SO0014X Initiation à l'ethnologie 2011 / 2012

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SO0014X – SP
SO0014X
Initiation à l'ethnologie
2011 / 2012
Sommaire
INITIATION A L'ETHNOLOGIE
Yves POURCHER – Nicolas ADELL
Table des matières
P. 3
Première partie : liste de textes et notes de lecture
P. 5
Liste de textes
p. 5
Notes de lecture
p. 7
Deuxième partie : cours d’accompagnement
P. 25
Textes
P. 65
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http://sed.univ-tlse2.fr/sed SO0014 – Initiation à l’ethnologie
(L2 sociologie)
Dossier composé par Yves Pourcher, professeur d’ethnologie à l’université de
Toulouse-Le Mirail, et Nicolas Adell, maître de conférences.
TABLE DES MATIERES
Première partie : Liste des textes fournis et notes de lecture
1)
Textes
2)
Notes de lecture
Deuxième partie : Cours d’accompagnement
1) Une notion centrale : la culture.
2) - Lizot Jacques, « Le tragique destin des Yanomamis », Le Monde, jeudi 9 avril
1998.
- « Yanomami. Le monde sans images », Beaux Arts Magazine n°228, mai 2003,
p. 74-81.
3) A/
- Verlinden Charles, « La longue durée de la découverte de l’Amérique »,
Diogène, n°159, juillet-septembre 1992, p. 3-27.
- Villoro Luis, « L’inacceptable altérité », Diogène, n°159, juillet-septembre
1992, p. 62-74.
- Wachtel Nathan, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la
Conquête espagnole 1530-1570, Paris, Gallimard, 1971, p. 21-32.
3) B et C/
- Duvignaud Jean, « Vingt-cinq siècles d’ethnologie », Magazine littéraire,
n°167, décembre 1980, p. 9-13.
- Panoff Michel, Introduction à Les argonautes du pacifique occidental, de
Bronislaw Malinowski, Paris, Gallimard, 1989.
3
- Lévi-Strauss Claude, « Où finit la mythologie et où commence l’histoire ? »,
Magazine littéraire, n°223, octobre 1985, p. 42-44, suivi d’un texte de Marie
Mauzé, « Masques et totems » (p. 45-46).
- Lévi-Strauss, Race et histoire, Paris, Denoël, (1952), p. 19-33.
- « Lévi-Strauss : autoportrait. Entretien avec Catherine Clément et DominiqueAntoine Grisoni », Magazine littéraire, n°223, octobre 1985, p. 18-25, suivi de
Dibie Pascal, « Autour des Tropiques », et Meunier Jacques, « Tropicales ».
4) - « Devenir ethnologue : entretien avec Edmund Leach », Magazine littéraire,
n°167, décembre 1980, p. 14-16.
- « Jean Rouch, cinéaste », web (Kinok.com).
- « Maurice Godelier. Introspection, rétrospection, projections. Un entretien avec
Hosham Dawod », Gradhiva, n°26, 1999, p. 1-24.
- Balandier Georges, « De l’Afrique à la surmodernité : un parcours
d’anthropologue. Entretien », Le Débat, n°118, janvier-février 2002, p.3-15.
- Augé Marc, « Qui est l’autre ? Un itinéraire anthropologique », L’homme 103,
juillet-septembre 1987, p. 7-26.
- Terray Emmanuel, « L’État, le hasard et la nécessité », L’Homme, n°97-98,
janvier-juin 1986, p. 234-248.
5) Notes de lectures sur des ouvrages recommandés (G. Tillion et L. Wylie).
6) Un exemple de perspective anthropologique : la question du don et de l’échange.
Quatre textes joints :
- Chapitre III « Données essentielles sur la Kula » de B. Malinowski, 1963 (1922), Les
Argonautes du Pacifique occidental, Paris, Gallimard (coll. Tel), pp.139-163.
- Weiner, 1989, « La Kula et la quête de la renommée », Revue du Mauss, n°6,
pp.35-62.
- Extrait Marcel Mauss, 1950 (1924), « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange
dans les sociétés archaïques », Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, pp.143-279 :
145-154.
- Claude Lévi-Strauss, 1950, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », in M.
Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, pp.IX-LII : XXIII-XL.
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1ERE PARTIE
LISTE DES TEXTES FOURNIS ET NOTES DE LECTURE
1) Textes
- Lizot Jacques, « Le tragique destin des Yanomamis », Le Monde, jeudi 9 avril
1998.
- « Yanomami. Le monde sans images », Beaux Arts Magazine n°228, mai 2003,
p. 74-81.
- Verlinden Charles, « La longue durée de la découverte de l’Amérique »,
Diogène, n°159, juillet-septembre 1992, p. 3-27.
- Villoro Luis, « L’inacceptable altérité », Diogène, n°159, juillet-septembre 1992,
p. 62-74.
- Wachtel Nathan, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la
Conquête espagnole 1530-1570, Paris, Gallimard, 1971, p. 21-32.
- Duvignaud Jean, « Vingt-cinq siècles d’ethnologie », Magazine littéraire, n°167,
décembre 1980, p. 9-13.
- Panoff Michel, Introduction à Les argonautes du pacifique occidental, de
Bronislaw Malinowski, Paris, Gallimard, 1989.
- Lévi-Strauss Claude, « Où finit la mythologie et où commence l’histoire ? »,
Magazine littéraire, n°223, octobre 1985, p. 42-44, suivi d’un texte de Marie
Mauzé, « Masques et totems » (p. 45-46).
- Lévi-Strauss, Race et histoire, Paris, Denoël, (1952), p. 19-33.
- « Lévi-Strauss : autoportrait. Entretien avec Catherine Clément et DominiqueAntoine Grisoni », Magazine littéraire, n°223, octobre 1985, p. 18-25.
5
- « Devenir ethnologue : entretien avec Edmund Leach », Magazine littéraire,
n°167, décembre 1980, p. 14-16.
- « Jean Rouch, cinéaste », web (Kinok.com).
- « Maurice Godelier. Introspection, rétrospection, projections. Un entretien avec
Hosham Dawod », Gradhiva, n°26, 1999, p. 1-24.
- Balandier Georges, « De l’Afrique à la surmodernité : un parcours
d’anthropologue. Entretien », Le Débat, n°118, janvier-février 2002, p.3-15.
- Augé Marc, « Qui est l’autre ? Un itinéraire anthropologique », L’homme 103,
juillet-septembre 1987, p. 7-26.
- Terray Emmanuel, « L’État, le hasard et la nécessité », L’Homme, n°97-98,
janvier-juin 1986, p. 234-248.
- Chapitre III « Données essentielles sur la Kula » de B. Malinowski, 1963 (1922), Les
Argonautes du Pacifique occidental, Paris, Gallimard (coll. Tel), pp.139-163.
- Weiner, 1989, « La Kula et la quête de la renommée », Revue du Mauss, n°6,
pp.35-62.
- Extrait Marcel Mauss, 1950 (1924), « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange
dans les sociétés archaïques », Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, pp.143-279 :
145-154.
- Claude Lévi-Strauss, 1950, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », in M. Mauss,
Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, pp.IX-LII : XXIII-XL.
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2) Notes de lecture
A/ Germaine TILLION, Il était une fois l’ethnographie, Paris, Seuil, 2000
- La description de l’Aurès par Jean-Léon l’Africain (1483-1526) :
« C’est un massif montagneux très élevé. Il est habité par une population
d’intelligence bornée qui, de plus, est voleuse et meurtrière. »
ce que commente GT :
« Cette opinion, qui m’avait paru d’emblée peu bienveillante, fut toutefois celle
que je recueillis un peu plus tard à Alger, chez les hauts fonctionnaires et les
grands bourgeois, quand je vins m’y renseigner sur l’Aurès. Elle accrut, cela va de
soi, ma sympathie initiale pour la population en question. »
Elle cite aussi les travaux d’Émile Masqueray.
Et : « À peu près à la même période, et sur l’ordre du dernier empereur français,
des officiers géomètres avaient été chargés de délimiter de futures communes, et
ils avaient écrit à leur sujet d’excellentes monographies, dont une synthèse parut
sous la signature de leur colonel – ce qui était alors l’usage. »
•
L’Algérie des années trente.
p. 23 :
« Arris était la capitale de l’Aurès, et l’Aurès était une province qui (selon le
dénombrement de 1931) nourrissait 57 623 habitants, soit environ 14 000 familles
dites indigènes , et une trentaine de familles dites françaises.
Sous le Second Empire, et sur l’ordre personnel de l’empereur, le territoire
aurésien avait été découpé en treize circonscriptions, destinées à devenir des
7
communes et, à ce titre, calibrées de telle sorte qu’elles devaient pouvoir
s’administrer elles-mêmes.
Plus tard, la Troisième République rêva très malencontreusement d’installer des
colons venus d’Europe dans les meilleures vallées très peuplées de l’Aurès.
L’entreprise échoua, mais non sans quelques assassinats préalables. À la suite de
ces mécomptes, l’étiquette étrange de « commune-mixte » fut appliquée à
l’immense province ; quant aux treize futures communes indigènes, jamais nées,
jamais indépendantes, jamais libres, elles devinrent des douars et furent
autocratiquement gérées par des caïds.
À l’intérieur de ces douars existaient antérieurement d’autres unités que les
Français nommaient tribus, mais auxquelles les personnes dites indigènes
donnaient le nom de ‘arch, terme arabe qui signifie “le peuple”.
Ce ‘arch se divisait en “fractions” dites ferqa en arabe. Chaque ‘arch et certaines
“fractions” dissidentes adhéraient à des sorte de ligues que les gens de langue
française, de langue arabe et de langue berbère appelaient çoff.
Dans l’Aurès, et même bien au-delà de l’Aurès, deux ligues étaient en place et,
quand je fis leur connaissance, elles se répartissaient à travers tout le pays à peu
près comme, en France, notre Droite et notre Gauche, c’est-à-dire de façon à se
neutraliser. »
6 gendarmes, tous logés en famille à Arris.
- le percepteur :
p. 100 :
« Sa venue annuelle était l’unique contact perceptible entre l’État, notre “monstre
froid”, et les “petits peuples” du sud de l’Ahmar Khadou. »
(…)
« L’impôt était calculé sur la base de 0,25 franc par chèvre, 5 francs pour un chien
de garde, 4 francs pour un âne, 8 pour un chameau, 16 pour une mule. La “valeur
locative” de la maison étant (je crois) taxée 12 francs pour l’année. En outre, les
hommes adultes devaient quatre jours de travail pour l’entretien des pistes, mais
pouvaient s’en dispenser en payant 12 francs par homme et par jour. »
8
p. 164-167 :
« Dans l’Aurès, le “porte-chance” se nomme souvent ames‘aoudh (pl. imes‘aadh),
mot d’origine arabe qui sert souvent de prénom ; au Maroc, l’homme qui officie
dans le même emploi est appelé “le Premier” (amzouar) ou “le fiable” ‘anflous,
pl. inflass). L’anflous est parfois dit ananflous-n-tiouga, c’est-à-dire “le fiable à la
touffe d’herbe”.
Émile Laoust ajoute “l’aneflous et l’amzouar, que maints auteurs considèrent avec
raison aujourd’hui comme des porte-bonheur, ne font que perpétuer la lignée des
sorciers des grands prêtres, des rois agraires”… et Robert Montagne : “… il est
permis de se demander si ces personnages magiques, de nos jours sans pouvoir
politique, mais que l’on consulte encore avec soin, ne sont pas les successeurs des
sorciers, des grands prêtres, des “rois agraires” dont les pratiques religieuses ou
magico-religieuses assuraient jadis la prospérité et la vie du clan”… »
(…)
« À Kebach, comme dans de nombreux pays du Maghreb, le porte-chance devait
être obligatoirement le doyen de la branche aînée de la plus ancienne ferqua (p.34,
229), le douar était divisé en “fractions” (ferqua) qui correspondaient aux
véritables ferqua aurésienne). »
(…)
Les gens de Kebach admettaient unanimement l’antériorité de la ferqa des Aid
daoud, et, dans la ferqua Aid daoud, ils reconnaissaient le privilège d’aînesse d’un
certain Mohand ou Brahim, surnommé Boul’aras.
Ce privilège héréditaire incluait les principales “magies” agricoles de l’Afrique
maghrébine, c’est-à-dire la montée au pâturage, les premiers labours et les
cérémonies de la récolte – mais pas la cérémonie pour obtenir la pluie. (…)
Dans toute l’Afrique – c’est-à-dire dans l’Afrique maghrébine mais aussi dans
l’Afrique Noire -, la plupart des privilèges agricoles appartiennent au descendant
le plus qualifié du “défricheur”.
Dans l’Aurès, cet aîné de “l’aîné de branches aînées” porte souvent le nom arabe
de ames‘aoudh : le chanceux, le porte-chance.
9
En 1934, à Tagoust, le ames‘aoudh qui devait inaugurer les labours avait
classiquement succédé à son père – car la baraka, qui va du plus vieux au plus
vieux, peut parfois aller du père au fils. En tout cas l’héritier de la baraka devait
égorger une bête bien grasse sur sa propre charrue, puis il tournait la tête de son
attelage vers l’est et, après avoir travé un nombre pair de sillons, il cassait une
grenade puis un melon sur son soc, et il y mettait une préparation à base de blé
entier (dite adhmin). Ensuite, il mangeait adhmin, et les autres mangeaient après
lui, puis il refermait les sillons. Le soir, le labour terminé, il rapportait le soc chez
lui, et “la femme de la maison” (celle qui détient les clés – donc en général la
mère du maître) enfilait sur le soc un gros morceau de galette trempée dans le
beurre fondu et il convenait que le beurre coule partout. La nuit venue, la jemaâ
venait manger chez l’ames‘aoudh et le lendemain tout le monde pouvait labourer
– mais, dans chaque maison, c’était la “femme de la maison” qui devait mesurer le
blé des semailles (car il fallait toujours commencer les semailles par le blé).
“Quand on fait tout cela”, m’a dit un homme de Tagoust, “l’année est si bonne
qu’un sanglier peut venir dans les champs, on le voit pas.”
Dans quelques gros villages, la tradition était plus incertaine. Par exemple à Beni
Ferah, il n’y avait pas de détenteur héréditaire du privilège et chacun se choisissait
son ames‘aoudh. La veille du labour, on lui portait à manger et, si ensuite l’année
était bonne, on recommençait l’année suivante avec le même. Sinon on en
cherchait un autre. Même fantaisie à Menaâ.
En Petite Kabylie (chez les Beni‘Abbas), un homme de la famille des Ath Lhadj
ou ‘abdallah devait voler un outil de labour, sinon la cérémonie portait malheur. »
- p. 175 :
« (…) rappelons que le terme ferqa évoque une solidarité du genre “cousins”,
tandis que le terme ‘arch signifie plutôt la concitoyenneté (…). »
- p.179 :
« En Bretagne, on compte sur le garde champêtre pour faire régner l’ordre ; en
Kabylie, le marché est placé sous la responsabilité d’un chef connu pour son
“honneur” intransigeant ; dans l’Aurès, la baraka des mçamda protégeait contre
les fauteurs de désordre, et au Maroc, au marché de Sidi ‘Abad (qui a lieu vers le
15 août de notre calendrier, comme celui de Tkout), la baraka de Sidi ‘Abad
transforme en serpent la ceinture des voleurs… »
10
p. 180 :
« À l’occasion du labour des terres collectives du Sahara, les gens de Kebach
faisaient encore appel à leur “ porte-chance” – c’est-à-dire à l’aîné de la branche
aînée de la plus ancienne ferqa. »
P. 180 :
Pour cultiver les terres du Sahara, tirage au sort.
