Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164 9
ScléroSe en plaqueS
La communauté neurologique
et scientique a, ces dernières
années, renforcé la conviction que
la sclérose en plaques (SEP) était
bien une maladie dégénérative,
et ce dès le début. Les travaux ont
montré que la SEP était une mala-
die beaucoup plus diuse que
nous pouvions l’imaginer : non
seulement elle est très vite dissé-
minée dans la substance blanche,
mais surtout avec une atteinte
précoce de la substance grise,
corticale et également profonde,
notamment thalamique. Ces ano-
malies expliquent en partie la
précocité et l’évolutivité des
troubles cognitifs.
Sur le plan plus fondamental,
à cô des rôles bien identifiés
de l’immunité adaptative, no-
tamment par les lymphocytes
B et T, des études ont mis en
exergue une implication pré-
coce de l’immunité innée. Des
travaux ont mis en évidence
des modifications astrocy-
taires et un rôle clef des cel-
lules microgliales.
Lanalyse des cohortes de
patients après un seul événe-
ment, sur les plans clinique et
IRM, a permis de modifier les
critères diagnostiques, mainte-
nant appelés “critères McDo-
nald 2010”. Ces critères, par
rapport à ceux de 2005, n’ont
pas véritablement modifié les
sensibilité et spécificité mais,
par contre, ils sont d’une part
plus simples et, d’autre part, ils
permettent de poser un diagnos-
tic plus rapidement.
Considérant ces nouveaux cri-
tères, les lésions diffuses et la
précocité de l’atteinte dégéné-
rative, objectivées dans les tra-
vaux radiologiques par la mise
en évidence d’une atrophie, les
neurologues ont bien compris
la nécessité d’un traitement
précoce, et selon les critères
de l’AMM, parfois après un seul
épisode neurologique.
Dans le suivi des patients, le
grand changement est notre
prise en compte des troubles
non physiques de la maladie
et notamment des troubles co-
gnitifs, même si aucun consen-
sus n’existe quant aux méthodes
d’évaluation, leur prise en charge
et leur place dans nos algorithmes
thérapeutiques. Néanmoins, ces
Y a-t-il eu une évolution des concepts, au cours des toutes dernières
années, dans votre domaine ?
« Il n’y a pas de consensus pour affir-
mer que les thérapeutiques utilisées
à ce jour retardent l’apparition de la
phase secondairement progressive. »
Quels ont été les grands changements dans votre pratique
au cours des dernières années ?
troubles cognitifs sont souvent
évolutifs, avec un impact majeur
sur le handicap du patient, mais
ils sont aussi prédictifs d’une
dégradation physique ultérieure.
Les réseaux de santé - for-
malisés ou non - ont continué
d’apporter beaucoup dans le
cadre de la nécessaire approche
multidisciplinaire.
Enfin, les données apportées
par les études immunologiques
et l’épidémiologie ont incité de
très nombreux neurologues à
supplémenter en vitamine D
leurs patients atteints de SEP.
Patrick Vermersch Clinique Neurologique, Pôle des Neurosciences et
Appareil locomoteur, Hôpital Roger-Salengro, CHRU de Lille
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ScléroSe en plaqueS
Quelles sont, pour vous, les avancées attendues
pour les 2 ou 3 prochaines années dans votre domaine ?
Quels sont les problèmes qui vous semblent encore non résolus
et les grands enjeux pour les années futures ?
des formes très actives d’emblée.
Enn, les prescriptions du nata-
lizumab seront guidées par l’uti-
lisation de l’index d’anticorps
apportant une meilleure précision
quant aux risques de leuco-encé-
phalopathie multifocale progres-
sive.
L’OFSEP - Observatoire Fran-
çais de la SEP - permettra de
fournir des éléments intéressants
quant à l’impact de ces traite-
ments, et notamment leur sécurité
d’utilisation.
et standardisée de l’atrophie, nous
permettra de répondre à cette
question. l
Nous espérons une uniformisa-
tion de l’évaluation des troubles
cognitifs avec la validation dé-
nitive d’un test de dépistage qui
pourrait être une version orale de
la SDMT (Symbol Digit Modali-
ties Test) et d’une batterie courte
comme la BICAMS, en cours d’éva-
luation dans de nombreux pays.
En imagerie, des efforts sont
menés pour rendre plus acces-
sible l’évaluation de l’atrophie,
et probablement plus rapidement
la détection des lésions corti-
Les nombreuses avancées thé-
rapeutiques ne concernent
malheureusement à ce jour
que les formes rémittentes
de la maladie. Néanmoins plu-
sieurs essais thérapeutiques, y
compris de phase III, sont en
cours dans les formes progres-
sives. Aucune étude n’a apporté
de preuves formelles quun agent
a une action neuroprotectrice
directe.
