II. Que font les laboratoires pharmaceutiques? Pourquoi ne sont-ils pas en train de
mettre au point un blockbuster pour s'attaquer aux Gram-négatif?
• Les laboratoires pharmaceutiques ne touchent pas à ce nid de guêpes. La
situation n'est pas rose pour eux de plusieurs points de vue. Si vous permettez,
j'expliquerai la realpolitik d'un groupe pharmaceutique global et son business model
idéal:
o Le produit rêvé d'un laboratoire est celui que vous devez prendre en permanence.
Par exemple les statines. Un médicament formidable. Dès que votre médecin vous dit
qu'il est préoccupé par votre taux de cholestérol et qu'il veut vous prescrire des
statines c'est 'gagné': une rente pour le laboratoire – vous êtes dépendant de
statines à vie. Le top des business model;
o N'oubliez pas non plus que le développement d'un nouveau médicament est
extrêmement coûteux. Il existe des estimations pharaoniques, pas loin d'un milliard
de $ US, cette somme comprenant le coût de tous les médicaments qui échouent à
l’étape des essais cliniques – c à d. au niveau de l’autorisation de mise sur le marché.
Mais du côté positif les procédures de test imposées aux laboratoires par les
prescripteurs (tel la "Food & Drug Authority" – FDA) sont très rigoureuses –et donc
chères. Donc, en bref, mettre au point un nouveau médicament est hors de prix – Ce
n'est envisageable que si cela représente une proposition commerciale (business
model) attractive;
o Malheureusement l'antibiotique représente un piètre modèle économique. D'abord
si votre médecin vous prescrit un traitement par antibiotiques cela ne dure en
principe que 10 jours maxi – et souvent beaucoup moins. Donc traitement très bref.
Ensuite les antibiotiques ont tendance rapidement à générer une résistance. La
méthicilline par exemple fut lancée en 1960 en remplacement de la pénicilline. Les
premières observations de résistance à la méthicilline datent de 1961, c. à d. moins
d'un an après son lancement;
o Imaginez alors un instant que vous êtes le grand patron d'une grande
multinationale de la pharmacie: voudriez-vous risquer pas loin d'un milliard de
dollars dans la mise au point d'un nouvel antibiotique Gram-négatif, tout en sachant
que: (i) les Gram-négatif ont une longue et impressionnante notoriété de résistance
rapide aux antibiotiques; (ii) un traitement par antibiotiques est à priori de courte
durée - le modèle économique n'est donc pas attractif; et (iii) dernier argument,
mais non des moindres, le développement de nouveaux médicaments n'est pas
"neutre" – c'est à dire qu'il est "extrêmement ardu"? Il est à noter que la dernière
catégorie nouvelle d'antibiotiques - les lipopeptides – fut découverte en 1987, il y a
27 ans. (De nos jours, même l'application d’une technologie de 1987 serait
considérée comme dépassée).
o les Gram-négatif ont tendance enfin à créer des problèmes cliniques dans les
unités à gros risque, telles les Services de réanimation ou d'oncologie (traitements
des cancers). Les infections aux bactéries Gram-négatif endémiques et intraitables
provoqueraient des problèmes cliniques majeurs dans des unités hospitalières clé, où
les laboratoires pharmaceutiques écoulent actuellement leurs produits avec succès.
Donc remuer le sujet EPC n'est certainement dans le meilleur des intérêts des
laboratoires. Aucunement! Ils aimeraient avoir une solution. Ils ne sont pas
responsables de crier au feu.