LA DYSPHONIE DYSFONCTIONNELLE
Dans ce chapitre, nous aborderons les difficultés vocales en rapport avec un trouble du geste
vocal. L’altération vocale est due à la dysfonction du geste vocal et ce, sans que l’on trouve
d’atteinte organique sur les cordes vocales.
Pour être compréhensible, il faut entendre par lésions organiques : épaississement muqueux,
nodules, polypes, lésions para nodulaires... Ainsi, on ne peut parler de dysphonie
dysfonctionnelle uniquement si les cordes sont anatomiquement sans lésion. Mais on peut
trouver des dilatations vasculaires, une couleur rosée de la muqueuse : il s’agit d’une
modification de l’aspect des cordes, mais pas d’une atteinte organique au sens où on l’entend ici.
Ce chapitre recouvre la grande majorité des difficultés vocales que les orthophonistes ont à
prendre en charge, du moins dans leur activité libérale.
Nos propos sont largement inspirés par ceux de F.LEHUCHE, qui les a codifiés.
I-DÉFINITIONS ET THÉORIES
1-Définition de la dysphonie
D'une manière générale, la dysphonie se définit par l'altération de l’un ou de plusieurs éléments
du trépied acoustique de la voix: le timbre, la hauteur et/ou l'intensité.
Cette définition implique une altération vocale audible par l'entourage et par celui qui l’évalue.
La alité de la consultation phoniatrique dépasse cette définition acoustique, et il est plus
juste de définir la dysphonie par : « un trouble momentané ou durable de la fonction vocale,
ressenti comme tel par le sujet lui-même ou son entourage ».
L'altération la plus fréquemment rencontrée est celle du timbre (voix éraillée, soufflée,
rauque...).
2-Définition de la dysphonie dysfonctionnelle
La dysphonie dysfonctionnelle se définit comme une altération de la fonction vocale générée et
entretenue par une perturbation du geste vocal dans son ensemble (soufflerie, vibrateur et/ou
résonateurs).
L'altération vocale peut être audible, altération de l’un ou plusieurs des paramètres acoustiques
de la voix, mais également apparaître sous la forme de difficultés vocales ressenties par le
patient, sans traduction acoustique obligatoire.
La dysphonie dysfonctionnelle peut apparaître chez un patient aux cordes vocales indemnes de
toute atteinte organique (dysphonie dysfonctionnelle simple), par exemple à la faveur d'un
épisode de forçage vocal (animation d'un groupe d'enfants...).
Parfois, un patient peut présenter une atteinte organique ancienne des cordes vocales (kyste
intracordal par exemple), qui ne s'était jamais manifestée subjectivement sur le plan vocal.
Avec le temps, ou bien au décours d'un nouveau mode d'utilisation de la voix (enseignants...), et
ceci sans que la personne n'ait véritablement conscience d'un facteur déclenchant, la voix va
s’altérer. L’altération vocale est liée à la mauvaise adaptation du geste phonatoire à la nouvelle
situation d’utilisation vocale : il s’agit bien d’un trouble fonctionnel. Mais la présence du kyste a
certainement gêné l’adaptation du geste vocal, et sa présence nous empêche de pouvoir parler
de dysphonie dysfonctionnelle, bien que l’origine de la difficulté vocale soit l’inadaptation
fonctionnelle de l’appareil vocal à une situation donnée.
Enfin, une dysphonie dysfonctionnelle traduit acoustiquement ou subjectivement seulement, le
malmenage vocal. Si celui-ci est négligé, s’il perdure, la muqueuse des cordes vocales va
s’épaissir pour se protéger des microtraumatismes engendrés par le geste phonatoire inadapté.
Les nodules viennent compliquer logiquement les dysphonies dysfonctionnelles.
La dysphonie dysfonctionnelle recouvre donc une notion dynamique. La notion de temps (celui
qu’il a fallu pour développer cette dysphonie par exemple) est importante, mais extrèmement
variable d’un patient à l’autre. De même, pour aider ces patients présentant une dysphonie
dysfonctionnelle, la notion de temps (celui de la durée de la rééducation par exemple) est
difficile à préciser par avance : cela va dépendre du patient, de sa connaissance de son schéma
corporel vocal, de sa capacité à modifier des gestes ancrés profondément en lui, de son
acceptation à changer son rapport à sa voix, à la voix, aux autres parfois…
3-Etiologies des dysphonies dysfonctionnelles
Le trouble vocal fonctionnel (ou dysfonctionnel si on veut signifier l'aspect dynamique du
trouble vocal) est connu depuis longtemps, et de multiples hypothèses ont été présentées pour
tenter d'expliquer ces « dysphonies à larynx normal ».
