram négatif. Elles s’associent à deux autres protéines pour former un complexe tripartite qui peut exporter de nombreuses substances dont les antibiotiques, les antiseptiques, les anti cancéreux et les composés toxiques (anionique, cationique, zwitterion et neutre) grâce à un gradient de protons. La plus décrite pour E. coli est AcrAB-TolC (138) et récemment AcrAB-KocC à été décrite pour K. pneumoniae (127). Ces pompes à efflux sont, le plus souvent, sous le contrôle de régulateur, répresseur ou activateurs (130). L’induction de mutations dans ces gènes de régulation augmente l’expression de ces pompes à efflux et contribue à l’acquisition de résistance aux quinolones comme cela a été montré pour les mutations nalB, nfxB, nfxC et nalC chez P. aeruginosa (130). Des opérons comme MarRAB, qui codent pour différents gènes marA (activateurs), marB, marC et marR (répresseurs), ou SoxRS régulent le niveau d’expression de AcrAB (166) et de certaines autres pompes à efflux chez E. coli (5, 161, 166) ainsi que le gène ramA chez K. pneumoniae (86). Une mutation de ces opérons induit le phénotype MAR chez les bactéries. 37 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Mécanismes de résistance aux fluoroquinolones D’autres familles de protéines capables d’effluer plusieurs substances ont été décrites. Certaines requièrent l’hydrolyse de l’ATP pour fonctionner comme la famille ABC (ATP Binding Cassette) et d’autres requièrent un gradient de proton comme les pompes : MFS, « Small Multidrug Resistance » (SMR) et les pompes « Multidrug And Toxic Efflux » (MATE) (99, 121, 122, 130, 180). L’expression des pompes à efflux peut être induite de façon transitoire par différents facteurs de stress environnementaux tel qu’un changement de pH ou un changement osmotique (162) ce qui peut être le cas au niveau du site infectieux (137, 186). La diminution de la concentration intracellulaire en antibiotique peut prédisposer l’organisme bactérien à l’émergence de mécanismes de résistance adaptatifs à plus fort niveau de résistance (103, 135, 144, 145, 165). Figure 6 : Les différentes familles de pompes à efflux Illustration schématiques des différentes familles de pompes à efflux, MFS (Major Facilitator Superfamily), ABC (ATP Binding Cassette) et RND (Resistance-Nodulation-Division) D’après Murakami, 2008 1.3.4. Mutations des enzymes cibles L’altération des enzymes cibles peut être due à des mutations spontanées de l’ADN gyrase ou de la topoisomérase IV (82). Ces mutations se font par paliers successifs et peuvent être combinées avec une diminution de l’expression des porines et/ou à une surexpression des pompes à efflux. Le niveau de résistance varie en fonction de la mutation et de l’espèce bactérienne. 38 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Mécanismes de résistance aux fluoroquinolones 1.3.4.1. Mutation de l’ADN gyrase L’ADN gyrase est la cible principale des fluoroquinolones chez les bactéries à Gram négatif. Les mutations peuvent affecter la sous-unité GyrA ou la sous-unité GyrB. La majorité des mutations se produisent dans la partie N-terminale des sous-unités GyrA et GyrB appelée « Quinolone Resistance Determining Region » (QRDR), localisée sur l’acide aminé Ala67-Gln106 pour la GyrA (241) et Asp426-Lys447 pour la GyrB (242). Pour la GyrA, les mutations apparaissent le plus souvent sur les codons 83 et 87 qui sont proches du site actif de l’ADN gyrase qui permet la liaison de la sous-unité à l’ADN lors de la réaction enzymatique (241). Ces mutations entraînent une diminution de la liaison des quinolones au niveau du site d’action de l’enzyme et donc peuvent conduire à une diminution de la sensibilité à ces antibiotiques (232). Une mutation simple de GyrA chez E. coli confère généralement un faible niveau de résistance aux fluoroquinolones. Une mutation supplémentaire de GyrA et/ou de la topoisomérase IV (ParC le plus souvent) est nécessaire afin d’obtenir un haut niveau de résistance (229). Les mutations les plus fréquentes dans cette région sont Ser83Phe, Ser83Leu et Asp87Asn chez E. coli (33, 177). Les mutations de la sous-unité GyrB se produisent moins souvent que celles de GyrA. Elles affectent un domaine analogue au QRDR de GyrA. Les mutations les plus connues chez E. coli sont Asp426Asn et Lys447Glu. Il n’est pas certain que cette mutation de GyrB touche la liaison de la molécule à l’ADN comme pour GyrA (242). In vitro, pour E. coli, la fréquence de mutation pour gyrA (232) est similaire à celle de gyrB (157), mais in vivo, les isolats cliniques portant la mutation gyrA semblent avoir une prévalence plus importante que ceux de gyrB (72). La mutation gyrB semble également conférer un niveau de résistance moins important que les mutations de GyrA (106). Les mutations de l’ADN gyrase, sur les sous-unités GyrA ou GyrB, peuvent également se produire chez les bactéries à Gram positif, mais chez la majorité d’entre elles l’ADN gyrase est une cible secondaire des fluoroquinolones. En effet, chez ces bactéries, les altérations de la sous-unité GyrA ou de GyrB sont toujours trouvées en association avec une mutation préalable de la topoisomérases IV et elles confèrent aux bactéries un plus fort niveau de résistance que la seule mutation de la topoisomérase IV (106, 120). Pour les bactéries à Gram positif, les mutations de la GyrA se trouvent le plus souvent sur les codons 83 et 84 (169). 1.3.4.2. Mutation de la topoisomérase IV Les mutations de la topoisomérase IV ont été étudiées de façon plus importante chez les bactéries à Gram positif, particulièrement chez S. aureus and S. pneumoniae étant 39 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Mécanismes de résistance aux fluoroquinolones donné que la topoisomérase IV est une cible secondaire des fluoroquinolones chez les bactéries à Gram négatif (115). Comme pour l’ADN gyrase, les altérations peuvent survenir dans chacune des sousunités. La mutation de ParC se produit plus fréquemment que celle de ParE et semble jouer un rôle plus critique dans le développement de résistance (160). Les mutations de la sousunité ParC se produisent dans un domaine analogue au QRDR, avec le plus souvent une mutation Ser80Phe/Tyr (106). Le mécanisme de résistance résultant de cette mutation semble également être dû à une diminution de l’affinité de la molécule pour sa cible (106). Chez les bactéries à Gram négatif, on ne trouve les mutations de ParC et ParE qu’en présence d’une mutation préalable de l’ADN gyrase. Les mutations de la topoisomérase IV associées à celles de la gyrase confèrent aux bactéries un fort niveau de résistance (22, 120). Chez E. coli ce sont les mutations du codon 80 qui sont les plus fréquemment identifiées pour ParC avec le plus souvent une substitution Ser80Ile (33, 72, 73, 89, 116, 195). 1.3.5. Résistance plasmidique Jusque récemment, il était considéré que la résistance aux fluoroquinolones était uniquement portée par des mutations chromosomiques. Cependant, plusieurs études ont montré qu’elle peut également être portée par des éléments génétiques mobiles comme les plasmides (164, 190). Ceux-ci offrent un mécanisme rapide pour la dissémination horizontale et verticale de déterminants de résistance pour les espèces bactériennes (188). 1.3.5.1. Les protéines Qnr Le premier plasmide médiateur de résistance aux quinolones (PMQR, « Plasmid Mediated Quinolone Resistance ») a été décrit dans une souche K. pneumoniae par Martinez-Martinez et al. (146). Tran et al. ont montré que ce plasmide contenait le gène qnr codant pour une protéine Qnr de 218 amino acides qui protège l’ADN gyrase de l’action des quinolones (220). Ce gène est flanqué d’ORF513 ce qui suggère que le gène qnr pourrait être localisé dans un intégron. Le mécanisme par lequel QnrA protège l’ADN gyrase n’est pas encore bien connu. Il semblerait que la protéine Qnr se lie à l’ADN gyrase ou à la topoisomérase IV ce qui empêche la liaison de l’enzyme sur l’ADN. Ceci minimise les opportunités pour les quinolones de stabiliser un complexe de clivage enzyme-ADNquinolone. 40 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Mécanismes de résistance aux fluoroquinolones Il existe différentes familles de la protéine Qnr : QnrA, QnrB, QnrS etc. … (190). Très souvent la présence du gène qnr est identifiée dans des souches porteuses d’autres mécanismes de résistance comme les betalactamases à spectre étendu CTX-M ou des mécanismes d’efflux. Le niveau de résistance aux fluoroquinolones dû à la présence de ce plasmide est faible, mais il peut faciliter la sélection de souches avec un niveau de résistance plus élevé, notamment lorsque ces plasmides sont associés à des mutations de la topoisomérase (192). Ceci a été confirmé par différentes études épidémiologiques qui ont montré que très souvent, les souches bactériennes résistantes porteuses d’une mutation sur un gène cible étaient également porteuses d’un plasmide qnr (134, 170). 1.3.5.2. L’enzyme AAC(6’)-Ib-cr Les enzymes entraînant une résistance à un antibiotique par une modification de la structure de l’antibiotique sont spécifiques de chaque classe d’antibiotique et ont co-évolué avec la substance qu’ils inactivent. Les fluoroquinolones étant des substances de synthèse, il était considéré jusqu’à récemment qu’il n’existait pas d’enzyme naturelle capable de modifier les fluoroquinolones. Cependant, en 2006, Robicsek et al. ont décrit une enzyme capable de modifier les fluoroquinolones, l’enzyme AAC(6’)-Ib-cr (191). Cette enzyme est un variant de l’aminoglycoside-acetyltransférase qui entraîne une résistance à la tobramycine, l’amikacine et à la kanamycine. Le changement de deux codons dans cette enzyme lui confère la capacité de N-acétyler la ciprofloxacine ainsi que la norfloxacine au niveau de leur substituant pipérazine. Les autres quinolones n’ayant pas d’azote non substitué sur leur substituant pipérazine, elles ne sont pas affectées par cette enzyme (190). AAC(6’)-Ib-cr a été retrouvé avec une forte prévalence sur des plasmides PMQR, souvent en association avec qnr dans une population d’animaux de compagnie et de production en Chine (139). Comme pour la protéine Qnr le niveau de résistance conférée par ce plasmide est faible, mais il peut faciliter l’émergence de bactéries avec un niveau de résistance plus élevée. 1.3.5.3. La pompe à efflux QepA Un autre mécanisme de résistance plasmidique aux fluoroquinolones a été décrit récemment par Yamane et al. qui ont identifié un plasmide porteur du gène d’une pompe à efflux, QepA (240). Cette pompe à efflux est fortement similaire à celles de type MFS. Des plasmides portant le gène de la pompe à efflux QepA ont été retrouvés dans des souches bactériennes humaines (172) et animales (139). 41 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Mécanismes de résistance aux fluoroquinolones De la même façon que pour la protéine Qnr et l’enzyme AAC(6’)-Ib-cr, le niveau de résistance conférée par ce plasmide est faible, mais il peut faciliter l’émergence de bactérie avec un niveau de résistance plus élevé (172, 240). 1.3.5.4. Les toxines plasmidiques Afin d’éviter la perte de plasmides aux cours des divisions cellulaires, les bactéries disposent d’un système d’élimination post ségrégation appelé système Toxine-Antitoxine (TA) porté par un plasmide. Dans la bactérie, le gène de la toxine code pour une protéine stable ayant une longévité accrue comparée à la protéine codée par le gène de l’anti-toxine qui elle, est labile. Si une cellule fille produite au cours de la division ne porte pas le plasmide TA, elle n’est pas capable de produire l’anti-toxine, la toxine peut alors se lier à sa cible dans la bactérie ce qui entraîne la mort de celle-ci (97). Si ce système est connu depuis longtemps, ce n’est que récemment qu’il a été identifié sur des plasmides de résistance et notamment des souches E. coli (91, 97). Les toxines CcdB et ParE (à distinguer de la sousunité ParE de la topoisomérase IV) codées par ces plasmides ont toutes les deux comme cible la sous-unité GyrA de l’ADN gyrase. De ce fait, elles ont une fonction similaire à celles des fluoroquinolones et de la protéine QnrA. Une exposition de la cellule à une faible quantité de toxines peut avoir un effet analogue à une exposition de la bactérie à des quantités subinhibitrices d’antibiotique et entraîner la sélection de résistance. La résistance à ces toxines permet à la bactérie de contourner le système TA ou alors d’acquérir de nouveaux plasmides du même groupe permettant le flux de gènes à partir de l’ADN bactérien (69). Au moins une résistance croisée toxine-fluoroquinolone à été décrite chez E. coli. Dans cette souche, une sur-expression de la protéine intrinsèque GyrI entraîne une tolérance de la bactérie vis-à-vis de CcdB mais lui confère également une diminution de sa susceptibilité aux fluoroquinolones (32). En effet, GyrI interagissant avec l’ADN gyrase, elle inhibe ainsi la formation du complexe fluoroquinolone-gyrase-ADN. 42 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Etudes PK/PD des antibiotiques, exemple des FQ 1.4. Les études pharmacocinétique-pharmacodynamique des antibiotiques : exemple des fluoroquinolones L’efficacité d’un traitement antibiotique ne se mesure pas uniquement par la guérison clinique mais également par l’élimination de la bactérie du site d’infection. En effet, si l’élimination de la bactérie n’est pas obtenue à la fin du traitement, cette population crée un risque de rechute chez le sujet traité mais aussi un risque de dissémination de souches résistantes vers d’autres sujets (49). La relation quantitative entre les paramètres pharmacocinétiques tels que l’aire sous la courbe (AUC) ou le pic de concentration (Cmax) et les paramètres bactériologiques tels que la concentration minimale inhibitrice (CMI) permet de construire les indices PK/PD. L’utilisation des indices PK/PD pour décrire, prédire et comprendre les relations entre le déroulement d’un traitement et son efficacité au plan clinique et bactériologique a été développée dans les années 1940-1950 par le Dr Harry Eagle (7). La relation entre les traitements antibiotiques et l’élimination des bactéries peut être étudiée par différents types de modèles in vitro et in vivo sur des animaux de laboratoire ou lors d’étude cliniques. 1.4.1. Les principaux paramètres PK/PD utilisés Les antibiotiques sont catégorisés sur la base d’indices PK/PD qui sont les plus prédictifs de leur efficacité. Les principaux paramètres PK/PD utilisés pour les antibiotiques sont le temps de maintien d’une concentration supérieure à la CMI (T>CMI), le rapport de la concentration plasmatique maximale sur la CMI (Cmax/CMI) et le rapport de l’aire sous la courbe des concentrations plasmatiques sur la CMI (AUC/CMI) (Figure 7). Le choix de ces indices est déterminé par le type d’antibiotique, à savoir s’ils sont « temps dépendants » ou « concentration dépendants ». Les agents dits « temps dépendants », sont des substances pour lesquelles l’augmentation de la bactéricidie se produit sur une gamme étroite de concentrations jusqu’à atteindre un plateau, la bactéricide augmente en fonction de la durée effective de maintient des concentrations au niveau de ce plateau. Au contraire, pour les agents dits « concentration dépendants » la bactéricidie se produit sur une large gamme de concentrations et elle augmente lorsque les concentrations augmentent. Les indices PK/PD sont traditionnellement utilisés afin de connaître les schémas posologiques nécessaires pour traiter l’infection, mais récemment l’attention s’est portée sur les études PK/PD afin de trouver les indices les plus prédictifs de la prévention de l’émergence de bactéries résistantes lors d’une antibiothérapie. 43 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Etudes PK/PD des antibiotiques, exemple des FQ Les fluoroquinolones sont des antibiotiques dit « concentration dépendants », les indices PK/PD qui sont les plus prédictifs de l’efficacité de ces substances sont donc l’AUC/CMI et le rapport Cmax/CMI. Concentration d’antibiotique Cmax AUC CMI Temps T>CMI Figure 7 : Présentation des principaux paramètres PK/PD utilisés en antibiothérapie. La courbe des concentrations plasmatiques d’antibiotique représentée en fonction du temps permet de visualiser l’Aire sous la courbe (AUC), le pic de concentration plasmatique (Cmax) ainsi que le temps passé par les concentrations au dessus de la CMI (T>CMI). 1.4.1.1. AUC/CMI Afin de déterminer lequel des deux paramètres, entre le rapport AUC/CMI ou le rapport Cmax/CMI, était le plus prédictif de l’activité des fluoroquinolones, Madaras-Kelly et al. (140) ont étudié l’activité antimicrobienne de la ciprofloxacine et de l’ofloxacine contre P. aeruginosa en faisant varier les pics de concentrations et la demi-vie d’élimination, mais en gardant les mêmes AUC. Leurs résultats ont montré que l’AUC/CMI était le paramètre PK/PD le plus prédictif de l’efficacité des fluoroquinolones avec un effet maximum pour des valeurs du rapport ≥ 100 h (140). In vivo, les données compilées de différents modèles animaux d’infection montrent que des rapports d’AUC/CMI inférieurs à 30 h sont associés à une mortalité de plus de 50% contrairement à des valeurs d’AUC/CMI supérieures à 100 h et que, pour optimiser le taux de survie, les concentrations de quinolone doivent être en moyenne 4 fois la CMI pour chaque 24 h de traitement (44). Différentes études in vivo ont confirmé ces résultats (8, 42, 43, 83, 112) (Figure 8, Figure 9 panel A) avec cependant des variations de la valeur seuil du rapport AUC/CMI, les valeurs variant de 100 à 125 h pour les bactéries à Gram négatif et de 25 à 35 h pour les bactéries à Gram positif. Les valeurs d’AUC/CMI semblent également être corrélées à la probabilité du développement de bactéries résistantes durant le traitement antibiotique. Dans une étude de Thomas et al., des rapports < 100 h sont associés avec l’émergence de résistance chez 44 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Etudes PK/PD des antibiotiques, exemple des FQ 82.4% des souches alors que des rapports > 100 h ne sont associés à l’émergence de résistance que dans 9% des souches (218). Ces résultats ont été confirmés par une étude du traitement à la lévofloxacine d’une infection de la cuisse par P. aeruginosa chez la souris pour laquelle des valeurs d’AUC/CMI ≥ 157 h (AUC/CMI = 110 h) sont associées à la prévention de l’émergence de bactéries résistantes (112). Figure 8 : Fluoroquinolones et AUC/CMI Relation entre la diminution de la charge bactérienne (log10 CFU) par cuisse ou par poumons pour différents pathogènes après 24 h de traitement par différentes doses de plusieurs fluoroquinolones. D’après Andes et al. (2002) (8) Chez l’Homme, une étude rétrospective sur la ciprofloxacine administrée par voie intraveineuse a montré que des valeurs d’AUC/CMI supérieures à 125 h correspondent à une amélioration clinique satisfaisante chez des sujets sévèrement malades, infectés par des bactéries à Gram négatif et que des valeurs > 250 h réduisent le temps moyen d’éradication à 1.9 jours au lieu de 6.6 jours pour des valeurs d’AUC/CMI comprises entre 125 et 250 h (83). Une seconde étude portant sur la levofloxacine a montré une éradication bactérienne pour des valeurs d’AUC/CMI ≥ 87 h (60). Les différentes études in vitro, in vivo et cliniques montrent indiscutablement une relation entre l’AUC/CMI et l’efficacité des fluoroquinolones ainsi que la prévention de l’émergence de bactéries résistantes, mais la détermination d’une valeur seuil semble difficile. De plus, une étude récente de Firsov et al. a montré que des valeurs usuelles, prédictives d’une bonne efficacité sur les souches sensibles peuvent accroître le risque de mutants résistants (80). Les variations des valeurs seuils de l’AUC/CMI sont dues à différents facteurs. Tout d’abord les objectifs des études ne sont pas les mêmes, certains auteurs cherchant à obtenir une bactériostase et d’autres une diminution de la charge bactérienne de 1 à 3 log. D’autre part, les charges bactériennes de départ peuvent varier mais également le statut immunologique pour les infections expérimentales in vivo et l’état de santé des patients pour 45 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Etudes PK/PD des antibiotiques, exemple des FQ les études cliniques. Tous ces facteurs, comme nous le verrons plus loin (paragraphe 1.4.3.) peuvent influencer la valeur des indices PK/PD. De plus, ces études ne sont souvent réalisées qu’avec un seul schéma posologique or, le fractionnement de la dose (par exemple 1 g, 4 fois par jour au lieu de 4 g, 1 fois par jour) fait considérablement varier le Cmax ce qui peut donc influencer les résultats. Figure 9 : Relation entre différents indice PK/PD et l’efficacité des fluoroquinolones Relation entre l’AUC24/MIC (A), le Cmax/CMI (B), et le T>MIC (C) et le nombre de S. pneumoniae ATCC par cuisse (log10 CFU/cuisse) après 24 h de traitement à la gatifloxacine dans un modèle murin d’infection. Chaque symbole représente la moyenne de 2 cuisses par souris, la ligne discontinue représente la charge bactérienne présente à l’initiation de l’antibiothérapie. D’après Andes et al. (2002) (9) 1.4.1.2. Cmax/CMI En 1987, Blaser et al. (19) ont suggéré que le rapport Cmax/CMI était un paramètre important pour prédire l’efficacité clinique des fluoroquinolones. En effet, en utilisant un modèle in vitro sur différentes espèces bactériennes (E. coli, K. pneumoniae, P. aeruginosa et S. aureus), ils ont observé une recroissance bactérienne dans les 24 h lorsque le rapport Cmax/CMI était 8 pour l’enoxacine avec une augmentation de la CMI de 4 à 8 fois par rapport à la population de départ (19). Ces résultats ont été confirmés in vitro pour la ciprofloxacine par l’équipe de Dudley en 1991 (61), mais également sur différents modèles in vivo ainsi que lors d’essais cliniques (9, 59, 181). Ces différentes études ont montré une relation entre le rapport Cmax/CMI et l’efficacité des fluoroquinolones mais également une relation entre le rapport Cmax/CMI et la prévention de l’émergence de mutants résistants pour des fortes valeurs de ce rapport. Cependant, comme pour l’AUC/CMI, la valeur seuil du rapport Cmax/CMI varie d’une étude à l’autre. Comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédent, d’autres travaux ont montré que le rapport Cmax/CMI n’était pas l’indice PK/PD le plus prédictif de l’efficacité des fluoroquinolones (9, 140) (Figure 9 panel B). Il semblerait pourtant que celui-ci, lorsqu’il est ≥ 10, devient l’indice le plus prédictif de l’efficacité des fluoroquinolones alors qu’en dessous de ce seuil, c’est l’AUC/CMI qui est l’indice le plus prédictif (59, 83, 181). 46 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Etudes PK/PD des antibiotiques, exemple des FQ 1.4.1.3. T>CMI Le temps passé par les concentrations plasmatiques au dessus de la CMI (T>CMI) est le paramètre PK/PD le plus important pour les antibiotiques « temps dépendants » (41). En revanche, pour les antibiotiques « concentration dépendants », comme les fluoroquinolones, différentes études ont montré une faible corrélation entre le T>MIC et l’efficacité du traitement antibiotique (8, 9) (Figure 9 panel C). 