Un meilleur contrôle de la com-
posante inammatoire de la mala-
cales par des séquences du type
“DIR” (Double Inversion Récupé-
ration).
Sur la plan thérapeutique, nos
algorithmes thérapeutiques se-
ront modiés avec l’arrivée de
nouvelles thérapeutiques par voie
orale et en première ligne (téri-
unomide, diméthylfumarate,
peut-être laquinimod), ainsi que
par la mise à disposition d’autres
anticorps monoclonaux comme
l’alemtuzumab en 2e ou 3e lignes ou
dans un schéma d’induction dans
die n’implique pas formellement
une diminution de la part dégé-
nérative. Autrement dit, même
si quelques études de cohortes
donnent quelques éléments de
réponse, il n’y a pas de consensus
pour afrmer que les thérapeu-
tiques utilisées à ce jour retardent
l’apparition de la phase secondai-
rement progressive.
Le suivi rigoureux de grandes co-
hortes de patients colligeant des
données cliniques incluant des
tests cognitifs et IRM permettant
d’obtenir une évaluation pratique
«  Le suivi rigoureux de
grandes cohortes de
patients colligeant des
données cliniques incluant
des tests cognitifs et IRM
permettra d’obtenir une
évaluation standardisée de
l’atrophie. »
Correspondance
Pr Patrick Vermersch
Clinique Neurologique
Pôle des Neurosciences et appareil locomoteur
Hôpital Roger Salengro - CHRU de Lille - 2, Av Oscar Lambret - 59037 Lille Cedex
Mots-clés :
Sclérose en plaques, Physiopatholo-
gie, Critères diagnostiques, Traite-
ment précoce, Troubles cognitifs,
Atrophie, Thérapeutique, Vitamine D,
Voie orale, Anticorps monoclonaux,
Natalizumab
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ScléroSe en plaqueS
A mon sens, ces dernières années
ont été essentiellement marquées
par une évolution des concepts
dans deux domaines :
celui de la critériologie diagnos-
tique ;
et celui d’une meilleure connais-
sance de la physiopathologie de la SEP.
Concernant les critères dia-
gnostiques, même si ceux-ci ne
dérogent pas aux critères de dissé-
mination spatiale et temporelle, ils
évoluent depuis plusieurs années,
avec pour seul but la possibilité de
faire un diagnostic plus précoce
avec une meilleure sensibilité tout
en gardant une spécicité et une
valeur prédictive positive iden-
tique (Polman et al., 2011).
Concernant la physiopatho-
logie de la SEP, l’évolution des
concepts se situe à plusieurs ni-
veaux :
au niveau neuropathologique,
avec, aux côtés de l’oligodendro-
cyte, un rôle probablement impor-
tant des cellules microgliales et
astrocytaires ;
• au niveau immunologique, avec un
rôle revisité de l’immunité humorale,
donc de l’importance des lympho-
cytes B, aux côtés bien évidemment
des lymphocytes T dont l’implication
est beaucoup plus connue ;
au niveau de l’imagerie, avec un
rôle très important de l’inamma-
tion dite “diffuse” quon ne mesure
pas sur nos imageries convention-
nelles (en opposition avec l’inam-
mation dite “focale” représentée
par les plaques visibles en IRM),
et qui est probablement le mieux
corrélée à l’atrophie cérébrale et
le plus en adéquation avec le han-
dicap. Plusieurs travaux mettent,
par ailleurs, en avant l’implication
très importante de l’atteinte de
la substance grise notamment du
cortex cérébral, dans le handicap.
C’est certainement le fait que le
diagnostic de SEP est établi de
manière plus précoce, ce qui im-
plique, en pratique quotidienne,
une annonce diagnostique et la
mise en route d’un traitement spé-
cique à un stade souvent très pré-
coce de la maladie.
Cela nous conduit de plus en plus
à mettre en place une éducation à
la maladie an de bien faire com-
prendre à nos patients que, malgré
l’absence apparente de symptômes,
la maladie peut avoir un prol évo-
lutif potentiellement grave pour
lui et justie un traitement.
Par ailleurs, au-delà des poussées,
qui ont été jusque-là les symp-
tômes pris en compte pour la
mise en place d’un traitement de
fond (AMM) et pour le suivi de la
réponse clinique, la notion d’éva-
luation du handicap (moteur, co-
gnitif, social) entre beaucoup plus
dans nos pratiques.