« C’est après tout cela qu’on habillait en mariée une petite fille de quatre ou cinq
ans, appartenant à la famille de Mohand ou Brahim, l’homme à la baraka. »
On la promène sur tout le terrain d’est en ouest.
p. 197-199 :
« La cinquième fraction était celle des mçamda, et l’on a vu précédemment que
les mçamda étaient des sortes de “marabouts » et que, en outre, ils réglaient
l’économie annuelle de tout le Sud aurésien, grâce à leur pèlerinage au mont de
l’Épi d’Alfa (Djebel Bous). »
(…)
« Un autre, appartenant aussi à la fraction des mçamda, complète mon
information : “La fumée, au hasard, tombe dans quelqu’un et il décide d’être
chaouch ‘dans le sens de “fondé de pouvoir”, “délégué”, “responsable”).
“En ce moment
le chaouch c’est Belqacem-ou-Çadoq-ou‘Allar-ou-Salah-ou-
Mohand-ou-Si‘Ammar. Son père Çadoq-ou‘Ammar était chaouch avant lui, et
presque tous ses ancêtres… »
On notera que la “fumée” (c’est ainsi que Bachir traduisait le mot “inspiration”)
tombe sur n’importe qui, mais (toujours par hasard) sur le fils du chaouch
précédent. »
Existence de la transe collective – la prédiction
p. 209 : (identité)
11
« À l’intérieur du douar (unité coloniale créée au XIXe siècle et calibrée sur la
commune rurale française), les hommes pouvaient tous s’identifier entre eux, et à
bien plus forte raison dans le ‘arch, vieux groupe solidaire et traditionnel clos sur
lui-même, où, le temps aidant, les gens devaient d’ailleurs tous être plus ou moins
cousins au sens physique du mot, par les mères, les tantes et les grands-mères…
Comme les femmes ne comptent pas, on se considérait dans le ‘arch comme “nonparents”, et, pour être parents, “vraiment parents – solidaires pour la vengeance,
héritiers les uns des autres”-, il fallait être cousins en ligne masculine.
Le groupe fondamental, ainsi défini par une relation de parenté en ligne
masculine, correspondait souvent à une division du ‘arch appelée ferqua, c’est-àdire “fraction”, car le ‘arch, pour la commodité de son administration, se
subdivisait, assez bizarrement, quelquefois en quatre quarts, mais plus souvent
encore en cinq cinquièmes. Parce, m’a-t-on dit, le chiffre cinq porte bonheur. Il
arrivait souvent qu’un groupe de parents soit insuffisamment nombreux pour
former une ferqa à lui seul, et qu’il doive alors s’associer avec un ou plusieurs
autres groupes de gens apparentés. Dans ce cas, on appelait usuellement chaque
petit groupe par son nom propre et on disait de lui que c’était une “petite fraction’,
une “fraction de fraction”. »
(…)
un « peuple » (ensemble des citoyens, de concitoyens) : ‘arch.
Émile Masqueray : Au sens de pagus (« or le radical de pagus, qui est pag, pax,
accord (pacisci, faire une convention) a précisément le même sens que l’arabe
ouafîqa, « convenir », d’où toufîq est dérivé.
p. 233 :
« Selon Émile Durkheim, les Kabyles n’avaient jamais dépassé le stade des
sociétés segmentaires à base de clans. Or les Chaouïas étaient moins organisés
que les Kabyles. “Nous disons de ces sociétés qu’elles sont segmentaires, pour
indiquer qu’elles sont formées par la répétition d’agrégats semblables entre eux,
analogues aux anneaux de l’annelé ; et de cet agrégat élémentaire qu’il est un
clan, parce que ce mot en exprime bien la nature mixte, à la fois familiale et
politique. »
Il est vrai que ni les Kabyles ni les Chaouïas n’ont constitué des États – comme
l’ont fait Athènes dès le Vie siècle avant notre ère, ou Venise à partir du Xe siècle,
12
p. 234 :
« Il semble bien que la nécessité d’être Un – unis contre l’univers – joua pour le
‘arch l’élément facteur, tandis que l’ambition d’être cinq a tenu un rôle non
négligeable dans la formation des fractions…
Quant au çoff, pour se mettre en orbite, il lui fallait nécessairement être deux : par
exemple deux voisins… Et ensuite des multiples de deux : deus séries d’alliances
se dédoublant en écho, de vallées en vallées… »
Sur la vendetta :
p. 235 :
« Car, pour qu’un meurtre n’impose pas un autre meurtre, il fallait (et,
apparemment, il faut encore) que la famille de la victime accepte la diya (le prix
du sang).
La diya est remise par la famille du meurtrier à la famille du mort en échange du
pardon de celle-ci, et cela se passe au cours d’un repas auquel doivent participer
les deux familles, mais aussi les négociateurs et les “Grands-Vieux” du voisinage.
Il n’est pas facile d’obtenir le pardon d'une famille qui a perdu un homme et,
pendant des siècles, il a fallu, dans chaque petit ‘arch, que le parti de la paix soit
plus fort que les deux “fractions” qui cherchent à s’exterminer. Est-ce la raison
pour laquelle il est souhaitable de compter cinq “fractions” dans un ‘arch ? Trois
familles qui plaident la paix pour en neutraliser deux qui ne rêvent que de
meurtres ? »
p. 237-238 :
« (…) à partir de 1865, l’administration coloniale française avait entrepris
d’organiser l’Algérie en communes, et que ces communes furent finalement
appelées des douars. Pour cette opération, il avait fallu découper quelques
“peuples” de grande taille et recoudre ensemble les plus petits – en prenant garde,
dans les deux cas, de ne pas trop contrarier les intéressés.
Sans doute y parvint-on à peu près, car, lorsque je fis connaissance de l’arrièrepays aurésien, raccordements et amputations semblaient admis. Il est vrai que les
officiers géomètres s’étaient partout gardés de toucher aux territoires des
“fractions” et qu’aucun berger par conséquent n’avait eu à changer son parcours.
Or c’était cela qui importait.
13
Ce qui caractérisait le ‘arch, ce n’était donc pas ses dimensions, mais ses
fonctions et son histoire : dans telles ou telles conditions historiques une volonté
de vivre ensemble s’était manifestée puis maintenue. Longtemps ? Assez
longtemps en tout cas pour que le repliement sur soi ait fait naître des manières
particulières d’employer ou de prononcer certains mots. Bien souvent, cela
suffisait dans les marchés pour situer un interlocuteur de rencontre.
Dans l’Aurès, le type de ‘arch que j’ai vu était une sorte de petite république – un
peu oligarchique, comme presque toutes les républiques, y compris la nôtre –
mais, à l’inverse de la nôtre, très refermée sur soi et souhaitant tourner le dos au
reste du monde.
Ce ‘arch n’avait pas été découpé par un État géomètre – comme ce sera le cas du
douar, sous l’empereur français Napoléon III – et il s’était implanté tout seul,
comme une graine sauvage, là où des possibilités s’offraient. Ensuite, de son
mieux, voire aux dépens des voisins, il avait grandi.
Identifié au-dehors grâce au nom propre qu’il s’est lui-même attribué, maître d’un
territoire où naissent ses enfants, où il enterre ses morts, dont les ressources ont
permis sa survie, le petit ‘arch que j’ai connu s’appliquait à faire régner l’ordre
chez lui : son ordre. Il y parvenait. »
p. 239 :
« Des institutions simples mais efficaces servaient à maintenir son ordre, ou plus
exactement à redresser l’ordre quand il trébuchait – car l’ordre est, par définition,
un équilibre. Les lois, non écrites ( du moins dans l’Aurès) s’exprimaient par
l’intermédiaire d’une sorte de sénat : la jemaâ, c’est-à-dire l’ensemble des chefs
de famille, des “Grands-Vieux”…
Dans l’Aurès, la jemaâ se réunissait sans date fixe ni protocole et elle prenait ses
décisions à l’unanimité, du moins en général.
Les “sénateurs” étaient des hommes âgés, ayant des fils, des frères cadets et des
neveux adultes (si possibles robustes, nombreux), c’est-à-dire une petite milice
privée dont, dans notre société “permissive”, on ne peut guère imaginer la
cohérence ni la discipline. Il m’a paru que l’importance numérique de cette milice
ajoutait du poids aux sages avis émis par le patriarche qui la dominait, mais
l’assemblée tenait compte aussi du bon renom personnel des orateurs et de leur
14
discernement. Le tout – milice et discernement – constituait un “poids politique”
que, entre 1934 et 1940, j’eus le loisir d’analyser cas par cas. »
(…)
« Le ‘arch s’identifiait au travers d’un nom propre qui, le plus souvent, se
présentait sous la forme d’un patronyme “les fils de Untel”, mais quelquefois
aussi, très rarement, sous celle d’un toponyme “les gens de tel endroit”. »
p. 240 :
« Dans l’Aurès, en tout cas, le temps aidant, terre et gens avaient fait corps à
l’intérieur d’une identité reconnue au-dedans et au-dehors des frontières. Cela
signifiait non seulement un nom, mais aussi un honneur commun, c’est-à-dire
pour chacun un aplomb moral. »
p. 244 :
« On a vu que, semblable à une orange, le rugueux petit ‘arch s’enferme dans une
peau épaisse et que, comme le fruit, il se partage intérieurement en loges séparées
par de fines cloisons. Chaque loge correspond à une ferqua (c’est-à-dire une
“fraction”). »
- la ferqua était endogame.
p. 247 :
« Dans la ferqua, on avait donc le même cimetière, les mêmes morts, la même
zerda annuelle, on pouvait épouser sans problème, ni douaire à payer, une femme
disponible, on partageait le même honneur et les mêmes vengeances, mais pas
tout à fait les mêmes héritages…
Lorsqu’il s’agissait d’un lignage très lointain venu en déshérence, il ne suffisait
pas pour hériter d’être membres de fraction, il fallait aussi être ait-‘ammi, c’est-àdire “descendants d’oncles paternels”. »
- l’héritage des terres :
p. 249-251 :
« Comme la société masculine d’Europe, la vieille paysannerie maghrébine a
mobilisé tout son machiavélisme pour sauvegarder le domaine terrien.
15
En France, au XIXe siècle, il ne fallut pour cela que violer la loi républicaine (et,
avec la complicité des notaires, cela se pratique encore), mais dans le Maghreb
c’était pis, car on devait cette fois affronter la colère divine et s’exposer ainsi à
l’enfer éternel.
Rappelons que le Coran prescrit à tous les pères musulmans d’attribuer à chacune
de leurs filles la moitié de la part d’héritage d’un fils. Mais ce fils devra –
également sous peine d’enfer – garantir à sa future femme un douaire aussi élevé
que ses moyens le lui permettent (tandis que les filles n’auront aucun devoir
financier vis-à-vis de leur mari. »
(…)
« Chez des paysans (qui ne possèdent qu’un toit et des terres), la loi coranique
démembre la ferqa, brise la fratrie des ait-‘ammi, chaque fois qu’une fille épouse
un non-parent et revendique sa part de terres.
Pour se garder de ce malheur, pour sauvegarder l’homogénéité du groupe
patriarcal, les “Grands-Vieux” du temps jadis décidèrent qu’aucune fille n’aurait
une part d’héritage et qu’aucune épouse ne recevrait un douaire…
Et ainsi firent-ils, eux et leurs descendants masculins, pendant quatorze siècles. »
(…)
« Courageux, mais intimidés, les hommes de loi conseillèrent de léguer les terres
à Dieu lui-même, par écrit (sous la forme d’une fondation religieuse appelée
habous) – sous réserve que, en attendant qu’il en prenne possession (le plus tard
possible), ce soient les descendants en ligne masculine du testateur qui en aient la
jouissance. »
Faut-il expliquer cet irrespect envers la parole sacrée par une invariable
préférence des pères pour leurs enfants mâles ? Nullement, et on pouvait même
constater le contraire, c’est-à-dire des pères prenant le parti de leurs filles envers
et contre tous, même contre leurs collègues de la jemaâ… Mais tous les paysans
du monde ont aimé leurs champs, outil de survie, autant et parfois plus que leurs
enfants. Or, pour assurer la non-dispersion d’un héritage il faut évidemment trier
impitoyablement les héritiers, et c’est pourquoi, depuis que les Méditerranéens
possèdent des maisons et des champs cultivés (et non plus seulement des noms,
des emblèmes, des âmes intemporelles – comme c’était le cas avant les
découvertes du néolithique), ils ont cherché à conserver intacts à la fois le
16
domaine terrien, la main d’œuvre qui le met en valeur, et – plus encore –
l’honneur indivis qui arme et rend redoutable un groupe solidaire et déterminé.
Dans la petite ruche patriarcale que constituent les ait-‘ammi tous les hommes
veillent en commun sur la conduite des femmes, tous vengent en commun le
meurtre de l’un d’entre eux, et si l’un d’entre eux, et si l’un des mâles de la fratrie
est suspecté de crime ou de marivaudage par une ferqa proche ou lointaine,
n’importe lequel des “cousins-frères” pourra être tué à la place du supposé
coupable. »
- la transmission du pouvoir :
p. 258 :
« Ce privilège du fils aîné fait partie d’un système de succession qu’on retrouve
dans toute la périphérie méditerranéenne, et au-delà. Idéalement, l’autorité et la
propriété se transmettent non pas du père au fils, mais du plus vieux au plus vieux,
c’est-à-dire du frère aîné à un frère puîné, puis au frère suivant, puis au suivant du
suivant…
Lorsque l’on change de génération, le pouvoir échoit ainsi non pas au fils du
défunt, mais à un de ses neveux, en principe le fils aîné de son frère aîné.
C’est encore aujourd’hui le mode de succession des rois arabes du pétrole, mais
les Berbères du Maghreb ne l’ont nullement emprunté à leurs conquérants du VIe
siècle, car ils le pratiquaient eux-mêmes depuis plus de mille ans à l’époque en
question, et tout ce que nous savons de la famille de Massinissa nous le confirme.
Ce mode de succession explique les assassinats en série qui se sont pratiqués
jusqu’au début du XXe siècle inclus, dans les familles émirales de Mauritanie,
mais aussi chez les Turcs, où furent exterminés à chaque génération tous les
parents mâles du nouveau dey ou du nouveau sultan.
Dans la même zone, en vertu du même système – mais dans la roture -, au lieu de
tuer tous les ait-‘ammi, comme le font les rois, on se fait tuer pour eux. »
17
B/ Germaine Tillion, La Traversée du mal, entretien avec Jean Lacouture, Paris, Arléa,
2000.
p. 25 :
« L’administrateur était à Arris, moi j’étais à quatorze heures de cheval d’Arris, c’est-àdire à plus de soixante-dix kilomètres, sans route… »
p. 28 :
« J’ai eu de vraies conversations tout de suite, mais avec l’aide de traducteurs, dont je
parvenais à contrôler la fidélité. Tous les ethnologues ou ethnographes qui circulent ne
savent pas d’emblée la langue – ou les langues – des zones qu’ils parcourent. Il y a des
régions où la langue change d’une vallée à l’autre. »
p. 38 :
« La clochardisation, c’est le passage du paysan à la ville. Du paysan pauvre et illettré
devenant citadin dans un bidonville. »
P. 41-42 :
« Outre cette fréquentation d’Allemands isolés, j’avais à mon actif deux voyages en
Allemagne, dont un en Prusse orientale, au cours de l’hiver 1932-1933. C’est ainsi que
j’ai vu – au cinéma, à Königsberg – un Hitler en redingote, et très empoté, présentant
ses ministres au vieil Hindenburg. »
C/ Laurence Wylie, Un village du Vaucluse, trad. C. Zins, Paris, Gallimard, 1979 (1ère
éd. 1957 en anglais, 1968 en français).