1.4.2. Un nouvel indice PK/PD : le temps dans la fenêtre de sélection 1.4.2.1. La fenêtre de sélection Dans les années 90, Baquero a suggéré qu’il existait une gamme de concentrations « dangereuses » dans laquelle la sélection de mutants résistants était plus fréquente (13, 14). Cette idée a conduit à la définition d’une fenêtre de sélection (FS) des mutants résistants appelée « Mutant Selection Window » (MSW). L’hypothèse de la FS postule que, pour chaque combinaison antibiotique-pathogène, il existe une gamme de concentrations d’antibiotique dans laquelle une amplification sélective des mutants résistants spontanés est plus fréquente (244). La FS est limitée par deux valeurs seuil. La limite inférieure est la plus faible concentration d’antibiotique qui inhibe la croissance des bactéries sensibles majoritaires, c'est-à-dire la concentration minimale inhibitrice (CMI). La limite supérieure de la FS, appelée MPC (Mutant Prevention Concentration), est la concentration d’antibiotique qui inhibe la croissance des mutants résistants de premier niveau (Figure 10). Au dessus de la MPC la prolifération sélective de mutants résistants nécessite une ou des mutations supplémentaires de la bactérie, autrement dit la MPC correspond à la CMI des mutants résistants de premier niveau. (21, 54). La détermination de la MPC pour un antibiotique donné requiert l’exposition à l’antibiotique d’un inoculum bactérien plus important que celui ordinairement utilisé pour la détermination de la CMI (i.e. 1010 CFU/mL versus 105 CFU/mL) (21). Le choix de la taille de l’inoculum de départ à 1010 CFU/mL est basé sur différentes considérations. Premièrement 1010 CFU/mL est une population assez grande pour pouvoir contenir une sous-population de mutants résistants de premier niveau si la fréquence de mutation est > 10-8. Et deuxièmement, lors d’une infection la charge bactérienne dépasse rarement 1010 CFU/mL. 47 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Etudes PK/PD des antibiotiques, exemple des FQ Concentration d’antibiotique MPC Fenêtre de sélection = MSW = CMI des bactéries résistantes CMI Temps T>MPC TMSW Figure 10 : La Fenêtre de Sélection La fenêtre de sélection ou « Mutant Selection Window » (MSW) correspond à la gamme de concentrations comprises entre la CMI et la MPC de la bactérie. Pour ces concentrations, les bactéries sensibles à l’antibiotique sont éliminées alors que celles qui sont résistantes à l’antibiotique peuvent toujours croitre. La fenêtre de sélection fait apparaître deux nouveaux indices PK/PD, le temps passé par les concentrations au dessus de la MPC (T>MPC) ainsi que le temps passé dans la fenêtre de sélection (TMSW). Plusieurs études in vitro et in vivo ont vérifié l’hypothèse d’une amplification sélective des mutants résistants spontanés plus prononcée lorsque les concentrations d’antibiotique se trouvent dans la FS (21, 128, 244, 245) (Tableau 2). La notion de FS peut être prise en compte dans l’analyse PK/PD afin de prévenir l’émergence de mutants résistants en remplaçant l’AUC/CMI par l’AUC/MPC (Figure 11), les valeurs obtenues pour ces deux paramètres dans différentes études in vitro et in vivo sont résumées dans le Tableau 2. Figure 11 : Effet des indices PK/PD seuils sur la population majoritaire sensible et sur la population minoritaire résistante a) La population bactérienne non encore exposée à un antibiotique contient une majorité de bactéries sensibles (cercles blancs) et une petite sous-population mutante résistante (cercles noirs). b) Quand l’exposition à l’antibiotique dépasse la valeur seuil de l’AUC24/CMI (AUC24 à l’équilibre) au dessus de laquelle les mutants résistants, mais pas les bactéries sensibles peuvent survivre, on observe un enrichissement de la sous-population mutante. c) Quand l’exposition à l’antibiotique dépasse la valeur seuil de l’AUC24/MPC au dessus de laquelle les mutants résistants comme les bactéries sensibles sont tuées, l’acquisition de mécanisme de résistance est quasiment nulle. D’après Zhao et al. (245) 48 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Etudes PK/PD des antibiotiques, exemple des FQ Tableau 2 : Valeurs des AUC/CMI et AUC/MPC qui limitent l’émergence de bactéries résistantes aux fluoroquinolones dans différents modèles in vitro et in vivo. Espèce bactérienne Substance utilisée Modèle expérimental AUC24/CMI (h) AUC24/MPC (h) S. aureus Levofloxacine In vitro dynamique In vitro S. aureus Moxifloxacine In vitro dynamique S. aureus Gatifloxacine In vitro dynamique S. aureus Ciprofloxacine In vitro S. aureus E. coli S. pneumoniae E. coli ABT452 Marbofloxacine Moxifloxacine Ciprofloxacine Levofloxacine 69 36 59 60 89 69 87 69 44 20 22 Non déterminée (79, 80) (25) (80) (80) (81) (80) (27) (79) (75) (246) (168) P. aeruginosa S. pneumoniae Moxifloxacine 300 37.5 (71) S. aureus Levofloxacine In vitro In vitro dynamique In vitro dynamique In vitro Infection de la cuisse chez la souris Infection pulmonaire chez le lapin Cage tissulaire chez le lapin 200 125 220 240 310 240 580 240 1408 100 350 107* 18* (47) 110* Réf. (112) * calculée à partir des concentrations libres 1.4.2.2. Le temps dans la fenêtre de sélection : TMSW Le concept de fenêtre de sélection a conduit à l’établissement d’un nouveau paramètre PK/PD : le temps durant lequel les concentrations d’antibiotique sont dans la fenêtre de sélection, appelé TMSW (Figure 10). En effet, différentes études in vitro (75, 78, 80) et in vivo (76) ont montré qu’il existait une association entre le temps d’exposition d’une population pathogène dans la fenêtre de sélection et l’enrichissement de la sous-population mutante résistante. Notamment, Firsov et al. ont montré que, pour limiter l’émergence de mutants résistants, les concentrations d’antibiotique devaient passer moins de 20% du temps entre chaque administration dans la FS (80). Cependant, la relation entre le temps passé dans la FS et l’émergence de résistance a récemment été remise en question (25, 26, 104). Des publications ont souligné que le niveau des concentrations dans la FS, c'est-à-dire à la limite supérieure ou inférieure de la FS, pourrait aussi jouer un rôle important dans l’enrichissement de la sous-population mutante (47, 78) (Figure 12). 49 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Etudes PK/PD des antibiotiques, exemple des FQ A B Figure 12 : Impact du niveau d’exposition dans la fenêtre de sélection sur la sélection de mutants résistants, in vivo Impact de différents niveaux d’exposition de lévofloxacine dans la FS (A) sur la proportion de mutants résistants (B) Lors d’un traitement à la lévofloxacine dans un modèle de cage tissulaire infectée par S. aureus, chez le lapin. D’après Cui et al. en 2006 (47) 1.4.3. Facteurs influençant les indices PK/PD 1.4.3.1. Les modèles expérimentaux et les études cliniques Les modèles d’études peuvent être in vitro, in vivo ou cliniques. Traditionnellement les mesures in vitro, comme celle de la CMI, sont utilisées pour prédire l’issue d’une antibiothérapie. Cependant, si ces mesures sont un bon indicateur de la sensibilité bactérienne à l’antibiotique, elles ne permettent pas d’obtenir l’information nécessaire à la détermination de la dose et du schéma posologique de l’antibiotique. En effet, elles ne donnent une information que sur une taille de population bactérienne précise (105 CFU/mL) exposée à une concentration fixe d’antibiotique, et n’informent ni sur l’effet de la variation des concentrations d’antibiotique ni sur la variation de la taille de la population bactérienne en fonction du temps au niveau du site infectieux. De plus, l’effet du système immunitaire sur le devenir de l’infection n’est pas pris en compte. Les modèles in vivo permettent de compléter les résultats obtenus in vitro et sont essentiels pour l’évaluation des agents antibactériens ainsi que pour le choix de la dose et du schéma posologique. Il existe une large variété de modèles animaux qui permettent d’évaluer les paramètres PK/PD d’une antibiothérapie. Ils permettent de comprendre la relation entre les concentrations plasmatiques d’antibiotique et l’activité de celui-ci au niveau du site infectieux, de voir l’impact du système immunitaire, de confirmer les valeurs seuil obtenues durant les études in vitro et d’évaluer l’émergence de résistance in vivo. 50 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Etudes PK/PD des antibiotiques, exemple des FQ Il existe plusieurs facteurs qui influencent les études PK/PD, certains sont communs aux différents types d’études et d’autres sont spécifiques. Le premier point qui est source de variation est le critère choisi pour déterminer l’efficacité de l’antibiotique. En effet selon les études l’objectif peut être la bactériostase, une diminution de la charge bactérienne de un ou plusieurs log, l’absence d’émergence de bactéries résistantes ou encore la guérison ou la survie de l’individu (pour les études in vivo et cliniques). De plus la durée du traitement pour l’obtention de ces différents objectifs diffère également d’une étude à l’autre. Par exemple, dans un modèle d’infection de la cuisse par S. pneumoniae chez des souris, Mattoes et al. ont observé une efficacité maximale pour des valeurs d’AUC/CMI de 30 à 40 h (149) alors qu’Andes et al. en utilisant le même modèle d’infection ont obtenu des résultats légèrement différents. S’ils ont observé un effet bactériostatique pour des rapports de 52 h, pour obtenir une diminution de 1 log le rapport nécessaire était de 1.2 à 2.1 fois plus important et pour une diminution de 2 log plus de 5.5 fois supérieur et souvent le rapport excédait 100 h (9). Un second point important, qui sera discuté dans le paragraphe 1.4.3.3., est la charge bactérienne de départ car elle peut être faible, importante ou inconnue (cas des études cliniques). Enfin, les points plus spécifiques des études in vivo et cliniques sont le statut physiopathologique de l’individu, celui-ci pouvant faire varier les paramètres pharmacocinétiques et le statut immunologique (qui sera également détaillé dans le paragraphe suivant). 1.4.3.2. Le statut immunologique La limite principale des modèles in vitro ou de certains modèles in vivo est qu’ils ne tiennent pas compte de la réponse du système immunitaire, celle-ci étant inhibée au cours de certains essais in vivo menés sur les rongeurs, afin de mieux mettre en évidence l’action propre de l’antibiotique. Le statut immunologique du patient (Homme ou animal) influence de façon importante les indices PK/PD. En effet, lors du traitement d’une infection, l’antibiotique n’agit pas seul et le système de défense, notamment immunitaire, du patient joue un rôle prépondérant dans le traitement de l’infection, notamment en éliminant les bactéries persistantes. Plusieurs études ont montré que les valeurs des indices PK/PD associées à une issue favorable de l’infection étaient plus importantes chez les animaux immunodéprimés que chez les animaux immunocompétents (45, 149). Andes et al. (9) ont évalué l’efficacité de la gatifloxacine dans un modèle d’infection de la cuisse chez la souris neutropénique et non neutropénique. Les valeurs du rapport AUC/CMI nécessaires afin de diminuer de 1 log la charge bactérienne ont été de 62 h pour les souris immunocompétentes 51 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Etudes PK/PD des antibiotiques, exemple des FQ versus 129 h pour les souris immunodéprimées. Les mêmes résultats ont été obtenus avec un modèle d’infection pulmonaire (9). 1.4.3.3. La charge bactérienne Les procédures de routine de mesure in vitro sont standardisées, pour l’évaluation de la CMI par exemple, l’inoculum testé doit être de 105 CFU/mL. Or, chez les individus malades, la charge bactérienne peut être beaucoup plus importante. En effet, lors d’une étude clinique, König et al. (118) ont observé que la charge bactérienne dans des échantillons prélevés chez des individus malades était toujours supérieure à 106 CFU/mL avec une concentration moyenne de 2 108 CFU/mL (118). D’autres études expérimentales chez des rongeurs (87) ou cliniques chez l’homme (18) confirment que la charge bactérienne peut atteindre 109-1010 CFU/mL lors d’une infection. Dans leur étude, König et al. (118) ont observé une augmentation de la concentration minimale bactéricide (CMB) de la ciprofloxacine pour les échantillons issus d’individus malades par rapport aux CMB obtenues pour un inoculum de 105 CFU/mL. In vitro, une étude portant sur l’efficacité de plusieurs fluoroquinolones sur des inoculums de tailles différentes a montré que des concentrations bactéricides (capables de tuer les bactéries) sur un inoculum de 106 CFU/mL étaient seulement bactériostatiques (capables d’inhiber la croissance des bactéries) sur un inoculum de 1010 CFU/mL (222). Ces résultats ont été confirmés par Mizunaga et al. (151) qui ont montré que des concentrations égales à 2 fois la CMI étaient bactéricides sur un inoculum de 106 CFU/mL de S. aureus ou P. aeruginosa alors que des concentrations comprises entre 2 et 16 fois la CMI ne l’étaient pas pour un inoculum de 108 CFU/mL. La charge bactérienne présente au moment d’une antibiothérapie a donc un impact sur les valeurs utilisées pour construire les indices PK/PD. Cet impact sur les paramètres PK/PD a été confirmé in vivo par Jumbe et al. (112) qui ont montré que l’augmentation d’un facteur 10 de la charge bactérienne (de 107 à 108 CFU/mL) nécessitait des valeurs du rapport AUC/CMI 2 à 6 fois supérieures pour obtenir le même effet bactéricide. La charge bactérienne présente à l’initiation d’une antibiothérapie peut avoir un effet sur l’émergence de bactéries résistantes. En effet, la résistance aux fluoroquinolones par mutation sur les gènes codant pour les cibles (GyrA, ParC) peut survenir spontanément dans une population bactérienne à une fréquence d’environ 10-6 à 10-8 (21). L’augmentation de la charge bactérienne au niveau du site infectieux augmente donc la probabilité d’avoir une sous-population résistante présente avant qu’aucun traitement aux fluoroquinolones n’ait été administré. Dans ces conditions, une exposition à l’antibiotique qui va permettre l’éradication des bactéries sensibles majoritaires peut induire une amplification de la sous-population 52 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Etudes PK/PD des antibiotiques, exemple des FQ résistante déjà présente avant le traitement ce qui entraîne l’émergence de bactéries résistantes au cours de l’antibiothérapie. Des résultats récents de notre équipe sur un modèle in vitro dynamique (75) ainsi que sur un modèle d’infection de la cuisse chez des animaux neutropéniques (76) montrent en effet que la charge bactérienne présente à l’initiation du traitement antibiotique joue un rôle sur la probabilité d’émergence de résistance au cours du traitement. Ces résultats ont été confirmés récemment dans un modèle in vitro par Singh et al. (205). En plus d’avoir un impact direct sur les paramètres pharmacodynamiques, la variation de la charge bactérienne peut également entraîner des variations des paramètres pharmacocinétiques par son impact sur le statut physiopathologique de l’individu malade. Différentes études ont montré une diminution de la clairance et une augmentation du temps de demi-vie d’élimination chez des animaux infectés (110, 175). Ceci pourrait être expliqué par l’altération des voies d’élimination de l’antibiotique par une diminution de l’activité du métabolisme hépatique, du flux sanguin rénal et du taux de filtration glomérulaire dus à la production d’endotoxines par les bactéries (96). De façon plus générale, les infections sont associées à un état inflammatoire et il a été montré que l’inflammation était capable d’altérer la pharmacocinétique de nombreux médicaments (74, 110, 133, 154). 53 54 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Ecosystème intestinal et antibiothérapie 1.5. Ecosystème intestinal et antibiothérapie 1.5.1. Composition de la flore commensale du tube digestif La flore intestinale forme un écosystème complexe comportant environ 1014 microorganismes recouvrant près de 400 espèces bactériennes dont la composition varie en fonction de la localisation dans le tube digestif et en fonction de l’individu. C’est un élément actif de la physiologie intestinale, avec des fonctions métaboliques, un rôle de barrière et de stimulation du système immunitaire intestinal. Le colon abrite la densité microbienne la plus forte du tube digestif (109-1011 bactéries par mL chez l’Homme) constituée de façon dominante de genre anaérobies stricts (114). A côté de cette flore résidente, il peut exister chez certains individus, une flore dite allochtone ou transitoire, qui sauf circonstances pathologiques, ne s’implante pas dans le tube digestif. Chez les animaux, l’anatomie du tube digestif et les flores intestinales qui y résident, sont variables d’une espèce animale à l’autre et, comme chez l’Homme, elles varient en fonction des stades physiologiques et de l’alimentation. La flore intestinale de l’Homme comme celle des animaux est un environnement privilégié en termes de compartiment de sélection et d’amplification de bactéries résistantes et de gènes de résistance. 1.5.2. Resistance à la colonisation Les bactéries de la flore intestinale assurent un rôle de barrière en s’opposant à l’implantation et à la multiplication des micro-organismes d’origine exogène. Ce rôle de barrière, appelé résistance à la colonisation, est principalement assuré par la flore anaérobie. L’effet drastique de cette barrière provoque une élimination rapide d’une souche exogène tandis qu’un effet permissif permet à une souche exogène de se maintenir, parfois très longtemps, mais à un niveau de population tel que cette souche exogène ne peut pas se développer (55, 56, 196). Les mécanismes de résistance à la colonisation sont encore mal connus. Ils font probablement intervenir une compétition entre les micro-organismes pour les substrats tels que les constituants alimentaires ou les mucines, les sites d’adhésion sur la muqueuse intestinale ou encore par la production de substances inhibitrices comme les bactériocines ou d’autres impliquées dans les phénomènes de « quorum sensing » (212). D’autres facteurs participent à cette résistance à la colonisation, tels que les facteurs anatomiques et physiologiques (péristaltisme, sécrétion salivaire, acidité gastrique, …) ainsi que le système immunitaire. 55 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Ecosystème intestinal et antibiothérapie 1.5.3. Impact de l’antibiothérapie sur la flore digestive Les antibiotiques sont une cause majeure de perturbation de l’équilibre de l’écosystème intestinal. En effet, dans le cas d’une antibiothérapie, une fraction de la dose d’antibiotique administrée peut être excrétée sous forme active par voie biliaire ou excrétée par la muqueuse intestinale. A cette fraction s’ajoute, en cas d’administration orale, la fraction non absorbée qui peut suffire à altérer l’équilibre écologique microbien de la flore intestinale. Les effets observés chez l’hôte peuvent être alors (66) : i) l’élimination des bactéries sensibles aux concentrations actives de l’antibiotique atteinte dans le tube digestif. ii) la sélection et la prolifération de bactéries résistantes au sein de la flore endogène. iii) la colonisation du tractus digestif par des micro-organismes exogènes résistants. Plusieurs facteurs interviennent sur l’intensité des modifications de l’écosystème intestinal au cours d’un traitement antibiotique donné, notamment la concentration d’antibiotique qui atteint la lumière intestinale, l’activité intrinsèque de la substance sur les bactéries qui composent l’écosystème, la fixation de la substance à des composants du bol alimentaire (protéine, cellulose) et son inactivation éventuelle dans le contenu intestinal (214). En effet, les concentrations d’antibiotiques présentes dans la lumière intestinale sont notablement différentes des concentrations sériques qui servent à définir la sensibilité ou la résistance des souches bactériennes d’un point de vue thérapeutique, ce qui donne lieu à l’observation d’effets apparemment paradoxaux de certains antibiotiques sur l’écosystème intestinal. 1.5.4. Emergence de bactéries résistantes dans la flore digestive chez l’animal et conséquences en termes de santé publique De nombreuses études chez l’animal ont montré une augmentation de la prévalence de la résistance au sein des bactéries de la flore commensale après l’administration d’antibiotique quelle que soit la classe utilisée (15, 51, 85, 148). En effet, lors d’une antibiothérapie, les bactéries résistantes à l’antibiotique peuvent être sélectionnées, et elles peuvent alors coloniser le tube digestif (210). Une étude portant sur 10 fermes ayant un historique d’utilisation d’antibiotique à buts thérapeutiques différents a montré que le pourcentage de souches fécales d’E. coli résistantes était plus important dans les fermes où l’utilisation d’antibiotiques était considérée comme élevée (215). 56 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Ecosystème intestinal et antibiothérapie Les bactéries isolées chez les animaux et chez l’Homme partagent les mêmes mécanismes de résistance, ceci est un argument en faveur de l’absence d’étanchéité entre les populations bactériennes d’origine humaine et animale. Les flux de bactéries résistantes ainsi que de gènes de résistance peuvent donc a priori s’effectuer dans les deux sens. 1.5.4.1. Emergence de bactéries zoonotiques résistantes Un traitement antibiotique peut permettre l’émergence ou la sélection de bactéries zoonotiques résistantes dans le tube digestif des animaux (142, 234). Ces bactéries peuvent être transmises à l’Homme par les aliments qu’il consomme et être responsables de toxiinfections alimentaires (68) (voir paragraphe 1.1.2.2). En effet, la viande peut être contaminée par les bactéries intestinales durant la préparation des carcasses dans les abattoirs. Ces bactéries peuvent également être transmises par contact avec les animaux ou indirectement par d’autres voies. Les bactéries du genre Campylobacter et Salmonella sont les principales bactéries responsables de gastroentérites d’origine zoonotique et la viande fait partie des sources de contamination de l’Homme. En général, les diarrhées bactériennes zoonotiques de gravité faible ou modérée ne sont habituellement pas traitées avec des antibiotiques. Les patients âgés, bactériémiques ou les malades à risque de complication peuvent cependant être traités avec des antibiotiques. Le fait que ces bactéries d’origine zoonotique soient résistantes aux antibiotiques peut avoir plusieurs conséquences (152) : i) On peut assister à un échec thérapeutique. ii) Les bactéries zoonotiques résistantes seraient à l’origine d’infections plus invasives et d’une augmentation de la mortalité des patients. iii) Si des bactéries zoonotiques résistantes contaminent un individu soumis à une antibiothérapie, elles auront un avantage sélectif pour coloniser le tube digestif de cet individu. En termes de santé publique, le premier enjeu de l’utilisation des antibiotiques chez les animaux est donc de limiter leur impact sur l’émergence et la sélection de bactéries zoonotiques résistantes dans leur tube digestif. 1.5.4.2. Emergence de bactéries commensales résistantes Le traitement antibiotique peut aussi permettre l’émergence ou la sélection de bactéries commensales résistantes dans le tube digestif. 57 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Ecosystème intestinal et antibiothérapie La dissémination des déterminants génétiques de la résistance portés par une bactérie commensale peut être considérable puisque la résistance peut être transférée verticalement (à la descendance) ou horizontalement (aux autres lignées bactériennes) si ces déterminants génétiques sont situés sur des éléments génétiques mobiles. Ces échanges peuvent survenir entre souches résidentes de la flore intestinale provenant d’espèces identiques, différentes voire éloignées (227). Le tube digestif des animaux devient alors un réservoir de gènes de résistance à l’antibiotique administré. Les bactéries commensales d’origine animale peuvent potentiellement se retrouver dans le tube digestif de l’Homme et même si elles n’y sont que de façon transitoire, elles peuvent alors éventuellement transférer des gènes aux bactéries commensales humaines. L’écosystème intestinal humain se trouverait donc enrichi de déterminants génétiques de résistance d’origine animale, potentiellement transmissibles à des bactéries pathogènes (197). Une étude récente de Johnson et al. a montré une grande similarité entre les E. coli résistantes retrouvées chez l’Homme (bactériémie ou fèces) et les E coli sensibles et résistantes retrouvées dans les fèces de poulet alors qu’ils observaient une différence phylogénétique entre les souches sensibles et résistantes chez l’Homme ce qui les a conduit à l’hypothèse d’une contamination via la chaîne alimentaire (111). 1.5.5. Impact de l’utilisation des fluoroquinolones sur la flore commensale 1.5.5.1. Etude chez les animaux Il existe peu d’études sur l’effet direct de l’utilisation des fluoroquinolones sur la flore commensale chez l’animal. Chez le porc, il a été montré qu’un traitement à l’enrofloxacine par voie orale ou intramusculaire aux doses usuelles entraînait un développement rapide de la population coliforme résistante aux fluoroquinolones quelle que soit la voie d’administration et que cette résistance persistait durant au moins deux semaines après l’arrêt du traitement (234). Cette étude a été confirmé lors de traitement de truies par la fluméquine. Ce traitement a entraîné une augmentation de la sous-population d’E. coli résistante aux fluoroquinolones chez les truies ainsi que dans leur descendance, mais dans une moindre mesure. Cette émergence d’E. coli résistantes aux fluoroquinolones n’a été que transitoire et la flore sensible aux fluoroquinolones a été restaurée dans les 2 mois qui ont suivi l’arrêt du traitement (15). Ces résultats sont en contradiction avec ceux de Pultz et al. (182) qui observent chez des souris traités aux fluoroquinolones la suppression des bactéries à Gram négatif de la flore intestinale mais pas d’émergence de résistance au sein de cette population (182). 58 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Ecosystème intestinal et antibiothérapie 1.5.5.2. Etude chez l’Homme De nombreuses études in vitro et in vivo ont révélé l’impact des fluoroquinolones sur la flore bactérienne intestinale humaine. Les fluoroquinolones ont un effet négatif variable sur la flore commensale aérobie et anaérobie avec un retour plus ou moins rapide au niveau basal à l’arrêt du traitement (28, 198). Les auteurs de ces études ont notamment observé un effet marqué de la lévofloxacine sur la flore aérobie à Gram négatif, comme cela avait déjà été décrit par Edlund et al. (62). In vitro, Carman et al. (28) ont montré que même de faibles doses de ciprofloxacine entraînaient une diminution de la population d’E. coli et de Bacteroides fragilis mais qu’elles avaient un impact limité sur la population d’entérocoques. L’utilisation de fluoroquinolones est également un facteur de risque de portage fécal de bacilles à Gram négatif résistants (189, 237). L’utilisation des quinolones peut sélectionner des souches E. coli résistantes particulièrement lorsqu’elles sont utilisées en prophylaxie chez les patients neutropéniques ou pour le traitement d’infections urinaires (29, 94, 171). Dans leur étude Carman et al. (28) ont observé, au cours du traitement, l’émergence de bactéries résistantes de façon importante pour la population de Bacteroides fragilis mais de façon sporadique pour la population d’E. coli. Ces résultats ont été confirmés par différentes études réalisées chez des volontaires sains qui ont montré que l’émergence de bactéries à Gram négatif résistantes au cours d’un traitement aux fluoroquinolones était rare (62, 65, 214). Différents facteurs, telle que les expositions répétées aux fluoroquinolones ou une colonisation préexistante du tractus intestinal pourraient expliquer l’émergence de bacilles résistants à Gram négatif observée dans différentes études (35, 95, 108, 147, 159, 170, 214, 231). Certains auteurs suggèrent également que la colonisation du tube digestif de l’Homme par des bacilles à Gram négatif pourrait se produire via la chaîne alimentaire en se basant sur certaines données telle une étude portant sur 455 enfants n’ayant jamais été traités par des fluoroquinolones montrant que 3.1% d’entre eux étaient porteurs de bactéries à Gram négatif résistantes à la ciprofloxacine (184). 