comme ce qui n'est pas institué. Le perçu prend donc place dans un nouveau
système d'oppositions qui va permettre d'en approfondir singulièrement le sens.
Dans la Phénoménologie de la perception, l'étude du sens d'être du perçu était
suspendue à celle de la perception, elle-même référée au corps propre. Par là-
même, elle avait une portée essentiellement négative qui obérait la possibilité
d'une interrogation ontologique. En effet, en saisissant le sujet de la perception
au niveau de l'existence corporelle, Merleau-Ponty montrait que la perception ne
pouvait consister en l'appréhension intellectuelle d'un sens transparent, comme
chez Descartes, que le sens perceptif était toujours incarné, bref que la
perception manifestait l'unité originaire du fait et du sens. Cependant, dès lors
qu'il prenait pour angle d'approche le sujet perceptif, Merleau-Ponty était
condamné à aborder la perception à travers les catégories mêmes dont elle est
une contestation en acte : il pouvait en quelque sorte réduire l'écart entre le fait
et le sens pour mettre en évidence leur unité, mais cette unité demeurait unité du
fait et du sens. C'est pourquoi la question ontologique du sens d'être du perçu ne
pouvait être posée : le perçu était saisi d'emblée dans la perspective de la
conscience et son sens d'être s'épuisait donc dans celui de corrélat de la
conscience incarnée qui y initie. Dans la Phénoménologie de la perception,
Merleau-Ponty désintellectualise, pour ainsi dire, la perception en mettant en
évidence l'adhérence du sens au fait : il ne peut saisir le perçu comme un être
spécifique. Au contraire, abordé depuis la question de la vérité, c'est-à-dire dans
l'horizon de l'institution, le perçu ne renvoie plus à la perception mais à un type
d'être spécifique, l'être naturel, où disparaît la scission ruineuse du sujet et de
l'objet. Il est temps en effet d'ajouter que, en vertu du contexte que nous avons
tenté de clarifier, le concept de nature est un titre générique pour une recherche
qui porte sur un certain type d'être, à savoir ce qui n'est pas institué : à travers la
nature, c'est le sens d'être de l'être naturel, nouveau nom du perçu, qui est en
question. Le naturel ne vient pas qualifier ce qui appartient à la Nature ; celle-ci
apparaît plutôt comme l'objectivation, au moins linguistique, d'un être naturel
conçu comme un sens d'être spécifique. Merleau-Ponty l'explicite dans
l'introduction au cours de la troisième année : l'approfondissement de la Nature
n'est, dit-il, "ni simple réflexion sur les règles immanentes de la science de la
nature, - ni recours à la Nature comme à un être séparé et explicatif -mais
explicitation de ce que veut dire être-naturel ou être-naturellement"8. On le voit,
l'interrogation sur la nature peut également être comprise comme un
infléchissement, sinon une inversion, du sens même de l'époché
phénoménologique. Celle-ci a ultimement pour but d'accéder au sens véritable
de ce que Husserl nomme attitude naturelle. Or, vis-à-vis de cette attitude, qui
désigne en première approche notre rapport immédiat au monde et la thèse
d'existence qu'il implique, deux types de lecture très différents sont possibles.
On peut mettre l'accent sur le fait que l'attitude naturelle est une attitude
spontanée et non thématique. On ne peut alors en prendre possession qu'en la
transformant en attitude réflexive ou plutôt, en mettant en évidence un mode
spécifique de pensée à l'oeuvre dans cette spontanéité même : de là la mise entre
parenthèses de la thèse du monde, permettant d'opérer une conversion du regard
vers ce qui sous-tend cette thèse depuis le commencement, à savoir la vie du
sujet transcendantal. Dans cette perspective, qui est celle de Husserl, la naturalité
de l'attitude naturelle a un sens essentiellement négatif et elle appelle donc une
reprise réflexive. Mais on peut mettre également l'accent sur le fait que l'attitude
naturelle est l'attitude qui nous initie à la nature en son sens originaire (qui n'est