Mémo à propos de la révision de la Loi de Bioéthique à l - I-Stem

Mémo concernant la révision de la loi de Bioéthique
Rédacteurs : Marc Peschanski / Cécile Martinat Date : 2011.03.23
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Mémo à propos de la révision de la Loi de Bioéthique à
l’Assemblée Nationale (février 2011), article 23
concernant la recherche sur les cellules souches
embryonnaires
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Rédacteurs : Marc Peschanski / Cécile Martinat Date : 2011.03.23
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Si la recherche sur l’embryon préimplantatoire (embryon conçu in vitro) humain est
techniquement possible depuis trois décennies, celle-ci pose des questions éthiques auxquelles le
législateur a répondu en France par deux fois, d’abord à l’occasion de la première loi de bioéthique,
puis de sa révision. L’exercice de cette recherche a d’abord été interdit (loi initiale, 1994), puis
l’interdiction a été assortie de la possibilité de dérogations, pour une période de 5 ans, (2004). Le
contrôle de ces dérogations se fait dans un cadre très strict assuré par l’Agence de la biomédecine. Les
autres pays engagés dans cette recherche – aujourd’hui de loin les plus nombreux – ont, d’une façon
générale, choisi de faire encadrer elles aussi ces recherches par des agences réglementaires mais,
contrairement à la France, sous le couvert d’une Loi qui, lorsqu’elle existe, donne plus simplement
aux scientifiques « l’autorisation » de réaliser leurs travaux.
Durant la période séparant les deux votes de 1994 et 2004, un événement scientifique majeur
était advenu : la dérivation de la première lignée de cellules souches embryonnaires humaines à partir
d’embryons surnuméraires, par une équipe américaine (J. Thomson, 1998). Ces cellules proviennent
exclusivement d’embryons de 5 à 7 jours après fécondation ; on ne les observe jamais plus au-delà.
Elles présentent deux caractéristiques biologiques uniques :
- les cellules souches embryonnaires peuvent proliférer indéfiniment en laboratoire, elles sont
naturellement, physiologiquement, immortelles;
- les cellules souches embryonnaires peuvent cesser de proliférer et se spécialiser en donnant
n’importe laquelle des cellules de notre organisme. De nouveau, aucune autre cellule naturellement
présente dans notre organisme ne possède cette capacité que l’on appelle la « pluripotence ».
De par la combinaison de ces deux propriétés, ces cellules représentent un outil exceptionnel
pour la recherche, fondamentale comme appliquée. Il existe deux grands domaines d’application :
- la thérapie cellulaire, aussi appelée médecine régénératrice, désigne les greffes de
cellules qui visent à restaurer un tissu ou un organe en remplaçant « pièce pour pièce » les
cellules qui ont été perdues par le patient du fait d’une maladie dégénérative (diabète,
Parkinson, infarctus, DMLA, maladies génétiques…) ou d’un accident (traumatismes
spinaux, brûlures…).
- la modélisation pathologique et le criblage à visée pharmaceutique explorent les
maladies génétiques et leurs traitements en laboratoire, en profitant de l’accès unique
qu’offrent les cellules souches issues d’embryons témoins et porteurs d’anomalies
génétiques caractérisées au cours d’un diagnostic pré-implantatoire. Dans ce cas, les
cellules permettent d’observer en laboratoire les mécanismes qui conduisent à la
pathologie. Grâce aux techniques de recherche pharmacologique modernes que l’on
regroupe sous le terme de « criblage », il est ensuite possible de trouver dans les
gigantesques banques de composés mises en place par l’industrie ceux, rares, qui seraient
susceptibles de contrecarrer ces mécanismes pathologiques et devenir les thérapeutiques de
demain.
Au terme des 5 ans accordés en 2004, mais lancés réellement par les décrets d’application du 6
février 2006, un réexamen complet de la loi de bioéthique est en cours en vue d’adapter la législation
à l’évolution de la science, du droit et de la société. Dans ce cadre, le rapport rédigé par l’OPECST
(office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) prônait une levée du
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moratoire et la suppression de l’interdiction au profit d’une autorisation encadrée à travailler sur les
cellules souches embryonnaires humaines, rejoint en cela par le Conseil d’Etat.
Le rapport parlementaire réalisé sous la responsabilité du député Jean Léonetti n’allait
toutefois pas dans ce sens, proposant pour l’essentiel un maintien du cadre d’interdiction/dérogation,
avec un assouplissement de certaines contraintes particulièrement peu adaptées aux conditions de la
recherche. La plus importante de ces réécritures concernait ce que l’on appelle la « non-
comparabilité », c'est-à-dire la démonstration par les chercheurs de l’absence d’outils expérimentaux
permettant de réaliser les programmes proposés sans avoir recours aux cellules souches
embryonnaires. Un bon nombre de parlementaires impliqués dans la rédaction de ce rapport, dont le
Président de la mission, Alain Claeys, ont refusé de le voter parce qu’il ne supprimait pas
l’interdiction. Cette demande de passage à un système d’autorisation encadrée a été défendue
durant toute la phase préparatoire de discussion de la loi par tous les scientifiques du domaine ainsi
que par les principaux représentants institutionnels de la communauté scientifique, notamment les
Académies de Médecine et des Sciences ainsi que le Président d’AVIESAN, qui regroupe notamment
les secteurs sciences de la vie de l’INSERM, du CNRS, du CEA et des Universités.