59 60 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Les modèles d’études de la flore intestinale 1.6. Les modèles d’études de l’impact des antibiotiques sur la flore intestinale La majorité des vertébrés naissent sans aucune flore et ils acquièrent une flore intestinale très rapidement après la naissance. La nature complexe et dynamique de l’écosystème intestinal en fait un écosystème très difficile à étudier. En effet, il est difficile de reproduire un milieu dans lequel plus de 400 espèces bactériennes ont été comptabilisées, d’autant plus qu’environ 40% d’entre elles ne sont pas cultivables en laboratoire. Il existe cependant différents modèles d’études in vitro ou in vivo plus ou moins complexes qui permettent d’évaluer l’impact des antibiotiques sur la flore commensale du tube digestif. 1.6.1. Paramètres étudiés Lors de l’évaluation de l’impact d’une antibiothérapie sur la flore du tube digestif différents points peuvent être étudiés : Le premier paramètre étudié est le dénombrement et le suivi dans le temps des différentes populations bactériennes présentes ainsi que le suivi des marqueurs biochimiques du métabolisme bactérien. L’évolution de ces paramètres est étudiée au cours du traitement puis après l’arrêt de celui-ci. Comme nous l’avons vu précédemment, une perturbation de l’équilibre de la flore du tube digestif peut entraîner la croissance d’une population pathogène endogène maintenu à un niveau très faible ou la colonisation du tube digestif par un pathogène exogène ingéré. Ces perturbations peuvent être mesurées par des études de « challenge ». Elles consistent à administrer par voie orale aux animaux, traités ou ayant été traités par un antibiotique, une bactérie exogène et à rechercher ensuite si celle-ci s’implante dans le tube digestif des animaux ou si elle est éliminée. Les tests de challenge peuvent être également réalisés in vitro. Le dernier paramètre important étudié est l’émergence de bactéries résistantes dans le tube digestif. Pour cela un suivi des CMI des différentes populations peut être effectué au cours du traitement puis après l’arrêt de celui-ci. 1.6.2. Les modèles in vitro Il existe différents types de modèles d’études in vitro de la flore intestinale, les modèles statiques, les systèmes de culture en fermenteur, ou bioréacteur, semi continus et continus. 61 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Les modèles d’études de la flore intestinale Les modèles statiques consistent à placer une suspension de fèces dans une atmosphère anaérobie. Ce sont des modèles très simples mais qui ne permettent que de très courtes études (sur 1 ou 2 h) étant donné les changements très rapides des conditions du milieu de culture (pH, potentiel rédox, …). Les systèmes de culture semi-continus consistent en un compartiment placé en condition anaérobie stricte à l’intérieur duquel se trouve un milieu de culture s’approchant de la composition du milieu intestinal. Le pH et la température de ce milieu de culture sont continuellement contrôlés et il est renouvelé régulièrement mais de façon discontinue. Ce système a été mis au point pour l’étude de la flore du colon humain par Miller et al. en 1981 (150). Les systèmes de culture à flux continus ont d’abord été développés par Slyter et al. dans les années 60 afin d’étudier les populations bactériennes du rumen (206). Plus tard, Veilleux et al. en 1981 ont développé sur le même principe un modèle permettant d’étudier la microflore du rat (228), puis Edwards et al. en 1985 ont transposé le modèle afin d’étudier la microflore humaine. Ce système de culture à flux continu reprend le principe du système de culture semi-continu. La différence se situe au niveau du taux de renouvellement du milieu de culture qui dans le cas d’un système continu est renouvelé en permanence afin de reproduire le flux intestinal. Ce flux continu permet de maintenir une population bactérienne à peu près constante, l’hypothèse étant que la persistance de la population bactérienne dépend uniquement de la différence entre le taux de croissance et le taux d’élimination du système. Ce modèle a été amélioré par Gibson et al. en 1988 qui l’ont complété en reliant trois compartiments distincts afin de reproduire les principales conditions nutritionnelles et environnementales que l’on peut retrouver dans le colon proximal et distal humain (88). Que ce soit un modèle de culture à flux semi-continu ou continu, le milieu peut être inoculé par des bactéries particulières, ou alors par une flore totale provenant de fèces humains ou animaux. L’ensemble des avantages et des limites de ces modèles in vitro ont fait l’objet d’une revue par Rumney et al. en 1992 (194). Comme tous les modèles in vitro les principales limites de ces modèles sont dues à l’absence d’intégration dans le système physiologique. Premièrement, le milieu de culture utilisé, bien que complexe, reste une simplification de la diversité des nutriments présents dans le tube digestif. Il manque notamment à ce milieu les mucines ainsi que les cellules desquamées de la muqueuse digestive. Deuxièmement, les bactéries présentes dans le milieu ne se trouvent pas dans leur « habitat naturel », elles sont en suspension dans le système alors que dans le système digestif une partie des bactéries adhèrent à la muqueuse intestinale et sont alors protégées par les sécrétions intestinales (93). Ceci peut entraîner, in vitro, une plus forte exposition des bactéries à l’antibiotique, d’autant plus que, contrairement à ce qui se passe in vivo, l’antibiotique ne peut pas se lier à 62 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Les modèles d’études de la flore intestinale la matière fécale dans le modèle in vitro (63). Enfin, ces modèles ne prennent pas en compte les facteurs tels que l’immunologie intestinale et l’absorption des métabolites bactériens ou de l’eau, ce dernier point a pour conséquence que ces modèles correspondent plutôt à un modèle de diarrhée. Malgré les limites qui viennent d’être évoquées, les modèles de culture à flux continu reproduisent de façon intéressante une partie des relations présentes in vivo entre la microflore et le système intestinal (84). De plus, ils apportent une grande flexibilité aux études sur la flore. En effet, ils permettent d’utiliser des substances toxiques ou radioactives ce qui est difficile in vivo. Ils permettent également de contrôler un certain nombre de facteurs environnementaux comme le pH, la disponibilité du substrat et la vitesse du flux. Enfin leur principal avantage pour l’étude de l’impact d’un traitement antibiotique est de pouvoir suivre en temps réel à la fois la composition bactérienne de la flore et la quantité d’antibiotique présente au contact des bactéries, ainsi que la sensibilité des bactéries à cet antibiotique. 1.6.3. Les études cliniques chez l’Homme Les modèles d’études les plus complets sur l’impact des antibiotiques sur la flore commensale intestinale sont bien entendus ceux réalisés sur flore totale. Ces études peuvent être effectuées sur des volontaires sains (77, 163) ou sur des patients malades (29, 94). L’avantage principal de ces études est évidemment d’obtenir des résultats en « conditions réelles », particulièrement pour les études réalisées sur des patients malades, sans toutes les limites inhérentes aux études in vitro ou in vivo. Cependant ces études présentent également des limites, dont la principale concerne la difficulté d’interprétation des résultats étant donné la grande variabilité interindividuelle de la flore, mais également une variabilité inter-jour chez un même individu. Cela entraîne la nécessité d’avoir une cohorte de volontaires ou de patients importante et qui doit être suivie sur un intervalle de temps assez long. Un deuxième point limitant pour ces études est la difficulté du contrôle de l’environnement lié au risque de contamination des individus par la nourriture (contamination microbiologique ou en présence de résidus antibiotiques), ou entre individus (contamination croisée) (194). Enfin, les difficultés techniques de ces approches sont importantes et limitent le plus souvent la prospection à quelques bactéries. 63 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Les modèles d’études de la flore intestinale 1.6.4. Les modèles animaux à flore totale (conventionnels) L’étude de l’impact des antibiotiques sur la flore commensale intestinale peut être effectuée sur la flore d’animaux conventionnels (rongeurs ou porcs le plus souvent) sains (15, 109, 215) ou malades (90). Par rapport aux études cliniques chez l’Homme, les études sur les animaux conventionnels permettent d’avoir un environnement et une nourriture contrôlée ce qui permet de limiter les variations inter et intra-individuelles de la flore. Elles permettent également l’étude de la flore lors de situation physiopathologique précise lorsque les études sont réalisées sur des modèles animaux atteints de certaines pathologies comme le diabète par exemple. Cependant, on retrouve les mêmes limites pour les modèles animaux conventionnels que celles rencontrées lors des études cliniques chez l’Homme. En plus des différents points énoncés dans le paragraphe 1.6.3., il est important de noter que la microflore des animaux de laboratoire est différente de celle de l’Homme ou de l’espèce cible de l’antibiotique. Les résultats obtenus sont donc difficilement extrapolables à l’Homme ou à l’espèce cible. Enfin, à notre connaissance, une seule étude a évalué l’impact d’un traitement antibiotique sur la flore d’animaux infectés (90) or comme nous l’avons vu précédemment, le statut physiopathologique de l’animal peut faire varier les conclusions quant à l’impact de l’antibiothérapie sur la flore commensale. 1.6.5. Les modèles animaux à flore contrôlée ou gnotoxénique En plaçant des cobayes et des souris nés par césarienne en milieu stérile et en les alimentant avec de la nourriture stérile, Cohendy fut le premier à montrer, dès 1912, que la vie était possible sans « microbes » (38). Ces animaux, qui ne sont confrontés à aucune flore sont stériles et sont dit axéniques (du grec xénos = étranger et "a" privatif). Ce n’est que plus tard, en 1928, que des lignées d’animaux axéniques ont été développées et que l’étude de la flore commensale sur ce modèle animal a débuté. Les colonies d’animaux axéniques sont le plus souvent des rongeurs. Après naissance par césarienne, ils sont maintenus dans des isolateurs souples stériles (Figure 13) à l’abri des bactéries, champignons, protozoaires et virus. Il est également possible d’obtenir des porcelets et des poussins axéniques et de les maintenir en animalerie stérile. La capacité de garder des animaux axéniques fournit un modèle très intéressant pour la manipulation et la simplification de l’écosystème bactérien. Les animaux axéniques peuvent être colonisés par une (monoxénique), deux (dixénique) ou plusieurs espèces bactériennes ils deviennent alors gnotoxéniques (du grec gnotos = connu et bio = la vie). Les 64 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Les modèles d’études de la flore intestinale animaux gnotoxéniques ont donc une flore connue et contrôlée qui est facile à étudier. On peut également implanter chez ces animaux une flore plus complexe animale ou humaine. Dans le cas de l’implantation d’une flore humaine, les animaux sont dits HFA pour « Human Flora Associated » (174). Il est également possible d’implanter une flore d’origine porcine, les animaux sont alors appelés PFA (Pig Flora Associated) (102), ou encore une flore de poulet (185). Figure 13 : Isolateurs souples pour l’élevage d’animaux axéniques L’intérieur de l’isolateur est ventilé sous pression positive avec un filtre à air HEPA (High Efficiency Particulate Air Filter) (A), les animaux sont manipulés à l’intérieur de l’isolateur à l’aide de gants (B). Une double porte latérale (C) formant un sas permet de faire entrer des éléments stériles (eau, nourriture, instrument, …) dans l’isolateur. La comparaison entre des souris qui ont été colonisées de façon conventionnelle et celles qui ont été maintenues axéniques a révélé une action de la microflore sur la maturation de l’intestin (16). Chez les animaux axéniques on observe des variations anatomiques, physiologiques et biochimiques attribuées à l’absence de microflore. Smith et al. en 2007, ont réalisé une revue très complète sur les principales différences entres les animaux axéniques et conventionnels (207). Les différences observées montrent notamment une atteinte du système immunitaire, une réduction du profil d’expression des gènes de la muqueuse épithéliale intestinale notamment pour les gènes contribuant à la sur-régulation de la sécrétion de substances antibactériennes à la surface intestinale ainsi que pour les gènes centraux de la régulation du métabolisme et diminution du métabolisme ainsi que du volume sanguin. Ceci pourrait entraîner des variations des paramètres pharmacocinétiques plasmatiques chez les animaux axéniques. Si les animaux gnotoxéniques sont intéressants pour l’investigation de la flore commensale, il faut garder à l’esprit que ce modèle est un système simplifié. Dans la plupart des études une ou deux souches bactériennes seulement sont implantées et le plus souvent il n’y a pas de population anaérobie. Or celle-ci peut jouer un rôle très important dans la prévention de l’émergence de bactéries résistantes comme nous l’avons vu paragraphe 1.5.2. Le statut gnotoxénique peut également avoir un impact sur la flore implantée. Par 65 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Les modèles d’études de la flore intestinale exemple, une diminution du temps de génération a été observée pour la souche E. coli BJ4 par Rang et al. dans un modèle monoxénique par rapport à la même souche implantée chez des souris conventionnelles (187). Bien que ce modèle ait certaines limites, les animaux gnotoxéniques sont un excellent modèle d’étude. Ils permettent d’étudier une flore plus ou moins complexe, humaine ou animale sans les variabilités dues à l’environnement et l’alimentation, (contaminations microbiologique, présence de résidus d’antibiotiques) mais tout en conservant les conditions écologiques intestinales proches de celles du sujet, Homme ou animal, étudié. En effet, plusieurs études ont montré que la flore implantée restait comparable à la flore administrée et que les conditions écologiques intestinales de la souris reproduisent celles présentes chez l’Homme (98, 141). Cependant si à ce jour plusieurs études sur l’impact des antibiotiques sur la flore commensale ont été réalisées chez ces animaux, à notre connaissance, aucune n’a pris en compte le facteur infectieux. En effet, les études sont toujours réalisées sur des animaux non malades or, comme nous l’avons déjà vu dans le paragraphe 1.4.3. l’état physiopathologique de l’animal peut influencer les résultats de la cinétique de l’antibiotique et donc l’impact des antibiotiques sur la flore commensale. 66 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Conclusions et objectifs de la thèse 1.7. Conclusions et objectifs de la thèse La synthèse bibliographique a mis en évidence que la sélection de bactéries résistantes chez l’animal lors d’un traitement antibiotique pouvait avoir des conséquences importante sur la santé publique humaine et que les différentes modalités de traitement, curative ou métaphylactique, pouvaient influencer l’émergence de ces résistances. L’objectif de ce travail de thèse a donc été d’évaluer l’implication de ces différentes modalités de traitement dans l’émergence de bactéries résistantes. Différents schémas posologiques ont été étudiés afin d’évaluer l’émergence de bactéries résistantes lors d’une antibiothérapie vétérinaire aussi bien au niveau du site infectieux qu’au niveau de la flore commensale du tube digestif de l’animal. Nous avons choisi de travailler avec un modèle de rats gnotoxéniques afin de pouvoir étudier simultanément au niveau du site infectieux et de la flore commensale du tube digestif l’impact d’un traitement antibiotique sur l’émergence de bactéries résistantes. En effet, une étude sur animaux gnotoxéniques de taille plus importante (tel que des porcs) était plus difficilement envisageable matériellement. Nous nous sommes intéressés dans ce travail à l’impact des fluoroquinolones car l’utilisation de cette classe d’antibiotique est en expansion aussi bien en médecine humaine que vétérinaire en raison de l’émergence d’un grand nombre de bactéries résistantes aux autres substances antibiotiques. Dans ce contexte, il serait judicieux de développer une stratégie qui permette de limiter l’émergence et la dissémination de bactéries résistantes aux fluoroquinolones afin de préserver l’efficacité de ces substances. Les objectifs de cette thèse ont été : de déterminer l’impact des différentes modalités d’antibiothérapie, curative ou métaphylactique, sur l’émergence de bactéries résistantes. de déterminer les indices PK/PD associés à la prévention de l’émergence de résistance. d’évaluer l’impact de différents schémas posologiques d’une fluoroquinolone sur l’émergence de bactéries résistantes au niveau de la flore commensale digestive dans un modèle d’infection. Dans la première partie de ce travail expérimental (Chapitre 2), nous avons développé un modèle d’infection pulmonaire chez le rat permettant de reproduire les modalités de traitement antibiotique de type curatif ou métaphylactique. Nous avons ensuite testé, sur ce modèle, différents schémas posologiques de marbofloxacine afin de mieux 67 Chapitre 1 – Etude bibliographique : Conclusions et objectifs de la thèse comprendre les relations PK/PD associées à l’émergence de bactéries résistantes aux fluoroquinolones. Dans une seconde partie de ce travail (Chapitre 3), nous avons transposé ce modèle à des animaux axéniques chez qui nous avons implanté deux souches bactérienne issue d’une flore d’origine porcine. Ceci nous a permis d’évaluer dans le cadre d’une antibiothérapie de type curatif ou métaphylactique, l’impact de différents schémas posologiques de marbofloxacine sur l’émergence de bactéries résistantes dans la flore commensale d’animaux atteints d’une infection pulmonaire. 68 Chapitre 2 ETUDE EXPERIMENTALE Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 69 70 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène CHAPITRE 2 - ETUDE EXPERIMENTALE 2. Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène Cette partie s’appuie sur l’article : « Influence of Inoculum Size and Marbofloxacin Plasma Exposure on the Amplification of Resistant Subpopulations of Klebsiella pneumoniae in a Rat Lung Infection Model. » paru dans le journal Antimicrobial Agents and Chemotherapy (voir paragraphe 2.7.). 2.1. Introduction Dans ce chapitre, nous avons voulu comparer l’impact d’un traitement de type métaphylactique et d’un traitement de type curatif sur le devenir d’une infection et l’émergence de résistance dans un modèle d’infection pulmonaire chez le rongeur. Pour réaliser cette étude nous avons commencé par caractériser la bactérie utilisée pour l’infection. Nous avons ensuite développé un modèle reproductible d’infection pulmonaire chez le rat initié par deux inoculum de tailles différentes, une faible et une forte afin de reproduire la charge bactérienne présente à l’initiation d’un traitement métaphylactique (faible charge) ou curatif (forte charge). Sur ce modèle nous avons testé différentes doses de marbofloxacine selon deux modalités d’administration. Enfin nous avons étudié la pharmacocinétique de la marbofloxacine dans les conditions précises de notre modèle afin de déterminer l’indice PK/PD le plus prédictif de l’émergence de bactéries résistantes. Les résultats obtenus au cours de ces différentes études seront présentés dans 4 parties distinctes avant d’être discutés dans la dernière partie de ce chapitre. 71 72 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 2.2. Etude de la bactérie utilisée 2.2.1. Problématique et objectifs Chaque souche bactérienne a sa propre sensibilité face à un antibiotique donné ce qui va conditionner les résultats des analyses PK/PD. L’objectif de cette étude était de déterminer in vitro les paramètres de croissance, la concentration minimale inhibitrice (CMI) de marbofloxacine ainsi que la concentration de marbofloxacine prévenant l’apparition de premiers mutants (MPC) de la souche qui servira pour l’initiation du modèle d’infection pulmonaire chez le rat : Klebsiella pneumoniae ATCC43816 (KP). 2.2.2. Matériels et méthodes 2.2.2.1. Courbe de croissance in vitro de Klebsiella pneumoniae ATCC43816 Trois suspensions de KP (C1, C2 et C3) contenant 105 CFU/mL réalisées dans du bouillon Mueller Hinton (MH) ont été placées à l’étuve à 37°C. A t = 0, 1h, 2h, 3h, 4h, 5h, 6h, 8h, 10h, 14h, 16h, 18h, 20h, 22h, 24h et 36h un dénombrement bactérien a été réalisé. Le dénombrement des bactéries a été réalisé à partir d’un prélèvement de 100µL qui a été dilué plusieurs fois au 10ème. Dix microlitres de chaque dilution ont ensuite été déposés sur une gélose MH sans antibiotique (3 dépôts par dilution). Après une incubation de 18 h à 37°C, les colonies formées à l’emplacement de chaque dépôt ont été comptées si leur nombre était inférieur à 15. La moyenne du nombre de colonies des 3 dépôts issus de la même dilution a ensuite été calculée et multipliée par le facteur de dilution afin d’obtenir le nombre de bactéries par millilitre. La limite de détection était de 100 CFU/mL. 2.2.2.2. Evaluation de la sensibilité de Klebsiella pneumoniae ATCC43816 Détermination de la Concentration Minimale Inhibitrice (CMI) La détermination de la CMI de la marbofloxacine a été réalisée dans du bouillon Mueller-Hinton (MH) selon la méthode de microdilution préconisée par le CLSI (Clinical and Laboratory Standards Institute). Un inoculum de 5.105 CFU/mL a été mis en contact avec une gamme de concentrations d’antibiotiques obtenue par une série de dilutions au demi. La CMI a été fixée en considérant la concentration minimale en marbofloxacine qui a inhibé 73 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène toute croissance visible après une incubation de 18 heures à 35°C. La détermination de la CMI pour la marbofloxacine a été réalisée 3 fois, lors d’expériences indépendantes. Détermination de la Concentration prévenant les mutants (MPC) La concentration prévenant les premiers mutants a été déterminée selon une méthode précédemment décrite (21). Des colonies de K. pneumoniae ensemencées la veille sur une gélose MH ont été mises en suspension dans 150 mL de bouillon MH. Après une incubation à 37°C pendant 18 h, la suspension a été centrifugée à 3000 g pendant 10 minutes. Le surnageant a été éliminé et les bactéries ont été lavées 2 fois dans 20 mL de NaCl à 0.9% avant d’être reprises dans 1.5 mL de NaCl. La suspension obtenue contenait environ 1011 CFU/mL. Cent microlitres de cette suspension (correspondant à un inoculum de 1010 CFU) ont ensuite été ensemencées sur des géloses MH supplémentées avec différentes concentrations de marbofloxacine (2 géloses pour chaque concentrations). Après 48 h d’incubation à 37°C, les colonies qui se sont développées sur les géloses ont été dénombrées. La MPC a été fixée en considérant la concentration minimale en marbofloxacine nécessaire pour qu’aucune colonie ne se développe. La détermination de la MPC pour la marbofloxacine a été réalisée 3 fois, lors d’expériences indépendantes. 2.2.3. Résultats 2.2.3.1. Courbe de croissance Les résultats de la courbe de croissance ont montré une phase de latence de la bactérie entre 0 et 1 h suivie d’une phase de croissance exponentielle de la population bactérienne entre 1 et 6 h puis d’une phase stationnaire autour de 109CFU/mL, 6 h après la mise en culture (Figure 14). 2.2.3.2. Etude de sensibilité La CMI et la MPC de KP ATCC 43816 pour la marbofloxacine ont été évaluées à 0.032 µg/mL et 0.256 µg/mL respectivement. 74 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 1010 CFU/mL 108 106 104 102 0 4 8 12 16 20 24 28 32 36 40 temps (h) C1 C2 C3 Figure 14 : Croissance in vitro de Klebsiella pneumoniae ATCC 43816 Croissance de Klebsiella pneumoniae ATCC 43816 sur 36 h à partir de 3 inoculums de 105 CFU/mL C1, C2 et C3) dans du bouillon MH. Les résultats des 3 inoculums sont représentés (C1, C2 et C3). Les 3 phases caractéristiques de la croissance (latence, exponentielle, stationnaire) peuvent être observées. 2.2.4. Conclusions La croissance de la souche KP ATCC 43816 est rapide (temps de latence dans le bouillon MH < à 2 h). La CMI ainsi que la MPC de cette souche pour la marbofloxacine sont peu élevées par rapport aux valeurs du CLSI (0.032 µg/mL et 0.256 µg/mL respectivement) ce qui indique que cette souche bactérienne est sensible à la marbofloxacine. 