Il nous paraît intéressant de compléter ces approches par les observations d’un
anthropologue américain travaillant sur la France.
Il s’agit de : Laurence Wylie, Un village du Vaucluse, trad. C. Zins, Paris,
Gallimard, 1979 (1ère éd. 1957 en anglais, 1968 en français).
« En écrivant Village in the Vaucluse, mon dessein était au départ très limité :
étant professeur de civilisation française, je désirais fournir à mes étudiants un
18
tableau direct et concret de la vie quotidienne dans un village français. Je n’avais
pas en vue de public plus large. Cela situe l’état d’esprit dans lequel j’ai écrit ce
livre. »
Ce que dit L. Wylie, dans sa préface :
« En effet, comme je m’adressais, en principe, à des lecteurs vivant à cinq mille
kilomètres de Peyrane (il change le nom, qui est Roussillon), comme l’ouvrage ne
serait sans doute publié que par des éditions universitaires, je me sentais libre de
décrire aussi honnêtement et aussi complètement que possible le mode de vie des
habitants du village tel que je l’avais observé pendant l’année que j’avais passé
parmi eux. Je puisai sans hésiter dans la masse de documentation que j’avais
recueillie au cours de mon séjour. »
- la question de la liberté, de ses marges. Là où elle s’arrête.
Ce qui contredit un peu Wylie = ce problème que rencontre à peu près tous les
observateurs :
Doit-on changer les noms, lieux, patronymes ? Ce qui revient à dissimuler, jouer,
tromper ?
Le fait-on sur tous les terrains ? Que font les Africanistes, les Américanistes ? G.
Tillion a-t-elle éprouvé de telles difficultés ?
Ce qui conduit à réfléchir sur les différences des terrains, ainsi que sur la position
particulière de l’observateur par rapport à son terrain.
Là ou craint les retours, les effets, et là où on ne craint pas.
L. Wylie :
« Dans l’élaboration de cette étude, j’ai suivi, en gros, la méthode
anthropologique en cours dans les années 1940-1950, c’est-à-dire une approche
par la culture et la personnalité. J’ai surtout cherché à déterminer comment un
enfant né et élevé dans une certaine société apprend à devenir membre de cette
société. Or, il est évident que si l’on veut rendre compte d’une manière exhaustive
de ce processus d’apprentissage, on est amené à parler de choses que les villageois
n’ont pas l’habitude d’aborder ouvertement, notamment celles qui relèvent d’un
certain matériel psychanalytique. Afin d’illustrer mon étude – et aussi sans doute
19
parce que j’ai tendance à penser en termes concrets – j’ai souvent relaté des
événements et des comportements pour la plupart connus des Peyranais, mais dont
ils ne discutent pas d’ordinaire. Bien que je me sois attaché à omettre les
anecdotes qui prêtaient le plus à médisance, j’ai néanmoins rapporté certains faits
qui, si le livre venait à circuler dans le village, risquaient d’aggraver le caractère
déjà hostile des rapports humains à Peyrane. C’est pour cette raison que je
m’opposais résolument à la traduction du livre en français. »
- « On est amené à parler de choses que les villageois n’ont pas l’habitude
d’aborder ouvertement (…). »
- des événements et des comportements dont les villageois ne parlent pas.
- en rapportant : risque d’aggraver le caractère déjà hostile des rapports humains.
Ce qui inverse aussi la notion de risque. Dans cette situation, c’est la société
locale qui connaît le risque : celui de l’observation, du récit.
D’où l’interrogation sur la nature de l’observation : Peut-on la refuser ?
Existe-t-il des sociétés, des groupes qui se ferment, qui interdisent
volontairement ? Certainement.
D’où l’idée que l’ethnologie ne rend compte que d’une partie de l’humanité – des
comportements humains.
Ceux qu’on peut voir – là où on peut enquêter – et là où on ne peut pas, en tout
cas de façon directe.
- complexité de la notion de terrain.
L. Wylie :
« Cependant, il apparut que Village in the Vaucluse gagnait une audience plus
large que je ne l’avais escompté et trouvait des lecteurs dans des milieux autres
que celui des étudiants. Quelques exemplaires parvinrent au village. Des
Américains qui avaient lu le livre et qui partageaient mon affection pour Peyrane
se firent un devoir d’effectuer une visite au village quand ils venaient en Europe.
Ils apportaient le livre avec eux. Mauron, le patron du café, en commanda un
certain nombre d’exemplaires par l’intermédiaire de l’U.N.E.S.C.O. et de la
librairie Dumas à Apt qu’il vendait aux touristes et aux estivants. Il en gardait luimême un en permanence sur le comptoir qui lui servait de livre d’or. Les
précautions que j’avais prises en vue de dissimuler le nom réel du village se
20
soldèrent par un échec, car quiconque voulait s’en donner la peine pouvait
aisément découvrir que Peyrane s’appelait en réalité Roussillon. »
- Quand l’ethnologue perd le contrôle…
- ou bien le retour du terrain – l’impossible maîtrise.
Le terrain après le terrain. Ce qu’on en fait, ce qu’on accepte, ce qu’on subit.
L’histoire du terrain, du livre. Comment les acteurs se réapproprient-ils leur
propre image ? – ce qu’ils en font.
Il faudrait voir avec les Dogons, décrits par Marcel Griaule.
Quand les Dogons jouent aux Dogons : figer un temps, un tableau.
Le livre qui provoque l’intérêt, la curiosité, l’intrusion.
Des villages muséifiés, des villages musées.
L. Wylie :
« Naturellement certains passages du livre furent oralement traduits aux
Peyranais. La plupart du temps, les passages étaient choisis pour ce qu’ils
pouvaient avoir de piquant plutôt que pour leur intérêt scientifique et, extraits de
leur contexte, tendaient à donner du livre une idée grivoise dont il est totalement
dépourvu. La conséquence fut que certains villageois commencèrent à me
regarder d’un œil méfiant, voire hostile. »
- la transformation, l’évolution des comportements, des attitudes.
Ce qui déconcerte l’ethnologue. D’où le sentiment de méprise, d’erreur, tout ce
qui échappe :
« En fait, bien qu’étant convaincu d’avoir décrit avec sympathie cette
communauté à laquelle j’étais si profondément attaché, il n’en était pas moins naïf
de ma part de croire que je pouvais rendre compte avec exactitude de la vie à
Peyrane sans susciter de conflit ni de malentendu. Comme me le rappelait M.
Reynard, l’épicier, avec lequel, je m’entretenais de ce problème : « On ne peut pas
faire d’omelette sans casser d’œufs ! » Bien que les opinions les plus défavorables
que j’avais pu émettre sur telle ou telle personne ne fussent que pure flatterie à
côté de ce que les Peyrannais racontent les uns des autres, cela me gênait de
penser que j’avais pu, même sans le vouloir, blesser quelqu’un. Toutefois, à
mesure que le temps passait, le ressentiment parut s’estomper et lors de nos visites
21
ultérieures, les Peyranais nous accueillirent cordialement. Malgré cela, je n’étais
toujours pas convaincu de l’opportunité de publier le livre en français. »
- naïveté
- conflit, malentendu
- le sentiment qu’on peut avoir, qu’on a blessé
Wylie est nommé attaché culturel de l’ambassade des Etats-Unis à Paris.
À propos de son étude, il écrit aussi :
« (…) j’aime les habitants de Peyrane et j’en parle avec amitié et admiration et
non pas avec malveillance ou dans le but de les ridiculiser. »
« Il n’empêche qu’une certaine publicité portant sur ma personne et mon livre a
donné l’impression que Village in the Vaucluse était, si ce n’est obscène, du
moins d’un goût douteux. »
« Un article, par ailleurs bien intentionné, parut dans un journal sous le titre
fâcheux d’Un Américain chez les sauvages ! Sans doute, dans l’interview que
j’avais accordée au journaliste, j’avais déclaré que je m’étais efforcé d’observer ce
groupe de villageois français avec la même impartialité qu’un ethnologue allant
étudier une tribu primitive. De là à conclure que j’aie pu, ne fût-ce qu’un instant,
considérer les Peyrannais comme des sauvages, c’était pour le moins
malhonnête. »
1 situation qui échappe.
La traduction apparaît comme le seul moyen de rétablir « la vérité sur l’esprit dans
lequel j’avais écrit ce livre ».
Maintien de l’anonymat des personnes mentionnées dans le livre
- Que signifie l’anonymat ?
- Ne pas se reconnaître ? Dissimuler ? Travestir ?
- Comment appeler les gens, désigner les lieux ?
- Cacher – interdire la reconnaissance ?
1 jeu – qui suscite la curiosité.
22
« Pour l’essentiel, le texte français est néanmoins identique à celui qui a été publié
en anglais et j’espère que mes amis de Peyrane pourront maintenant se rendre
compte en lisant le livre dans leur propre langue combien j’ai fait preuve
d’affection et de respect à leur égard. »
« À vrai dire, le livre a moins préoccupé mes amis du village que les citadins qui
viennent y passer leurs vacances ou qui s’y sont installées après sa parution.
Nourris de Clochemerle, ces derniers ont à la fois tendance à idéaliser et à railler
la vie à la campagne. »
« La description que je donne de la vie quotidienne de la population autochtone ne
correspond pas à l’image que s’en font la plupart de ces nouveaux Peyranais.
Ignorants de ce que représente réellement une étude ethnographique, ils ne voient
pas la nécessité de parler de certains problèmes de la vie. « Tout n’est pas bon à
dire, n’est-ce pas ? » »
- les clichés – les stéréotypes.
besoins d’ajouter, de compléter – ressenti par Wylie :
le mettre à jour
quand le livre figeles Peyranais restent des Peyranais, façon Wylie – un peu comme les Dogons
restent des Dogons, façon Griaule.
Problème des lieux surinvestis par les chercheurs (Minot, Plozevet, Cévennes).
« Comme me le dit mon ami Rivet, le secrétaire de mairie : « Wylie, votre livre
nous fait prendre pour des arriérés ! »
livre : miroir, musée, archive.
Wylie : « Si ce livre était à refaire, je dirais qu’à l’intention de mes collègues en
sciences humaines, j’aimerais offrir un tableau plus précis des structures sociales,
des rapports de parenté et de la répartition des terres (… politique).
23
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24
2EME PARTIE
COURS D’ACCOMPAGNEMENT
Note préliminaire
Pour une bonne compréhension de ce dossier et un bon travail, quelques conseils
paraissent nécessaires – ainsi qu’une liste de livres à lire en complément.
Rappelons que l’enseignement universitaire exige un important travail personnel
qui est aussi une occasion de faire sien un sujet et une discipline. En résumé, une
façon de développer son autonomie dans l’apprentissage qui doit aussi donner
plaisir et liberté.
Pour les chapitres 2, 3, 4, les textes fournis constituent chacun une entrée
thématique qu’il faut enrichir par d’autres lectures.
1) Une notion centrale : la culture
Le concept de culture est fondamental pour l'anthropologie. Pourtant, il a été difficile de
l’introduire et de le faire accepter parce que l’on a longtemps eu tendance à penser
intuitivement à l'autre signification de la culture, c'est à dire, la haute culture, spécialement
l’art, la musique, la littérature.
Mais aujourd'hui c’est le sens anthropologique qui l’emporte. Il est utilisé dans les médias
pour expliquer presque tout, depuis les désastres technologiques jusqu’aux variations du
climat. La culture est désormais partout : culture d'entreprise, culture scolaire, culture des
jeunes, des élites, etc.
Mais il n’en fut pas toujours ainsi. Le concept de culture a surgi, principalement au 19e siècle,
pour expliciter les particularités de la pensée et des actions humaines.
Auparavant, d’autres explications concernant les actions humaines et la pensée avaient été
élaborées, notamment en termes de déterminisme environnemental. Pourquoi les gens dans
les Alpes croient aux sorcières? --- À cause de l'air des montagnes. Pourquoi les indigènes en
Amérique latine ou en Asie du Sud-Est étaient considérés comme « inférieurs » aux
25
Européens? A cause de la chaleur et de l’humidité permanentes de leur climat qui les rendent
paresseux, affaiblissent leur constitution physique et mentale.
C’était dans le même esprit que Montesquieu disaient des habitants de l’Europe du Nord
qu’ils étaient courageux, vigoureux, insensible à la douleur, intelligents, mais également
doués d’une faible libido et portés sur la boisson. On pensait, toujours au siècle des Lumières,
que ceux du Nord développaient grâce au rude climat une fidélité, une loyauté au
gouvernement, mais aussi une certaine cruauté. Au contraire, ceux du bassin méditerranéen
Sudistes étaient décrits comme d’un tempérament malicieux, rusé, fort dans les disciplines
intellectuelles, mais inaptes à l’obéissance et à la gestion du pouvoir. De même, l’on disait
alors des langues nordiques qu’elles possédaient beaucoup de consonnes parce que les gens
craignaient d'ouvrir la bouche et de laisser entrer l'air froid. Ces conceptions, considérées
comme largement naïves aujourd’hui par la majorité de la population, ont longtemps été tout
à fait partagées par toutes les couches de la population européenne.
D’un autre côté, à l’opposé de ces explications par l’environnement naturel, une autre façon
d’expliquer les tempéraments, les comportements et leurs écarts fut de les rapporter à des
différences d’ordre biologique. C’est tout le développement de la pensée raciale, radicale au
19e siècle, qui, la première, a réduit la nature humaine a un ensemble de données biologiques.
Ainsi, les explications concernant la pensée et les actions humaines ont longtemps été saisies
soit par la nature extérieure (l'environnement), soit par la nature intérieure (l'hérédité).
Cependant, demeurait un vague sentiment (présent dès l’Antiquité grecque ; on le voit dans
les textes d’Hérodote) qu'il y avait quelque chose entre ces deux extrémités, entre l’hérédité et
l’environnement, quelque chose appelé coutume / tradition / habitude / mentalité / esprit qui
avait une importance. Mais cette zone centrale, entre les deux natures, restait obscure : l’on ne
savait ni de quoi elle se composait, ni comment la penser exactement.
Puis, au 19ème siècle, le mot « culture » fut adopté pour décrire et désigner cette zone.
Emprunté à l'art et à la musique, il a été élargi pour englober toute forme de production de
l’esprit humain, des grandes œuvres aux réalisations les plus ordinaires et les moins
réfléchies. Cette notion reste encore aujourd’hui largement associée au nom de
l’anthropologue britannique qui l’a mise sur le devant de la scène, Edward Tylor (1832-1917),
dans un texte fondamental : La civilisation primitive (Primitive Culture, 1871). Sa définition
de la « culture » est demeurée canonique depuis : il s’agit selon lui de ce « tout complexe qui
comprend à la fois le savoir, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes ou toute
autre faculté ou habitude acquise par l’être humain en tant que membre d’une société ».
26
Il s’agit de donc de tout ce qui est appris, et non biologiquement programmé. La culture varie
donc indépendamment de la biologie. Des personnes très différentes d’un point de vue
biologique peuvent partager la même culture, et vice-versa. Dans la culture l’apprentissage
l’emporte, mais cela ne signifie pas pour autant que la culture est toujours consciemment
enseignée. Elle est partagée : elle est ce qui fait un groupe, petit ou grand. Mais ce partage
peut comprendre, et comprend, une dimension parfaitement inconsciente, ce qui garantit
largement son efficacité. De cette façon, la culture comporte des idées, des valeurs, des
hypothèses, des procédures, des pratiques.
Mais cela ne signifie pas que l'environnement et la biologie sont entièrement hors de propos
pur déterminer en partie la pensée et les actions des hommes. Ils peuvent en effet affecter la
culture de toutes sortes de façons.