3-1- Les théories organicistes
Disproportions entre les différents organes de l'appareil phonatoire
Dans cette théorie, les auteurs expliquaient que la dysphonie était liée au fait qu'il existe une
disproportion entre le volume des poumons et la configuration du larynx ou des résonateurs.
Il n'y a aucune preuve de la réalité de cette explication.
Troubles de l'audition
Les explications avancées dans cette théorie ne concernent bien entendu pas les sujets ayant
une surdité. Pour les auteurs de cette théorie, il s'agit d'une altération de la régulation de la
parole de l'individu au moment où il parle.
Cette conception a abouti à des thérapeutiques proposant de rééduquer la voix par des
techniques particulières plus ou moins fantaisistes (oreille directrice, écoute de la voix de la
mère modifiée par des filtres...).
Troubles endocriniens
Certaines maladies endocriniennes peuvent s'accompagner d’altération vocale (myxoedème,
maladie d’Addisson, virilisation du larynx...). Il s'agit de pathologies graves, le trouble
endocrinien occupe le devant de la scène.
La pathologie dysfonctionnelle isolée ne relève pas de ce genre de désordre hormonal.
Certains ont cru trouver dans un dysfonctionnement endocrinien même léger l’explication des
dysphonies dysfonctionnelles. Là ancore, aucune preuve scientifique ne soutient ces hypothèses.
Par contre, certaines femmes et notamment des chanteuses professionnelles, signalent des
altérations vocales survenant à différents moments de leur cycle menstruel (en particulier dans
la période pré menstruelle).
Il est tout à fait probable de la muqueuse des cordes vocales, en particulier chez la femme,
subisse l'influence de l'imprégnation hormonale « normale ».
Troubles neurologiques
Certains auteurs ont évoqué à l'origine des dysphonies dysfonctionnelles (en raison notamment
des défauts de l'accolement des cordes vocales au cours de la phonation) des troubles de la
micro-innervation des muscles du larynx. Il ne s'agit bien entendu pas dans ces cas de paralysie
laryngée telle qu'on l’entend dans la pratique. Cette théorie n'a aucun support électro
physiologique.
Affections O.R.L.
Les affections O.R.L. en particulier cidivantes et chroniques jouent sans conteste un rôle
favorisant ou déclenchant des dysphonies dysfonctionnelles.
3-2- Les théories « psychologiques »
Pour certains, l'origine des dysphonies dysfonctionnelles est purement psychologique : refus
d'une situation conflictuelle personnelle, professionnelle, régression, dépression...
On retrouve souvent des facteurs psychologiques chez les patients présentant une dysphonie
dysfonctionnelle, il est toujours difficile de situer ce trouble (origine ou conséquence) par
rapport à l'altération vocale.
Actuellement, il est certainement sage de penser que l'origine des dysphonies dysfonctionnelles
est poly factorielle. L'entretien avec les patients, s'il n'est pas trop dirigiste, permet
habituellement de concevoir cet aspect poly factoriel.
II-CONCEPTIONS ACTUELLES DES MÉCANISMES DES DYSPHONIES
DYSFONCTIONNELLES
Les théories précédentes ont été établies sur les constatations des cliniciens.
La difficulté, pour le phoniatre et pour l’orthophoniste, est de faire la part des choses entre ce
qui est à l'origine de la dysphonie dysfonctionnelle, et ce qui en est la conséquence.
En tout état de cause, la pratique quotidienne auprès des patients porteurs de ces difficultés
vocales rend compte d'un mécanisme étiologique complexe, difficile le plus souvent à dénouer,
mais au sein duquel plusieurs éléments sont quasi constants d'un patient à l’autre.
1- Le cercle vicieux du forçage vocal
1-1- Description
Chacun d'entre nous a, à un certain moment de sa vie, eu le besoin de « forcer » sa voix :
Problème infectieux passager avec altération vocale
Examen oral avec démonstration de force conviction
Animation d'un groupe d'enfants
Discussions à plusieurs, en particulier en cas d’avis divergents...
Dans cette situation plus ou moins prolongée, vécue de façon plus ou moins difficile sur le plan
psychologique, on va forcer la voix. On parle plus fort, on lutte contre les sécrétions en cas
d’infection des résonateurs, on tousse… On se fâche, on est en colère et tout notre corps est
prêt à frapper l’autre, en tout cas par le biais de nos paroles…
Cet effort vocal nécessite une augmentation de la pression sous-glottique pour augmenter
l’amplitude vibratoire des cordes, dans le but d’augmenter le volume de la voix, d’accentuer les
intonations, d’être convaincant, d’être menaçant…
Si cette situation est ponctuelle, même inadapté l’effort vocal n’aura pas de conséquence sur
notre appareil phonatoire.