75 76 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 2.3. Impact de la charge bactérienne sur l’émergence de bactéries résistantes à la marbofloxacine 2.3.1. Problématique et objectifs Lors d’une antibiothérapie préventive ou curative la taille de la charge bactérienne présente à l’initiation du traitement varie et différentes études in vitro ont montré l’impact de la taille de l’inoculum sur l’activité des fluoroquinolones. Or, la plupart des études in vivo pour évaluer l’activité des fluoroquinolones ont été menées sur des animaux infectés par une seule taille d’inoculum bactérien. Il nous a donc paru nécessaire de vérifier l’impact de ces deux modalités thérapeutiques sur un modèle in vivo. Il n’existait aucun modèle d’infection pulmonaire de rongeurs maitrisé dans le laboratoire, nous avons donc fait le choix de réaliser cette étude sur un modèle précédemment décrit : une infection pulmonaire chez le rat par KP. Nous avons choisi de ne pas immunodéprimer les animaux afin d’avoir un modèle le plus représentatif des infections naturelles. Dans cette étude nous avons voulu évaluer l’impact de différents schémas posologiques de marbofloxacine sur l’émergence de bactéries résistantes lors d’une antibiothérapie curative ou métaphylactique. D’autre part, le concept de « one shot » a été récemment développé en médecine vétérinaire. Il consiste à traiter les animaux en administrant en une seule fois l’équivalent de la dose administrée habituellement sur plusieurs jours. Par exemple, pour la marbofloxacine la dose usuelle de 2 mg/kg pendant 4 jours est remplacée par une dose unique de 8 mg/kg. Nous avons donc comparé l’impact de cette modalité d’administration de l’antibiotique et l’administration classique répétée sur l’émergence de bactéries résistantes au cours du traitement. L’objectif de cette étude était double : i) Développer, un modèle reproductible d’infection pulmonaire initiée par différentes charges de KP chez le rat afin de reproduire les conditions présentes à l’initiation d’une antibiothérapie curative ou métaphylactique. ii) Evaluer dans ce modèle d’infection l’influence de différents schémas posologiques de marbofloxacine sur l’émergence de bactéries résistantes. 2.3.2. Matériels et méthodes 2.3.2.1. Bactéries et antibiotique La bactérie Klebsiella pneumoniae ATCC 43816 a été utilisée pour réaliser les infections pulmonaires. 77 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène L’antibiotique utilisé a été la marbofloxacine sous forme de poudre, aimablement fournie par le laboratoire Vetoquinol (Lure, France) pour la phase in vitro et le MarbocylND 10% (Vetoquinol, Lure, France) pour le traitement des animaux. 2.3.2.2. Préparation de l’inoculum bactérien Quelques colonies de KP ont été ensemencées dans 50 mL de bouillon MH. La suspension obtenue a été placée à l’étuve pour la nuit puis centrifugée à 3000 g pendant 10 minutes. Les bactéries ont ensuite été remises en suspension dans du NaCl 0.9% afin d’obtenir une suspension finale contenant 21010 CFU/mL. Cette suspension correspondant au grand inoculum a ensuite été diluée au 10 000ème afin d’obtenir la suspension correspondant au petit inoculum de 2106 CFU/mL. La taille de chaque inoculum ainsi que sa composition en bactéries résistantes a été vérifiée de la même façon que pour les bactéries prélevées dans les poumons (voir paragraphe 2.3.2.6., Etude bactériologique). 2.3.2.3. Animaux Pour cette étude, des rats mâles OFA (Charles River, L’arbresle, France), pesant de 200 à 270g ont été utilisés. Les animaux ont été hébergés à 2 ou 3 par cage à température ambiante avec un cycle jour/nuit de 12 h. Une période d’acclimatation d’au moins 2 semaines avant le début de l’expérimentation a été respectée. Les animaux ont eu un accès libre à la nourriture (Harlan, T2014, Gannat, France) et à l’eau. 2.3.2.4. Infection pulmonaire par Klebsiella pneumoniae L’infection pulmonaire par Klebsiella pneumoniae a été réalisée selon la méthode précédemment décrite par Bakker-Wounderberg et al. (10). Les animaux ont été anesthésiés avec un mélange kétamine / médétomidine (ImalgenND 1000, Merial SAS, Villeurbanne, France / DomitorND, Pfizer, Paris, France). La trachée a été canulée et les poumons ont été inoculés avec 0.05 mL de la suspension saline contenant 2 106 CFU/mL KP, soit un inoculum de 105 CFU in toto (Groupe A) ou de la suspension saline contenant 2 1010 CFU/mL KP, soit un inoculum de 109 CFU in toto (Groupe B). Pour chaque groupe (A et B), 4 animaux témoins n’ont reçu aucun traitement antibiotique et 3 animaux témoins ont été sacrifiés juste avant le début du traitement à la 78 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène marbofloxacine afin d’obtenir la quantité moyenne de bactéries contenues dans les poumons au moment de l’initiation du traitement. 2.3.2.5. Traitement Antibiotique Le traitement à la marbofloxacine (MarbocylND, Vetoquinol, Lure, France) a débuté 4 h (Groupe A) ou 24 h (Groupe B) après l’inoculation de KP dans les poumons. La marbofloxacine a été administrée par voie sous cutanée dans un volume de 0.3 mL. Les animaux ont été traités suivant deux modalités d’administration : la dose de marbofloxacine a été administrée en une seule prise ou divisée en 4 administrations sur 4 jours. Pour le groupe A, une dose unique de marbofloxacine de 16 mg/kg a été testée selon les deux modalités d’administration. Pour le groupe B, 3 doses de marbofloxacine ont été testées selon les deux modalités d’administration : 16, 64 et 100 mg/kg. Les animaux ont été euthanasiés par une injection intrapéritonéale de pentobarbital sodique (DolethalND, Vetoquinol, France) 96 h après l’initiation du traitement à la marbofloxacine. Les poumons ont alors été prélevés de manière stérile et homogénéisés dans 10 mL de NaCl 0.9%. Les homogénats obtenus ont été centrifugés 10 min à 3000g puis lavés deux fois dans du NaCl 0.9% afin d’éliminer les traces éventuelles d’antibiotique. Chaque groupe de traitement était composé de 10 à 12 rats. 2.3.2.6. Etude bactériologique Afin de dénombrer la population bactérienne totale dans les poumons, les homogénats de poumons ont été dilués successivement au 10ème et les différentes dilutions ont été déposées sur des géloses MH sans antibiotique, contenant 10% de charbon actif et 10% de sulfate de magnésium utilisés pour piéger l’antibiotique; 3 dépôts de chaque dilution ont été réalisés pour chaque animal. Pour le dénombrement des sous-populations bactériennes résistantes dans les poumons, 100 µL de chaque homogénat de poumons, non dilués, ont été ensemencés sur des géloses Mac Conkey supplémenté avec 0.064 µg/mL ou 0.256 µg/mL de marbofloxacine. Pour chaque concentration de marbofloxacine 2 géloses ont été ensemencées. Le dénombrement des bactéries totales a été effectué après une nuit d’incubation à 37°C comme décrit paragraphe 2.2.2.1. Le dénombrement des bactéries résistantes a été effectué après 24 h d’incubation à 37°C. Si les colonies étaient trop petites, l’incubation était poursuivie pendant 24 heures. La moyenne du nombre de colonies des 2 boîtes issues du 79 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène même homogénat a été calculée afin d’obtenir le nombre de bactéries par poumons. La limite inférieure de détection a été de 100 CFU/poumons, les bactéries ont été considérées comme étant éradiquées en dessous de ce seuil. Les bactéries se développant en présence de 0.064 µg/mL de marbofloxacine ont été nommées R-2×MIC et celles se développant en présence de 0.256 µg/mL ont été nommées R-8×MIC. La proportion de bactéries résistantes pour chaque sous-population (R-2MIC et R8MIC) a été calculée en divisant le nombre de bactéries résistantes se développant sur les géloses additionnées de 0.064 ou 0.256 µg/mL de marbofloxacine par le nombre de bactéries totales se développant sur gélose sans antibiotique. 2.3.3. Résultats 2.3.3.1. Infection par le petit inoculum - 105CFU Les populations bactériennes totales qui ont été retrouvées dans les poumons des animaux témoins du groupe A (105 CFU) 4 h et 96 h après l’inoculation de KP, ainsi que les pourcentages d’animaux porteurs de bactéries résistantes R-2MIC et R-8MIC sont présentées dans le Tableau 3. Les petits inoculums (2 × 106 CFU/mL) qui ont servi pour l’inoculation des animaux du groupe A n’ont jamais contenu de bactéries résistantes à 0.064 ou 0.256 µg/mL de marbofloxacine au moment de l’inoculation dans les poumons. A l’initiation du traitement antibiotique (4h après l’inoculation de KP), la population bactérienne dans les poumons des animaux infectés par le petit inoculum a été, en moyenne, de 5.4±0.1 log10 CFU/poumon. Dans cette population nous n’avons retrouvé aucune bactérie résistante à 0.064 ou 0.256 µg/mL de marbofloxacine. Les 3 animaux témoins non traités ont présenté, 4 jours après l’infection, une charge bactérienne comprise entre 4.2 et 11.2 log10 CFU/poumon. 2.3.3.2. Infection par le grand inoculum -109CFU Les populations bactériennes totales qui ont été retrouvées dans les poumons des animaux témoins du groupe B (109 CFU) 4 h et 96 h après l’inoculation de KP, ainsi que les pourcentages d’animaux porteurs de bactéries résistantes R-2MIC et R-8MIC sont présentées dans le Tableau 3. Les grands inoculums (2 × 1010 CFU/mL) qui ont servi pour l’inoculation des animaux du groupe B contenaient entre 2.1 et 5.0 log10 CFU/mL résistantes à 0.064 µg/mL de marbofloxacine et entre 1.1 et 2.2 log10 CFU/mL résistantes à 0.256 µg/mL. 80 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène A l’initiation du traitement antibiotique (24 h après l’inoculation de KP), la population bactérienne totale dans les poumons des animaux infectés par le grand inoculum était en moyenne de 10±0.4 log10 CFU/poumon. Dans cette population nous avons retrouvé entre 3.2 et 3.4 log10 CFU/poumon résistantes à 0.064 µg/mL de marbofloxacine (R-2×MIC) et entre 2.75 et 3.06 log10 CFU/poumon résistantes à 0.256 µg/mL de marbofloxacine (R-8×MIC). En prenant en compte le nombre total de bactéries et le nombre de bactéries résistantes R2×MIC et R-8×MIC à l’initiation du traitement antibiotique, nous avons calculé que les proportions initiales de ces deux sous-population résistantes étaient comprises entre 10-7 et 10-8. Tous les animaux témoins non traités à la marbofloxacine sont morts dans les 72 heures qui ont suivi l’inoculation de KP. Tableau 3 : Population bactérienne totale et pourcentage d’animaux porteurs de R-2×MIC et R-8×MIC 96 h après l’initiation des différents traitements à la marbofloxacine pour le petit et le grand inoculum. Contrôles non traités A l’initiation 96h après du l’initiation du traitement traitement Petit inoculum n Animaux morts log10 CFU/poumons (moyenne ± SD) R-2×MIC R-8×MIC Grand inoculum n Animaux morts log10 CFU/poumons (moyenne ± SD) R-2×MIC R-8×MIC Dose totale de marbofloxacine (mg/kg) Administration fractionnée Administration unique 16 64 100 16 64 100 3 0/3 4 0/4 10 0/10 - - 10 0/10 - - 5.40.1 9.463.8 0.91.4† - - 0.31.0† - - 0% 0% 75% 50% 0% 0% - - 0% 0% - - 3 0/3 4 4/4 11 0/11 11 0/11 10 0/10 10 4/10 b 12 0/12 9c 3/12 c 7.30.7 6.80.8 6.20.4 7.51.3 7.50.7 6.60.6 c 100% 55% 55% 27% 10% 0% 90% b 70% b 92% 50% 42% c 0% c a 100.4 - 100% 100% nd nd a a † Pour le calcul de ces moyennes, la valeur 0 log10 CFU a été assignée aux poumons pour lesquels les bactéries étaient indétectables. a Les 4 animaux sont morts dans les 72 heures suivant l’inoculation de KP. b Les 4 animaux morts entre 72 et 96 heures sont considérés comme porteurs de bactéries résistantes et sont inclus dans le calcul des pourcentages d’animaux porteurs de R-2×MIC et R-8×MIC dans les poumons. c la mort de ces 3 animaux survient durant les 24 heures qui suivent l’administration de la marbofloxacine. Ces 3 morts sont considérées comme étant dues à la toxicité de la forte dose de marbofloxacine administrée en dose unique sur des animaux malades. Ces animaux ne sont pas inclus dans le calcul des pourcentages d’animaux porteurs de KP résistantes dans les poumons. - : non déterminé Les animaux morts n’on pas été pris en considération pour le calcul de la population moyenne de bactérie dans les poumons. 81 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 2.3.3.3. Effet des différents schémas posologiques de marbofloxacine sur la population bactérienne totale Les populations bactériennes totales qui ont été retrouvées 96 h après l’initiation des différents traitements antibiotique dans les poumons des animaux du groupes A (105 CFU) et du groupe B (109 CFU) sont présentées dans le Tableau 3. Pour le petit inoculum (Groupe A), la dose de 16 mg/kg, fractionnée ou non, a conduit à une diminution significative de la population de KP dans les poumons des animaux traités. Pour le grand inoculum (Groupe B), nous avons observé une réduction de la population de KP dans les poumons des animaux d’au moins 2 log pour les 3 doses de marbofloxacine quelle que soit la modalité d’administration (fractionnée ou non). Aucune différence significative n’a été observée entre les différentes posologies. Avec la plus faible dose de marbofloxacine (16 mg/kg) administrée en dose unique, 4 des 10 rats sont morts entre 72 et 96 h après l’administration de marbofloxacine, alors que tous les animaux ont survécu pour la même dose administrée de manière fractionnée. Pour la plus forte dose de marbofloxacine (100 mg/kg) administrée en dose unique, 3 des 12 rats sont morts durant les 24 h qui ont suivi l’administration. 2.3.3.4. Effet des différents schémas posologiques de marbofloxacine sur l’enrichissement des populations R-2MIC et R-8MIC Les pourcentages d’animaux porteurs de R-2×MIC et R-8×MIC dans les poumons 96 h après l’initiation du traitement à la marbofloxacine pour les différents groupes et les différents schémas posologiques sont présentés dans le Tableau 3. Chez tous les animaux porteurs de bactéries résistantes 96 h après l’initiation du traitement, la proportion des deux sous-populations résistantes R-2×MIC et R-8×MIC a été supérieure à 10-6 ce qui indique un enrichissement de la population par rapport à la proportion présente à l’initiation du traitement antibiotique (< 10-6). Les rats du groupe A, infectés par le petit inoculum et traités par 16 mg/kg de marbofloxacine, n’ont présenté aucune bactérie R-2×MIC ou R-8×MIC dans les poumons 96 h après l’initiation du traitement contrairement aux rats du groupe B, infectés par le grand inoculum, chez qui nous avons retrouvé les deux sous-populations bactériennes résistantes (R-2×MIC et R-8×MIC) dans les poumons. La fréquence des animaux porteurs de ces deux sous-populations résistantes a été négativement associée à la dose de marbofloxacine. De plus, pour la même dose totale de marbofloxacine, l’administration fractionnée de celle-ci a semblé limiter l’enrichissement des sous-populations résistantes par rapport à l’administration en dose unique. 82 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 2.3.4. Conclusion Au cours de cette étude nous avons pu mettre au point un modèle d’infection pulmonaire simulant les conditions présentes à l’initiation d’une antibiothérapie métaphylactique ou curative. L’étude de différents schémas posologiques de marbofloxacine sur ce modèle a montré l’impact bénéfique sur l’émergence de bactéries résistantes à la marbofloxacine d’un traitement antibiotique précoce sur une faible charge bactérienne par rapport à un traitement plus tardif sur une grande charge bactérienne. Le traitement des animaux selon deux modalités, une administration fractionnée « classique » de l’antibiotique ou une administration unique semble montrer qu’un traitement « one shot » chez le rat favorise l’émergence de résistance par rapport à un traitement classique si la dose d’antibiotique utilisée n’est pas suffisante. 83 84 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 2.4. Impact de la charge bactérienne sur la cinétique de la marbofloxacine chez le rat 2.4.1. Problématique et objectifs Plusieurs études ont montré que les infections bactériennes altèrent la pharmacocinétique de certaines substances (96) dont les fluoroquinolones (110, 175). Lors d’un traitement métaphylactique l’état physiopathologique des animaux diffère de celui d’animaux recevant un traitement curatif, qui présentent des signes cliniques d’infection important. Cette différence des fonctions physiologiques entre des animaux porteurs d’une faible charge bactérienne et ceux présentant une charge bactérienne plus importante peut entraîner des variations des paramètres pharmacocinétiques entre ces animaux. Une étude de notre équipe dans un modèle d’infection de la cuisse par E. coli chez des souris neutropéniques a montré que la pharmacocinétique de la marbofloxacine était altérée par l’infection et qu’il existait une importante différence d’exposition à l’antibiotique entre les animaux infectés par un petit ou un grand inoculum ce qui a conduit à une grande variation des paramètres PK/PD pour une même dose de marbofloxacine (76). L’objectif de cette étude était d’évaluer les paramètres pharmacocinétiques de la marbofloxacine dans les différentes conditions expérimentales de notre modèle. Dans ce but nous avons réalisé une cinétique de la marbofloxacine sur des rats infectés par un inoculum 105 CFU de KP par voie trachéale recevant un traitement précoce à la marbofloxacine ainsi que sur des animaux infectés par un inoculum de 109 CFU recevant un traitement plus tardif à la marbofloxacine. 2.4.2. Matériels et méthodes 2.4.2.1. Animaux Pour cette étude, deux groupes (C et D) de rats mâles OFA (Charles River, L’arbresle, France), pesant de 200 à 270g ont été utilisés. Les animaux ont été hébergés individuellement, à température ambiante avec un cycle jour/nuit de 12 h. Une période d’acclimatation d’au moins 2 semaines avant le début de l’expérimentation a été respectée. Les animaux ont eu un accès libre à la nourriture (Harlan, T2014, Gannat, France) et à l’eau. 85 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 2.4.2.2. Cinétique de la marbofloxacine Les prélèvements sanguins ont été collectés via un cathéter inséré dans la veine fémorale gauche. La mise en place du cathéter a été réalisée sous anesthésie générale (Kétamine / médétomidine : ImalgèneND 1000, Mérial SAS, Villeurbanne, France / DomitorND, Pfizer, Paris, France). Au moins 3 jours après la pose du cathéter, les rats ont été infectés, sous anesthésie, par voie endo-trachéale par 0.05 mL d’un inoculum de 2 106 CFU/mL de KP, soit 105 CFU (Groupe C) ou 0.05 mL d’un inoculum de 2 1010 CFU/mL de KP, soit 109 CFU (Groupe D). Quatre heures après l’inoculation, les animaux du groupe C ont reçu une injection sous cutanée de 4 ou 16 mg/kg de marbofloxacine. Les animaux du groupe D ont reçu une injection sous cutanée de 4, 16 ou 100 mg/kg de marbofloxacine 24 h après l’inoculation de KP. Chaque groupe de traitement a été composé de 2 à 4 animaux. Les prélèvements sanguins (200µL) ont été collectés à 0.25, 0.5, 1, 2, 4, 6, 8, 12, 24 et 48 heures après l’injection. Après chaque prélèvement, un volume équivalent de NaCl 0.9% a été administré dans le cathéter. Les prélèvements sanguins ont été centrifugés 10 min à 7000g à 4°C. Les plasmas obtenus ont été stockés à -20°C jusqu’au dosage. 2.4.2.3. Dosage de la marbofloxacine Les échantillons de plasma ont été analysés par chromatographie en phase liquide à haute performance (HPLC) (exc = 295 nm, em = 500 nm) (Agilent 1100) d’après la méthode décrite par Schneider et al. (200). La marbofloxacine a été obtenue par une extraction liquide-liquide : 0.1 mL de plasma ont été ajoutés à 1 mL de dichloromethane et agités pendant 10 secondes. Deux cent microlitres d’un mélange MeOH (2%HCl)/H2O (90:10) ont été ajoutés à la phase organique puis 100 µL du surnageant ont été injectés dans une colonne C18e (Lichrospher, Merck, 5 µm 125x4 mm) avec un gradient d’élution d’acide phosphorique (0.01M)-triethylamine (0.004M) (pH = 2)/Acetonitrile. La courbe de calibration de la marbofloxacine a été établie sur la gamme de concentration de 20 à 500 ng/mL par un modèle de régression linéaire. Les échantillons dont les concentrations étaient supérieures à la gamme de concentrations de la courbe de calibration ont été dilués avant le dosage. L’exactitude a varié de 104.1 à 107.5% et la variation de la précision intra-jour et inter-jour était en dessous de 6.2% et 8.2% respectivement. La limite de quantification a été de 20 ng/mL. 86 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 2.4.2.4. Analyse pharmacocinétique Les profils individuels de concentration en fonction du temps obtenus pour chaque dose et chaque niveau d’inoculum ont été regroupés et analysés simultanément par un logiciel d’analyse de pharmacocinétique de population (MONOLIX) (123). Les estimations des paramètres pharmacocinétiques ont été réalisées à l’aide de MONOLIX version 2.1 avec la méthode SAEM (Stochastic Approximation version of the Expectation Maximization algorithm) et ont été obtenus à l’aide d’un modèle bi-compartimental extravasculaire, sans lag-time suivant l’équation 1. C t A exp t B exp t ( A B) exp Kat Equation 1 où C t est la concentration plasmatique au temps t, A, et B les constantes préexponentielles, et les constantes de vitesse et Ka la constante de vitesse d’absorption. L’AUC0-96 et l’AUC24 ont été calculées par intégration de l’équation 1 respectivement de 0 à 96 h et de 0 à 24 h. Le temps de demi-vie d’élimination (T1/2elim) a été calculé en divisant le logarithme népérien de 2 par . Les données pharmacocinétiques obtenues ont été utilisées pour vérifier la linéarité de la cinétique. Afin de déterminer l’impact de la taille de l’inoculum sur les paramètres pharmacocinétiques, un test LRT (Likelihood Ratio Test) a été utilisé en ajoutant la covariable « taille de l’inoculum » suivi d’un test de ². 2.4.3. Résultats Les données pharmacocinétiques obtenues pour les différentes doses de marbofloxacine et pour les différentes tailles d’inoculum ont été analysées simultanément avec succès en utilisant le même modèle compartimental, indiquant une relation doseproportionnalité entre la cinétique de la marbofloxacine et le petit et le grand inoculum. Les paramètres pharmacocinétiques du modèle sont donnés dans le Tableau 4. Tableau 4 : Paramètres pharmacocinétiques estimés pour la population étudiée Paramètres Valeurs -1 Coefficient de variation Constante d’absorption (ka) 5.51 h 162% Clairance apparente 0.6 L/h/kg 15.5% T1/2elim 2.41 h - 87 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène L’analyse de l’ensemble des données par le logiciel Monolix a montré qu’il n’existait aucune différence significative des paramètres pharmacocinétiques entre le petit (Groupe C) et le grand (Groupe D) inoculum recevant les mêmes doses. Cette absence de différence peut être observée sur la Figure 15 qui montre les données de pharmacocinétiques qui ont été obtenues avec les animaux des groupes C et D et la simulation qui a été obtenue par Monolix après analyse simultanée des données obtenues pour les animaux infectés par le Marbofloxacin (µg/mL) petit et par le grand inoculum pour chaque dose. 10 4 mg/kg A 1 0.1 0.01 Marbofloxacin (µg/mL) 0 4 8 12 16 20 10 24 28 32 36 40 44 16 mg/kg 48 temps (h) B 1 0.1 0.01 Marbofloxacin (µg/mL) 0 4 8 12 16 20 100 24 28 32 36 40 44 100 mg/kg 48 temps (h) C 10 1 0.1 0.01 0 4 8 12 16 20 24 28 32 36 40 44 48 temps (h) temps (h) Simulation Monolix petit inoculum grand inoculum Figure 15 : Cinétique de la marbofloxacine en fonction de la taille de l’inoculum Concentrations plasmatiques de marbofloxacine en fonction du temps après une administration unique sous-cutanée d’une dose de 4 (A), 16 (B) ou 100 mg/kg (C) chez des animaux infectés par 5 9 inoculum de K. pneumoniae. La courbe représente un petit (10 CFU) ou un grand (10 CFU) la simulation des concentrations plasmatiques en fonction du temps obtenues à l’aide du logiciel Monolix après analyse simultanée des données obtenues pour les animaux infectés par le petit et par le grand inoculum pour chaque dose. 88 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène A l’aide de ce modèle nous avons pu simuler les profils de concentrations plasmatiques pour les doses de marbofloxacine testées dans l’étude précédente (paragraphe 2.3.). Le temps de demi-vie d’élimination étant de 2.41 h fait il n’y a pas de phénomène d’accumulation de la marbofloxacine pour des administrations répétées toutes les 24 h. Les profils de concentrations de marbofloxacine prédites en fonction du temps pour chaque dose de marbofloxacine en administrations fractionnées, 4 4, 4 16 et 4 25 mg/kg sont présentés dans la Figure 16 panel A et pour les administrations uniques 16, 64 et 100 mg/kg dans la Figure 16 panel B. Concentration plasmatique de Marbofloxacine (µg/mL) A Administration fractionnée 102 101 100 MPC 10-1 CMI 10-2 10-3 0 24 B 48 72 96 16 mg/kg 64 mg/kg 100 mg/kg Administration unique 102 101 100 MPC 10-1 CMI 10-2 10-3 0 24 48 72 96 Temps (h) Figure 16 : Simulation des profils de concentration de marbofloxacine pour les différents schémas posologiques Simulation des profils des concentrations de marbofloxacine pour 3 doses de marbofloxacine (16, 64 et 100 mg/kg) avec deux schémas d’administration : fractionnée en 4 administrations sur 4 jours (A) ou en administration unique (B). Le temps de demi-vie d’élimination (T1/2élim) est de 2.41 heures. 89 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène A l’aide de ce modèle, nous avons également calculé les AUC pour ces mêmes doses. Nous avons calculé l’AUC0-24 pour les administrations fractionnées et l’AUC0-96 pour les administrations uniques. Les valeurs obtenues sont reportées dans le Tableau 5. Tableau 5 : AUC0-24 et AUC0-96 pour les différentes doses de marbofloxacine testées Dose de marbofloxacine Administration unique AUC0-96 (h.µg/mL) Administration fractionnée AUC0-24 (h.µg/mL) 16 mg/kg 64 mg/kg 100 mg/kg 24.21 96.82 151.29 5.81 23.25 36.33 2.4.4. Conclusion Cette étude montre que, pour notre modèle d’infection pulmonaire à KP, les paramètres pharmacocinétiques de la marbofloxacine ne diffèrent pas entre les animaux recevant un traitement de type métaphylactique ou curatif et on observe, pour les deux groupes, une relation de dose-proportionnalité. Les paramètres qui ont été obtenus au cours de cette étude nous ont permis de simuler les différents schémas posologiques de marbofloxacine utilisés dans l’étude de l’infection pulmonaire par KP chez le rat ainsi que de calculer les AUC correspondantes. 