Ainsi, si les représentants de sociétés différentes peuvent rendre leurs expressions faciales
différemment (pour manifester de la joie, de la colère, etc.), il semble cependant qu’il existe
des constantes universelles offertes tout à la fois par les possibilités physiques des visages et
les formes systématiques que prennent certaines réactions nerveuses. Dès lors, la manière
dont on sourit est probablement la combinaison de la «nature humaine» et des particularités
culturelles liées à son groupe.
Aujourd’hui encore, il existe de nombreux débats quant à l'importance relative de ces
différents facteurs. Le naturalisme (que les perspectives cognitives représentent le mieux à
l’heure actuelle en anthropologie ; anthropologie cognitive) met l’accent sur la nature ; le
relativisme culturel a tendance à mettre l’accent sur la culture.
La culture est comme la grammaire. La linguistique moderne a montré, depuis les travaux de
N. Chomsky, que tout individu possède, de façon innée, une aptitude au langage et des
rudiments de grammaire universelle qui est ensuite adaptée à une langue particulière. Mais ce
n'est pas quelque chose qui est consciemment enseigné. C’est ce que l’on apprend malgré soi
en grandissant dans une communauté linguistique, en écoutant les gens parler.
Par exemple, la plupart des locuteurs du français (comme des autres langues) ne peuvent pas
expliquer la différence entre les consonnes voisées (ou sonores) et non voisées (ou sourdes).
Or, nous utilisons cette distinction tout le temps, à la fois en parlant et en écoutant. Nous
pratiquons cette différence essentielle sans le savoir en sachant distinguer le /b/ (voisé) du /p/
(non voisé) qui permet de faire la différence entre « bas » et « pas », ou le /v/ (voisé) du /f/
27
(non voisé) pour différencier « vœu » de « feu » par exemple.
Nous apprenons ainsi un ensemble très complexe de règles sans savoir que nous les
connaissons. Ainsi, la culture peut véritablement être considérée comme une sorte de
grammaire, d'autant plus complexe qu’elle mêle de l’action et de la pensée.
Dans cette perspective, les objets en eux-mêmes ne sont pas de la culture. Par contre, est
culturel tout ce qui les conditionne, les produit, l’usage qu’on en fait, etc. Une chaise n'est pas
en soi de la culture, mais les règles et les usages qui ont présidé à sa fabrication le sont,
comme sont culturelles les idées et représentations sur les façons de s’asseoir, quand
s’asseoir, quand se lever, ou encore les critères de jugement sur ce qui fait d’une chaise une
« bonne » chaise, sur leur valeur, etc. Par exemple, quand les Japonais ont rencontré les
Occidentaux, ils ont immédiatement été consternés par l’utilisation des chaises. Ils les
considéraient comme très inconfortables et, surtout, pensaient qu’elles contribuaient à
déranger l’organisation interne des organes du corps humain tant la position adoptée ne leur
semblait pas « naturelle ».
On notera au passage que la grammaire ne détermine pas ce que l’on dit ou non. Simplement,
elle donne des règles pour produire un énoncé que quelqu’un d'autre peut comprendre et
auquel il peut répondre. La culture procède de même. Elle permet l’intercompréhension par
le partage de mêmes règles (valeurs, idées, représentations, etc.), mais elle ne détermine pas la
forme très précise que pourront prendre ces idées, valeurs, etc. selon les individus, les
contextes historiques, etc. Sans doute, les anarcho-syndicalistes et les royalistes partagent-ils à
un certain niveau la même culture (européenne largement) même si l’allure donnée à certaines
de leurs idées est tout à fait contradictoire.
La culture est omniprésente et concerne tous les compartiments de notre existence y compris
les plus physiques ou sensibles. Elle affecte la façon dont nous organisons et gérons notre
corps, la façon dont nous nous tenons à distance ou non des autres ; elle nous « dit » si nous
pouvons les toucher ou non selon les situations. En Occident, nous n’avons généralement pas
à toucher les gens avec lesquels nous ne sommes pas intimes, excepté dans certaines
situations très formelles comme les salutations, ou très informelles comme les excuses
rapides. Ainsi, nous possédons des règles subtiles (toucher légèrement la personne en question
au bras notamment) permettant de signifier à une personne que l’on est désolé pour une faute
de petite envergure.
Bien évidemment, la meilleure façon de découvrir à quel point la posture, la distance et les
28
attitudes corporelles sont contrôlées par la culture est de confronter nos usages à ceux d’autres
cultures. Ainsi, telle culture va considérer que se tenir à une certaine distance d’un personne
va être grossier et signaler un froid, alors qu’une autre trouvera la même distance entre deux
personnes comme beaucoup trop proche, signalant ainsi une attitude arrogante et
présomptueuse. Et l’on peut retrouver ce type de problématique concernant la « bonne
distance » pour parler, ou encore les usages du regard (ne pas regarder quelqu’un dans les
yeux, ou contraire être tenu de regarder quelqu’un dans les yeux : cette économie du regard
livre toujours un message dont le contenu est culturel).
L’impact de la culture sur la dimension physique de notre existence est telle qu’elle influence
jusqu’à la manière même de tenir son corps, qui apparaît pourtant à chacun comme naturelle.
Ainsi, au début du 20e siècle, le grand anthropologue français Marcel Mauss (1872-1950)
observait les défilés des troupes de différents pays européens qui se déroulaient ensemble
pour célébrer la fin de la première Guerre mondiale. Mais les pas étaient si différents qu’il a
été impossible aux soldats du régiment britannique de suivre correctement la troupe et la
musique françaises.
Ainsi, chaque aspect de notre vie est, au moins en partie, régi par la culture et la nécessité de
l’intercompréhension culturelle.
Point sur le relativisme culturel
Le relativisme culturel, évoqué plus haut, comprend une dimension morale. Les cultures
diffèrent largement quant aux règles morales qu’elles adoptent, quant aux comportement
considérés comme justes, quant aux définition du bien et du mal. Faire de l’anthropologie
nécessite donc, au moins temporairement, que l'on suspende nos jugements. Et s’il reste
cependant extrêmement difficile de se séparer de notre faculté de juger (notamment sur des
points qui nous paraissent toucher à la dignité humaine : les mutilations, le meurtre
compensatoire, les sacrifices, etc.), il est impératif d’éviter de juger les autres selon les
critères et les normes de notre propre culture. Ne pas réaliser cet effort intellectuel est une
attitude assez commune qualifiée d’ethnocentrisme.
Toutefois, le relativisme culturel n’est pas exempt de toute critique. Conduit de manière
radicale, il conduit à un morcellement des cultures humaines, à légitimer toutes les actions
(toujours faites au nom de la culture), à empêcher finalement toute relation interculturelle.
29
2) Tableau et situation d’une société amérindienne : les
Yanomamis.
*(texte de Jacques Lizot et article de la revue Beaux Arts magazine).
Pour compléter cette présentation, vous pouvez lire les livres suivants :
David Kopenawa, Bruce Albert, La chute du ciel. Paroles d’un chaman
yanomami, (collection Terre humaine), Paris, Plon, 2010.
Et, en élargissant l’aire géographique et culturelle,
Pierre Clastres, Chronique des Indiens Guayaki, (collection Terre humaine), Paris,
Plon, 1985.
Mais peut-être pourriez-vous déjà vous lancer en lisant le livre qui a suscité tant
de vocations d’anthropologues et qui reste un ouvrage-clé de la discipline :
Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, (collection Terre Humaine), Paris, Plon,
1955.
30
Qu’écrit-il sur une des sociétés étudiées ?
p. 329 : « Les Nambikwara se réveillent avec le jour, raniment le feu, se
réchauffent tant bien que mal du froid de la nuit, puis se nourrissent légèrement
des reliefs de la veille. Un peu plus tard, les hommes partent, en groupe ou
séparément, pour une expédition de chasse. Les femmes restent au campement où
elles vaquent aux soins de la cuisine. »
Suit ensuite un tableau de la vie quotidienne des Nambikwara :
ce que nous pouvons déjà définir comme une ethnographie, c’est-à-dire une
description méticuleuse des activités, des mœurs et des croyances.
Que peut-on en tirer ?
Ce que Lévi-Strauss, lui-même, écrit :
p. 469 : « L’étude de ces sauvages apporte autre chose que la révélation d’un état
de nature utopique, ou la découverte de la société parfaite au cœur des forêts ; elle
nous aide à bâtir un modèle théorique de la société humaine, qui ne correspond à
aucune réalité observable, mais à l’aide duquel nous parviendrons à démêler “ce
qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme et à bien
connaître un état qui n’existe plus, qui peut-être n’a point existé, qui probablement
n’existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour
bien juger de notre état présent.” »
Tel est le but des deux textes joints. Dès à présent, nous pouvons nous poser la
question de la signification de ce qu’on appelle, souvent de façon abusive, une
société primitive.
Forts de ces lectures, et de cette connaissance, vous pouvez à présent passer au
troisième point de ce cours.
3) Une histoire de l’ethnologie.
De nouveaux mondes.
Des auteurs.
Des interprétations.
Plusieurs textes forment ce chapitre qui représente une étape essentielle de votre
formation.
Qu’apporte ce chapitre ? Et que représente-t-il.
D’abord, une réflexion sur ce moment unique de l’histoire de l’humanité que
constitue la découverte de l’Amérique.
Sur ces Nouveaux mondes, plusieurs auteurs donnent leur lecture et leur
interprétation :
Charles Verlinden,
Luis Villoro,
Nathan Wachtel.
Sur la portée de cette découverte de l’Amérique, retenons ce qu’écrit Verlinden :
31
« En réalité, on ne peut parler de “découverte de l’Amérique” qu’à partir du
moment où le pourtour du continent américain prend forme dans la conscience des
Européens qui sont en contact avec lui. »
L’histoire de cette découverte est, dans son texte, précisément racontée.
Elle évoque deux attitudes, et deux situations.
* Celle des Européens qui imposent le « repartimiento » d’Indiens – mesure
d’exploitation et de domination jouant avec la peur et la violence, qui ouvre la
porte à une autre histoire.
* Celle des Indiens, vaincus, humiliés, dépossédés et asservis.
Le texte de Verlinden est parlant. Celui de Villoro ajoute aussi en interprétation.
Il parle d’une double « stupeur » : celle des Indiens, magnifiquement décrite par
Nathan Wachtel. Et la stupeur des découvreurs :
« Lorsque les Espagnols arrivèrent au Mexique, ils furent frappés de stupéfaction
devant un monde étrange où se mélangeaient la beauté et l’horreur. »
Les récits – notons l’importance des mots utilisés, de la forme, du style – de la
découverte sont importants.
Relevons, avec eux, ce qui est retenu, souligné.
Le sentiment d’un changement – unique, grandiose, terrible – s’impose des deux
côtés.
Dans cet ordre, il faut aussi relever les oppositions dans les différentes visions de
l’histoire.
De façon lumineuse, Nathan Wachtel déplace le centre du regard et impose celui
de l’Indien qui souffre, meurt, et résiste.
Grâce à ces textes, que vous pouvez enrichir par d’autres lectures, surgissent des
entrées majeures de la discipline :
L’altérité ;
L’ethnocentrisme ;
La différence.
32
Entrées qui sont illustrées par les textes suivants portant sur la construction de la
discipline :
Comment se développe l’anthropologie ?
Jean Duvignaud apporte sa lecture.
Michel Panoff introduit le livre de Bronislaw Malinowski, Les Argonautes du
Pacifique occidental, (que vous pouvez lire).
« La valeur des Argonautes, écrit-il, tient à deux raisons étroitement conjuguées :
l’expérience de l’enquête sur le terrain et l’exigence propre à la composition
littéraire. »
En décrivant le système d’échanges intertribaux, Malinowski réalise ce qui est
devenu un modèle de la littérature anthropologique qui aboutit, plus tard, à une
école portant sur « l’analyse fonctionnelle ».
L’œuvre a été, plus tard, discutée.
Plusieurs textes d’un autre auteur, très important pour la communauté des
anthropologues, suivent :
Ceux de Claude Lévi-Strauss.
L’un porte sur le mythe (insistons sur l’importance des Mythologiques).
Un autre, extrait de Race et histoire, sur l’ethnocentrisme.
Quelles sont ses origines, son histoire ?
Pourquoi ce clivage entre prétendus civilisés et barbares ?
Qui le construit, l’alimente ?
Que représente la notion d’évolution ?
Poursuivez en lisant l’ensemble de ce texte.
Nous avons joint ensuite une interview de CLS (à lire comme le témoignage
d’une immense recherche).
Lévi-Strauss revient sur son parcours :
« J’ai fait bouger les idées », dit-il modestement.
Suivent ensuite des textes de Pascal Dibie et Jacques Meunier sur Lévi-Strauss.
33
Mais vous pouvez aussi lire de Catherine Clément, Lévi-Strauss, (Que sais-je ?),
Paris, Puf, 2010.
Ce que vous pouvez noter, sans d’ailleurs trop vous appesantir, c’est – à
l’intérieur de la discipline - la naissance de courants, d’écoles, de personnalités –
peut-être aussi d’époques- qui marquent la progression de l’anthropologie.
Pour vous aider dans cette histoire de l’anthropologie, vous pouvez vous appuyer
sur les livres suivants – (en choisir un ou deux) :
- Jean Copans, Introduction à l'ethnologie et à l'anthropologie, Paris, Nathan,
1996
- Philippe Laburthe-Tolra, Jean-Pierre Warnier, Ethnologie, Anthropologie, Paris,
PUF, 1993 (plus développé et plus riche)
- Jacques Lombard, Introduction à l'ethnologie, Paris, A. Colin, 1998
- Mondher Kilani, Introduction à l'anthropologie, Lausanne, Payot, 1992
- on peut aussi ajouter :
Jean Copans, L'enquête ethnologique de terrain, Paris, Nathan, 1998
François Laplantine, La description ethnographique, Paris, Nathan, 1996
Marie-Odile Géraud, Olivier Leservoisier, Richard Pottier, Les notions clés de
l'ethnologie, Paris, A. Colin, 1998.)
À ce stade, nous considèrons que vous devez posséder un certain nombre de
connaissances faites aussi de définitions (Pour cela le Dictionnaire de l’ethnologie, de Bonte et
Izard, Paris, Puf, peut vous être très utile).
N’hésitez pas à multiplier les entrées, et les références.
La chaîne d’étude – ethnographie (travail de terrain), ethnologie (première étape
vers la synthèse), anthropologie (étude de l’homme) – doit être connue.
Il nous semble aussi utile de pouvoir définir les différences entre anthropologie
physique et anthropologie sociale et culturelle (dans certains pays, les
enseignements peuvent être communs) et de réfléchir sur l’importance des
34
disciplines voisines :
Rapports de l’anthropologie et de la sociologie,
De l’histoire et de l’anthropologie,
De l’anthropologie et de la philosophie,
etc.
Notez aussi l’importance de la muséographie (la visite d’un musée d’ethnologie
est importante), de la psychologie, de la linguistique, etc.
Abordons maintenant le quatrième point.
4) Le métier d’anthropologue
Vous allez aborder cette question grâce à plusieurs auteurs.
Edmund Leach, d’abord élève de Malinowski, a travaillé sur les Kachin de
Birmanie. Il rapporte ainsi l’origine de sa « vocation » d’anthropologue :
« C’est en Asie, où je suis resté trois ans et demi, que j’ai commencé à découvrir
l’anthropologie. Là-bas, en effet, je me suis aperçu d’une chose étrange. Les
Chinois riaient des mêmes blagues que les Européens, pas les Japonais. Les
Japonais avaient un humour très spécial. Je crois bien que mon goût pour
l’anthropologie s’est éveillé en faisant ce genre de remarques… »
Il insiste sur l’importance de ce que l’on appelle l’observation participante :
« (…) vivre avec les gens, participer à leurs activités, puis essayer de comprendre
l’étrangeté de ce contact. »
Leach se définit comme un « empiriste », s’opposant à Lévi-Strauss qu’il voit
comme un « rationaliste ».
