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anciens pratiquants compétiteurs, les ont incités
prĂ©cocement Ă sâengager dans leur activitĂ©. Ils
accĂšdent ainsi, au sein de leur institution sportive,
à une « sphÚre de participation sociale spécialisée »
(Lafabregue, 2001, p. 83) : lâinstitution sportive est
une instance de socialisation particuliĂšre au sein
de laquelle les individus Ă©laborent de nouvelles
relations sociales et construisent leur engagement
sportif grĂące Ă des interactions spĂ©ciîżques. En parti-
culier, ils font progressivement lâapprentissage « des
données sociales, et notamment du fonctionnement
(et des valeurs sous-jacentes Ă ce fonctionnement)
des institutions » (Long, Pantaléon, 2007, p. 45).
Dâautre part, nos donnĂ©es mettent en Ă©vidence un
proîżl de pratiquants nâayant intĂ©grĂ© que trĂšs tardive-
ment le milieu fédéral, craignant des contraintes de
temps et dâespace et prĂ©fĂ©rant lâauto-organisation.
Ils se sont installés en club seulement par nécessité
â en particulier pour accĂ©der Ă du matĂ©riel coĂ»teux
ou pour se former â, le plus souvent entre lâĂąge de
16 et 18 ans. Dans les cas les plus extrĂȘmes, ils vont
jusquâĂ rejeter lâinstitution sportive, et parfois mĂȘme
lâinstitution scolaire. Leurs dispositions pourraient
presque, dans les cas les plus radicaux, ĂȘtre consi-
dérées comme « anti-institutionnelles », tant elles
peuvent traduire un rejet des contraintes horaires, des
espaces organisĂ©s, de la hiĂ©rarchie, dâune dĂ©marche
consumériste. Ils valorisent au contraire le plaisir et
la liberté et recherchent une « qualité de vie supé-
rieure ». Ces pratiquants ont vécu, pour les uns, une
socialisation familiale induisant un rapport particu-
lier Ă la nature, notamment parce que leurs parents
exerçaient une activitĂ© liĂ©e Ă lâenvironnement, le
plus souvent dans le domaine de lâagriculture. Ils
dĂ©butent alors la pratique dâactivitĂ©s aîżn dâaller « Ă
la découverte de la nature ». Pour les autres, il nous
semble utile de noter lâimportance dâune socialisa-
tion que nous pourrions qualiîżer de « territoriale ».
La majoritĂ© des dirigeants et salariĂ©s enquĂȘtĂ©s
(trente-huit sur quarante-cinq) sont en effet originaires
de milieux ruraux, particuliĂšrement pourvus en sites
dâactivitĂ©s physiques de pleine nature (notamment
lâAveyron, la LozĂšre ou la Savoie). Le fait de grandir
dans un dĂ©partement oĂč les patrimoines naturel et
culturel sont importants peut inciter Ă la pratique
dâactivitĂ©s physiques de pleine nature, comme dans
le cas de C., originaire de Millau, qui, « entouré
de montagnes calcaires » et de cavités, à trÚs vite
commencé à « crapahuter » et à se « balader ».
Quâils rejoignent le milieu fĂ©dĂ©ral de maniĂšre
précoce ou tardive, les interactions vécues avec
des pratiquants davantage expérimentés et des
moniteurs fédéraux sont mentionnées comme trÚs
structurantes dans les entretiens. Ces derniers encou-
ragent les pratiquants avec lesquels ils entretiennent
des relations amicales, Ă poursuivre des formations
fédérales, obtenir des diplÎmes et devenir moniteurs.
Les intervenants orientés vers la compétition et la
performance ne souhaiteront pas, contrairement aux
pratiquants prĂ©fĂ©rant lâauto-organisation, faire de
lâencadrement sportif leur mĂ©tier ; celui-ci devenant
« usant », répétitif et ne correspondant pas à leurs
désirs de sensations et de dépassement de soi. Il ne
sâagit en gĂ©nĂ©ral que dâun « boulot dâĂ©tĂ© ».
Les socialisations familiale, territoriale et celle
vécue au sein des institutions sportives engendrent ainsi
lâĂ©laboration de dispositions particuliĂšres relatives Ă
la pratique des activités physiques de pleine nature :
de lâincorporation de dispositions « anti-institution-
nelles » Ă lâincorporation des normes des organisations
pour les pratiquants ayant intégré le milieu fédéral de
maniÚre précoce ; dispositions orientant par la suite la
création et le développement des entreprises.
Encadrer les loisirs sportifs de
pleine natureî: une valorisation
de dispositions essentiellement
sportives
Devenir moniteur sportif et convertir
saîpassion en profession
NâĂ©tant gĂ©nĂ©ralement pas intĂ©ressĂ©s par leur
« formation principale » (Chevalier, 2003) (échec
scolaire, absence dâun projet professionnel prĂ©cis,
etc.), certains pratiquants, en particulier ceux privilé-
giant la pratique sportive auto-organisée, donneront
la prioritĂ© Ă leur loisir : « Leur engagement dâama-
teur leur permet une afîżrmation identitaire quâils
ont du mal Ă trouver dans leur formation princi-
pale » (op. cit., p. 263).
Les intervenants obtiennent ainsi un ou plusieurs
diplĂŽmes sportifs leur confĂ©rant davantage dâauto-
nomie dans lâencadrement dâusagers. Leur fonction
principale rĂ©side dans lâencadrement dâactivitĂ©s
physiques de pleine nature, mais ils doivent Ă©gale-
ment exercer dâautres tĂąches â dont le secrĂ©tariat,
la commercialisation et la promotion de lâentreprise
â comme lâindique E., actuellement salariĂ©e dâune
association, lorsquâelle Ă©voque ses pratiques profes-
sionnelles : « Pour tous les prestataires de pleine
nature, tout le monde fait un petit peu tout, mĂȘme
les personnes qui ont un brevet dâĂ©tat sont obligĂ©es,
de temps en temps, de faire un devis, de répondre au
tĂ©lĂ©phone, de faire de lâaccueil, etc. ».
Les formations poursuivies, quâil sâagisse de
formations proposées par le ministÚre de la Jeunesse
et des Sports ou des formations dâĂtat, entraĂźnent
lâĂ©laboration dâune reprĂ©sentation « Ă©ducative »
(cf. encadré ci-dessous) des loisirs sportifs de pleine
nature. Le monde sportif a en effet généré, dans la
seconde moitié du 20e siÚcle, des institutions de
formation dĂ©livrant des qualiîżcations : diplĂŽmes
émanant des fédérations sportives et du ministÚre de
la Jeunesse et des Sports. Ces instances privilégient
lâenseignement des sports et non leur commercia-
lisation dans le secteur marchand (Terral, 2003).