90 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 2.5. Etude de la relation entre les indices PK/PD et l’émergence de bactéries résistantes 2.5.1. Problématique et objectifs Dans la partie étude bibliographique nous avons vu qu’il existait plusieurs paramètres PK/PD qui pouvaient être prédictifs de la sélection de bactéries résistantes aux fluoroquinolones : le rapport AUC/CMI, le rapport Cmax/CMI et le temps dans la fenêtre de sélection TMSW. L’objectif de cette étude était d’analyser les différents paramètres PK/PD afin d’identifier ceux qui permettent de prévenir la sélection de bactéries résistantes à la marbofloxacine dans notre modèle d’infection quel que soit le schéma posologique utilisé. 2.5.2. Matériels et méthodes Les indices PK/PD qui ont été utilisés sont : l’aire sous la courbe (AUC) des concentrations plasmatiques de marbofloxacine divisée par la CMI (AUC/CMI), le pic de concentration plasmatique divisé par la CMI (Cmax/CMI), le temps durant lequel les concentrations plasmatiques se trouvent au dessus de la MPC (T>MPC) ainsi que le temps durant lequel les concentrations se trouvent dans la fenêtre de sélection (TMSW). L’AUC/CMI et l’AUC/MPC ont été calculées en utilisant l’aire sous la courbe des concentrations en fonction du temps à l’état d’équilibre sur 24 h pour l’administration fractionnée de marbofloxacine, comme cela a été défini par Mouton et al. (155) et en utilisant l’AUC0-96 pour les administrations uniques, comme cela a été suggéré par Toutain et al. (219). Les valeurs de ces rapports sont donc présentées sous la forme 4 (AUC0-24/CMI) pour l’administration fractionnée et sous la forme 1 (AUC0-96/CMI) pour l’administration unique. Le T>MPC ainsi que le TMSW ont été calculés de la même façon, sur 24 h pour l’administration fractionnée et sur 96 h pour l’administration unique. Etant donné que la liaison aux protéines plasmatiques de la marbofloxacine est inférieure à 10% chez le rat (70), les indices PK/PD ont été déterminés à partir des concentrations plasmatique totales. Un modèle sigmoïde Emax d’inhibition (équation 2) a été utilisé pour décrire la relation entre les indices PK/PD et les pourcentages d’animaux porteurs de bactéries résistantes pour le groupe B (109 CFU) 96 h après le début du traitement antibiotique (WinNonlin version 5.2 ; Pharsight Corporation, Mountain View, CA). Indice % animaux Emax 1 Indice ED50 Equation 2 91 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène Où E max représente le pourcentage maximal d’animaux porteurs de bactéries résistantes, Indice la valeur de l’indice PK/PD étudié, le coefficient de sigmoïdicité ou coefficient de Hill et ED50 la valeur de l’indice PK/PD qui permet d’atteindre 50% de la réduction maximale. 2.5.3. Résultats Les différentes valeurs des indices PK/PD pour chaque schéma posologique sont présentées dans le Tableau 6. Tableau 6 : Valeurs des différents indices PK/PD après l’administration de 16, 64 ou 100 mg/kg de marbofloxacine en administration unique ou fractionnée. Dose totale de marbofloxacine (mg/kg) TMSW (%) T>MPC (%) T>MPC / TMSW AUC/CMI (h) AUC/MPC (h) Cmax/CMI Administration fractionnée 16 64 100 50 67 60 16 33 40 0.31 0.49 0.67 4 × 189 4 × 756 4 × 1182 4 × 12 4 × 47 4 × 74 4 × 54 4 × 217 4 × 339 Administration unique 16 64 100 28 40 41 8 16 22 0.30 0.41 0.54 1 × 756 1 × 3026 1 × 4728 1 × 47 1 × 189 1 × 295 1 × 217 1 × 868 1 × 1357 2.5.3.1. AUC/CMI Pour la plus faible dose de marbofloxacine, 16 mg/kg, les valeurs du rapport AUC/CMI ont été de 4 × 189 h et 1 × 756 h pour l’administration fractionnée et unique. Ces rapports ont été associés à un enrichissement des sous-populations R-2MIC et R-8MIC pour les animaux infectés par le grand inoculum (groupe B) mais pas pour les animaux infectés par le petit inoculum (groupe A) (Tableau 3, page 49). Pour les animaux infectés par le grand inoculum (Groupe B), l’administration de 64 mg/kg de marbofloxacine de manière fractionnée ou unique a conduit à des valeurs d’AUC/CMI de 4 × 756 h et 1 × 3026 h. Ces valeurs ont été associées à l’enrichissement des deux sous-populations résistantes. Dans ce même groupe, seule la dose la plus importante de 100 mg/kg, correspondant à des rapports de 4 × 1182 h et 1 × 4728 h pour l’administration fractionnée et unique, a été associée à l’absence de détection de la souspopulation R-8MIC, mais pas de la sous-population R-2MIC (Tableau 6 et Tableau 3, page 49). 92 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 2.5.3.2. Cmax/CMI Pour les animaux infectés par le petit inoculum (groupe A), les valeurs de Cmax/CMI de 4 54 et 1 217 pour l’administration fractionnée et unique de 16 mg/kg de marbofloxacine ont été associés à l’absence des deux sous-populations résistantes (Tableau 6 et Tableau 3, page 49). Pour les animaux infectés par le grand inoculum (groupe B), nous avons observé que plus la valeur du rapport Cmax/CMI était élevée, moins l’enrichissement des sous-populations R-2MIC et R-8MIC était important si l’on considérait l’administration unique et fractionnée séparément (Figure 17). L’absence d’enrichissement de la sous-population R-8MIC, mais pas de la sous-population R-2MIC, a été observée pour des valeurs du rapport Cmax/CMI de 4 339 et 1 1357 obtenues après l’administration de 100 mg/kg de marbofloxacine en Proportion de bactéries résistantes dans les poumons administration fractionnée ou unique (Tableau 6 et Tableau 3, page 49). 100 10-1 10-2 10-3 10-4 10-5 10-6 Bactéries résistantes à 0.064 µg/mL = R-2MIC Bactéries résistantes à 0.256 µg/mL = R-8MIC Pas de bactérie résistante 0 400 800 1200 Pas de bactérie résistante 0 Cmax/MIC Rat morts 16 mg/kg 400 800 1200 Cmax/MIC Fractionnée 64 mg/kg Unique 100 mg/kg Figure 17 : Relation entre Cmax/CMI et l’émergence de bactéries résistantes Proportion de bactéries R-2MIC, résistantes à 0.064 µg/mL de marbofloxacine et de bactéries R8MIC, résistantes à 0.256 µg/mL de marbofloxacine retrouvées dans les poumons des animaux infectés par le grand inoculum (Groupe B) en fonction du rapport Cmax/CMI. Les proportions sont représentées par un triangle lorsqu’elles sont obtenues après une administration unique et par un cercle après une administration fractionnée. Les symboles se trouvant en dessous de la ligne discontinue représentent les animaux sans bactéries résistantes détectables dans les poumons. 2.5.3.3. TMSW et T>MPC TMSW L’administration des doses de façon fractionnée ou unique a eu un impact important sur la valeur du TMSW. Pour les administrations uniques, les concentrations plasmatiques de marbofloxacine sont restées 28, 40 et 41% du temps (sur 96 h) dans la fenêtre de sélection 93 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène pour les doses de 4, 16 et 100 mg/kg respectivement et pour les administrations fractionnées, le TMSW a été de 50, 67 et 60 % (sur 24 h) (Tableau 6). Aucune relation n’a été trouvée entre TMSW et l’enrichissement des sous-populations R-2MIC et R-8MIC (Figure 18, panels A1 et A2), ni entre le TMSW et le pourcentage d’animaux porteurs de R-2MIC et R-8MIC 96 h après l’initiation du traitement à la marbofloxacine. (Figure 18, panels B1 et B2). Bactéries résistantes à 0.064 µg/mL = R-2MIC Bactéries résistantes à 0.256 µg/mL = R-8MIC Proportion de bactéries résistantes A1 A2 100 10-1 10-2 10-3 10-4 10-5 10-6 Pas de bactérie résistante 0 20 100 10-1 10-2 10-3 10-4 10-5 10-6 40 60 Pas de bactérie résistante 0 80 20 Pourcentage de rats porteurs de bactéries résistantes TMSW (%) 40 60 80 TMSW (%) B1 B2 100 100 R² = 0.54 80 R² = 0.60 80 60 60 40 40 20 20 0 0 0 20 40 60 0 80 20 40 60 80 TMSW (%) TMSW (%) Rat morts 16 mg/kg Fractionnée 64 mg/kg Unique 100 mg/kg Figure 18 : Relation entre le TMSW et l’émergence de bactéries résistantes A Proportion de bactéries R-2MIC, résistantes à 0.064 µg/mL de marbofloxacine (A1) et de bactéries R-8MIC, résistantes à 0.256 µg/mL de marbofloxacine (A2) retrouvées dans les poumons des animaux infectés par le grand inoculum (Groupe B) en fonction du TMSW. Les proportions sont représentées par un triangle lorsqu’elles sont obtenues après une administration unique et par un cercle après une administration fractionnée. Les symboles se trouvant en dessous de la ligne discontinue représentent les animaux sans bactéries R-2MIC ou R-8MIC détectables dans les poumons. B Ajustement du modèle sigmoïde inhibiteur Emax entre le pourcentage d’animaux porteurs de R2MIC (B1) et de R-8MIC (B2) et le TMSW Le TMSW a été calculé sur 24 h pour l’administration fractionnée et sur 96 h pour l’administration unique. 94 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène T>MPC Comme pour le rapport Cmax/CMI, une relation a été observée entre le T>MPC et l’enrichissement des sous-populations R-2MIC et R-8MIC uniquement lorsque l’on a pris en compte séparément les deux modalités d’administration (fractionnée ou non) (Figure 19, panels A1 et A2). L’ajustement du modèle inhibiteur Emax entre le T>MPC et le pourcentage d’animaux porteurs de R-2MIC et R-8MIC (Figure 1, Panels B1 et B2) confirme que la relation n’existe que si l’on regarde séparément l’administration unique (représentée par les triangles) et l’administration fractionnée (représentée par les cercles). Deux sigmoïdes différentes seraient nécessaires afin de décrire cette relation. Bactéries résistantes à 0.064 µg/mL = R-2MIC Bactéries résistantes à 0.256 µg/mL = R-8MIC Proportion de bactéries résistantes A1 A2 100 10-1 10-2 10-3 10-4 10-5 10-6 100 10-1 10-2 10-3 10-4 10-5 10-6 Pas de bactérie résistante Pas de bactérie résistante 0 10 20 30 40 0 50 10 Pourcentage de rats porteurs de bactéries résistantes T>MPC (%) 20 30 40 50 T>MPC (%) B1 B2 100 100 R² = 0.87 80 R² = 0.93 80 60 60 40 40 20 20 0 0 0 10 20 30 40 50 0 10 20 30 40 50 T>MPC (%) T>MPC (%) Rat morts 16 mg/kg Fractionnée 64 mg/kg Unique 100 mg/kg Figure 19 : Relation entre le T>MPC et l’émergence de bactéries résistantes A Proportion de bactéries R-2MIC, résistantes à 0.064 µg/mL de marbofloxacine (A1) et de bactéries R-8MIC, résistantes à 0.256 µg/mL de marbofloxacine (A2) retrouvées dans les poumons des animaux infectés par le grand inoculum (Groupe B) en fonction du T>MPC. Les proportions sont représentées par un triangle lorsqu’elles sont obtenues après une administration unique et par un cercle après une administration fractionnée. Les symboles se trouvant en dessous de la ligne discontinue représentent les animaux sans bactéries R-2MIC ou R-8MIC détectables dans les poumons. B Ajustement du modèle sigmoïde inhibiteur Emax entre le pourcentage d’animaux porteurs de R2MIC (B1) et de R-8MIC (B2) et le T>MPC Le T>MPC a été calculé sur 24 h pour l’administration fractionnée et sur 96 h pour l’administration unique. 95 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène Nouvel indice : T>MPC/TMSW Nous n’avons pas observé de relation entre le TMSW ou le T>MPC pris séparément et l’enrichissement des sous-populations R-2MIC et R-8MIC, lorsque nous avons pris en considération les deux modalités d’administration, fractionnée ou unique. En revanche, en considérant le rapport T>MPC/TMSW une relation a été mise en évidence (Figure 20, panels A1 et A2). Quel que soit la modalité d’administration (fractionnée ou unique), plus ce rapport s’est approché de la valeur 1, plus l’enrichissement des deux sous-populations résistantes a été limité. Cette relation a été confirmée par l’ajustement du modèle sigmoïde inhibiteur Emax entre ce rapport et le pourcentage d’animaux porteurs de R-2MIC et R-8MIC (Figure 20, Panels B1 et B2). 2.5.4. Conclusion Dans notre modèle d’infection pulmonaire par KP, nous n’avons pas pu trouver une relation entre les indices PK/PD usuels d’efficacité (AUC/CMI, Cmax/CMI, T>MPC et TMSW) et l’enrichissement des deux sous-populations résistantes à la marbofloxacine R-2MIC et R8MIC lorsque nous avons étudié simultanément l’administration fractionnée et unique. Par contre, la construction d’un nouvel indice, prenant en compte à la fois le temps durant lequel les concentrations plasmatiques se trouvent au dessus de la MPC, c'est-à-dire le temps pendant lequel les bactéries résistantes sont détruites ainsi que le temps durant lequel les concentrations plasmatiques se trouvent dans la fenêtre de sélection, c'est-à-dire le temps pendant lequel les bactéries résistantes peuvent être sélectionnées si elles sont présentes nous a permis de trouver une relation entre ce nouvel indice (TMPC/TMSW) et l’enrichissement des sous-populations résistantes. 96 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène Bactéries résistantes à 0.064 µg/mL = R-2MIC Bactéries résistantes à 0.256 µg/mL = R-8MIC A2 Proportion de bactéries résistantes A1 100 10-1 10-2 10-3 10-4 10-5 10-6 100 10-1 10-2 10-3 10-4 10-5 10-6 Pas de bactérie résistante Pas de bactérie résistante 0 0.2 0.4 0.6 0 0.8 0.2 Pourcentage de rats porteurs de bactéries résistantes T>MPC/TMSW 0.4 0.6 0.8 T>MPC/TMSW B1 B2 100 100 R² = 0.99 80 60 60 40 40 20 20 0 R² = 0.97 80 0 0 0.2 0.4 0.6 0.8 0 T>MPC/TMSW 0.2 0.4 0.6 0.8 T>MPC/TMSW Rat morts 16 mg/kg Fractionnée 64 mg/kg Unique 100 mg/kg Figure 20 : Relation entre le rapport T>MPC/TMSW et l’émergence de bactéries résistantes A Proportion de bactéries R-2MIC, résistantes à 0.064 µg/mL de marbofloxacine (A1) et de bactéries R-8MIC, résistantes à 0.256 µg/mL de marbofloxacine (A2) retrouvées dans les poumons des animaux infectés par le grand inoculum (Groupe B) en fonction du T>MPC/TMSW. Les proportions sont représentées par un triangle lorsqu’elles sont obtenues après une administration unique et par un cercle après une administration fractionnée. Les symboles se trouvant en dessous de la ligne discontinue représentent les animaux sans bactéries R-2MIC ou R-8MIC détectables dans les poumons. B Ajustement du modèle sigmoïde inhibiteur Emax entre le pourcentage d’animaux porteurs de R2MIC (B1) et de R-8MIC (B2) et le T>MPC/TMSW. Le T>MPC et le TMSW ont été calculés sur 24 h pour l’administration fractionnée et sur 96 h pour l’administration unique. 97 98 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène 2.6. Discussion L’objectif de ce travail était d’évaluer l’influence des variations du statut physiopathologique entre un traitement de type métaphylactique ou curatif sur la cinétique de la marbofloxacine et l’émergence de résistance au niveau du site infectieux. Nous souhaitions également évaluer la capacité des paramètres PK/PD (AUC/CMI, Cmax/CMI, T>MPC et TMSW) à prédire l’enrichissement de 2 sous-populations résistantes (R-2MIC et R8MIC) dans un modèle d’infection pulmonaire chez le rat immunocompétent. 2.6.1. Influence de la charge bactérienne sur la pharmacocinétique Nous n’avons pas observé de différence pour les paramètres pharmacocinétiques de la marbofloxacine entre les animaux porteurs d’une faible charge bactérienne et traités de façon précoce et les animaux porteurs d’une charge bactérienne plus importante et traités de façon plus tardive. Ces résultats sont en contradiction avec ceux obtenus précédemment dans notre équipe sur un modèle d’infection de la cuisse chez la souris neutropénique. Cette différence pourrait s’expliquer par les caractéristiques spécifiques de ces deux modèles d’infection (poumons versus cuisse et KP versus E. coli) et/ou par une différence possible dans le niveau d’inflammation. 2.6.2. Influence d’un traitement métaphylactique ou curatif sur le devenir de l’infection et l’émergence de résistance Chez les animaux traités de façon précoce ayant une faible charge bactérienne (Groupe A), nous avons observé une forte diminution de la charge bactérienne totale dans les poumons 96 h après l’initiation du traitement antibiotique quelle que soit la modalité d’administration (fractionnée ou unique). De plus, nous n’avons pas observé d’enrichissement des sous-populations R-2MIC et R-8MIC. Chez ces animaux, la grande amplitude de la charge bactérienne retrouvée chez les animaux témoins non traités de ce groupe révèle une variabilité interindividuelle dans l’évolution de l’infection probablement due au statut immunocompétent des animaux. Néanmoins, ceci n’a pas affecté notre étude étant donné qu’à l’initiation du traitement, 4 h après l’inoculation de KP, le dénombrement bactérien dans les poumons des animaux infectés était homogène (5.4 ± 0.1 log10 CFU/poumon). 99 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène Avec une initiation plus tardive du traitement antibiotique, sur une population bactérienne initiale beaucoup plus importante (Groupe B), nous avons observé une diminution faible de la charge bactérienne totale présente dans les poumons. De plus, nous avons mis en évidence dans les poumons de ces animaux un enrichissement des deux sous-populations résistantes R-2MIC et R-8MIC. Cet enrichissement a varié en fonction de la dose et du schéma d’administration de la marbofloxacine. Au sein de ce groupe d’animaux, nous avons également observé la mort de 4 rats sur 10 entre 72 et 96 h après le traitement à la marbofloxacine pour la plus faible dose de marbofloxacine (16 mg/kg) administrée en dose unique. Au vu des signes cliniques d’infection de ces animaux, nous avons attribué leur mort à l’infection. Nous avons également observé la mort de 3 animaux sur 12 dans les 24 h qui ont suivi l’administration de marbofloxacine pour le groupe traité par 100 mg/kg en administration unique. Nous n’avons pas attribué la mort de ces 3 animaux à l’infection bactérienne car elle est survenue plus tôt que pour les animaux ayant reçu 16 mg/kg en administration unique ou même que pour les animaux témoins non traités (i.e. 24 h versus 72-96 h). Bien qu’aucun effet indésirable, tels que des convulsions, n’ait été observé nous avons attribué la mort des animaux traités par 100 mg/kg de marbofloxacine en administration unique à une probable toxicité de la marbofloxacine sur des animaux fortement malades. La taille de la charge bactérienne à l’initiation du traitement antibiotique peut donc jouer un rôle important sur le devenir de l’infection et l’émergence de bactéries résistantes. Ceci confirme, chez des animaux immunocompétents, les résultats obtenus précédemment in vitro sur E. coli, S. aureus et P. aeruginosa (75, 151) et in vivo sur E. coli chez des souris immunodéprimées (76) et indique que ce paramètre est important à prendre en considération lors des recommandations de schémas posologiques pour un antibiotique. 2.6.3. Etude PK/PD 2.6.3.1. Capacité de l’indice l’AUC/CMI à prédire l’émergence de bactéries résistantes Comme nous l’avons vu dans l’étude bibliographique (paragraphe 1.4.1.1., page 44), plusieurs études ont suggéré que l’AUC/CMI était l’indice PK/PD le plus prédictif de l’efficacité des fluoroquinolones pour les modèles d’infection pulmonaire et de la cuisse chez des animaux neutropéniques et non neutropéniques (9, 19, 59, 230). Dans notre étude, après 96 h de traitement, les valeurs d’AUC/CMI de 4 189 h et 1 756 h obtenues après l’administration fractionnée et unique de 16 mg/kg de marbofloxacine ont été associées à une forte diminution de la charge bactérienne totale et à 100 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène la prévention de l’émergence des deux sous-populations bactériennes résistantes R-2MIC et R-8MIC. Pour le grand inoculum (Groupe B) des valeurs du rapport AUC/CMI plus élevées, 4 756 et 1 3026 h, ont été associées à l’émergence de résistance. Ce n’est qu’avec la plus forte dose de marbofloxacine, 100 mg/kg, que nous avons observé la prévention de l’enrichissement de la sous-population R-8MIC avec des valeurs du rapport AUC/CMI de 4 1182 et 1 4728 h. Cependant, en utilisant la MPC, qui correspond à la CMI des bactéries R-8MIC, au lieu de la CMI de bactéries sensibles pour calculer le rapport AUC/CMI, il est apparu que les valeurs de ce rapport (devenu AUC/MPC) associées à la prévention de l’enrichissement de la sous-population R-8MIC était alors de 4 74 h ou 1 295 h. Ces valeurs l’AUC/MPC sont du même ordre de grandeur que celles des AUC/CMI obtenues par Andes et al. (9) sur un modèle d’infection pulmonaire chez la souris immunocompétente. Ces valeurs sont inférieures à celles observées pour la prévention de l’émergence de résistance pour le petit inoculum, cependant nous n’avons pas testé de doses inférieures à 16 mg/kg et un rapport AUC/CMI de 4 74 h ou 1 295 h sur le petit inoculum aurait peut-être suffi à prévenir l’émergence de résistance dans ce groupe. En d’autres termes, et comme cela a déjà été suggéré précédemment (245), pour être prédictif, le rapport AUC/CMI doit prendre en considération la CMI de la sous-population ayant la sensibilité la plus faible pour l’antibiotique et non pas la CMI de la population majoritaire. De plus, l’enrichissement de la sous-population R-8MIC plus important pour les administrations fractionnées que pour les administrations uniques semblent indiquer que, pour une même exposition totale à la marbofloxacine (sur 96 h), le fractionnement de la dose est bénéfique par rapport à l’administration en dose unique. Ceci suggère que l’enrichissement des sous-populations résistantes est co-dépendant de l’exposition totale et du temps durant lequel les concentrations plasmatiques se trouvent au dessus d’une concentration critique. 2.6.3.2. Capacité de l’indice Cmax/CMI à prédire l’émergence de bactéries résistantes C’est uniquement en considérant les administrations fractionnées ou uniques séparément que nous avons observé une relation entre le rapport Cmax/CMI et l’émergence de bactéries résistantes uniquement (Figure 17, Tableau 6). En effet, pour l’administration fractionnée un rapport de 339 a permis de prévenir l’émergence de bactéries résistantes alors que pour l’administration unique un rapport de 868 a été associé à l’émergence de bactéries résistantes. 101 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène Ces résultats soulignent un problème important. Pour une même exposition des animaux (AUC similaires) les résultats peuvent être complètement différents selon les schémas d’administration. Et pour un même rapport AUC/CMI ont peut observer ou non l’émergence de résistance. Les résultats de notre étude montrent que le rapport AUC/CMI ainsi que le rapport Cmax/CMI sont prédictifs de l’émergence uniquement si l’on considère des modalités d’administration (fractionnée ou unique) séparément. Il apparaît donc nécessaire de trouver un indice plus universel capable de prédire l’émergence de résistance quelle que soit la modalité d’administration ; c’est pourquoi nous avons testé la capacité d’un autre indice PK/PD le TMSW à prédire l’émergence de résistance. 