Du point de vue de l’histoire de l’anthropologie, il dit ce qui nous semble très
important : « L’idée de l’espèce humaine, au sens moral, est vraiment très
récente. »
L’anthropologie participe à cette vision de l’espèce humaine comme un tout, une
unité, traversée par des différences passionnantes à étudier.
35
L’interview de Jean Rouch est là pour introduire – et insister – sur l’importance
du film ethnographique dont il est un des pionniers.
Ainsi, à côté du texte, de l’article, du livre : l’image – avec toute la richesse de sa
construction.
•
* Nous vous conseillons – si vous en avez l’occasion de voir quelques-uns de
ces films :
•
Les Maîtres fous, Cimetière dans la falaise, etc.
•
Peut-être aussi pourrez-vous assister à un festival du film ethnographique …
(à Paris, ou ailleurs).
Le film, comme Rouch l’affirme, pose bien sûr des problèmes techniques. Il exige
une formation particulière.
Mais il est aujourd’hui essentiel à la connaissance et à l’ « explication » de la
différence humaine.
À cet exemple – celui de Rouch – vous pouvez ajouter d’autres expériences, et
d’autres productions.
Nous ne doutons pas que cet exercice vous passionnera.
Pour poursuivre dans cet exercice, d’autres exemples d’anthropologues peuvent
être avancés. Mais la liste peut s’enrichir.
Vous devez d’ailleurs le faire à partir de votre propre exploration et de vos
lectures.
Il s’agit, par là, de découvrir des œuvres et des aires culturelles :
Nouvelle-Guinée,
Afrique.
N’hésitez pas à aller plus loin !
Maurice Godelier.
Comment définit-il « son » métier ?
Existe-t-il, au sein de la discipline, des courants, des écoles (évolutionnistes,
fonctionnalistes, marxistes, structuralistes, etc) ?
Comment définir sa propre méthode, et construire une autre approche ?
Que représente ici l’anthropologie économique ?
« J’ai commencé, dit Godelier, à développer une anthropologie des systèmes de
36
production, des systèmes de distribution, des monnaies primitives. »
Insistons surtout sur ce qu’on appelle : le travail de terrain.
On pourrait d’ailleurs réfléchir ici à ce lien particulier – unique dans les sciences
de l’homme – entre chercheur et terrain.
« Pendant des années, j’ai pu suivre dans le détail le déroulement complexe de ces
pratiques et de ces discours imaginaires et symboliques (ceux des Baruya). »
Que fait-il concrètement sur le terrain ?
Que retient-il ?
Comment se construit sa recherche ?
Comment, du terrain, passe-t-on à une réflexion générale : sur la production,
l’origine de l’État, la domination ?
Vous pouvez – vous devez- le voir à travers vos lectures.
À ce stade, il est aussi intéressant de situer chacun de ces auteurs :
Pourquoi celui-ci reste-t-il un ethnographe ?
Pourquoi cet autre donne-t-il plus d’ampleur à sa pensée ? Comment se fait le
passage ? Comment s’établissent les limites.
Apportez des réponses à partir de cas – et de lectures.
Suivent ensuite plusieurs africanistes (Balandier, Augé, Terray)
Georges Balandier.
Son œuvre est très importante. Vous pouvez lire aussi :
Georges Balandier, Afrique ambiguë, (coll. Terre Humaine), Paris, Plon, 1957.
Georges Balandier, Anthropo-logiques, Paris, LGF, 1985.
Georges Balandier, Le Détour, Paris, Fayard, 1985.
« C’est donc une excellente suggestion, affirme Balandier, que de commencer par
l’Afrique puisque tout est parti de là. »
À travers ses propos, on découvre l’importance du parcours.
Que fait un anthropologue ? Comment conjugue-t-il cette tension – ailleurs
illustrée par Clifford Geertz- travailler sur un terrain lointain et écrire dans le
37
bureau de son université ?
Il note aussi l’importance de l’implication – qui peut d’ailleurs conduire à la
participation – à l’engagement.
Que représente une anthropologie appliquée ?
Le travail d’anthropologue est fait d’aller-retour.
Il impose l’errance, la quête.
Balandier développe ce qu’il appelle lui-même une anthropologie dynamique –
où l’histoire trouve toute sa place.
« Nous savons donc à quel point l’histoire de l’Afrique a été une histoire des
recompositions, du travail historique continuel sur les espaces politiques, sur les
univers de civilisation, sur les espaces religieux qui étaient mouvants. Tout cela ne
se passait pas sans guerres, sans conflits. »
Balandier insiste sur l’importance de ce « laboratoire » africain qui lui permet
d’inventorier, et de décrire.
« On découvre que l’Afrique a tout expérimenté », dit-il.
Il pense surtout au domaine où il a si bien travaillé : l’anthropologie politique.
De cette explication sur des cas africains, Balandier est passé ensuite à une
exploration de la modernité.
Pour compléter cette approche magistrale, deux autres exemples :
Marc Augé
Et
Emmanuel Terray.
Le premier revient sur son « itinéraire anthropologique » et le second présente sa
réflexion sur la question de l’origine de l’État.
« Que cherche le chercheur ? écrit Augé. S’il cherche l’autre, qui donc est
l’autre ? »
38
Que représente une anthropologie pratique ?
Il reste à découvrir le mode d’organisation, de pensée de l’autre. Et à le rapporter.
Qui sont donc les Bantous ?
L’exploration de Terray tourne autour de l’origine de l’État.
Elle doit vous permettre d’aborder ce thème de l’anthropologie politique.
Pour enrichir ces réflexions, nous vous proposons d’aborder deux auteurs choisis
spécialement.
5) Des œuvres (se reporter aux notes de lecture)
Germaine Tillion.
Son œuvre est essentielle. Elle est un exemple de modestie, et de travail.
Nous aimerions pouvoir vous la faire découvrir.
Dans ce but, nous joignons des notes de lecture qui insistent sur :
Le temps et la situation d’observation (Algérie coloniale, années trente, insistance
sur le social et la parenté).
Il faut absolument lire ce livre.
Laurence Wylie.
Du point de vue du décalage du regard, et de la singularité de son approche, il
nous semble important d’ajouter cet auteur.
Grâce à lui, vous pourrez découvrir le regard d’un anthropologue américain sur le
monde villageois français.
En quoi son approche diffère-t-elle de celle de Leach (sur les Kachin – de
Balandier, sur l’Afrique) ?
La question est importante.
Mais elle situe aussi l’ampleur de l’anthropologie qui n’écarte aucun groupe et
aucun sujet.
39
6) Un exemple de perspective anthropologique : la question
du don et de l’échange
Il n’est sans doute pas de meilleur moyen pour comprendre la démarche d’une
discipline que de la voir à l’œuvre sur un cas précis. Plusieurs champs auraient pu être
abordés : le religieux, le politique, la parenté, etc. autant de thèmes forts de la discipline que
vous avez pu identifier grâce aux textes présentés. Ces thématiques étant abordées
spécifiquement dans les enseignements de 3e année, nous en avons élu une autre, centrale
également : la question de l’échange et du don.
En dépit des différences qui existent entre les sociétés et les cultures, celles-ci
effectuent cependant toutes un certain nombre d’actions, selon des formes différentes parfois,
mais dont la confrontation permet justement d’apporter un éclairage nouveau sur les raisons
profondes, les motivations et la nature de l’action en question. Ainsi, il n’est pas une société
qui ne pratique à un niveau ou un autre l’échange. Il n’est pas étonnant qu’en tant qu’il s’agit
d’une constante humaine qui est réalisée diversement selon les cultures, l’échange ait fait
partie des objets privilégiés de l’anthropologie et ce dès les débuts de la discipline.
Il existe deux manières d’échanger différentes :
•
L’échange marchand : A vend à B un produit X. B donne à A l’équivalent en monnaie
du prix de X. L’échange entre A et B se termine là.
•
L’échange non marchand (le don) : A donne à B un produit X. Don qui est suivi, à
plus ou moins long terme, d’un contre-don de B à A d’un produit Y (ce « produit »
peut être de la simple reconnaissance).
Bien que nos sociétés connaissent le don, certaines sociétés sont véritablement organisées
autour du don, c’est-à-dire que la majeure partie de la circulation des biens se fait sur le
modèle du don, contrairement à la nôtre. Cette question du don et du contre-don a suscité
depuis longtemps l’intérêt des anthropologues à la fois pour comprendre ces sociétés mais
aussi pour comprendre l’émergence dans nos sociétés du système marchand. Notons que cette
opposition entre « société à dons » et « société marchande » est plus d’ordre heuristique et
théorique qu’empirique, surtout avec la globalisation : les « sociétés à dons » sont de plus en
plus intégrées, bon gré mal gré, dans un système mondialisé d’échanges marchands ; les
40
« sociétés marchandes » ménagent toujours des situations où le don est valorisé (solidarité
sociale, familiale ; cérémonie d’échanges de cadeaux : anniversaires, fêtes de fin d’année,
ect.).
Le premier anthropologue à considérer le don comme objet anthropologique décisif a été
Marcel Mauss (1872-1950).
Dans son célèbre « Essai dur le don » (1924, publié dans Sociologie et Anthropologie, Paris,
PUF ;
texte
accessible
en
ligne
sur
http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/mauss_marcel.html), M. Mauss est l’un des
premiers à tenter de formuler une théorie du don. Fidèle aux préceptes de Durkheim, c’est
vers les sociétés « primitives » qu’il se tourne pour trouver les « formes élémentaires » des
institutions et faits sociaux des sociétés occidentales. Ses travaux sur le don font suite à une
série de travaux qu’il a menés sur les formes archaïques du contrat, question centrale de la
sociologie durkheimienne. La question de l’origine de la société (i.e. du lien social originel)
est présente dès les premières réflexions sur le don.
Fidèle à la méthode comparatiste Mauss va accumuler les données ethnographiques
concernant les échanges dans les sociétés exotiques, mais aussi puiser dans les sources
historiques concernant les tribus germaniques, celtes, etc. d’Europe occidentale. L’importance
du matériau manipulé est impressionnante. Parmi ces données éclectiques, deux faits
ethnographiques vont particulièrement attirer l’attention de Mauss : le potlatch et la kula. Ces
deux faits méritent d’être exposés en détail d’une part parce qu’ils existent toujours même
s’ils ont subi des modifications, d’autres part parce qu’ils ont tous les deux été l’objet de
multiples interprétations et réinterprétations.
5.1 Potlatch et kula
Le Potlatch
Le phénomène du potlatch a été étudié dès la fin du 19ième siècle et reste associé dans
l’histoire de l’anthropologie au nom de Franz Boas (1858-1942), qui est l’un des premiers
anthropologues a avoir tenté de le décrire. Il s’agit d’une forme particulière de don que
pratique toutes les sociétés autochtones de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord (entre
41
l’Alaska et le nord des Etats-Unis, en particulier en Colombie britannique). Ces sociétés, plus
d’une dizaine, sont d’ailleurs désignées comme sociétés à potlatch. Ce sont des sociétés de
chasseurs/cueilleurs/pêcheurs.
Le mot potlatch définit un ensemble de manifestations (fêtes, danses, discours, distributions
ostentatoires de biens) organisées à l’occasion d’événements importants de la vie d’un
individu (mariage, funérailles, succession, initiation, etc.) ou dans le contexte d’une rivalité
entre chefs. Ces cérémonies trouvent leur pleine expression dans la distribution de biens de
prestige et de nourriture par un hôte à des invités formellement conviés en vue de la validation
publique d’un certain nombre de prérogatives familiales. Le potlatch met en jeu une profusion
d’objet et de nourriture : canots, couvertures, bijoux, porcelaine, armes à feu à quoi s’ajoute
des plaques de cuivres ciselées qui sont les objets les plus précieux pour les Indiens. Dans les
cas de rivalités, le potlatch peut être aussi un défi : un homme éminent met un rival au défi
d’être aussi généreux que lui. Ce dernier doit rendre une quantité de richesses supérieure. Le
potlatch est ainsi le moyen par lequel un individu acquiert ou maintient une influence
politique et une position sociale au sein du système hiérarchique. C’est cette forme de
potlatch, celle teintée de forte rivalité, qui va le plus intéresser les anthropologues qui étaient
frappés (notamment Boas) par l’ampleur du phénomène et la quantité de biens mis en jeu.
Pour Boas, le potlatch n’est ni plus ni moins qu’un système de prêt à intérêt. A fait crédit à B
qui doit rembourser la somme prêtée plus les intérêts. Vu sous cet angle, le potlatch est un
phénomène strictement économique et le phénomène est comparé à un acte marchand. Les
autres aspects du potlatch (politiques, culturels, etc.) sont ignorés par Boas. En fait :
•
les données ethnographiques sur lesquelles travaillent Boas sont insuffisantes. Et il ne
travaille pas vraiment directement sur le terrain ;
•
deuxièmement il semble que l’institution du potlatch ait été profondément modifiée
par les contacts avec les Blancs. Cette modification se serait exprimée dans un
élargissement du phénomène et une inflation des biens mis en jeu, ce qui l’a rendu
particulièrement visible (pour les anthropologues) mais l’a peut-être en quelque sorte
« surclassé ».
Influence de la situation coloniale
Plusieurs travaux ont montré l’influence de la situation coloniale sur l’institution du potlatch.
L’un des principaux reproches qui est adressé à Boas est le fait qu’il place le potlatch en
dehors de l’histoire et qu’il ne mesure pas du tout l’influence qu’a exercée la colonisation
(vision a-historique). En fait, il y a des contacts avec les Blancs dès la fin du 18ième siècle :
42
•
échange de fourrures ;
•
établissement de comptoirs ;
•
missions (notamment franciscaines) ;
•
importation de produits manufacturés venant des Blancs.
La situation au milieu du 19ième.
La population de loutres de mer chute. Mais, en parallèle, on assiste au développement de très
importantes compagnies de traite commerciale. Cela débouche sur une inflation des termes de
l’échange (la fourrure de loutre devenant plus rare, devient plus chère : elle nécessite plus de
produits en échange). Conséquences : de nouveaux biens affluent en paiement des fourrures,
notamment des armes à feu. Ces biens « blancs » entrent en masse dans l’économie indienne,
et sont « acculturés » par la culture locale qui en fait des biens de prestige. Les pratiques
ostentatoires se multiplient et le don de biens de prestige prend de plus en plus d’importance.
Des « parvenus » indiens peuvent entrer dans le potlatch.
A la fin du 19ième.
On assiste à un changement de souveraineté sur les territoires. Le commerce s’amplifie et se
diversifie. L’on constate un développement de la main d’œuvre autochtone dans les
conserveries de poissons. Les missions protestantes gagnent du terrain. Les populations
indiennes voient leur démographie fortement baisser (maladie, alcool). Les autorités
interdisent les guerres tribales. Conséquences : l’économie de chasse-collecte-pêche fait place
à une économie de la traite et on assiste à la monétarisation des rapports de production. Sous
prétexte de progrès, les autorités coloniales interdisent le potlatch, en quoi elles voient un
gaspillage de richesse et dénoncent son irrationalité économique. L’intensification de la
situation coloniale a abouti à l’augmentation des échanges cérémoniels grâce à tous les biens
obtenus dans le cadre de la traite avec les Blancs. Et ce sont ces mêmes Blancs qui
condamnent ces pratiques au nom de la civilisation.
Mais le potlatch va perdurer dans la clandestinité. De nos jours, il est devenu le symbole de
l’indianité et on a parfois recours aux textes anthropologiques pour le justifier !
