oppose la sécurité et l’éthique (…), c’est
l’irrémédiable contradiction entre la division et
la communion : le besoin irrépressible de
séparer et d’exclure, endémique dans le
champ de la sécurité, et à l’inverse, la tendance
à inclure et unir dans celui de l’éthique»
(Bauman, p.9). Autrement dit, la sécurité
aurait pour effet, volontaire ou non, d’exclure
et souvent d’exclure le plus faible. Bien
que ses propos intellectuellement engagés
nous paraissent discutables, ils imposent
de réfléchir (et cela nous paraît un enjeu
stratégique en matière de sécurité dans les
années à venir) à la manière de rendre la
sécurité plus inclusive et la moins excluante
possible. A titre d’exemples, dans certains
quartiers ou dans les espaces privés recevant
du public (aéroports, centres commerciaux…),
comment garantir aux citoyens une sécurité
optimale sans, dans le même temps, entraver
leur liberté de circuler à travers des contrôles
d’identités ou de la protection périphérique.
Dans un des articles suivants consacré au cas
canadien, Jean-Paul Brodeur considère que
les agents de sécurité sont dans un certain
nombre d’opérations contraints de recourir à
des pratiques non éthiques pour mener à bien
leurs missions et que ces pratiques illégales
sont tacitement acceptées par les institutions
au nom de ce qu’il qualifie «d’illégalisme
légalisé». Légalité et éthique sont ici consubs-
tantielles. Or, l’éthique se mesure également à
l’intensité des menaces auxquelles il faut faire
face comme le démontrent Alain Bauer et
Christophe Soullez. Si les forces de sécurité ne
font pas leur travail et si le public est insatis-
fait, le risque est important qu’elles soient de
plus en plus illégitimes à intervenir et donc
qu’elles deviennent inefficaces vis-à-vis de
menaces toujours plus diffuses et fortes.
On peut même prolonger cette démonstration
en invoquant que moins les forces de sécurité
sont en mesure d’opérer, plus elles sont
conduites à agir dans un cadre non légal où
leurs pratiques risquent de s’éloigner de
l’éthique. Par conséquent, il convient de
donner davantage de latitude aux forces de
police pour agir, sous peine de les pousser à
la faute. C’est dans cette perspective que de
nombreux auteurs dans ce numéro insistent
sur la nécessité de laisser des marges de
manœuvre conséquentes aux forces de
sécurité (police, agence de sécurité privée,
police municipale…). Cela doit se faire en
adaptant au mieux la loi aux nouveaux
contours des problématiques de sécurité
(Jean-Paul Brodeur, Xavier Latour, Bertrand
Perrin) et en garantissant un contrôle de ces
organisations par la création d’organismes,
telles le Défenseur des droits (Alain Bauer) au
plan national ou la création de la convention
pénale sur la corruption du conseil de
l’Europe au niveau européen (Bertrand Perrin).
La sécurité est donc un prérequis au bon
fonctionnement des sociétés démocratiques
comme de leurs entreprises. Mais celles-ci
perdront en crédibilité et en légitimité si leur
sécurité n’est pas encadrée par de forts
contre-pouvoirs.
Au sein des entreprises, ces contre-pouvoirs
s’accompagnent également de puissants
instruments incitatifs (code de déontologie,
chartes éthiques, formations, engagement du
top-management…). L’éthique est à ce point
soluble dans la sécurité des entreprises qu’elle
peut même renforcer leur sécurité (Anne
Sachet-Milliat, Bertrand Perrin, Mathieu Pellerin).
Dans l’espace public français, l’encadrement
des dépositaires de la sécurité est-il suffisant ?
Il ne s’agit pas ici de nier l’effort réalisé par
l’ensemble des pays occidentaux et l’on
ne peut que rejoindre Franck Bulinge et
Charlotte Lepri lorsqu’ils soulignent la
révolution institutionnelle dans le paysage
français du renseignement qu’a représenté la
création d’une délégation parlementaire au
renseignement en 2007, et ce malgré son
champ d’action limité. Pour autant, beaucoup
de chemin reste à parcourir quand on sait par
exemple que le budget de la CNDS était cinq
fois moins important que son équivalent au
Québec en 20045!
Nous ne pouvons terminer notre propos
liminaire sans saluer une dernière fois
Jean-Paul Brodeur, criminologue québécois,
certainement le plus grand criminologue
francophone de ces dernières décennies qui
s’est éteint à Montréal dimanche 25 avril.
Son esprit libre et critique manquera aux
débats actuels et futurs de la sécurité. Nous
publions l’un de ses derniers articles.
SÉCURITÉ & STRATÉGIE / REVUE DES DIRECTEURS SÉCURITÉ D’ENTREPRISE / HORS SÉRIE / JUILLET 2010 2