2.6.3.3. Capacité de l’indice TMSW à prédire l’émergence de bactéries résistantes Il a été montré précédemment in vitro (6, 46, 47, 75) et in vivo (76) pour les fluoroquinolones, que le temps durant lequel les concentrations plasmatiques se trouvent dans la fenêtre de sélection était associé à l’enrichissement de sous-populations bactériennes résistantes. Cependant, dans notre étude, nous n’avons observé aucune relation entre l’enrichissement de la sous-population R-8MIC et le TMSW. (Figure 18, page 94). Ceci est en accord avec les résultats obtenus précédemment in vitro sur S. aureus par Campion et al. (25), bien qu’il soit important de noter que la cible principale des mutations conférant une résistances aux fluoroquinolones diffère entre les bactéries à Gram positif et à Gram négatif (58). Comme nous l’avons vu dans l’étude bibliographique (paragraphe 1.4.2.2., page 49), des études récentes suggèrent que l’incapacité du TMSW à prédire l’enrichissement des mutants résistants pourrait être expliquée par l’influence du niveau des concentrations plasmatiques dans la fenêtre de sélection (47, 78). En d’autres termes, pour un temps dans la fenêtre de sélection donné, les situations ne sont pas équivalentes quand le temps passé à l’extérieur de la fenêtre de sélection est en-dessous de la CMI ou au-dessus de la MPC. Dans notre étude, pour l’administration fractionnée de 16 mg/kg de marbofloxacine, le temps de demi-vie d’élimination de 2.41 h a conduit les concentrations plasmatiques à se trouver en dessous de la CMI durant un certain temps alors que pour les deux autres doses (64 et 100 mg/kg), l’exposition à la marbofloxacine était majoritairement dans la partie supérieure de la fenêtre de sélection (Figure 16). Ceci pourrait expliquer l’absence de relation entre le TMSW et l’enrichissement de la sous-population R-8MIC. Pour ce qui est de l’administration en dose unique, les profils pharmacocinétiques ont montré que le temps durant lequel les concentrations de marbofloxacine se sont trouvées dans la fenêtre de sélection était 102 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène équivalent que pour les deux plus fortes doses (64 et 100 mg/kg), alors que ce temps était moins important pour la plus petite dose (16 mg/kg). Pour que la sélection de bactéries résistantes ait lieu lorsque les concentrations plasmatiques de l’antibiotique sont dans la fenêtre de sélection il faut que quelques bactéries résistantes soient présentes. La présence de ces bactéries résistantes à ce moment précis dépend de ce qui s’est passé avant, c'est-à-dire du temps durant lequel les concentrations plasmatiques se sont trouvées au-dessus de la fenêtre de sélection (T>MPC). En effet, si ce temps est très long, toutes les bactéries résistantes sont éliminées avant que les concentrations plasmatiques d’antibiotique se trouvent dans la fenêtre de sélection. Au contraire, s’il est trop court, les bactéries résistantes ne sont pas toutes éliminées et peuvent donc être sélectionnées lorsque les concentrations sont dans la fenêtre de sélection. C’est pourquoi Il apparaît que la sélection de bactéries résistantes dépend à la fois de ces 2 paramètres : le T>MPC et TMSW. Nous avons donc décidé de construire un nouvel indice qui prenait en compte ces 2 paramètres le rapport du T>MPC sur le TMSW. 2.6.3.4. Capacité d’un nouvel indice, le rapport T>MPC/TMSW, à prédire l’émergence de bactéries résistantes Dans notre étude, nous avons observé une relation entre ce nouvel indice, T>MPC/TMSW, et l’enrichissement des sous-populations résistantes R-2MIC et R-8MIC (Figure 20, page 97). Avec ce rapport il a été possible de discriminer les situations caractérisées par un même TMSW mais avec différents niveaux de concentration plasmatiques dans la fenêtre de sélection. Lorsque ce rapport augmente, le risque d’enrichissement des sous-populations résistantes diminue. Il est également important de noter que ce rapport permet une comparaison non biaisée entre l’administration fractionnée ou unique d’une même dose étant donné que pour l’administration fractionnée le rapport est le même qu’il soit calculé sur 24 h ou sur la durée totale du traitement (96 h). Dans cette étude, nous avons également montré que la valeur de l’indice T>MPC/TMSW associée à la prévention de l’émergence de résistance variait en fonction de la probabilité d’avoir une sous-population résistante présente à l’initiation du traitement antibiotique. Avec le petit inoculum (groupe A), les valeurs de ce rapport associées à la prévention de l’enrichissement des sous-populations résistantes ont été de 0.31 et 0.30 pour l’administration fractionnée et unique. Par contre, pour le grand inoculum, elles ont été de 0.67 et 0.54 respectivement. Par conséquent, il ressort de nos résultats que la situation la plus favorable afin de limiter l’émergence de résistance est celle où la taille de l’inoculum (ou charge bactérienne) à l’initiation du traitement est faible ou nulle comme lors des traitements 103 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène de type métaphylactique ou prophylactique. Dans un contexte curatif, caractérisé par une probabilité plus importante d’être face à une grande charge bactérienne, nos résultats suggèrent que la meilleure stratégie serait d’atteindre immédiatement des concentrations plasmatiques d’antibiotique au-dessus de la MPC. 2.6.3.5. Impact de l’émergence des bactéries R-2MIC sur l’émergence des bactéries R-8MIC En plus de l’enrichissement de la sous-population R-8MIC, nous avons également étudié la sous-population R-2MIC. Cette population est probablement due à une surexpression des pompes à efflux chez les bactéries R-2MIC (136). Chez certains animaux, nous avons observé un enrichissement de la sous-population R-2MIC sans enrichissement simultané de R-8MIC et pour les deux plus fortes doses de marbofloxacine (64 et 100 mg/kg), l’enrichissement de R-2MIC a été plus important pour l’administration unique que pour l’administration fractionnée (Tableau 3). Ceci pourrait expliquer le pourcentage d’animaux porteurs de R-8MIC plus important observé chez les animaux traités par 64 mg/kg de marbofloxacine en administration unique que pour ceux traités par la même dose en administration fractionnée. En effet, si l’enrichissement de la population R2MIC est plus important, la capacité de ces bactéries à survivre à des concentrations d’antibiotique proches de la CMI peut favoriser l’émergence d’une nouvelle sous-population plus résistante (comme la sous-population R-8MIC), comme cela a déjà été suggéré par Louie et al. (136). Donc, dans notre modèle, malgré un impact identique sur la charge bactérienne totale, une administration unique semble moins bénéfique pour prévenir l’enrichissement d’une sous-population mutante que l’administration fractionnée de la même dose. Une étude complémentaire afin de caractériser les mécanismes exacts de résistances des bactéries R-2MIC pourrait apporter des informations intéressantes afin d’envisager des stratégies limitant leur émergence et par conséquent limiter également l’émergence de bactéries avec un niveau de résistance plus élevé comme les R-8MIC. 2.6.4. Conclusion En conclusion, nos résultats montrent que la charge bactérienne à l’initiation du traitement antibiotique joue un rôle critique sur le schéma de sélection des mutants KP résistants. La probabilité plus faible d’avoir une sous-population résistante déjà présente à l’initiation du traitement avec un petit inoculum limite l’enrichissement des sous-populations résistantes. Dans le cas d’une grande charge bactérienne à l’initiation du traitement, nous 104 Chapitre 2 – Impact de la marbofloxacine sur la flore pathogène avons montré la capacité du rapport T>MPC/TMSW à définir des caractéristiques pertinentes d’exposition à l’antibiotique permettant de prévenir l’enrichissement de sous-populations résistantes. Ce nouvel indice PK/PD pourrait contribuer à une sélection rationnelle plus adaptée des schémas posologiques des antibiotiques. Bien que ces résultats semblent intuitifs, cette étude est la première à présenter une approche PK/PD rationnelle pour la sélection de schémas posologiques adaptés aux contextes curatif et préventif. Nos résultats montrent que, dans le cas d’un traitement antibiotique sur une charge bactérienne importante, le T>MPC doit être suffisamment long afin de produire une diminution précoce de cette charge, ce qui permet de revenir à une situation équivalente à un traitement sur un petit inoculum bactérien. Il apparaît que pour les administrations en dose unique testées de marbofloxacine (qui mime les traitements dits « one-shot » régulièrement recommandés en médecine vétérinaire), que le T>MPC n’est pas assez long pour parvenir à ce but. Cependant le temps de demi-vie d’élimination de la marbofloxacine chez les animaux domestiques peut être beaucoup plus important (supérieur à 13 h) que celui du rat (2.41 h dans notre étude) et une dose unique administrée à des espèces animales de plus grande taille pourrait conduire à un T>MPC plus important que celui observé chez le rat. Des études complémentaires sur différents modèles infectieux et modèles animaux sont donc nécessaires afin de confirmer ce que nous avons observé dans notre étude et pour quantifier les valeurs seuil du rapport T>MPC/TMSW chez les patients (humain et les espèces animales domestiques cibles). 105 106 Chapitre 2 – Article 1 2.7. Article 1 Influence of Inoculum Size and Marbofloxacin Plasma Exposure on the Amplification of Resistant Subpopulations of Klebsiella pneumoniae in a Rat Lung Infection Model. Anne-Sylvie Kesteman, Aude A. Ferran, Agnès Perrin-Guyomard, Michel Laurentie, Pascal Sanders, Pierre-Louis Toutain and Alain Bousquet-Mélou Antimicrobial Agents and Chemotherapy, 2009 Nov; 53(11):4740-48 107 108 Chapitre 2 – Article 1 109 Chapitre 2 – Article 1 110 Chapitre 2 – Article 1 111 Chapitre 2 – Article 1 112 Chapitre 2 – Article 1 113 Chapitre 2 – Article 1 114 Chapitre 2 – Article 1 115 Chapitre 2 – Article 1 116 Chapitre 2 – Article 1 117 118 Chapitre 3 ETUDE EXPERIMENTALE Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 119 120 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif CHAPITRE 3 - ETUDE EXPERIMENTALE 3. Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 3.1. Introduction Nous avons vu dans l’étude bibliographique que l’émergence de résistance bactérienne au cours d’une antibiothérapie pouvait concerner le pathogène cible au niveau du site infectieux, mais également les flores commensales, dont la flore digestive, cela en raison de l’excrétion de l’antibiotique dans le tractus digestif qui expose de façon non intentionnelle la flore normale de l’hôte et entraîne une pression de sélection. L’étude présentée dans le chapitre précédent nous a permis de montrer un impact de la modalité de traitement antibiotique, métaphylactique ou curative, sur le devenir de l’infection et l’émergence de bactéries résistantes au niveau du site infectieux. De plus, nous avons également montré, que pour la même dose totale de marbofloxacine, fractionner la dose en 4 administrations journalières pouvait être bénéfique par rapport à l’administration unique pour prévenir l’émergence de résistance au niveau du site infectieux. Dans cette seconde étude expérimentale, nous avons voulu étudier l’impact d’un traitement de type métaphylactique ou curatif sur la flore commensale digestive des animaux soumis à une infection bactérienne. Nous avons choisi de travailler sur des animaux axéniques chez qui nous avons implanté deux souches bactériennes, une souche Escherichia coli et une souche Enterococcus faecium, provenant d’une flore intestinale porcine afin d’obtenir un système d’étude de la flore simplifié. La souche E. coli retenue étant une représentante de la population majoritaire à Gram négatif de la flore commensale porcine et la souche E. faecium une représentante la population à Gram positif. Ces deux souches peuvent également être à l’origine d’infections zoonotiques. Nous avons commencé par caractériser les deux souches bactériennes porcines avant de les implanter dans le tractus digestif des rats axéniques qui sont donc devenus dixéniques. Nous avons ensuite transposé notre modèle d’infection pulmonaire à KP par une faible ou une forte charge bactérienne à ces animaux dixéniques. Enfin, nous avons testé sur ces animaux différentes doses de marbofloxacine suivant deux modalités d’administration, fractionnée ou unique. Parallèlement nous avons étudié la cinétique de l’élimination de la marbofloxacine dans les fèces d’animaux infectés par un petit inoculum et traités précocement ou infectés par un grand inoculum et traités plus tardivement. 121 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif Les résultats obtenus au cours de ces différentes études seront présentés dans 3 parties distinctes avant d’être discutés dans la dernière partie de ce chapitre. 122 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 3.2. Impact de la charge bactérienne sur la cinétique d’élimination de la marbofloxacine dans les fèces 3.2.1. Problématique et objectifs Le système gastro-intestinal joue un rôle important dans l’élimination des fluoroquinolones (208). L’excrétion biliaire de fluoroquinolones étant limitée à entre 1 et 3 % de la dose administrée, le transport trans-épithélial est probablement la voie d’excrétion intestinale la plus importante notamment via les P-glycoprotéines (P-gp) (30, 209, 236). Ces substances peuvent donc exercer une pression de sélection sur la flore intestinale de l’individu traité, c’est pourquoi il est important d’évaluer l’élimination de cet antibiotique dans les fèces. Nous avons vu précédemment (paragraphe 2.3.1) que l’infection pouvait jouer un rôle sur les paramètres pharmacocinétiques d’une substance. Dans notre étude sur la cinétique plasmatique de la marbofloxacine nous n’avons pas observé de différence significative entre les animaux infectés par un petit inoculum et ceux infectés par un grand inoculum. Cependant, le statut inflammatoire pouvant influencer l’expression des P-gp (179) nous avons exploré l’impact de la modalité de traitement antibiotique, métaphylactique ou curative, sur l’élimination de la marbofloxacine dans les fèces dans les conditions précises de notre modèle d’infection pulmonaire. L’objectif de cette étude était d’évaluer l’élimination de la marbofloxacine dans les fèces de rats infectés par une faible charge bactérienne et traités de façon précoce ou infectés par une forte charge bactérienne et traités de façon plus tardive. 3.2.1.1. Animaux La cinétique de la marbofloxacine dans les fèces a été réalisée en même temps que la cinétique plasmatique, sur les mêmes animaux (paragraphe 2.5.) Pour le groupe d’animaux infectés par le petit inoculum et traités précocement (Groupe C) ainsi que pour le groupe d’animaux infectés par le grand inoculum et traités plus tardivement (Groupe D), en plus des prélèvements sanguins, la totalité des fèces des animaux a été recueillie au cours des 48 h qui ont suivi l’administration de 4, 16 ou 100 mg/kg de marbofloxacine par voie sous cutanée puis conservée à -20°C jusqu’au dosage. 123 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 3.2.1.2. Dosage de la marbofloxacine La méthode de dosage est celle précédemment décrite pour le plasma paragraphe 2.5.2.2. Les fèces obtenues pour chaque intervalle de temps ont été homogénéisées avant de réaliser le dosage. Les échantillons dont les concentrations étaient supérieures à la gamme de concentrations de la courbe de calibration ont été dilués avant le dosage. L’exactitude a varié de 94.8 à 113.87% et la variation de la précision intra-jour et inter jour était en dessous de 7.7% et 10.51% respectivement. La limite de quantification était de 550 ng/mL. 3.2.1.3. Analyse pharmacocinétique Pourcentage de marbofloxacine excrétée dans les fèces La biodisponibilité de la marbofloxacine en administration sous cutanée étant proche de 100%, le pourcentage de marbofloxacine excrétée dans les fèces a été calculé selon l’équation 3. % excrétion X f Equation 3 X marbo Où X f représente la quantité totale de marbofloxacine éliminée dans les fèces et X marbo représente la quantité totale de marbofloxacine administrée. Clairance fécale L’expression de la clairance (Cl) de façon générale est : Cl taux d ' é lim ination d ' un analyte Concentration de référence La clairance fécale pour chaque animal a donc été calculée selon l’équation 4. Cl f X f AUC 0 Equation 4 Où Cl f représente la clairance fécale, X f représente la quantité totale de marbofloxacine éliminée dans les fèces et l’ AUC0 représente l’aire sous la courbe des concentrations plasmatiques de marbofloxacine, qui ont été calculées, pour chaque animal, par la méthode des trapèzes. 124 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 3.2.2. Résultats Les quantités de marbofloxacine excrétées dans les fèces en fonction de la dose pour les animaux infectés par le petit (Groupe C) ou le grand inoculum (Groupe D) sont représentées dans la Figure 21. La quantité de fèces excrétées sur 48 h a été en moyenne de 11.80 1.65 g pour les animaux du groupe C et de 5.65 2.57 g pour les animaux du groupe D. Nous avons observé une relation de proportionnalité entre la quantité de marbofloxacine excrétée sur 48 h et la dose administrée dans chaque groupe d’animaux (Tableau 7). Le pourcentage de marbofloxacine qui a été excrétée dans les fèces sur 48 h a été moins important pour les animaux infectés par le grand inoculum de KP (5%) que pour ceux infectés par le petit inoculum (23%). La clairance fécale moyenne calculée était de 36.7 16.7 mL.h.kg-1 pour les animaux infectés par le grand inoculum de KP et de Quantité de marbofloxacine excrétée (µg) 145.3 33.9 mL.h.kg-1 pour ceux infectés par le petit inoculum. 2000 1600 1200 800 400 0 0 20 40 60 80 100 120 dose (mg/kg) petit inoculum grand inoculum Figure 21 : Quantité de marbofloxacine excrétée dans les fèces en fonction des doses administrées. Quantité cumulée sur 48 h de marbofloxacine excrétée dans les fèces après une administration sous cutanée chez des animaux infectés par un petit (Groupe C) ou un grand (Groupe D) inoculum de K. pneumoniae. Tableau 7: Quantité moyenne de marbofloxacine excrétée dans les fèces des animaux infectés par un petit ou un grand inoculum. Dose de marbofloxacine (mg/kg) Quantité moyenne de marbofloxacine administrée (µg) Quantité moyenne de marbofloxacine excrétée dans les fèces (µg) écart type Petit inoculum Grand inoculum 4 835 58 192 24 42 23 16 3605 232 896 116 168 126 100 22650 636 - 1340 547 125 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 3.2.3. Conclusion Dans notre modèle d’infection pulmonaire on observe une diminution du pourcentage de marbofloxacine excrétée dans les fèces pour les animaux infectés par un grand inoculum par rapport à ceux infectés par un petit. La quantité de marbofloxacine totale excrétée dans les fèces est divisée par 4 pour les animaux infectés par le grand inoculum de KP par rapport à ceux infectés par le petit inoculum. 126 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 3.3. Etude des microorganismes implantés 3.3.1. Problématique et objectifs La sensibilité aux fluoroquinolones des souches bactériennes du tube digestif conditionne la possibilité d’émergence de bactéries résistantes c’est pourquoi il est important de connaître leurs caractéristiques vis-à-vis de cette substance ainsi que leurs paramètres de croissance. L’objectif de cette étude était de déterminer pour les deux souches qui vont être implantées dans les animaux axéniques : une souche E. coli et une souche E. faecium, leurs paramètres de croissance in vitro ainsi que leurs concentrations minimales inhibitrices (CMI) et leurs concentrations prévenant l’apparition de premier mutant (MPC) pour la marbofloxacine. 3.3.2. Matériels et méthodes 3.3.2.1. Souche bactérienne et antibiotique La souche E. coli (T199) et la souche d’E. faecium (T196EF2) utilisées sont d’origine porcine. Elles proviennent du plan de surveillance des abattoirs effectués par l’AFSSA de Fougères en 2006. La marbofloxacine sous forme de poudre a été aimablement fournie par le laboratoire Vetoquinol (Lure, France). 3.3.2.2. Croissance in vitro Pour chaque souche, quelques colonies ont été mises en suspension dans 10 mL de MH et placées à l’étuve à 37°C pour une nuit. Les dénombrements bactériens ont été effectués après 18 h d’incubation, sur gélose Mac Conkey, pour E. coli et sur gélose Slanetz et Bartley pour E. faecium. 3.3.2.3. Test de susceptibilité in vitro La détermination de la CMI de marbofloxacine pour les deux souches a été réalisée selon les méthodes précédemment décrites dans le paragraphe 2.3.2.2. 127 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif La détermination de la MPC de marbofloxacine pour les des deux souches a été réalisée selon les méthodes précédemment décrites paragraphe 2.3.2.2. sur des géloses Mac Conkey pour E. coli et sur du milieu Slanetz et Bartley pour E. faecium. 3.3.3. Résultats 3.3.3.1. Croissance in vitro Après 18 h d’incubation nous avons retrouvé environ 3 108 CFU/mL d’E. faecium et 2 109 CFU/mL d’E. coli. 3.3.3.2. Etude de sensibilité Les valeurs des CMI qui ont été observées étaient de 0.032 µg/mL pour E. coli et de 2 µg/mL pour E. faecium. La MPC observée pour E. coli était de 0.512 µg/mL. La MPC pour E. faecium n’a pas pu être obtenue, peut être à cause d’une interaction entre le milieu Slanetz et Bartley et la marbofloxacine. 3.3.4. Conclusion La CMI ainsi que la MPC de la souche d’E. coli sont semblables à celle de KP implantée dans les poumons, soit, respectivement, 0.032 µg/mL et 0.512 µg/mL. La CMI de la souche d’E. faecium est de 2 µg/mL, mais il ne sera pas possible de rechercher les E. faecium résistantes à la marbofloxacine dans la suite de cette étude étant donné qu’il semble y avoir une interaction entre le milieu de culture sélectif et l’antibiotique. 128 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 3.4. Impact de différents schémas posologiques de marbofloxacine sur la flore commensale 3.4.1. Problématique et objectifs De nombreuses études ont démontré que des bacilles à Gram négatif résistants aux fluoroquinolones peuvent apparaître durant un traitement par cette famille d’antibiotique (95, 108, 159, 170, 189, 214). Cependant ces études sont très souvent de type épidémiologique. Par ailleurs, les études expérimentales de l’impact des antibiotiques sur la flore commensale in vivo sont le plus souvent réalisées sur des animaux sains. Or, comme nous l’avons vu précédemment, le statut infectieux de l’animal peut influencer de nombreux paramètres dont la pharmacocinétique ou la sélection de bactéries résistantes. Il apparaît donc indispensable d’évaluer l’impact d’un traitement antibiotique sur la flore intestinale d’animaux atteints d’une infection. Dans le chapitre 2, nous avons montré qu’un traitement de type métaphylactique avec une dose de marbofloxacine de 16 mg/kg permettait la guérison des animaux sans émergence de bactéries résistantes au niveau des poumons. En revanche, pour une charge bactérienne de plus grande taille à l’initiation du traitement antibiotique, représentant un traitement de type curatif, nous avons montré qu’une dose de marbofloxacine de 64 mg/kg entraînait l’émergence de bactéries résistantes au niveau du site infectieux. Nous nous sommes donc intéressés à l’impact de ces différentes modalités de traitement afin d’évaluer i) si un traitement métaphylactique qui permettait la guérison clinique entraînait l’émergence de résistance dans la flore présente au niveau du tube digestif, ii) si un traitement curatif qui pouvait entraîner l’émergence de résistance au niveau du site infectieux entraînait également l’émergence de résistance dans la flore digestive. Les objectifs de cette étude étaient donc d’évaluer l’impact de différents schémas posologiques de marbofloxacine sur l’émergence de bactéries commensales ou pathogènes résistantes, à la fois au niveau du site infectieux et au niveau du tube digestif, chez des animaux infectés par un petit ou un grand inoculum de KP dans les poumons. 3.4.2. Matériels et méthodes 3.4.2.1. Bactéries et antibiotique La souche Klebsiella pneumoniae ATCC 43816 a été utilisée pour réaliser les infections pulmonaires. 129 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif La souche E. coli (T199) et la souche d’E. faecium (T196EF2) utilisées sont d’origine porcine. Elles proviennent du plan de surveillance des abattoirs effectués par l’AFSSA de Fougères en 2006. L’antibiotique utilisé a été la marbofloxacine sous forme de poudre, aimablement fournie par le laboratoire Vetoquinol (Lure, France) pour la phase in vitro et le MarbocylND 10% (Vetoquinol, Lure, France) pour le traitement des animaux. 3.4.2.2. Préparation de l’inoculum bactérien Pour l’implantation de la flore, quelques colonies de E. coli (T199) et de d’E. faecium (T196EF2) ont chacune été ensemencées dans 50 mL de bouillon MH. La suspension obtenue a été placée à l’étuve pour 18 h. Pour l’infection pulmonaire, une étude préliminaire ayant montré une plus grande mortalité des animaux dixéniques suite à l’infection des poumons par un inoculum de 109 CFU nous avons décidé de diminuer la charge bactérienne pour le « grand » inoculum et de prendre un inoculum de 108 CFU. Quelques KP on été ensemencées dans 50 mL de bouillon MH. La suspension obtenue a été placée à l’étuve pour la nuit puis centrifugée à 3000 g pendant 10 min. Les bactéries ont ensuite été remises en suspension dans du NaCl 0.9% afin d’obtenir une suspension finale contentant 2109 CFU/mL KP. Cette suspension correspondant au grand inoculum a ensuite été diluée au 1000ème afin d’obtenir la suspension correspondant au petit inoculum de 2106 CFU/mL KP. La taille de chaque inoculum ainsi que sa composition en bactéries résistantes a été vérifiée comme cela a été décrit dans le paragraphe 2.3.2.6. 3.4.2.3. Animaux Pour cette étude, des rats mâles OFA axéniques (Charles River, L’arbresle, France), pesant entre 170 et 200 g ont été utilisés. Ils ont été hébergés dans des cages individuelles placées dans 4 isolateurs souples différents avec un cycle jour/nuit de 12h (un isolateur par groupe de traitement). La température ainsi que le degré d’humidité ont été enregistrés de façon continue dans les isolateurs. Les animaux ont eu un accès libre à la nourriture stérile (R03 40, UAR, Villemoisson, France) et à l’eau distillée stérilisée (120°C, 20 min). Le statut axénique des animaux a été vérifié immédiatement après la réception et l’introduction dans les isolateurs et durant toute la période d’acclimatation (Voir le paragraphe 3.4.2.7.). 130 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 3.4.2.4. Implantation de la flore Après une semaine d’acclimatation, les animaux reçoivent via une sonde intragastrique 1 mL de la suspension bactérienne d’E. coli contenant environ 109 CFU/mL et 1 mL de la suspension bactérienne d’E. faecium contenant environ 109 CFU/mL. 3.4.2.5. Infection pulmonaire par KP L’inoculation des poumons par KP a été effectuée de la même manière que pour les animaux conventionnels (paragraphe 2.3.2.4.) avec un inoculum de 2 106 CFU/mL soit 105 CFU de KP in toto ou 2 109 CFU/mL soit 108 CFU de KP in toto. 3.4.2.6. Traitement antibiotique Le traitement à la marbofloxacine (MarbocylND, Vetoquinol, Lure, France) a débuté 4 h (Groupe A, infectés par le petit inoculum) ou 24 h (Groupe B, infectés par le grand inoculum) après l’inoculation des poumons par KP. La marbofloxacine a été administrée par voie sous cutanée dans un volume de 0.3 mL. Les animaux ont été traités suivant deux modalités : la dose de marbofloxacine a été administrée en une seule prise ou divisée en 4 administrations sur 4 jours. Pour le groupe A la dose de marbofloxacine était de 16 mg/kg et pour le groupe B de 64 mg/kg. Sept jours après le début du traitement à la marbofloxacine, les animaux ont été euthanasiés par une injection intrapéritonéale de pentobarbital sodique (DolethalND, Vetoquinol, France). Les poumons ont alors été prélevés de manière stérile et homogénéisés dans 10 mL de NaCl 0.9%. Les homogénats obtenus ont été centrifugés 10 min à 3000g puis lavés deux fois dans du NaCl 0.9% afin d’éliminer les traces éventuelles d’antibiotique. Chaque groupe de traitement comprenait de 7 à 10 rats. Un échantillon de fèces de chaque animal a été prélevé à t = 0, 4 et 7 jours après l’initiation du traitement à la marbofloxacine. 