Pour aller plus loin :
43
M. Mauzé, 1986, « Boas, les Kwagul et le potlatch. Eléments pour une réévaluation »,
L’Homme, n°100, pp. 21-63 (accessible en ligne sur le site « Persée »).
La Kula
Cf. textes fournis
• Chapitre III « Données essentielles sur la Kula » de B. Malinowski, 1963 (1922),
Les Argonautes du Pacifique occidental, Paris, Gallimard (coll. Tel), pp.139-163.
• Weiner, 1989, « La Kula et la quête de la renommée », Revue du Mauss, n°6,
pp.35-62.
Si le potlatch est associé à Boas, le phénomène de la kula est associé à B. Malinowski qui le
découvre lors de ses séjours sur les îles Trobriand entre 1914 et 1918.
La kula est une forme d’échange intertribal qui s’effectue dans un circuit fermé. Deux sortes
d’articles circulent dans la Kula, et dans un sens opposé :
-de longs colliers de coquillages rouges (soulava) qui circulent dans le sens des aiguilles
d’une montre ;
-des bracelets de coquillages blancs (mwali) qui circulent dans le sens inverse.
L’un et l’autre se rencontrent sur les voies d’échange et s’échangent l’un contre l’autre.
Chaque personne pris dans le réseau kula reçoit périodiquement un ou plusieurs mwali et un
soulava. Aucun de ces articles ne restent longtemps en la possession d’un individu. La
transaction entre mwali et soulava ne clôture pas les rapports kula. En même temps que les
échanges de bracelets et de colliers de nombreux autres biens sont échangés. Les hommes pris
dans la kula « n’ont aucune conscience des lignes directrices de l’une quelconque de leurs
structures sociales » (p.141). La Kula ne s’effectue pas sous la contrainte d’un besoin
quelconque, puisque son principal but est l’échange d’articles dénués d’utilité pratique. Cet
acte simple est la base d’une vaste institution intertribale ; il est lié à un nombre incalculable
d’autres activités. Brassards et colliers ne sont portés que lors des cérémonies importantes.
Ces objets peuvent être prêtés. Mais le privilège de s’en parer n’est pas le but de leur
possession. Ces objets précieux (vaygu’a), on ne les possède que pour le plaisir de les
posséder (« sentimentalisme historique »). Chaque objet kula possède son nom propre, son
histoire, etc. et ne reste qu’un moment la propriété d’une personne.
« Je revis, écrit
44
Malinowski, l’un d’entre eux me montrant de longs colliers rouges ainsi que de gros objets
blancs. Avec un respect religieux, il me disait leur nom, me contait leur histoire, m’apprenant
par qui et quand ils avaient été portés, en quelles occasions ils avaient changé de main, et
comment leur possession temporaire était un signe manifeste de l’importance et de
l’excellente renommée du village. »
Malinowski fait le parallèle avec les joyaux de la couronne : « les forces psychologiques et
sociologiques en jeu sont les mêmes : c’est vraiment la même attitude mentale qui fait que
nous attachons du prix à nos bijoux de famille et que les indigènes tiennent tant à leur
vaygu’a. »
Les échanges kula se font dans un cadre strict. Chaque homme doit avoir au minimum un
partenaire (le nombre de partenaire varie selon son rang). Deux partenaires doivent pratiquer
la kula, ils doivent échanger d’autres présents, ils ont l’un envers l’autre des obligations et des
devoirs. Un homme ordinaire sera en rapport de partenariat avec un ou deux chefs à qui il
devra donner ses meilleurs vaygu’a. Toute sorte de choses circulent par ailleurs dans la kula.
Les échanges suivent les règles données par le sens géographique. Chaque village occupe un
place bien définie par rapports aux autres en sorte que, vis-à-vis d’eux, il se trouve toujours
soit du côté des brassards, soit du côté des colliers. La « règle commerciale » veut que tout
don doit être compensé après un certain laps de temps par un don équivalent. L’équivalence
est laissée à l’appréciation de celui qui donne en retour, et celui qui reçoit n’a pas de moyens
de pression pour faire respecter les règles. Enfin, la kula fait l’objet de deux sortes
d’entreprises :
•
des grandes expéditions outre-mer (grande kula)
•
un trafic intérieur (petite kula)
La question que se pose Malinowski est alors la suivante : quelles sont alors les forces qui
obligent les contractants à s’en tenir aux termes du « marché » ?
On touche un trait essentiel concernant l’attitude mentale indigène vis-à-vis de la richesse et
de la notion de valeur. Dans la kula, il y a :
- assimilation de la fortune à la grandeur
- la richesse devient la marque essentielle du rang social
Mais l’important c’est que pour eux, détenir signifie donner.
Le signe distinctif du pouvoir est l’opulence, celui de l’opulence la générosité (« noblesse
oblige »). « Celui qui se montre généreux et honnête dans la kula attire à lui un courant
d’affaire plus large que celui qui a la réputation d’être sordide. »
45
La kula repose ainsi sur quatre principes :
•
un don cérémoniel doit être compensé ;
•
un principe d’équivalence : les objets échangés sont de nature différentes (brassards et
colliers). L’équivalence est laissée à l’appréciation de celui qui a reçu ; il n’y a pas de
marchandage possible.
•
le principe qui régit le don et le contre-don. L’échange commence par un don
d’ouverture (vaga) de A à B. Soit B dispose d’un objet équivalent, alors il le donne à
A, c’est le présent de contrepartie (yotile). Soit B ne dispose pas d’un objet équivalent,
alors il donne un objet à A un présent d’attente (basi). Lorsqu’il aura trouvé l’objet
adéquat, il le donnera à A, c’est le présent de conclusion (kudu). (On comprend que
dans cette deuxième possibilité B a rendu plus que A ne lui a donné.)
•
la kula se réalise toujours de façon cérémonielle.
Il faut noter également que la kula obéit à un principe général de sélection :
-certains districts ne font pas partie de la kula ;
-tout le monde ne peut participer à la kula (il faut posséder un vaygu’a, être membre d’un
lignage supérieur, etc.)
-la participation des femmes est réduite ;
-les chefs ont plus de chance dans la kula dans la mesure où ils cumulent les partenaires.
La relecture d’Annette Weiner.
L’anthropologue Annette Weiner va revenir sur la terrain de Malinowski et s’intéresser de
nouveau au phénomène de la kula près de 70 ans plus tard. Ce qui la frappe au premier abord,
c’est la stabilité étonnante du système. Il continue d’exister même avec les changements
profonds qui sont survenus (colonisation, décolonisation, globalisation). Elle insiste sur la
dimension opératoire, dynamique, stratégique voire utilitaire de ces pratiques. « La renommée
d’un homme kula est créée par la circulation de son nom associé aux coquillages les plus
grands et les plus précieux qu’il a obtenu. » Elle explique comment on entre dans la kula : il
faut acquérir un kitum (c’est-à-dire un collier ou un brassard qui appartient à celui qui veut se
lancer dans la kula), il faut rechercher un partenaire.
Elle s’intéresse par ailleurs à l’écart entre le modèle et les pratiques. Si le principe qui soustend le système est l’égalité, les partenaires s’efforcent de gagner des objets toujours plus
46
grands et plus beaux, de valeur toujours plus importante. Pour que les uns gagnent (en
renommée) il faut bien que les autres perdent. La réciprocité n’implique pas la symétrie.
A.Weiner insiste ainsi sur la dimension politique de la kula.
Elle donne de fait une vision plus dynamique de la kula, qui n’est pas soustraite aux stratégies
personnelles.
5.2 L’ « Essai sur le don » de M. Mauss
Texte fourni
Extrait Marcel Mauss, 1950 (1924), « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange
dans les sociétés archaïques », Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, pp.143-279 : 145154.
1) le « programme » de Mauss
Cet article de Mauss s’inscrit dans une série de recherches faite par Mauss sur les formes
archaïques du contrat. L’intérêt de Mauss pour le don vient de là. Pour lui, le don est une
« catégorie juridique » qui marque un accord, un contrat entre deux parties.
Son propos s’appuie :
•
D’une part, sur une critique de l’idée que la société s’est fondée sur un contrat passé
entre deux individus libres et que cet acte élémentaire soit la cellule de base de
l’édifice social. Cette idée, reprise par les théories libérales de l’économie classique,
ne saurait constituer la base des sociétés. Sur ce point, Mauss suit Durkheim pour qui :
« là où l’intérêt règne seul, comme rien ne vient réfréner les égoïsmes en présence,
chaque moi [chaque personne] se trouve vis-à-vis de l’autre sur le pied de guerre et
toute trêve à cet éternel antagonisme ne saurait être de longue durée… Une telle
cause ne peut donc donner naissance qu’à des rapprochements passagers et à des
associations d’un jour » ;
•
D’autre part, sur une critique de « l’économie naturelle » qui est une construction
historique :
a) Tout d’abord, il faut rompre avec l’idée que les « primitifs » n’ont qu’une économie
simple, construite autour du troc entre deux individus et que ces sociétés en serait au
degré zéro de la compétence économique. Mauss écrit : « dans les économies et dans les
47
droits qui ont précédé les nôtres, on ne constate pour ainsi dire jamais de simple échange
de biens, de richesses et de produits au cours d’un marché passé entre les individus. »
(p.150). L’idée que les transactions économiques sont nées du troc, que le commerce
serait né de ces premiers échanges fait avec les moyens du bord est une vision
historiquement datée : elle se développe au 19ième siècle dans les sociétés occidentales au
moment même où la société de marché achève de faire prévaloir ses structures sur la
sphère des relations sociales. Cette vision est donc une réécriture « idéologique » de
l’histoire de l’humanité qui vise à naturaliser (c’est-à-dire à fonder en nature) les
principes de l’économie de marché. Or pour Mauss : « l’évolution n’a pas fait passer le
droit de l’économie du troc à la vente » (p.199).
b) Les sociétés « primitives » ne sont pas privées de « marché » mais le régime qui y régit
les échanges est différent du nôtre. Il s’agit pour Mauss d’étudier « le marché avant
l’institution des marchands et avant leur principale invention, la monnaie proprement
dite » (p.148). Le système marchand n’est qu’un type de système parmi d’autres.
2) des « prestations totales » : définition
Mauss veut s’intéresser au « système des prestations économiques » (p.147) Dans les sociétés
« primitives » ou « archaïques » s’intéresser aux échanges des biens, c’est s’intéresser à « un
ensemble énorme de faits » (p.147) où « tout se mêle » : c’est ce qu’il appelle les
« phénomènes sociaux totaux ». Il s’y exprime à la fois et tout d’un coup toutes sortes
d’institutions : religieuses, morales, juridiques, politiques, familiales, économiques, etc. Ces
prestations sont donc très éloignées de notre conception issue de l’idéologie de l’économie
marchande. Pour Mauss, ces prestations sont des prestations totales parce que :
a) ce ne sont pas des individus qui échangent mais des groupes (p.150), des
« personnes morales » (clan, tribu). L’individu n’est pas une unité pertinente pour les
analyser ;
b) ce qui est échangé, « ce n’est pas exclusivement des biens et des richesses, (…) des
choses utiles économiquement » (p.151), ce sont aussi des biens plus « immatériels » (danses,
fêtes, rites, services, etc.) mais aussi des personnes (femmes, enfants) ;
c) ces prestations et contre-prestations s’engagent sous une forme plutôt volontaire par
des cadeaux, des présents. Mais la forme volontaire ne doit pas cacher qu’elles sont au fond
rigoureusement obligatoires.
48
Ces trois points caractérisent ce que Mauss propose d’appeler le « système des prestations
totales ». L’exemple type de ce genre de système est celui des sociétés divisées en deux clans
A et B symétriques (cf. tribus australiennes par exemple). Ces prestations totales que Mauss
classent parmi les phénomènes sociaux totaux peuvent prendre, toujours selon lui, deux
formes :
•
une forme pacifiée ;
•
une forme où les échanges se font sur le mode de la rivalité, de la surenchère, en
insistant sur l’antagonisme des parties en présence. Cette forme, qui est celle sur
laquelle va se baser Mauss, il propose des les appeler les prestations totales de type
agonistique ou potlatch : Mauss élargit donc la notion de potlatch et la « détache » de
son contexte ethnographique de départ. Il faut donc comprendre potlatch au sens de
prestation totale de type agonistique. C’est à ce titre que la kula est qualifiée de
potlatch par Mauss. L’agôn, la rivalité, n’est pas limitée aux systèmes indiens de la
côte nord-ouest des Etats-Unis.
3) le don : combinaison de trois obligations
Pour Mauss, la question de départ est celle-ci :
« Quelle est la règle de droit, qui dans les sociétés de type archaïque, fait que le présent reçu
est obligatoirement rendu ? Quelle force y a-t-il dans la chose que l’on donne qui fait que le
donataire la rend ? » (p.148)
On le voit, il y a bien un lien entre cette question et le problème du contrat, le problème du
respect du contrat. Dans ces systèmes, il n’y a pas de contrat au sens où nous l’entendons
mais tout se passe comme s’il y avait un contrat respecté. La question centrale est celle de
l’obligation : comment rendre obligatoire en faisant l’économie d’une entente contractuelle
préalable ? (dans le mode contractuel, les termes du contrat sont décidés, font l’objet d’un
accord, en amont. On est dans la conditionnalité : si tu fais ceci, je fais cela).
S’appuyant sur l’étude du potlatch, Mauss élabore une théorie du don. Le don est en fait la
combinaison de trois obligations qui se présentent comme des actes volontaires, libres et
gratuits (p.147) : donner, recevoir, rendre.
Donner : « donner est l’essence du potlatch »
49
- c’est en distribuant des biens que l’on acquiert une reconnaissance sociale, que l’on peut
asseoir une autorité, que l’on peut maintenir son rang, etc. ;
- obligation de donner = obligation d’inviter ;
- refuser de donner, c’est déclarer la guerre.
Recevoir : « l’obligation de recevoir ne contraint pas moins »
- refuser de recevoir, c’est manifester sa crainte de rendre ;
- on ne peut refuser l’hospitalité lorsqu’on se déplace ;
- refuser un don, c’est déroger à la bienséance.
Rendre : « l’obligation de rendre est tout le potlatch »
-ne pas rendre, c’est perdre la face
Et c’est d’ailleurs le problème du contre-don qui intéresse le plus Mauss. En fait, donner crée
une dette.
4) le don, un double rapport
Donner, c’est transférer volontairement quelque chose qui vous appartient à quelqu’un dont
on pense qu’il ne peut pas ne pas l’accepter. Donner est donc un acte volontaire, individuel ou
collectif, sollicité ou non (notre culture valorise les dons non-sollicités mais ce n’est pas
partout le cas).
Que se passe-t-il dès que l’on donne à l’autre (abstraction faite de tout contexte social ou
culturel particulier) ?. Donner semble instituer simultanément un double rapport entre celui
qui donne et celui qui reçoit :
•
un rapport de solidarité, puisque celui qui donne partage ce qu’il a avec celui qui
reçoit ;
•
un rapport de supériorité puisque celui qui reçoit et accepte le don se met en dette visà-vis de celui qui donne. La dette place celui qui reçoit dans un rapport de dépendance
(du moins pour tout le temps où il n’aura pas rendu ce qu’on lui a donné ). Il devient
l’obligé de celui qui donne.
50
Donner instaure une différence et une inégalité de statut entre donateur et donataire. Cette
inégalité peut se muer en hiérarchie, et si celle-ci existait avant le don, celui-ci vient
l’exprimer et la légitimer. Deux mouvements sont contenus dans le même acte : le don
rapproche et en même temps il éloigne (parce qu’il fait de l’un l’obligé de l’autre).
