DOSSIER THÉMATIQUE
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. IX - mai-juin 2006 141
Pharmacogénétique du cancer colorectal
Colorectal cancer pharmacogenetics
●
V. Boige*
L
a pharmacogénétique est l’étude des variations géné-
tiques prédictives de la réponse à un traitement donné.
L’étude des polymorphismes génétiques constitution-
nels permet dans certains cas de prédire la toxicité d’un médica-
ment via l’identification de sujets dits “métaboliseurs lents” ou
“métaboliseurs rapides”.
La prédiction de la toxicité et de la réponse aux traitements cyto-
toxiques est un enjeu majeur en cancérologie, et en particulier
dans le domaine du cancer colorectal (CRC) dans la mesure où
l’on assiste ces dix dernières années à un enrichissement théra-
peutique très important qui rend nécessaire l’identification de fac-
teurs prédictifs fiables, en vue d’un traitement personnalisé le
moins toxique et le plus efficace possible pour chaque patient.
Dans ce cadre, l’étude des variations génétiques présentes chez
l’individu permet plutôt de prédire la toxicité des traitements,
alors que celles présentes dans la tumeur paraissent plus fiables
pour prédire la réponse au traitement. Les principaux médica-
ments cytotoxiques utilisés dans le CRC sont le 5-FU et ses déri-
vés, l’oxaliplatine et l’irinotécan, auxquels s’ajoutent maintenant
les thérapies ciblées comme les inhibiteurs du récepteur à l’EGF
(EGFR ou epidermal growth factor receptor), et les inhibiteurs
de l’angiogenèse, et plus particulièrement du VEGF (vascular
endothelial growth factor). Parmi les nombreux polymorphismes
présents au sein des gènes impliqués dans le métabolisme et la
détoxification de ces médicaments, ou au sein des gènes codant
pour la ou les cibles de ceux-ci, certains sont clairement identi-
fiés comme prédictifs de la toxicité et/ou la réponse à ces traite-
ments.
Une grande partie des études de pharmacogénétique publiées en
2005 ont été consacrées à l’étude des facteurs prédictifs de réponse
aux inhibiteurs de l’EGFR. Il est maintenant clairement établi
que, dans le CRC, l’efficacité des inhibiteurs de l’EGFR n’est pas
corrélée à l’existence ou à l’intensité de l’expression de l’EGFR
en immuno-histochimie. Elle n’est pas non plus corrélée à l’exis-
tence de mutations du gène EGFR, celles-ci étant très rarement
identifiées dans le CRC (1, 2). Une augmentation du nombre de
copies du gène de l’EGFR étudié par FISH (fluorescence in situ
hybridisation) dans les tumeurs colorectales de patients traités par
cetuximab ou panitumumab semble en revanche être corrélée à
l’existence d’une réponse objective à ces deux traitements com-
binés ou non à la chimiothérapie (3). L’étude de deux polymor-
phismes constitutionnels du gène EGFR montrés comme étant
associés à des modifications du niveau de transcription du gène
in vivo et in vitro (HER-1 R497K et EGFR intron 1 (CA)n repeat),
a montré que ces polymorphismes seraient prédictifs du bénéfice
de l’association 5-FU + oxaliplatine (4), en termes de survie sans
progression et prédictifs du bénéfice de la radiochimiothérapie
dans les cancers du rectum. Néanmoins, ces études sont rétros-
pectives et portent sur des petits effectifs de patients. Ces résul-
tats méritent donc d’être confirmés à plus grande échelle (5).
Deux autres principales études ont été consacrées à la recherche
de facteurs prédictifs d’efficacité et de la toxicité de l’oxalipla-
tine. ERCC1 fait partie de la famille des gènes de réparation de
l’ADN, plus particulièrement des gènes du système NER (nucleo-
tid excision repair) impliqués notamment dans la réparation des
adduits à l’ADN créés par les sels de platine. Le polymorphisme
présent dans le codon 118 du gène ERCC1 a été étudié dans une
population de 91 patients traités par FOLFOX (6). Le taux de
réponse était significativement meilleur chez les patients ayant
un génotype T/T, comparé à celui observé chez les patients ayant
un génotype C/T ou C/C (61,9 % versus 42,3 % et 21,4 %, res-
pectivement, p = 0,018). Les glutathions S-transférases (GST)
sont une famille des gènes impliqués dans la détoxification de
nombreux médicaments, notamment des sels de platine. Les gènes
des GST, en particulier GSTM3, GSTM1, GSTP1 et GSTT1,
contiennent des polymorphismes constitutionnels liés à des sub-
stitutions ou à des délétions, aboutissant à une diminution ou à
une abolition de l’activité enzymatique correspondante. L’inci-
dence d’une neurotoxicité cumulative de grade 3 chez 90 patients
traités par oxaliplatine était supérieure chez les patients ayant un
génotype GSTP1*A/*A comparée à celle observée en cas de
génotype GSTP1*A/*B ou GSTP1*B/*B (33 % versus 8 % ;
p = 0,02) [7].
En conclusion, les études pharmacogénétiques menées en 2005
chez les malades traités pour CRC ont permis l’identification de
nouveaux critères prédictifs de toxicité et de réponse aux traite-
* Institut Gustave-Roussy, Villejuif.
© La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 2 - mars-avril 2006.