3.4.2.7. Etude bactériologique Vérification du statut axénique Les échantillons de fèces ont été dilués au 10ème dans de l’eau distillée et homogénéisés. Cent microlitres de chaque homogénat ont été ensemencés sur des milieux sélectifs et non sélectifs incluant du milieu Schaedler (Difco, France) supplémenté de sang 131 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif de mouton pour les bactéries anaérobies, du milieu Brain Hearth Infusion (BHI, AES, France) supplémenté de sang de mouton pour les bactéries aérobies, du milieu Malt Extract Agar (MEA, AES, France) pour les levures ainsi que dans du bouillon Trypticase Glucose Yeast extract (TGY). Chaque homogénat a été ensemencé 2 fois sur chaque milieu. Les géloses BHI ainsi que les bouillons TGY ont été placés à l’étude à 37°C pendant 4 jours. Les géloses Shaedler ont été placées en milieu anaérobie à 37°C pendant 4 jours. Les géloses MAE ont été placées à l’étuve à 30°C pendant 4 jours. Etude bactériologique des fèces Les échantillons de fèces ont été dilués au 10ème dans de l’eau distillée et homogénéisés, puis des dilutions successives au 10ème ont été réalisées. Pour chaque échantillon, 100 µL de 3 des dilutions au 10ème ont été ensemencés sur des géloses Slanetz et Bartley (AES, France) pour le dénombrement d’E. faecium, sur des géloses Mac Conkey (AES, France) pour le dénombrement d’E. coli et sur des géloses Mac Conkey supplémentées par 0.3 µg/mL de marbofloxacine pour les E. coli résistantes. Pour chaque milieu, 2 géloses ont été ensemencées. Les géloses ont ensuite été placées à l’étuve à 37°C. Le dénombrement des bactéries, a été effectué après 24 h d’incubation à 37°C pour E. coli et 48 h pour E. faecium et E. coli résistantes Si les colonies étaient trop petites, l’incubation était poursuivie pendant 24 heures. La moyenne du nombre de colonies des 2 boîtes issues du même homogénat a été calculée pour obtenir le nombre de bactéries par gramme de fèces. La limite inférieure de détection était de 100 CFU/g de fèces, les bactéries ont été considérées comme étant éradiquées en dessous de ce seuil. Etude bactériologique des poumons L’étude bactériologique des poumons a été réalisée selon la méthode décrite dans le paragraphe 2.3.2.6. (page 79) pour les animaux conventionnels. 132 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 3.4.3. Résultats 3.4.3.1. Impact des différents schémas posologiques de marbofloxacine sur la flore pathogène dans les poumons La quantité de KP retrouvée dans les poumons des animaux ainsi que les pourcentages d’animaux porteurs de KP résistantes dans les poumons pour chaque groupe de traitement sont rapportés dans le Tableau 8. Tableau 8 : Population bactérienne totale et pourcentage d’animaux porteurs de KP résistantes dans les poumons 7 jours après l’initiation du traitement à la marbofloxacine. Petit Inoculum Grand inoculum 16 mg/kg 64 mg/kg Dose totale de marbofloxacine Modalité d’administration Groupe unique A1 fractionnée A2 unique B1 fractionnée B2 n 10 8 7 7 Animaux morts 0/10 0/10 3/7 Nombres de bactéries totales log10 CFU/poumons (Moyenne écart type) Pourcentage d’animaux porteur de KP résistantes dans les poumons 0.1 0.2 0.13 0.8† 5.1 1.9 5.9 1.8 0% 0% 43% 14% † a 1/7 a † Pour le calcul de ces moyennes, la valeur 0 log10 CFU a été assignée aux poumons pour lesquels les bactéries étaient indétectables. a Les animaux sont morts dans les 48-72 heures suivant l’inoculation de KP et sont inclus dans le calcul des pourcentages d’animaux porteurs de KP résistantes dans les poumons. Les animaux morts ne pas sont pris en considération pour le calcul de la population moyenne de bactérie dans les poumons. Pour les animaux infectés par le petit inoculum de KP (Groupe A), 7 jours après l’initiation du traitement antibiotique nous avons observé une diminution de la charge bactérienne en dessous de la limite de détection et ce, quelle que soit la modalité d’administration (unique ou fractionnée) de la dose de marbofloxacine de 16 mg/kg. En revanche, pour les animaux infectés par le grand inoculum de KP et traités par 64 mg/kg de marbofloxacine (Groupe B), nous avons observé une certaine mortalité, plus importante pour les animaux recevant l’administration unique (3 rats sur 7) que pour ceux recevant l’administration fractionnée (1 rat sur 7). Chez les animaux ayant survécu, la charge bactérienne retrouvée 7 jours après l’initiation du traitement avait diminué d’environ 2 à 3 log quelle que soit la modalité d’administration de la dose de marbofloxacine (unique ou fractionnée). Chez les animaux qui ont survécu jusqu’à la fin de l’expérience, nous n’avons pas retrouvé de KP résistantes à la marbofloxacine dans les poumons. Cependant, la mortalité observée dans le groupe B survenant entre 48 et 72 h après le début du traitement à la marbofloxacine peut être attribuée à l’infection bactérienne au vu des signes cliniques 133 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif observés. Nous avons fait l’hypothèse que ces animaux étaient porteurs de bactéries résistantes et nous les avons inclus comme tel pour le calcul du pourcentage d’animaux porteur de KP résistantes dans les poumons. 3.4.3.2. Impact des différents schémas posologiques de marbofloxacine sur la flore du tube digestif Impact sur la population d’E. faecium Pour les deux groupes d’animaux (A et B), quelles que soient la dose et la modalité d’administration de la marbofloxacine nous n’avons pas observé d’impact du traitement sur la population d’E. faecium comme cela est visible sur la Figure 22. A Marbofloxacine – 16mg/kg Marbofloxacine – 4 4 mg/kg 12 12 10 10 8 6 4 2 LOQ Infection pulmonaire 109 CFU Inoculation de la flore Log CFU/g de fèces Log CFU/g de fèces B Infection pulmonaire 105 CFU Inoculation de la flore Marbofloxacine – 64 mg/kg Marbofloxacine – 4 16 mg/kg 8 6 4 2 LOQ 0 0 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 Temps post implantation (jour) Temps post implantation (jour) Petit Inoculum - Administration unique Grand Inoculum - Administration unique Petit Inoculum - Administration fractionnée Grand Inoculum - Administration fractionnée Figure 22 : Evolution de la population fécale d’E. faecium au cours du temps Evolution de la population d’E. faecium (moyenne écart type) durant la période d’implantation, le traitement à la marbofloxacine et à l’arrêt du traitement, pour les animaux infectés par le petit inoculum (A) ou le grand inoculum (B). (A) les animaux reçoivent 16 mg/kg de marbofloxacine en administration unique (rouge) ou fractionnée en 4 administrations de 4 mg/kg (bleu), le traitement débute 4 h après l’inoculation de KP dans les poumons. (B) les animaux reçoivent 64 mg/kg de marbofloxacine en administration unique (rouge) ou fractionnée en 4 administrations de 16 mg/kg (bleu), le traitement débute 24 h après l’inoculation de KP dans les poumons. Impact sur la population d’E. coli Contrairement à ce qui s’est produit pour la population d’E. faecium, le traitement antibiotique a modifié la population d’E. coli présente dans le tube digestif des animaux. 134 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif Au cours des différents traitements, pour les animaux infectés par le petit et par le grand inoculum de KP et quelle que soit la modalité de traitement (fractionnée ou unique), nous avons observé une diminution transitoire de la population d’E. coli (Figure 23). Cette diminution de la population d’E. coli a été associée dans tous les cas à un retour à un niveau de colonisation 7 jours après l’initiation du traitement à peu près équivalent à celui observé avant le traitement antibiotique. A B Inoculation de la flore Infection pulmonaire 105 CFU Marbofloxacine – 16mg/kg Marbofloxacine – 4 4 mg/kg 12 10 8 6 4 2 LOQ 0 Infection pulmonaire 109 CFU Marbofloxacine – 64 mg/kg Marbofloxacine – 4 16 mg/kg 12 Log CFU/g de fèces Log CFU /g de fèces Inoculation de la flore 10 8 6 4 2 LOQ 0 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 Temps post implantation (jour) 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 Temps post implantation (jour) Petit Inoculum - Administration unique Grand Inoculum - Administration unique Petit Inoculum - Administration fractionnée Grand Inoculum - Administration fractionnée Figure 23 : Evolution de la population fécale d’E. coli au cours du temps Evolution de la population d’E. coli (moyenne écart type) durant la période d’implantation, le traitement à la marbofloxacine et à l’arrêt du traitement, pour les animaux infectés par le petit inoculum (A) ou le grand inoculum (B). (A) les animaux reçoivent 16 mg/kg de marbofloxacine en administration unique (rouge) ou fractionnée en 4 administrations de 4 mg/kg (bleu), le traitement débute 4 h après l’inoculation de KP dans les poumons. (B) les animaux reçoivent 64 mg/kg de marbofloxacine en administration unique (rouge) ou fractionnée en 4 administrations de 16 mg/kg (bleu), le traitement débute 24 h après l’inoculation de KP dans les poumons. Nous avons également observé l’émergence d’E. coli résistantes à la marbofloxacine dans tous les groupes d’animaux, alors qu’aucun animal ne présentaient d’E. coli résistantes dans les fèces à J0. Les pourcentages d’animaux porteurs d’E. coli résistantes dans les fèces ainsi que les quantités moyennes d’E. coli résistantes retrouvées dans les fèces sont rapportés dans le Tableau 9 pour les animaux infectés par le petit inoculum et dans le Tableau 10 pour ceux infectés par le grand inoculum. Pour les groupes A1, A2 et B2 ces pourcentages d’animaux porteurs d’E. coli résistantes observés ont été de 10 à 17%. Seul le groupe B1 (grand inoculum, 64 mg/kg en administration unique) a montré un pourcentage d’animaux porteurs d’E. coli résistantes important, i.e. 50% des animaux à la fin de l’expérimentation. 135 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif Tableau 9 : Quantité d’E. coli résistantes, de KP et de KP résistantes dans les fèces des animaux infectés par le petit inoculum de KP, 4 et 7 jours après l’initiation du traitement à la marbofloxacine. E. coli résistantes moyenne nbre dose totale de log10 marbofloxacine animaux % CFU/g porteur/ et modalité animaux d'administration nombre porteur de fèces total écart animaux type K. pneumoniae K. pneumoniae résistantes moyenne nbre log10 animaux % CFU/g porteur/ animaux de fèces nombre porteur total écart animaux type moyenne nbre log10 animaux % CFU/g porteur/ animaux de fèces nombre porteur total écart animaux type 4 jours après l'initiation du traitement 16 mg/kg Unique 0/10 0% - 16 mg/kg 0/8 0% Fractionnée 7 jours après l'initiation du traitement 16 mg/kg 1/10 10% 3.8* Unique 16 mg/kg Fractionnée 1/8 13% 3.9* 2/10 20% 5.0 3.2 0/10 0% - 0/8 0% - 0/8 0% - 6/10 60% 8.1 1.1 4/10 40% 3.8 1.5 1/8 13% 5.7* 0/8 0% 0 * Un seul animal de ce groupe était porteur de la bactérie Tableau 10 : Quantité d’E. coli résistantes, de KP et de KP résistantes dans les fèces des animaux infectés par le grand inoculum de KP, 4 et 7 jours après l’initiation du traitement à la marbofloxacine. E. coli résistantes moyenne nbre dose totale de log10 animaux marbofloxacine % CFU/g porteur/ et modalité animaux d'administration nombre porteur de fèces total écart animaux type 4 jours après l'initiation du traitement 64 mg/kg 0/6 0% Unique - 64 mg/kg 0/6 0% Fractionnée 7 jours après l'initiation du traitement 64 mg/kg 2/4 50% 2.0 0 Unique 64 mg/kg Fractionnée 1/6 17% 6.0* K. pneumoniae K. pneumoniae résistantes moyenne nbre log10 animaux % CFU/g porteur/ animaux de fèces nombre porteur total écart animaux type moyenne nbre log10 animaux % CFU/g porteur/ animaux de fèces nombre porteur total écart animaux type 5/6 83% 3.1 2.4 3/6 50% 1.4 1.9 1/6 17% 1.7* 0/6 0% - 4/4 100% 7.3 1.3 4/4 100% 5.4 0.1 4/6 67% 5.9 0.6 1/6 17% 1.7* * Un seul animal de ce groupe était porteur de la bactérie Colonisation du tractus digestif par K. pneumoniae Au cours de notre étude, nous avons observé la colonisation du tube digestif de certains animaux par KP. Les pourcentages d’animaux porteurs de KP dans les fèces ainsi que les quantités moyennes de KP retrouvées dans les fèces sont rapportés dans le Tableau 136 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 9 pour les animaux infectés par le petit inoculum et dans le Tableau 10 pour ceux infectés par le grand inoculum. La colonisation du tube digestif par KP a été observée 4 jours après l’initiation du traitement antibiotique des animaux des groupes A1 (petit inoculum, 16 mg/kg administration unique), B1 et B2 (grand inoculum, 64 mg/kg). Sept jours après l’initiation du traitement à la marbofloxacine cette colonisation a été observée chez tous les groupes d’animaux de façon plus importante pour les groupes traités par administration unique que pour les groupes recevant une administration fractionnée de marbofloxacine (60% versus 13% respectivement pour l’administration unique et fractionnée pour le petit inoculum et 100% versus 67% respectivement pour l’administration unique et fractionnée pour le grand inoculum). De plus, nous avons observé chez certains animaux la colonisation du tube digestif par une sous-population de KP résistantes à 0.3 µg/mL de marbofloxacine. Les pourcentages d’animaux porteurs de KP résistantes dans les fèces ainsi que les quantités moyennes de KP résistantes retrouvées dans les fèces sont rapportés dans le Tableau 9 pour les animaux infectés par le petit inoculum et dans le Tableau 10 pour ceux infectés par le grand inoculum. Quatre jours après l’initiation du traitement à la marbofloxacine ces KP résistantes n’ont été retrouvées que dans les fèces du groupe B2 (64 mg/kg, administration unique) chez 57% des animaux. Sept jours après l’initiation du traitement, ces bactéries résistantes ont été retrouvées chez les animaux infectés par le petit ou le grand inoculum de KP ayant été traités par une dose unique (A1 et B1) ainsi que chez les animaux infectés par le grand inoculum de KP (groupe B2) ayant reçu 64 mg/kg de marbofloxacine en administration fractionnée. Les pourcentages d’animaux porteurs de KP résistantes dans les fèces sont rapportés dans le Tableau 9 et les quantités moyennes de KP résistantes retrouvées dans les fèces pour chaque groupe d’animaux sont rapportées dans le Tableau 10. Sept jours après l’initiation du traitement à la marbofloxacine nous n’avons retrouvé aucune KP résistante dans les poumons des animaux porteurs de KP résistantes dans les fèces. 3.4.4. Conclusion Au cours de cette étude nous avons pu mettre en évidence un impact négatif et transitoire du traitement antibiotique, quelles que soient la dose et la modalité d’administration, sur la population d’E. coli pouvant conduire à l’émergence d’E. coli résistantes dans le tube digestif des animaux traités. En revanche, nous n’avons pas 137 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif observé d’impact négatif du traitement à la marbofloxacine sur la population totale d’E. faecium. Parallèlement, nous avons mis en évidence une colonisation du tube digestif par la bactérie pathogène présente au niveau des poumons au cours du traitement. Cette colonisation apparaît plus importante lorsque la dose de marbofloxacine est administrée en une seule fois plutôt que fractionnée. L’émergence de résistance a été constatée au sein de cette population exogène implantée dans le tube digestif, là encore de façon plus importante lorsque l’antibiotique est administré en dose unique. L’émergence de résistance dans le tube digestif des animaux, quelles que soient la modalité de traitement et le schéma posologique, est observée chez des animaux qui ne présentent pas de résistance au niveau des poumons à la fin de l’étude. 138 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 3.5. Discussion L’antibiothérapie vétérinaire, particulièrement les traitements préventifs et métaphylactiques, est accusée d’être l’une des causes responsables de l’augmentation des résistances bactériennes chez l’Homme. Nous avons vu dans le chapitre 2 qu’un traitement de type métaphylactique permettait de prévenir l’émergence de résistance au niveau du site infectieux avec des doses plus faibles d’antibiotique qu’un traitement de type curatif. Nous avons vu dans le chapitre 1 (paragraphe 1.5.3., page 56) qu’un traitement antibiotique pouvait également avoir un impact sur l’émergence de résistance dans la flore commensale du tube digestif. Dans la continuation des résultats du chapitre 2, l’objectif de cette étude était donc de déterminer l’impact d’un traitement de type métaphylactique sur la flore du tube digestif. 3.5.1. Impact de la charge bactérienne sur l’élimination de la marbofloxacine dans les fèces Dans le chapitre 2, nous avons observé des cinétiques plasmatiques de marbofloxacine similaires entre les animaux infectés par un petit ou un grand inoculum. En revanche, l’étude de l’élimination fécale de la marbofloxacine a montré que la fraction de la dose administrée qui était excrétée dans les fèces était 4 fois moins importante chez les animaux infectés par le grand inoculum par rapport à ceux infectés par le petit. Ces résultats indiquent que dans notre étude l’exposition du tube digestif des animaux infectés par le petit inoculum et traités avec 16 mg/kg de marbofloxacine était à peu près équivalente à celle des animaux infectés par un grand inoculum et traités par 64 mg/kg de marbofloxacine. Ces résultats confirment ceux obtenus par Lindecrona et al. (133) pour la danofloxacine chez des porcs infectés par Salmonella typhimurium. Les fluoroquinolones peuvent atteindre le tube digestif via la sécrétion biliaire ou être excrétées directement au niveau intestinal ; cependant, la sécrétion biliaire de certaines fluoroquinolones est limitée (208, 209). Ce serait donc la sécrétion intestinale qui jouerait un rôle prépondérant dans l’excrétion des fluoroquinolones dans le tube digestif. Chez les animaux infectés par le grand inoculum, nous avons observé une réduction de la prise alimentaire qui s’est traduite par une diminution de la quantité de fèces excrétées pour ce groupe, i.e. deux fois moins que pour celui infecté par le petit inoculum (paragraphe 3.2.2.). Cette réduction de la prise alimentaire a pu entraîner une diminution de la perfusion sanguine du tube digestif qui pourrait expliquer la diminution de l’excrétion de la marbofloxacine chez ces animaux. De plus, Blatteis et al. (20) ont montré qu’une l’inflammation diminuait le flux sanguin splanchnique. La sécrétion gastro-intestinale des fluoroquinolones passe par plusieurs systèmes de transports 139 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif spécifiques et notamment via les P-gp et les MRP2 (201, 239). Or, l’expression des P-gp hépatiques ainsi que l’expression des cytochromes P450, qui sont impliqués dans le métabolisme des fluoroquinolones, est nettement réduite chez le rat lors d’une inflammation aiguë via des médiateurs de l’inflammation tel que IL-6 notamment (74, 96, 179). Il est donc possible que le statut inflammatoire des animaux infectés par le grand inoculum entraîne une diminution de l’expression des P-gp intestinales chez ces animaux expliquant une partie de la diminution d’excrétion de la marbofloxacine dans le tube digestif. Des études complémentaires seraient nécessaires afin de confirmer ces hypothèses. 3.5.2. Impact des différentes modalités de traitement antibiotique sur la flore pathogène au niveau du site infectieux Pour les animaux infectés par le petit inoculum, nous n’avons pas retrouvé de flore pathogène au niveau du site infectieux, comme cela avait déjà été le cas pour l’étude sur les animaux conventionnels (chapitre 2). Pour les animaux dixéniques infectés par le grand inoculum, la charge bactérienne retrouvée dans les poumons 7 jours après l’initiation du traitement a été légèrement inférieure à celle retrouvée 4 jours après l’initiation du traitement chez les animaux conventionnels. Cette différence peut avoir deux explications. D’une part, pour les animaux dixéniques, le prélèvement des poumons a été effectué plus tard que pour les animaux conventionnels et le système immunitaire des animaux a pu prendre le relais du traitement antibiotique et entraîner une diminution de la charge bactérienne durant cette période. D’autre part, le grand inoculum était plus petit pour les animaux dixéniques que pour les animaux conventionnels (108 CFU versus 10 9CFU) et la diminution de la charge bactérienne observée dans les deux cas était d’environ 2 log, donc similaire. Pour les animaux infectés par le grand inoculum, nous n’avons pas retrouvé de KP résistantes à la marbofloxacine dans les poumons des animaux survivants contrairement à ce qui a été observé chez les animaux conventionnels. Cependant, si l’on considère que les animaux morts au cours du traitement sont morts à cause de l’infection car ils étaient porteurs de KP résistantes dans les poumons nous retrouvons des pourcentages d’animaux porteurs de bactéries résistantes dans les poumons assez similaires à ceux observés chez les animaux conventionnels, i.e. respectivement 14% et 27% pour l’administration fractionnée et 43% et 50% pour l’administration unique (Tableau 3 page 49 et Tableau 8 page 133). La sensibilité plus importante des animaux dixéniques vis-à-vis de l’infection bactérienne (3 rats dixéniques sur 5 infectés par un inoculum de 109 CFU et traités par 16 mg/kg de marbofloxacine en administration fractionnée sont morts dans les 48 h suivant l’initiation du traitement alors que le même traitement sur des animaux conventionnels n’a 140 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif pas entrainé de mortalité) est probablement la cause de la mortalité plus précoce par rapport aux animaux conventionnels. Afin de confirmer la présence de bactéries résistantes au niveau des poumons chez les animaux dixéniques infectés par le grand inoculum et traités par 64 mg/kg de marbofloxacine, il aurait été nécessaire de prélever les poumons des animaux plus tôt que pour les animaux conventionnels. 3.5.3. Impact des différentes modalités de traitement sur la flore commensale du tube digestif Dans notre modèle, que ce soit dans le cadre d’une antibiothérapie métaphylactique ou curative, tous les schémas posologiques utilisés ont entraîné une diminution transitoire de la population d’E. coli mais n’ont eu aucun impact sur la population d’E. faecium. Ces résultats confirment ceux obtenus lors de précédentes études, comme nous l’avons vu dans l’étude bibliographique, qui ont montré qu’un traitement aux fluoroquinolones inhibait transitoirement les populations à Gram négatif et n’avait que peu d’impact sur les populations à Gram positif. Parallèlement à cette diminution de la population d’E. coli, nous avons observé l’émergence d’E. coli résistantes à la marbofloxacine dans tous les groupes de traitement ce qui confirme les données de la littérature qui indiquent que des bacilles à Gram négatif résistants aux fluoroquinolones peuvent apparaître au cours d’un traitement par cette famille d’antibiotique (95, 108, 159, 170, 189, 214). Cette émergence de résistance est restée limitée dans la plupart des groupes expérimentaux (entre 10 et 17% des animaux), mais elle est devenue importante pour les animaux infectés par le grand inoculum et traités par 64 mg/kg de marbofloxacine en administration unique (50%). L’étude de l’excrétion de la marbofloxacine dans les fèces ayant montré que la quantité de marbofloxacine excrétée était équivalente pour les deux groupes d’animaux (infectés par le petit ou le grand inoculum), il n’est pas surprenant d’obtenir des pourcentages d’animaux porteurs d’E. coli résistantes assez similaires entre les groupes A1, A2 et B2. Bien que le groupe B1 ait présenté un pourcentage d’animaux porteurs d’E. coli résistantes beaucoup plus important que les autres, il faut rappeler que ce pourcentage n’a été calculé que sur 4 animaux étant donné que 3 animaux de ce groupe sont morts au cours du traitement. De plus, les 2 animaux porteurs d’E. coli résistantes ne l’ont été qu’à un faible niveau (2 log10 CFU/mL) équivalent à celui des autres groupes d’animaux (Tableau 9 et Tableau 10, page 136) ce qui tend à suggérer que l’administration unique de 64 mg/kg de marbofloxacine chez les animaux infectés par le grand inoculum n’a pas augmenté l’émergence d’E. coli résistantes par rapport aux autres groupes (A1, A2 et B2). 