Comme le dit M. Godelier (dans L’Enigme du Don, Paris, Fayard, 1996) le don contient une
ambivalence ontologique. Il ouvre un énorme champ de stratégies possibles. Il couvre une
gamme d’intérêts opposés, peut-être un acte de générosité ou un acte de violence (déguisé en
geste désintéressé). Des deux éléments (le partage et la dette) et des deux mouvements (le
rapprochement et l’éloignement), ce sont les seconds (la dette et la mise à distance) qui ont le
plus d’effets dans la vie sociale dès que celle-ci est organisée autour de formes de compétition
autour de l’accès aux richesses, aux pouvoirs, aux savoirs, etc.
On comprend donc du fait de sa dualité, de son ambivalence, que le don trouve les conditions
idéales de son exercice dans les sociétés dont le fonctionnement repose sur le maintien de
rapports personnels (de production, de parenté, de pouvoir, etc.). Dans les sociétés peu
hiérarchisées, le don se pratique entre personne de statut et de rang plus ou moins équivalent.
Dans les sociétés plus hiérarchisées, le don prend des formes et des significations différentes
selon que celui qui donne est d’un rang supérieur ou inférieur à celui qui reçoit. L’analyse
d’un don quel qu’il soit exige toujours de prendre en compte le rapport qui existe entre celui
qui donne (individu ou groupe) et celui qui reçoit. Ainsi, ce qui oblige à donner (dans les
sociétés où les rapports interpersonnels priment), c’est que donner oblige.
Le don, acte d’apparente générosité, façonne le dette et produit de la dépendance.
5) pourquoi rend-on ?
Pourquoi rend-on ? Qu’est-ce qui fait que le don entraîne systématiquement un contre-don ?
Pour Mauss, la solution se trouve du côté des « mécanismes spirituels », des raisons morales
ou religieuses, qui prêtent aux choses une âme et un esprit, qui les poussent à revenir. Ici,
Mauss va recourir à une notion maori (Nouvelle-Zélande), le hau, qu’il traduit par « l’esprit
de la chose donnée ». Reprenant le témoignage d’un Maori recueilli par E. Best, Mauss
affirme que dans cette conception des relations sociales, ce que l’on donne porte un esprit qui
oblige le donataire à ne pas garder pour lui ce qu’il a reçu. « Ce qui, dans le cadeau échangé,
oblige, c’est que la chose reçue n’est pas inerte » (p.159) ; « présenter quelque chose à
quelqu’un c’est présenter quelque chose de soi » (p.161). Ainsi, au final, pour Mauss le
51
principe de réciprocité à l’œuvre dans la plupart des sociétés « primitives » trouverait sa
raison d’être dans une certaine conception des réalités matérielles, et l’échange trouverait son
fondement dans le symbolique. L’explication maussienne du don est de ce point de vue plus
psychologique que sociologique.
Conclusion
Tout le propos de l’ « Essai sur le don » tourne autour de l’échange de biens. Ces échanges se
laissent mal décrire en termes d’activités économiques. Ils sont « encastrés » (« embedded »,
pour reprendre le vocabulaire de K. Polanyi) dans une trame de relations sociales dont le
contenu et les enjeux sont plus larges. Mauss voit d’ailleurs dans l’échange-don moins des
questions économiques que des questions juridiques. Il voit dans le don une forme archaïque
du « contrat individuel ». Plutôt que des individus qui échangeraient seuls à seuls et selon des
besoins respectifs, on trouve « au départ » des circulations d’objets qui vont de groupes à
groupes, qui ne se règlent pas sur la recherche d’une équivalence juste (i.e. l’ajustement de
valeurs d’échange) mais qui procède par dons et contre-dons. On a dans le don une mise en
scène de générosités. L’autre (celui qui reçoit) est contraint de faire preuve de sa propre
générosité en retour, du moins s’il veut conserver un crédit social. Les objets qui circulent
marque d’un sceau la relation qui s’est contractée.
On pourrait donc opposer deux régimes de circulation des objets :
•
La relation marchande. Ici, l’important est qu’on paye le prix juste. Le lien entre les
personnes qui échangent n’a pas de valeur en tant que tel. Je peux vendre à n’importe
qui tant qu’il m’en offre le prix. C’est la valeur d’échange qui compte pas l’échange
(les bons comptes font les bons amis).
•
L’échange-don. Ce qui le définit c’est la valorisation de l’échange pour lui-même. Le
don scelle, entretient, ravive la relation (quand on aime on ne compte pas).
La différence ne se situe pas là où on pourrait le croire d’un premier abord, c’est-à-dire au
niveau du calcul et de l’intérêt. Dans le don, comme dans l’économie marchande, il y a des
stratégies, de l’intérêt. Un type de circulation ne s’oppose pas à l’autre selon la présence ou
l’absence de « calcul », d’anticipation. La différence passe plutôt au niveau du sens que l’on
donne au retour : simple équité dans la transaction marchande ; hommage faite au lien dans le
52
don, à son exclusivité exigeante. Le contre-don, c’est une célébration, une consolidation du
lien qui unit les contractants. Le contre-don est ce que l’on doit à la relation (et donc en
conséquence à l’autre).
Alors que le système de l’échange-don englobent la circulation d’objets dans le réseau des
relations sociales qui unissent les segments de la société entre eux, l’histoire de nos sociétés
modernes est celle de l’émancipation de la sphère économique comme sphère autonome (lire
sur ce point les chapitres 4 et 5 de La grande transformation de K. Polanyi).
5.3 Critiques et prolongements des théories maussiennes
La théorie maussienne du don et surtout l’explication de la troisième obligation (rendre) ont
été critiqués et amendés par un très grand nombre d’anthropologues.
1) Claude Lévi-Strauss
Texte fourni
Claude Lévi-Strauss, 1950, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », in M. Mauss,
Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, pp.IX-LII : XXIII-XL.
Le programme scientifique de Claude Lévi-Strauss en anthropologie est une sorte de
« programme fort » : il s’agit de faire émerger les lois immuables et sous-jacentes à tout
problème social. Il inscrit l’anthropologie sociale dans une démarche s’apparentant aux
méthodes mises en place par la linguistique. Plutôt que de penser l’anthropologie comme la
juxtaposition empirique des différentes cultures et sociétés connues, il lui assigne pour
objectif de faire émerger des « universaux », des « invariants ». Il s’agit de s’intéresser à ce
qui nous rapproche, plutôt qu’à ce qui nous sépare des autres cultures. De ce point de vue, il
loue la démarche de M. Mauss sur le don qui a compris que le don était le dénominateur
commun d’un grand nombre d’activités sociales en apparence hétérogènes.
Toutefois, Cl. Lévi-Strauss émet deux critiques importantes :
•
Mauss n’arrive pas à déceler la structure profonde qui gouvernerait l’échange. Il n’en
aperçoit que des fragments (donner, recevoir et rendre) ;
•
Son explication est tautologique. Elle reprend la théorie spirituelle indigène. « Ne
sommes-nous pas ici devant un de ces cas (qui ne sont pas si rares) où l’ethnologue se
53
laisse mystifier par l’indigène ? » interroge-t-il. Le hau n’est pas la dernière raison de
l’échange, c’est l’expression consciente de la règle inconsciente. Pour C.L.-S., le
notions du même type que le hau (le mana, mais aussi le truc et le machin)
interviennent à chaque fois que l’on ne peut vraiment signifier. Elles sont des
« signifiants flottants » qui viennent combler un écart entre le signifiant et le signifié,
une inadéquation entre signifiant et signifié. Ces signifiants flottants peuvent en fait
tout dire. Ils permettent à la pensée symbolique de s’exprimer malgré ses
contradictions.
2) Marshall Sahlins
M. Sahlins revient aux textes Maori recueillis par E. Best sur lesquels Mauss s’était appuyé
pour faire de la notion de hau l’explication du contre-don. En travaillant avec des locuteurs
maori, il conteste la traduction faite par Mauss du terme de hau, c’est-à-dire « esprit de la
chose donnée ». Selon M. Sahlins, le terme maori hau aurait un sens plus proche de celui de
bénéfice ou de profit que celui d’esprit. L’explication maori du don serait donc plus
« matérielle » que symbolique ou spirituelle. Pour le donateur, il y aurait donc quelques
bénéfices, avantages à donner. Le deuxième point que M. Sahlins soulève c’est que dans le
texte du sage maori recueilli par E. Best, la transaction ne se fait pas entre un donateur A et un
donateur C mais par l’intermédiaire d’une autre personne B. Or pour M.S. « pour illustrer
l’action d’un tel esprit [le hau], il n’est besoin que de deux personnes : tu me donnes quelque
chose ; ton esprit, présent dans cette chose, m’oblige à te le payer de retour, c’est simple ».
L’intérêt de faire intervenir une troisième personne ne serait pas très pertinent si le contre-don
n’était que le résultat de l’action d’un esprit.
Dans le récit maori, en fait, si un donateur initial A donne un objet dont il est le propriétaire à
un donataire B, que B donne cet objet à C et que C en retour donne un objet dont il est la
propriétaire à B. B ne peut que donner cet objet à A. L’explication est que le hau de l’objet
donné par A reste le même, même quand il est donné à B, de la même manière pour C. B est
obligé de rendre à A l’objet que C lui a donné car c’est au moyen du hau de la chose de A
qu’il a pu obtenir cet objet. En fait A (le donateur initial) ne cesse d’avoir des droits sur la
chose qu’il donne quel que soit le nombre de personnes entre lesquelles l’objet a circulé.
Pour M. Sahlins « le don d’un homme ne saurait devenir le capital d’un autre, et donc les
fruits du don doivent faire retour au don initial ». C’est donc pour « mettre en évidence ce
54
bénéfice » que le sage maori a fait intervenir dans son exemple de transaction une troisième
personne. En fait plus le nombre d’intermédiaire est important, plus le contre-don sera
important.
Pour aller plus loin :
Chapitre 4 intitulé « l’esprit du don » de M. Sahlins, 1980, Age de pierre, âge d’abondance,
Paris, Gallimard.
3) Maurice Godelier
Dans l’Enigme du don (1996), M. Godelier reprend tout le dossier du don. Il rappelle tout
d’abord que Mauss adopte une posture paradoxale. En effet, au début de l’Essai, Mauss
consacre l’essentiel de son analyse aux prestations totales agonistiques, c’est-à-dire aux
formes de don dans lesquelles domine le « principe de rivalité et de l’antagonisme ». Cette
forme de don qu’il rassemble sous le concept de potlatch n’est pourtant pas la forme première
ayant existé. Le potlatch est une forme évoluée de prestations totales. Mauss, en effet,
distingue prestations partielles et prestations totales et, parmi ces dernières, il distingue celles
de type agonistique (où il y a rivalité) de celles de type non-agonistique (où il n’y a pas
rivalité).
Les prestations totales se distinguent des prestations partielles dans la mesure où les
prestations totales se traduisent par le fait d’être un contrat perpétuel, par le fait que ce ne sont
pas seulement des individus qui échangent mais des collectifs, des clans et que ce que l’on
échange c’est plus que des richesses, des biens matériels. Ces prestations sont totales parce
qu’on échange de tout, tout le temps. Pour Mauss, le meilleur exemple de ces prestations
totales est celui des échanges pratiqués dans les sociétés complémentaires (comme les tribus
australiennes) : dans ces sociétés, le mariage, l’accès aux biens, les hiérarchies militaires et
religieuses, « tout est complémentaire et suppose la collaboration des deux moitiés de la
tribu ».
Le paradoxe, c’est que Mauss, faisant pourtant de cette forme de prestation totale nonagonistique la forme la plus ancienne, la plus pure des prestations totales ne s’y intéresse pas.
Faisant ce constat M. Godelier propose de voir comment fonctionne ces prestations totales
non-agonistiques à partir de son ethnographie des Baruya (Nouvelle-Guinée ; cf. son livre La
55
production des grands hommes, Paris, Fayard, 1982). Pour ce faire, il va s’intéresser à une
institution baruya qui a un énorme impact sur la vie collective et individuelle : le ginamaré.
Le ginamaré
Tout d’abord, il faut savoir que les Baruya connaissent un type de mariage qui consiste à
« donner du sel pour avoir une femme ». Ils ne le pratiquent jamais entre eux mais avec des
tribus étrangères. Il ne repose pas sur l’échange direct de femmes mais sur l’échange de
richesse contre une femme. A l’opposé de cette forme de mariage, on trouve le ginamaré qui
est la pratique maritale utilisée par les Baruyas entre eux. Quand deux hommes vont se marier
simultanément, chacun épouse la sœur de l’autre.
Une fois le mariage de chacun institutionnalisé, les deux hommes seront liés toute leur vie
durant par un certain nombre de droits et de devoirs dont ils devront s’acquitter l’un envers
l’autre :
-partage mutuel d’une partie des produits de la chasse ;
-partage d’une partie de leur production de sel ;
-défrichage commun de nouveaux jardins ;
-chacun devra manifester de la générosité et de la protection envers les enfants de son beaufrère, c’est-à-dire de sa sœur, (chaque homme a donc des droits et des devoirs sur sa sœur).
Ce que remarque M. Godelier, c’est qu’au terme de l’échange réciproque, les deux hommes et
les deux lignages (puisqu’au travers des individus, ce sont bien des groupes qui se sont alliés)
se retrouvent dans une situation sociale équivalente : chacun est vis-à-vis de l’autre à la fois
créditeur et débiteur ; chacun est dans deux rapports inégaux et opposés (supériorité et
infériorité) ; le cumul des deux inégalités rétablit une égalité de statut au sein de la société.
C’est le poids de la société (puisque ces unions sont officielles) qui va permettre que le flux
de biens et de services entre les deux individus et les deux groupes perdurent pendant toute
une génération.
La deuxième chose que relève Godelier, c’est que si les deux hommes continuent d’échanger
des biens et des services, c’est que la transaction n’est pas close : la dette contractée n’a pas
été annulée et les deux individus (et groupes) se retrouvent endettés mutuellement. La
question se pose donc de savoir pourquoi la dette engendrée par un don n’a pas été annulée
par un contre-don identique. Au terme de l’échange chacune des femmes a pris la place de
l’autre mais n’a pas cessé d’appartenir à son lignage d’origine : c’est pour cette raison que
56
donner une femme c’est acquérir certains droits sur les enfants auxquels elle donnera
naissance.
La « chose » a été donnée sans être complètement aliénée. « Donner c’est donc céder le droit
d’usage sans céder le droit de propriété » écrit Godelier. Dans l’échange marchand chacun
est propriétaire de ce qu’il a acheté ou troqué ; dans le système du don, la chose donnée n’est
pas aliénée, celui qui donne conserve des « avantages » sur la chose donnée.
Prolongeant sa démonstration, Godelier s’intéresse dans un second temps aux exemples
ethnographiques dans lesquels la chose donnée est aussitôt rendue. Notre vision occidentale
voit dans cet aller-retour une transaction totalement absurde et dépourvue de sens puisque si
la chose est tout de suite rendue, il semble que l’on ait échangé pour rien. En fait, l’objet au
cours de son déplacement a produit du lien social. L’objet n’est en fait pas rendu mais redonné : deux relations sociales en sens inverse ont été produites et se sont enchaînées. Les
deux individus ou groupes sont maintenant dans un double rapport de dépendance réciproque.
C’est parce que rendre, c’est re-donner et qu’au final rien n’est vraiment rendu que les
groupes et les personnes se retrouvent pris dans des rapports sociaux particuliers faits de
droits et d’obligations.