Mais si la situation se répète, si les éléments extérieurs deviennent constants parce que
professionnels par exemple, ou bien lorsqu’une situation conflictuelle dure, on devrait
théoriquement pouvoir adapter notre comportement vocal pour rester efficace sur le plan
vocal, sans risquer d’abîmer les cordes vocales, éléments sans aucun doute les plus fragiles de
notre appareil phonatoire.
Ainsi, théoriquement, quand la voix doit être efficace (intensité, conviction, difficultés
organiques passagères...), on devrait utiliser ce qu'on appelle le comportement de projection
vocale :
Certitude d'être efficace
Orientation du regard vers l'interlocuteur
Redressement postural
Souffle abdominal (mouvement en anse de seau des côtes, synergie abdomino-
diaphragmatique : modulation fine et adaptée de la pression sous-glottique tout au long
de l'expiration phonatoire).
Si on ne maîtrise pas ce geste vocal d’effort, ou si ce comportement de projection vocale est
inefficace (du fait du dysfonctionnement ponctuel d’un des éléments de l’appareil phonatoire ou
de l’attitude d'écoute de l'Autre), on va parfois utiliser le comportement vocal d'insistance :
·flexion de la partie haute du thorax, projection du visage vers l'avant
·mise en position défavorable (position et tensions musculaires) du larynx : la contraction
des muscles inspirateurs accessoires rigidifie le tube laryngé dans son ensemble.
·Mauvais contrôle de la pression sous-glottique par défaut de contrôle des muscles
expirateurs et du débit d'air expiré.
Si ce comportement vocal d’insistance devient habituel parce que la situation se prolonge ou
parce que la personne le met automatiquement en oeuvre dès la prise de parole, on aboutit à une
irritation de la muqueuse laryngée et à une diminution de l'efficacité vocale. On utilise alors de
manière plus importante le comportement d'insistance pour pallier ce manque d’efficacité, ce
qui aboutit à une irritation de plus en plus marquée de la muqueuse laryngée, à une fatigue
musculaire de plus en plus rapide et à une voix de moins en moins efficace.
En conclusion, plus on force, moins la voix est efficace, et moins la voix est efficace, plus
on force.
C'est le cercle vicieux du forçage vocal.
1-2- Eléments caractéristiques du forçage vocal
Le forçage vocal se traduit par des éléments que l'on repère à l'examen du patient :
·mauvais comportement postural :
perte de la verticalité (menton en avant)
crispations musculaires (SCM, muscles de la mâchoire)
·attaques en coups de glotte :
Le contrôle de la pression expiratoire est normalement assuré d'abord par le maintien de la
contraction du diaphragme pour éviter une déperdition rapide d'air, puis par les muscles
expirateurs, essentiellement les muscles abdominaux qu’il va falloir contracter progressivement
pour poursuivre la phonation et maintenir la pression sous-glottique. Le tout permet d'obtenir
une pression expiratoire constante ou modulable en fonction de l'utilisation vocale.
Si le contrôle de la pression expiratoire se fait mal, le larynx va pallier à cette insuffisance par
une mise en position phonatoire qui se fait de manière brutale : le mouvement d'adduction des
cordes est obtenu grâce au concours des bandes ventriculaires qui, en se contractant au cours
de la phonation (ce qui ne doit normalement pas être le cas puisque leur participation n’est
nécessaire que pour la réalisation du sphincter laryngé à forte et très forte pression)
permettent l’accolement brutal des CV. Cet obstacle important augmente la pression
expiratoire en amont, et permet l’initiation du cycle vibratoire. Cette mise en position
phonatoire brutale peut s'accompagner d'un bruit particulier qu'on appelle « coup de glotte ».
·Sensations subjectives particulières : le patient décrit
un manque efficacité, fatigabilité, diminution de la maniabilité de la voix
des douleurs, brûlures pharyngo-laryngées
une impression de difficultés respiratoires : en effet, comme l’accolement des cordes vocales
se fait mal le plus souvent, une fuite d’air est permanente, obligeant le patient à de nombreuses
reprises inspiratoires, lui donnant l’impression de manquer d’air.
La personne n’a pas, le plus souvent, conscience de ce comportement d'effort important.
L'altération vocale (dysphonie ou troubles subjectifs du patient) est indépendante de
l'importance du comportement de forçage. C'est la perturbation de la dynamique de la vibration
des cordes vocales et de l'ondulation muqueuse qui est responsable de la dysphonie
dysfonctionnelle.
Tout le monde heureusement, dans une situation de difficulté vocale, n’entre pas dans le
malmenage vocal chronique.
Le cercle vicieux du forçage vocal se constitue à l'occasion de la survenue de facteurs
déclenchants sur un terrain favorisant ou propice.
2- Les facteurs déclenchants
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