141 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif 3.5.4. Colonisation du tractus digestif par la bactérie pathogène et émergence de résistance En revanche, le fait marquant de notre étude est la colonisation du tube digestif des animaux par la bactérie pathogène présente au niveau du site infectieux. Cette colonisation du tube digestif par des KP pulmonaires a pu se produire suite à une bactériémie ou via l’ingestion de mucus remontant les voies respiratoires. Il semble que cette seconde hypothèse soit la plus probable étant donné qu’aucune bactériémie n’a été observée chez les animaux infectés par un petit inoculum traités à la marbofloxacine alors que ces animaux présentaient des KP dans les fèces. Plusieurs études ont suggéré que l’inhibition de la flore commensale pourrait conduire à la colonisation du tube digestif par des organismes qui sont ingérés (55, 56, 196). Dans notre modèle, l’absence de flore anaérobie, qui est connue pour participer activement au rôle de barrière (voir paragraphe 1.5.2., page 55), pourrait expliquer la colonisation du tube digestif par KP. En effet, différentes études ont montré qu’un traitement antibiotique associé à un traitement inhibiteur de la flore anaérobie, la clindamycine, facilitait la colonisation du tube digestif par un organisme exogène administré par gavage (182, 183, 213). Cette colonisation du tube digestif par KP a été observée chez les animaux dans tous les groupes, mais elle est apparue plus fréquemment chez les animaux infectés par le grand inoculum (groupes B1 et B2). Quelle que soit la taille de l’inoculum de départ, cette colonisation a été plus fréquente chez les animaux recevant leur traitement de marbofloxacine en administration unique en comparaison de ceux qui l’ont reçu en administration fractionnée. (Tableau 9 et Tableau 10, page 135). Néanmoins la quantité moyenne de KP retrouvée dans les fèces des animaux du groupe A1 traités par l’administration unique de marbofloxacine a été sensiblement équivalente à celle du groupe B1 traité par l’administration unique ; il en est de même pour l’administration fractionnée entre les groupes A2 et B2 (Tableau 9 et Tableau 10, page 136). Dans cette population de KP intestinales, nous avons également observé l’émergence de KP résistantes à 0.3 µg/mL de marbofloxacine. De la même façon que pour KP, le pourcentage d’animaux porteurs de ces KP résistantes a été plus important pour les animaux recevant la marbofloxacine en administration unique par rapport à l’administration fractionnée. Le pourcentage d’animaux porteurs de KP résistantes a également été plus important chez les animaux infectés par le grand inoculum par rapport à ceux infectés par le petit inoculum (Tableau 9 et Tableau 10, page 135). Quels que soient les modalités d’administration et les schémas posologiques l’émergence de KP résistantes au niveau du tube digestif des animaux n’a jamais été associée à la présence de KP résistantes dans les poumons. Ceci suggère qu’un traitement 142 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif antibiotique qui permet de limiter l’émergence de bactéries résistantes au niveau du site infectieux peut simultanément être à l’origine de la création d’un réservoir de résistance pour les bactéries présentes initialement au niveau du site infectieux. Comme nous l’avons vu précédemment, malgré une dose de marbofloxacine plus importante, la quantité de marbofloxacine excrétée dans les fèces pour les animaux infectés par le grand inoculum (Groupes B1 et B2) est sensiblement identique à celle des animaux infectés par le petit inoculum (Groupe A1 et A2). Une exposition plus importante du tube digestif à la marbofloxacine pour les animaux des groupes B traités par 64 mg/kg de marbofloxacine ne peut donc pas expliquer les pourcentages plus élevés d’animaux porteurs de KP et de KP résistantes dans les fèces dans les groupes B1 et B2 par rapport aux groupes infectés par le petit inoculum et traités par 16 mg/kg de marbofloxacine (A1 et A2). Deux hypothèses peuvent expliquer cette différence. D’une part, la quantité de KP dans les poumons des rats infectés par le grand inoculum est plus importante donc la probabilité pour cette bactérie de coloniser le tube digestif augmente. D’autre part, le traitement antibiotique commence plus tard pour les animaux infectés par le grand inoculum (24 h après l’inoculation de KP) que pour le groupe infecté par le petit inoculum (4 h). KP peut donc coloniser le tube digestif des animaux infectés par le grand inoculum durant les 24 h précédant l’initiation du traitement antibiotique, quand le tube digestif n’a pas encore été exposé à la marbofloxacine. Ces hypothèses sont confirmées par les résultats obtenus après 4 jours de traitement pour lesquels on observe que le pourcentage d’animaux porteurs de KP dans les fèces est plus important pour les groupes infectés par le grand inoculum que pour ceux infectés par le petit inoculum (Tableau 9 et Tableau 10, page 135). Néanmoins une étude complémentaire, avec des effectifs plus importants et un suivi quotidien des populations bactériennes dans les fèces serait nécessaire afin de confirmer cette hypothèse. Bien qu’aucune étude ne l’ait confirmé, il est possible que les indices PK/PD plasmatiques soient transposables au niveau des concentrations observées dans le tube digestif. Dans ce cas, l’effet négatif de l’administration en dose unique sur la colonisation du tube digestif par KP et KP résistantes pourrait être imputé à un rapport T>MPC/TMSW au niveau du tube digestif plus faible que pour l’administration fractionnée. En effet, comme nous l’avons vu dans le chapitre 2 au niveau des poumons, le traitement par administration unique de la dose a produit un T>MPC court et un TMSW important ce qui a pu favoriser la sélection de bactéries résistantes pour les doses testées. Cependant les données obtenues lors de l’étude pharmacocinétique de l’excrétion de la marbofloxacine dans les fèces ne nous permettent pas de calculer ce rapport au niveau du tube digestif. De plus il est possible que les paramètres pharmacocinétiques des animaux dixéniques diffèrent de ceux des animaux 143 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif conventionnels. Des études complémentaires plus complètes, de la cinétique de la marbofloxacine notamment, seront donc nécessaires afin de confirmer cette hypothèse au niveau du tube digestif. 3.5.5. Conclusion Dans cette étude nous avons montré que lors d’une infection, d’une part la bactérie pathogène présente au niveau du site infectieux pouvait coloniser le tube digestif et d’autre part, que le traitement antibiotique de cette infection pouvait conduire à l’émergence de résistance aussi au sein de cette flore pathogène implantée dans le tube digestif. Si la colonisation du tube digestif par une bactérie pathogène exogène suite à l’absence de flore de barrière avait déjà été observée (182, 183, 213), cette étude est à notre connaissance la seule pour laquelle la colonisation s’est faite de façon naturelle suite à l’infection et la seule à montrer l’émergence de résistance au sein de cette flore pathogène digestive. Nos résultats montrent également qu’un traitement par une fluoroquinolone qui permet la guérison et prévient l’émergence de bactéries résistantes au niveau du site infectieux peut, dans le même temps, permettre l’émergence de ces même bactéries pathogènes au niveau du tube digestif ce qui peut entraîner la mise en place d’un réservoir de bactéries résistantes. De plus, les études sur rats conventionnels consacrées uniquement à la flore pathogène présente au niveau du site infectieux (chapitre 2) ont montré que l’administration de type « one shot » pourrait favoriser l’émergence de résistance si la dose d’antibiotique n’était pas adaptée chez des animaux ayant reçu un traitement curatif. Cependant, nous n’avons pas vu d’effet négatif de l’administration « one shot » lors d’un traitement métaphylactique. Les résultats présentés dans cette deuxième étude expérimentale ont mis en évidence que l’administration de type « one shot » pouvait avoir un impact négatif sur la flore digestive, plus particulièrement sur la colonisation du tube digestif par une bactérie exogène y compris chez des animaux ayant reçu un traitement de type métaphylactique. L’ensemble de nos études semble donc montrer que pour un traitement de type préventif tel que la prophylaxie ou la métaphylaxie, fractionner la dose pourrait être bénéfique en termes de colonisation du tube digestif par la bactérie pathogène et éviter ainsi la mise en place d’un réservoir de cette bactérie ainsi que l’émergence de résistance pour cette même bactérie. Cependant, il est important de noter que cette étude a été réalisée chez le rat et dans un écosystème intestinal artificiel. Ce modèle diffère de la flore « normale » des animaux notamment par son manque de bactéries anaérobies qui participent au rôle de flore de barrière. De plus, les paramètres pharmacocinétiques des rats ne sont pas les mêmes que 144 Chapitre 3 – Impact d’un traitement à la marbofloxacine sur la flore du tube digestif ceux des humains ou des espèces animales cibles de l’antibiothérapie. Nous ne pouvons donc pas exclure la possibilité que l’exposition digestive à la marbofloxacine chez le rat diffère de celle des autres espèces, notamment des espèces pour lesquelles le temps de demi-vie de la marbofloxacine est nettement plus long. D’autres études dans d’autres modèles animaux et avec une microflore complète, ainsi que des études plus complètes de cinétique de l’antibiotique sont donc nécessaires afin de confirmer ces résultats. 145 . 146 Article 2 3.6. Article 2 Emergence of resistant Klebsiella pneumoniae in the intestinal tract during a successful treatment of Klebsiella pneumoniae lung infection in rats. Anne-Sylvie Kesteman, Agnès Perrin-Guyomard, Michel Laurentie, Pascal Sanders, Pierre-Louis Toutain and Alain Bousquet-Mélou Antimicrobial Agents and Chemotherapy, 2010 Jul; 54(7):2960-64 147 Article 2 149 Article 2 150 Article 2 151 Article 2 152 Article 2 153 154 DISCUSSION GENERALE 155 156 Discussion générale DISCUSSION GENERALE Les traitements antibiotiques en médecine vétérinaire, notamment les traitements de type métaphylactique ou prophylactique, administrés à un grand nombre d’animaux font l’objet de controverse quant à leur contribution à l’émergence de bactéries résistantes et à la transmission de cette résistance à l’Homme (2, 24, 176, 217). L’objectif de ce travail de thèse était d’évaluer l’impact d’un traitement métaphylactique par rapport à un traitement curatif sur l’émergence de bactéries résistantes à la fois au niveau du site infectieux et de la flore commensale du tube digestif des animaux traités. Dans la première partie de ce travail, en mettant au point une infection pulmonaire chez le rat obtenue par deux charges bactériennes de tailles différentes, nous avons reproduit des traitements de type métaphylactique et curatif. L’administration de différentes doses de marbofloxacine, selon deux schémas d’administration, unique ou fractionné sur 4 jours, a mis en évidence d’une part l’influence de la charge bactérienne présente à l’initiation de l’antibiothérapie et d’autre part, le rôle du schéma d’administration sur l’émergence de bactéries résistantes au cours du traitement antibiotique. Nous n’avons pas observé de relation entre les indices PK/PD habituels pour les fluoroquinolones (AUC/CMI, Cmax/CMI) et l’émergence de résistance chez les animaux traités lorsque nous avons considéré simultanément les deux schémas d’administration (fractionné et unique). La construction d’un nouvel indice PK/PD, le rapport du temps durant lequel les concentrations plasmatiques d’antibiotique se trouvent au-dessus de la MPC sur le temps durant lequel elles sont dans la fenêtre de sélection (T>MPC/TMSW), nous a permis de montrer qu’il existait une relation entre ce rapport et l’émergence de bactéries résistantes chez les animaux traités et ce, quel que soit le schéma d’administration utilisé. Dans la seconde partie de ce travail, l’utilisation de notre modèle d’infection pulmonaire par KP chez des animaux gnotoxéniques a montré un impact limité du traitement antibiotique sur la flore intestinale implantée chez ces animaux, avec peu d’émergence de résistance quel que soit le schéma posologique utilisé. En revanche, nous avons observé, de façon inattendue, la colonisation du tube digestif des animaux par la bactérie pathogène présente au niveau du site infectieux pulmonaire, ainsi que l’émergence de résistance pour cette bactérie. Cette colonisation s’est révélée plus importante dans le contexte d’un traitement tardif sur une forte charge bactérienne (curatif) que pour un traitement précoce sur une faible charge bactérienne (métaphylactique). De plus, pour chaque modalité de traitement, curatif ou métaphylactique, le schéma d’administration unique a plus fréquemment conduit à l’émergence de bactéries résistantes que l’administration fractionnée 157 Discussion générale de la même dose totale. Au cours de cette étude, nous avons donc mis en évidence, qu’une antibiothérapie associée à la guérison et à une absence de sélection de bactéries résistantes au niveau du site infectieux pulmonaire pouvait, dans le même temps, entraîner la mise en place d’un réservoir de la même bactérie, résistante ou non, au niveau du tube digestif de l’individu traité. L’ensemble de ces résultats s’ils permettent d’apporter des éléments de réponse à un certain nombre de questions relatives à l’antibiothérapie vétérinaire, requiert néanmoins des confirmations ou des approfondissements. Influence du statut physiopathologique sur les paramètres pharmacocinétiques L’étude de la cinétique de la marbofloxacine chez des rats infectés par un petit inoculum et traités précocement ou chez des animaux infectés par un grand inoculum et traités tardivement n’a pas montré de différences significatives au niveau des paramètres pharmacocinétiques plasmatiques entre les différents groupes d’animaux. En revanche, nous avons observé une diminution de 400% de la clairance fécale de la marbofloxacine chez les animaux infectés par un grand inoculum. Ces résultats montrent que le statut physiopathologique de l’animal peut faire varier les paramètres pharmacocinétiques locaux, et qu’à ce titre, la pharmacocinétique est un élément important à prendre en considération lors de l’étude d’efficacité d’un antibiotique mais également, lors de l’étude de l’impact d’un antibiotique sur la flore commensale du tube digestif. Afin de caractériser de façon plus complète l’impact du statut physiopathologique des animaux traités, il serait pertinent de faire des cinétiques comparatives entre des animaux sains, des animaux infectés par un petit inoculum ou par un grand inoculum. De plus il serait nécessaire de réaliser ces études sur la période complète du traitement. Influence de la taille de l’inoculum à l’initiation du traitement sur la sélection de bactéries résistantes Nous avons montré qu’un traitement précoce sur un petit inoculum représentant un traitement de type métaphylactique limitait l’émergence de bactéries résistantes au niveau du site infectieux comparé à un traitement tardif sur un grand inoculum représentant un traitement de type curatif. Cela confirme l’hypothèse émise par d’Agata et al. (48) qui ont 158 Discussion générale montré à l’aide d’un modèle mathématique qu’un traitement précoce limitait le risque d’émergence de résistance (48). Ces résultats soulignent l’importance de prendre en compte la taille de la charge bactérienne présente lors de l’initiation d’une antibiothérapie. Or, les indices PK/PD utilisés pour déterminer les schémas posologiques des antibiotiques afin d’obtenir la guérison de l’individu traité se basent sur la CMI des bactéries et cette CMI est évaluée, selon les méthodes standards du CLSI, à partir d’une population bactérienne fixe de 105 CFU/mL, c'est-à-dire un faible inoculum dans lequel il n’y a pas de sous-population résistante. En revanche, évaluer la CMI sur une population de 109 CFU/mL (ce qui correspond approximativement à la charge bactérienne présente au niveau d’un site infectieux (118)) permettrait de prendre en considération la CMI des bactéries les moins sensibles dans la population, ce qui revient à déterminer la MPC. Ainsi, la construction des indices PK/PD à partir des valeurs de MPC serait plus pertinente en termes d’émergence de résistance. Au final, nos résultats montrent qu’un traitement de type métaphylactique est plus favorable qu’un traitement curatif pour la prévention de l’émergence de bactéries résistantes au niveau du site infectieux. Peut-on diminuer les doses de fluoroquinolone en métaphylaxie ? Lors de notre étude nous avons observé que pour les animaux infectés par un petit inoculum et traités précocement, l’absence d’émergence de résistance était obtenue avec une dose de marbofloxacine de 16 mg/kg alors que pour les animaux infectés par le grand inoculum et traités tardivement, la dose de 64 mg/kg n’était pas suffisante pour éviter l’émergence de bactéries résistantes. Nos résultats suggèrent qu’il serait possible de diminuer les doses d’antibiotique lors d’un traitement métaphylactique par rapport à un traitement curatif, sans pour autant diminuer son efficacité. Cette possibilité serait à évaluer notamment en termes d’effet sur la flore commensale. Cela dit il convient de rester prudent dans la mesure où l’on ignore s’il est possible de discriminer les animaux ayant une charge bactérienne forte ou faible. Des études cliniques en élevage bovin ou porcin sont donc nécessaires pour établir les relations entre la charge bactérienne et les signes cliniques avant de pouvoir conclure quant à la diminution des doses en métaphylaxie. Peut-on remplacer les traitements usuels fractionnés par des administrations uniques dites « one shot » ? En médecine vétérinaire les traitements antibiotiques en administration dite « one shot » sont de plus en plus utilisés. Cependant, nos résultats semblent montrer que 159 Discussion générale fractionner la dose sur quelques jours limite l’émergence de bactéries résistantes issues des poumons ainsi que la probabilité de colonisation du tube digestif par la bactérie pathogène. Cependant, il faut garder à l’esprit que nos études ont été réalisées chez le rat et que les paramètres pharmacocinétiques de la marbofloxacine chez ces animaux sont différents de ceux que l’on peut observer chez les espèces cibles notamment du point de vue du temps de demi-vie d’élimination. Il est possible qu’un traitement « one shot » sur une espèce cible assure des expositions des flores commensales qui seraient similaires à celles que nous avons réalisées avec des traitements répétés. Là encore des études cliniques complémentaires sont nécessaires afin de confirmer nos résultats. L’influence d’un traitement antibiotique sur la flore du tube digestif Au cours de notre étude nous avons observé que les différents schémas posologiques de marbofloxacine administrés n’avaient qu’un impact limité sur la flore implantée dans le tube digestif des animaux dixéniques avec peu d’émergence de résistance au niveau de cette flore, confirmant ainsi les résultats obtenus in vitro et in vivo par d’autres équipes (28, 62, 65, 214). En revanche, nous avons observé la colonisation du tube digestif des animaux traités par la bactérie présente au niveau du site infectieux pulmonaire, KP, avec sélection de KP résistantes. Cette colonisation par KP soulève plusieurs questions. Quel est le rôle de la flore de barrière ? Notre modèle de rats dixéniques est une simplification de la flore digestive, il représente une flore dans un contexte de diminution de la flore de barrière. Une flore plus complète en particulier au niveau de la population anaérobie aurait pu limiter la colonisation du tube digestif par la bactérie présente au niveau du site infectieux en jouant son rôle de barrière. Cependant, si certaines fluoroquinolones, comme la ciprofloxacine, n’ont aucun effet sur la flore anaérobie d’autres peuvent entraîner une diminution plus ou moins importante de certaines populations bactériennes anaérobies impliquées dans la résistance à la colonisation (64, 67, 167). N’ayant que peu d’information sur l’impact de la marbofloxacine sur les différentes populations anaérobies commensales du tube digestif nous ne pouvons pas exclure que la marbofloxacine puisse engendrer une diminution de certaines populations anaérobies et donc une réduction de l’effet de flore de barrière. Afin de confirmer nos résultats il serait donc nécessaire de réaliser cette étude sur des animaux porteurs d’une flore complète afin de mieux appréhender le rôle de flore de barrière quant à la résistance à la colonisation par KP. 160 Discussion générale Où se produit la sélection de KP résistantes ? L’émergence de la sous-population de KP résistantes a pu se produire soit dans le tube digestif soit au niveau des poumons. En effet, si cette sous-population résistante n’a pas été retrouvée dans les poumons, elle a pu y être sélectionnée avant d’être expectorée et d’atteindre le tube digestif via l’ingestion de mucus contaminé. Cependant, l’émergence de KP résistantes dans le tube digestif des animaux infectés par le petit inoculum suggère que l’émergence de résistance a eu lieu au niveau du tube digestif étant donné que chez ces animaux, contrairement à ceux infectés par le grand inoculum, nous n’avons jamais retrouvé de KP résistantes dans les poumons. De plus, pour les animaux infectés par le petit inoculum chez qui nous retrouvons des KP résistantes, la population de KP est beaucoup plus importante dans le tube digestif que celle implantée au niveau des poumons, i.e. 8.07 1.14 log10 CFU/g de fèces versus 5 log10 CFU/poumon, (Tableau 9, page 136). Etant donné que la probabilité de présence de bactéries résistantes aux fluoroquinolones augmente avec la taille de la population bactérienne, la probabilité que l’émergence de KP résistantes ait eu lieu dans le tube digestif est donc plus importante. Un traitement antibiotique limitant l’exposition du tube digestif permettrait de limiter l’émergence de KP résistantes intestinales, c’est pourquoi il semble important de déterminer où se produit l’émergence de résistance. La colonisation du tube digestif par KP et KP résistantes est-elle stable ? La colonisation du tube digestif par la bactérie pathogène présente au niveau du site infectieux pulmonaire au cours du traitement conduit à la mise en place d’un réservoir au niveau du tube digestif. Ce phénomène peut conduire à la contamination de l’environnement, ou d’autres individus, par cette bactérie pathogène, éventuellement résistante. Cela peut entraîner des conséquences graves, notamment si on se place dans un contexte clinique de médecine humaine avec le problème des maladies nosocomiales. En effet une fois dans le tube digestif, la dissémination de la bactérie est beaucoup plus facile entre individus. Dans ce contexte, la persistance de la bactérie « colonisatrice » dans le tube digestif est importante. Notre étude n’a suivi l’évolution de la flore que durant 7 jours après l’initiation du traitement antibiotique, il serait donc intéressant de suivre la persistance de la colonisation sur une durée plus longue après l’arrêt du traitement. Il est possible en effet que les KP et surtout les KP résistantes soient éliminées par un effet de compétition avec la flore commensale normale étant donné que les bactéries résistantes peuvent présenter des capacités d’adaptation à l’environnement plus faible que les bactéries sensibles (117). Cependant, même si elles sont éliminées, les bactéries résistantes peuvent rester à des 161 Discussion générale niveaux indétectables dans le tube digestif et émerger de nouveau lors d’un traitement antibiotique ultérieur (199). Conclusion En conclusion, cette thèse a permis de mettre en évidence qu’un traitement précoce sur une faible charge bactérienne représentant un traitement de type métaphylactique n’entraînait pas l’émergence de bactéries résistantes au niveau du site infectieux. L’impact négatif d’un traitement métaphylactique sur la flore du tube digestif est plus limité que lors d’un traitement curatif, mais n’est pas nul. Des études complémentaires seraient nécessaires afin de confirmer ces résultats sur une flore complexe avant de réaliser des études cliniques en élevage porcin ou bovin, notamment afin de déterminer les schémas posologiques les plus bénéfiques en termes de sélection de résistance bactérienne pour une antibiothérapie de type métaphylactique. 162 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 163 164 Références bibliographiques REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 2008. Bilan des plans de surveillance et de contrôle. DGAL. Aarestrup, F. M., and H. C. Wegener. 1999. The effects of antibiotic usage in food animals on the development of antimicrobial resistance of importance for humans in Campylobacter and Escherichia coli. Microbes Infect 1:639-44. Adams, D. E., E. M. Shekhtman, E. L. Zechiedrich, M. B. Schmid, and N. R. Cozzarelli. 1992. 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In a rat model of Klebsiella pneumoniae (KP) lung infection, early (preventive) treatments with a fluoroquinolone (marbofloxacin) on a small bacterial load prevented resistance emergence contrary to later (curative) treatments on a large inoculum. An original PK/PD index was built to predict resistance prevention related to various dosage regimens. Treatments of KP lung infections in dixenic rats demonstrated that the curative ones favoured the colonization of the gut by pulmonary KP resistant to marbofloxacin. KEY-WORDS : Fluoroquinolone, Marbofloxacin, Bacterial load, Metaphylaxis, Bacterial Resistance, Mutant Selection Window, MPC, PK/PD, Commensal Flora, Collateral Damage. 181 AUTEUR : Anne-Sylvie KESTEMAN TITRE : Influence des facteurs associés à une antibiothérapie de type métaphylactique sur les relations pharmacocinétiques / pharmacodynamiques (PK/PD) des antibiotiques. Conséquences sur les schémas posologiques et sur l’émergence de résistance. DIRECTEUR DE THESE : Monsieur le Professeur Pierre-Louis TOUTAIN CO-DIRECTEURS DE THESE : Monsieur de Docteur Michel LAURENTIE Monsieur le Professeur Alain BOUSQUET-MELOU LIEU ET DATE DE SOUTENANCE : Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse le 14 décembre 2009 RESUME : La métaphylaxie est une antibiothérapie préventive utilisée en médecine vétérinaire sur des animaux infectés par une faible charge bactérienne. Nous avons comparé les effets d’antibiothérapies préventives et curatives sur l’émergence de résistances bactériennes au niveau du site infectieux et de la flore digestive. Dans un modèle d’infection pulmonaire à Klebsiella pneumoniae (KP) chez le rat, un traitement précoce avec une fluoroquinolone (la marbofloxacine) sur une faible charge bactérienne a pu prévenir l’émergence de résistance contrairement à un traitement tardif sur un inoculum plus important. Un indice PK/PD original a été proposé pour prédire la capacité des schémas posologiques testés à prévenir la sélection de résistance dans un contexte curatif. Le traitement d’infections pulmonaires à KP chez des rats dixéniques a montré que l’usage curatif favorisait la colonisation du tube digestif par des KP pulmonaires résistantes à la marbofloxacine. MOTS-CLES : Fluoroquinolone, Marbofloxacine, Charge bactérienne, Métaphylaxie, Résistance Bactérienne, Fenêtre de Sélection, MPC, PK/PD, Flore Commensale, Dommages collatéraux. DISCIPLINE ADMINISTRATIVE : Pharmacologie INTITULES ET ADRESSE DES LABORATOIRES : UMR181 Physiopathologie et Toxicologie Expérimentales, ENVT 23 Chemin des Capelles, BP 87614, 31076 TOULOUSE Cedex 3 Laboratoire d’Etudes et de Recherches des Médicaments Vétérinaires et Désinfectants, AFSSA Fougères, La Haute Marche, BP 90203, 35302 Javené, FOUGERES