Plusieurs échelles de mesure sont
à disposition des praticiens pour
évaluer ce handicap dans toutes
ses dimensions, an de propo-
ser des mesures symptomatiques
(médicamenteuses ou non), et de
pouvoir établir un suivi individuel.
Y a-t-il eu une évolution des concepts, au cours des toutes dernières
années, dans votre domaine ?
« La notion d’évaluation du handicap
(moteur, cognitif, social) entre
beaucoup plus dans nos pratiques. »
Quels ont été les grands changements dans votre pratique
au cours des dernières années ?
La prise en compte et la prise en
charge de ces dimensions du han-
dicap, présent même à un stade
très précoce de la maladie, ont
«  Le diagnostic de SEP est
établi de manière plus
précoce, ce qui implique
une annonce diagnostique
et la mise en route d’un
traitement à un stade
souvent très précoce de la
maladie.»
Claude Mekies Polyclinique du Parc, Toulouse
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Quelles sont, pour vous, les avancées attendues
pour les 2 ou 3 prochaines années dans votre domaine ?
ront très probablement dans les
critères d’évaluation de nos études.
Concernant l’évaluation de l’efca-
cité de nos traitements, nous allons
probablement évoluer vers une ré-
ponse optimale, avec absence d’ac-
tivité clinique et radiologique
(patients libres de toute activité), ce
qui impliquera de faire entrer l’IRM
dans le suivi systématique pour
l’évaluation de nos traitements.
Latrophie cérébrale, paramètre
le mieux corrélé au handicap, est
établi à l’échelon d’un groupe au
travers des études, mais son appli-
cation à l’échelon individuel est en-
core difcile ; il n’est pas impossible
que l’on ait, à l’avenir, la possibilité
de mieux apprécier cette atrophie
dans la pratique quotidienne.
C’est très probablement la mise
sur le marché prochaine de nom-
breux traitements par voie orale
qui va modier la prise en charge
thérapeutique de nos patients.
Ce seront les premiers traitements
par voie orale quon pourra utiliser
en première intention et la ques-
tion posée portera sur l’utilisation
future des immunomodulateurs.
Est-ce la n des voies injectables ?
Par ailleurs, la multitude de molé-
cules dans notre arsenal thérapeu-
tique va rendre très complexe le
passage d’une molécule à l’autre.
Nous aurons donc à mener une
réexion sur des algorithmes de
prise en charge thérapeutique et
nos décisions seront de plus en
plus des décisions partagées.
Lautre avancée sera très probable-
ment la prise en compte plus pré-
pondérante d’autres paramètres
de suivi que la poussée. Les dif-
férentes dimensions du handicap
(cognition, handicap social) entre-
«La multitude de
molécules va rendre
complexe le passage
d’une molécule à l’autre.
Nous aurons à établir
des algorithmes de
prise en charge et nos
décisions seront de plus
en plus des décisions
partagées.»
considérablement amélioré la
qualité de vie de nos patients.
Enn, on ne peut éviter de parler
des nouveaux traitements de
fond par voie orale, et notam-
ment de la mise sur le marché ré-
cente de la première forme orale,
certes pour sa grande utilisation
en deuxième intention, mais qui
modie considérablement la
prise en charge thérapeutique
et notre réexion sur différents
aspects, notamment l’adhésion au
traitement.
Quels sont les problèmes qui vous semblent encore non résolus et les
grands enjeux pour les années futures ?
Bien que de nombreuses avancées
aient été faites en matière de phy-
siopathologie, celle-ci reste tou-
jours très complexe, et la SEP ne
doit plus être considérée ce jour
comme une maladie uniquement
inammatoire et comme une
maladie ne touchant que la subs-
tance blanche.
Cela va amener à rééchir sur des
biomarqueurs de la maladie
SEP. Ceci sera probablement à
l’origine d’un traitement dit “à la
carte”.
Enfin, au-delà des traitements
immunomodulateurs et immu-
nosuppresseurs, d’autres ap-
proches très intéressantes - -
myélinisation, utilisation de
cellules souches - verront pro-
bablement le jour. l
assez pertinents pour pouvoir
suivre l’évolution de la maladie et
la réponse aux traitements.
Par ailleurs, il n’est pas impos-
sible que, dans un avenir proche,
la pharmacogénétique et la
pharmacogénomique permet-
tront de déterminer pour chaque
patient une thérapeutique adap-
tée à sa propre pathogénie de la
Mots-clés :
Sclérose en plaques, Physiopathologie,
Diagnostic précoce, Handicap, Atrophie,
Traitements de fond, Voie orale
Correspondance
Dr Claude Mekies – Polyclinique du Parc 105 rue Achille Viadieu – 31400 Toulouse
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