Faisons le point sur la position de Godelier. Le don crée une dette qui n’est jamais annulée :
•
car le contre-don, ce n’est pas rendre mais re-donner
•
car la chose donnée n’est pas aliénée
Au final, don et contre-don créent un état d’endettement permanent ; donner c’est partager en
endettant ou endetter en partageant
Ceci oblige à distinguer droit d’usage et droit de propriété.
Pour aller plus loin :
Extrait du chapitre « Le legs de Mauss » de Maurice Godelier, 1996, L’Enigme du don, Paris,
Fayard.
4) Quelles sont les fondements de l’inaliénabilité de certaines réalités matérielles ou
immatérielles ?
57
Dès l’ « Essai », Marcel Mauss remarquait que certaines choses ne circulaient pas dans les
systèmes de type potlatch :
- par exemple, dans les îles Trobriand, il y a deux types de « vaygu’a » (objets précieux) :
ceux qui circulent dans la kula et d’autres qui ne circulent pas dans la kula mais sont offerts
aux dieux ;
-dans le potlatch kwagul, Mauss relève aussi qu’il y a plusieurs catégories d’objets et que
certains ne circulent pas : il s’agit de cuivres « plus beaux et plus précieux que les autres ».
Pour Mauss, le fait que certains objets ne circulent pas semble aller des soi. En fait, il établit
une distinction entre les biens « meubles » (qui circulent) et les biens « immeubles » (qui ne
circulent pas). Pour lui, les biens « immeubles » (notamment les cuivres kwagul qui ne
circulent pas) sont « sacrés ». Ces objets sont liés à la famille, au clan et ne sortent pas de
cette sphère. Pourtant, une fois qu’il a fait ces remarques, Mauss ne s’intéresse plus aux objets
qui ne circulent pas et s’interroge que sur ceux qui circulent.
C’est à partir de ce point que A. Weiner va apporter sa contribution : elle va réfléchir sur ce
qui n’est pas échangé, ce qu’elle appelle les « possessions inaliénables ». Elle va montrer que
les deux catégories d’objets sont nécessaires l’une à l’autre. Que dans toutes les sociétés, à
côté des choses que l’on donne, il y a des choses que l’on ne donne pas et qui font l’objet
d’institution, de pratiques. En fait, elle va clarifier les distinctions conceptuelles de M. Mauss.
Pour elle, quelle que soit la société, les biens inaliénables sont imprégnés de qualités
affectives. L’inaliénabilité est exprimée par le pouvoir qu’ont ces objets de définir qui est
quelqu’un du point de vue historique. Ces objets inaliénables expriment l’identité d’un
groupe, sa continuité dans le temps. Ils affirment une différence d’identité entre les individus.
Pour elle, les biens inaliénables sont tout à fait essentiels dans les sociétés stratifiées et
hiérarchisées dans la mesure où les individus doivent continuellement, pour défendre leur
statut, attacher leur identité à leurs ancêtres, doivent montrer leur lien avec une histoire.
Conserver certains objets qui matérialisent certaines relations au passé permet aux individus
et aux groupes de maintenir leur intégrité. Au contraire, céder ses objets, ce serait perdre son
droit au passé en tant qu’il est une part active de son identité présente. Les sociétés, les
groupes, ont donc la nécessité d’échanger mais aussi de garder. Les deux actions jouent en
effet des rôles complémentaires (bien que distincts). C’est cette idée que A. Weiner résume
dans sa formule « keeping-while-giving » (garder-tout-en-donnant)
Pour aller plus loin :
58
A. Weiner, 1992, Plus précieux que l’or : relations et échanges entre hommes et femmes dans
les sociétés d’Océanie, Annales ESC, n°2, pp.222-245.
A. Weiner, 1988, La richesse inaliénable, Revue du Mauss, n°2, pp.126-160.
On a vu que Mauss distinguait les biens « meubles » des « immeubles », ceux qui circulent de
ceux qui ne circulent pas. S’il semble comprendre la notion d’inaliénabilité, il l’associe
semble-t-il au fait que les objets ne circulent pas.
Ce que va montrer A. Weiner, c’est que la distinction entre aliénabilité et inaliénabilité ne se
confond pas avec celle entre meubles et immeubles et que des biens inaliénables (i.e. qui
restent attacher à leur propriétaire d’origine) peuvent circuler. C’est cette différence par
laquelle on va expliquer le système de la kula et le problème du hau maori.
59
Catégories de biens
Vulgaires qui circulent
Précieux qui ne devraient pas
circuler mais qui circulent
Sacrés qui ne circulent pas
Propriétés de ces biens selon Propriétés de ces biens selon
Weiner
Mauss
Aliénables
Meubles
Inaliénables
Meubles
Inaliénables
Immeubles
En fait, ce que dit A. Weiner c’est que, dans la pratique, la véritable inaliénabilité est dure à
atteindre et que les sociétés mettent en place des stratégies pour garder tout en donnant.
Mais ces choses inaliénables qui sont tout de même données ne perdent jamais leur identité,
leur attachement au lignage qui les possédait à l’origine.
Le hau maori :
En fait dans le système maori, la circulation est de ce type :
A→B→C →B→A
Le donateur initial A ne perd pas ses droits sur la chose donnée : il y a bien inaliénabilité mais
avec circulation. Le principe du hau permet de concilier les deux principes contradictoires que
sont donner et garder. En fait la transaction est terminée quand A reçoit un objet de B qui
porte le hau de C. cela lui permet de remplacer l’objet donné. Pour A. Weiner : « Garder,
donner et remplacer sont les trois processus fondamentaux auxquels les personnes vont
jusqu’au bout des dynamiques de l’échange social »
A. Weiner va s’intéresser à ces biens qui ne circulent pas, qui ne sont pas échangés, ces
« possessions inaliénables » comme elle les appelle. Elle va montrer la nécessité pour les
sociétés d’avoir à la fois des biens qui circulent (qui vont créer du lien, de l’endettement
mutuel, i.e. de la « société ») et des biens qui ne circulent pas – ou qui ne sont pas censés
circuler – (qui vont faire le lien avec le passé, permettre de définir une appartenance familiale,
clanique, etc., i.e. qui créent de « l’identité »). La nécessité de donner, d’échanger, de
communiquer (sur laquelle a insisté Mauss, mais aussi Cl. Lévi-Strauss dans Les structures
élémentaires de la parenté) est inséparable de la nécessité de garder. Pour Godelier, c’est ce
qui constitue ce qu’il appelle le double fondement de la société : contrat et échange, le noncontractuel et la transmission.
Ce que note A. Weiner c’est que certains biens qui ne devraient pas circuler , i.e. les biens
précieux qui sont attachés à une famille, à un clan, à un passé, circulent quand même. Du
coup, distinction maussienne entre biens meubles et biens immeubles, ne se confond pas avec
la distinction entre inaliénabilité et aliénabilité. En fait ce sont les biens précieux qui sont très
importants (inaliénables mais qui circulent) qui constituent le « nœud » du système.
Retour sur la kula.
Il est nécessaire pour avancer un peu plus dans la compréhension du statut des objets
précieux, des biens précieux, de revenir sur l’analyse de la kula.
Mauss avait déjà noté, d’après Malinowski, qu’il y avait aux îles Trobriand deux sortes de
vaygu’a : les uns sacrés attachés à un clan et qui ne circulent pas et les autres précieux,
propriété personnelle d’un individu et qui circulent dans les échanges cérémoniels. Mais
60
comme avec les cuivres kwagul, une fois noté cela, il n’y attache guère d’importance. Mauss
note toutefois que les vaygu’a qui circulent ont un nom, une histoire, un sexe (mwali sont de
sexe féminin, soulava de sexe masculin) et que le support sur lequel on les monte est
considéré comme leur visage.
Les nouvelles recherches sur la kula entreprises depuis les années 70 vont renouveler notre
perspective.
Ces recherches montrent que l’île de Kiriwina, sur laquelle a travaillé Malinowski, est un cas
particulier car dans cette île les vaygu’a ne peuvent circuler que dans la kula. Dans les autres
îles de l’archipel, les vaygu’a peuvent circuler en d’autres occasions. Dans l’île de Woodlark,
un homme doit donner un vaygu’a à ses alliés à la mort de sa femme pour la « remplacer ».
Dans cette île, à la différence de Kiriwina, la kula est directement articulée aux rapports de
parenté. Les personnes s’efforcent de pratiquer la kula avec des alliés ou alors de s’allier avec
des partenaires kula. La kula est associée également à Woodlark à l’identité des individus.
Ainsi un homme ne sera vraiment un homme que quand il a des relations de kula avec la
famille de sa femme. On le voit, la circulation des vaygu’a est directement articulée aux
rapports de parenté, à l’accès à son identité. Cette circulation vise à assurer la reproduction
des rapports sociaux entre groupes. A Kiriwina, la kula est exclusivement tournée vers
l’extérieur et les objets qui circulent dans la kula ne sont pas utilisés dans la reproduction de
la société locale. En revanche, à Kiriwina aussi, il existe des échanges de biens précieux à
l’occasion de la naissance, de la mort ou du mariage des individus – lors des cérémonies
appelées « sagali ». Ces échanges donnent lieu au don d’objets féminins et masculins (comme
les objets kula). Il reste que même si à Kiriwina, les objets kula n’entrent pas directement
dans la reproduction des rapports sociaux locaux, ils sont là aussi le prolongement des
personnes et attachent celles-ci par des biens personnelles dans la kula. Cf.
l’anthropomorphisme dont font l’objet les soulava et les mwali.
La deuxième découverte qui permet de mieux comprendre le fonctionnement de la kula, c’est
la découverte de la notion de « kitum » ( ou « kitumu » ). En effet, les objets kula sont des
objets fabriqués selon le processus suivant :
a) on choisit des coquillages ;
b) on les découpe, on les polit, on les monte sur un support ;
c) ils deviennent un objet de valeur.
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Cet objet de valeur devient la propriété de celui qui l’a fabriqué, on va alors dire que c’est son
kitum : seulement certains d’entre eux entreront dans le circuit de la kula pour devenir des
mwali ou des soulava. A leur entrée dans la kula, ils seront classés selon leur valeur (trois
catégories différentes de valeur des biens kula). Avec un kitum, on peut en effet faire
plusieurs choses (selon les îles) :
a) on peut l’échanger, contre une embarcation par exemple, ou contre des cochons ;
b) on peut l’utiliser pour remplacer un être humain, lorsqu’il faut compenser le meurtre
d’un ennemi ;
c) il peut être lancer dans la kula. Quand il est lancé dans la kula, il ouvre ou rejoint une
route et c’est sa circulation de main en main qui créera des dettes, en annulera, attirera
d’autres dons, etc. ;
d) aujourd’hui on peut le vendre, à un touriste par exemple.
Ces nouvelles recherches nous permettent enfin de mieux comprendre la notion de « route de
kula ». Exemple : si un homme A, propriétaire d’un kitum, par exemple un bracelet, veut se
lancer dans la kula, il doit se lancer dans une certaine direction à la recherche d’un partenaire
susceptible de lui donner un bracelet de rang égal. Il va donc prendre le risque de le donner à
un autre homme B. Le kitum de A est lancé dans la kula en tant que mwali (puisque c’est un
bracelet) et va passer de main en main (B, C, etc.) jusqu’à ce qu’il parvienne à une personne
D qui possède un soulava de rang équivalent et veut bien l’échanger contre le kitum/mwali de
A. Le kitum/soulava de D va prendre le chemin inverse jusqu’à ce qu’il parvienne à A. Ce
jour-là la route kula est close et le kitum/soulava de D est venu prendre la place du
kitum/mwali de A. Le collier devient le nouveau kitum de A qui peut alors le vendre,
l’échanger, s’en servir pour remplacer, ou le relancer dans la kula.
Schématiquement voilà ce qui s’est passé :
A (k/mw) ⇒ B (mw) ⇒ C (mw) ⇒ D
A ⇐ (sou) B ⇐ (sou) C ⇐ (k/sou) D
A et D ont des droits de propriété sur leur kitum.
B et C ont des droits de possession sur les bracelets et les colliers.
A possède l’objet à la fois en tant que kitum et mwali.
D possède l’objet à la fois en tant que kitum et soulava.
B et C ne reçoivent ses objets qu’en tant que mwali et soulava.
[ C’est exactement la même chose qui se passait dans le hau maori :
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A (objet X/propriété) ⇒ B (objet X/possession) ⇒ C
A ⇐ (objet Y/possession) B ⇐ (objet Y/propriété) C ]
A, B, C et D n’ont pas les mêmes droits sur la chose donnée. A et D cumule un droit de
propriété (qui ne cesse pas tout au long de la chaîne parce que l’objet qu’ils lancent dans la
kula est leur kitum) et un droit d’usage qui peut être cédé (en l’occurrence à B et C). L’objet
est donc à la fois donné et gardé, ce qui est donné c’est sa possession, ce qui est gardé c’est sa
propriété.
Les intermédiaires font émerger la dualité des droits que l’on a sur l’objet. La logique de la
kula repose donc sur deux principes : 1) l’inaliénabilité du droit de propriété (inaliénabilité du
moins jusqu’au remplacement par un objet de rang équivalent) ; 2) l’aliénabilité du droit de
possession et d’usage. B et C ne peuvent détourner l’objet de la kula et faire comme si c’était
leur kitum (le vendre, l’échanger, le lancer dans une autre route kula). L’intérêt pour les
personnes qui se lancent dans la kula, ce n’est pas de se retrouver face à face pour échanger
des biens équivalents. Ce que les individus recherchent, c’est créer des dettes qui durent le
plus longtemps possible, c’est accumuler du prestige, c’est faire grandir leur nom. Pour
« gagner » à la kula, il faut :
•
un kitum ;
•
que celui-ci circule et fasse gagner de la renommée ;
•
le gain se situant dans les cadeaux d’attentes, les biens supplémentaires que lui
procurent ses succès.
Dans la kula quand le kitum du donateur est remplacé par son équivalent la dette est annulée.
C’est là que se situe la différence entre don de type agonistique (potlatch, kula) et nonagonistique puisque dans celui-ci la dette n’est jamais annulée (ginamaré). Dans le type nonagonistique, le contre-don peut ainsi intervenir rapidement puisque il n’est pas vraiment un
contre-don et qu’il n’efface pas la dette. Dans le don agonistique, il faut que le contre-don
équivalent se fasse après un temps long pour que ce temps permette de créer de nouvelles
dettes.
Les objets précieux qui circulent sont entre deux principes : l’inaliénabilité des objets sacrés,
l’aliénabilité des objets courants. Ils sont des substituts des objets sacrés dans la mesure où ils
sont des objets de pouvoir, ils sont des substituts des personnes humaines qu’ils peuvent
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remplacer à certaines occasions (décès, mariage, etc.) et à ce titre, ils fonctionnent comme un
certains nombre de richesses marchandes (échange de richesse contre la vie ou la mort).
Le rôle politique de la kula est encore très fort de nos jours et les hommes politiques locaux
en usent encore de manière importante en y participant pour y gagner du prestige et de la
renommée.
Retenir :
•
Différents systèmes de don : agonistique/non-agonistique
•
Différents types de biens : vulgaires/précieux/sacrés
•
Différence entre propriété et possession, entre inaliénabilité et aliénabilité
•
Double fondement de la société : nécessité de l’échange (marchand, don) ; nécessité
de point d’ancrage (passé, transmission, patrimoine, identité).
Note finale
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Vous devez vous interroger sur les conditions de contrôle.
Précisons que :
L'examen sera une dissertation, dans un temps fixé à deux heures, portant sur une
question générale (l'altérité, le regard de l'ethnologue, la question du primitif, le
travail de terrain) de façon à vous permettre d'exposer vos connaissances
générales.
Il vous faudra surtout faire preuve d'intelligence et de curiosité pour le sujet.
SO0014X Annexe de Textes 65
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