Le projet de Loi présenté par Madame Roselyne Bachelot reprenait l’essentiel des propositions
faites dans le rapport de Jean Léonetti, malgré les hésitations du rapporteur lui-même qui, à plusieurs
reprises, a exprimé publiquement ses doutes quant au maintien du système d’interdiction/dérogation
pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires.
Problèmes posés par le projet de Loi voté par les Députés
Le projet de Loi votée au Parlement en février dernier reprenait pour l’essentiel le texte déposé
par le gouvernement (Annexe 1). Toutefois, des amendements adoptés en séance sur proposition d’un
groupe de députés sont venus contrecarrer les efforts réalisés dans le sens d’une levée des contraintes
mises sur la recherche et ont même, dans le cas de la « non-comparabilité » non seulement annulé les
effets positifs de la révision mais même conduit à une rédaction qui, si elle était maintenue, aboutirait
tout simplement à éliminer dans notre pays toute possibilité de recherche sur la modélisation
pathologique et le criblage de médicaments. En effet, ces dernières devraient, pour la respecter,
s’engager préalablement à toute étude sur les cellules souches embryonnaires dans de longs et couteux
programmes de recherche explorant toutes les hypothèses alternatives, même les moins
vraisemblables.
Le compte rendu des débats fait apparaître que le vote sur l’article 23 – qui traite des
recherches sur les cellules souches embryonnaires – a été très serré (16 voix contre 16, la voix du
Président de séance ayant été prépondérante) indiquant clairement l’absence d’un consensus
majoritaire durant ce débat parlementaire.
L’amendement 49 de l’article 23 renforce en effet l’obligation de démonstration par les
scientifiques de l’absence d’outils cellulaires comparables avant toute autorisation d’une recherche sur
les cellules souches. Cet amendement vise explicitement – comme cela a été écrit, puis répété en
séance par ses auteurs – à interdire tout criblage de médicaments sur les cellules souches
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embryonnaires humaines parce que, aux dires de ces députés, il existerait aujourd’hui un autre moyen
d’obtenir des cellules pluripotentes grâce à la « reprogrammation génétique » (les cellules dites
« iPS », induites à la pluripotence).
Les critères de remaniement de la Loi de Bioéthique 2011
Le groupe de députés qui a porté et fait adopter l’amendement 49 a formulé à l’appui de ce
texte deux allégations « scientifiques » parfaitement fausses qui ont nui fortement à la qualité du
débat (et à son issue). Nous espérons que la rectification de ces présentations déformées de la réalité
scientifique au Sénat permettra de revenir sur l’amendement 49. Nous espérons également qu’il
montrera le danger qui pèsera sur l’application de la Loi du fait de pressions exercées sur l’Agence
réglementaire et sur les chercheurs, tant que la France n’aura pas choisi de protéger le travail de ses
scientifiques par une Loi claire, leur donnant l’autorisation encadrée de réaliser leurs recherches.
Première allégation fausse : « les travaux sur les cellules souches embryonnaires n’ont rien
apporté ».
Alors que l’Agence réglementaire américaine (FDA, équivalent américain de l’AFSSAPS)
vient justement d’autoriser le lancement des trois premiers essais cliniques de thérapie cellulaire
fondés sur les cellules souches embryonnaires, entre septembre 2010 et janvier 2011, une telle
déclaration est évidemment erronée au plan international.
Mais même en France, et malgré le retard accumulé du fait de la Loi de 1994, les équipes de recherche
ont d’ores et déjà reçu pour l’apport scientifique de leurs travaux la consécration internationale de
publications dans les plus prestigieuses revues dont l’accès est sévèrement restreint aux travaux
scientifiques du tout premier niveau.
Illustrant cette réussite française, l’obtention d’une peau artificielle à partir de cellules souches
embryonnaires humaines en 2009 a ouvert des perspectives thérapeutiques totalement nouvelles,
largement relayées par les médias en France comme à l’étranger (Annexe 2). Cette première mondiale,
réalisée au sein de notre Institut de recherche, démontrait la possibilité de faire de la peau à volonté à
partir de cellules souches embryonnaires humaines. Cette découverte représente une nouvelle voie
pour le traitement des lésions cutanées, par exemple chez les grands brûlés, mais bien au-delà, c’est
une thérapie originale à portée pour des millions de malades victimes d’ulcérations cutanées d’origine
veineuse ou associées à un diabète ou encore à une drépanocytose.
Résumant bien la portée de ces avancées thérapeutiques majeures, deux programmes d’essais
cliniques sont déjà actuellement examinés par l’AFSSAPS pour des applications de thérapie
cellulaire, l’un pour la peau et l’autre, proposé par le Pr Philippe Ménasché, pour le tissu cardiaque.
Seconde allégation fausse : « les cellules adultes induites à la pluripotence, iPS, sont aujourd’hui
capables de remplacer les cellules souches embryonnaires ».
L’argument avancé dans la proposition de l’amendement 49 dérive de la découverte réalisée en
2007 par le Dr. Shinya Yamanaka à l’Université de Kyoto au Japon de la possibilité de ramener à un
état pluripotent des cellules adultes du sang ou de la peau grâce à l’expression forcée de 4 gènes
codant pour des protéines impliquées dans le contrôle de l’ADN. Ce procédé, appelé reprogrammation
génique, permet donc en théorie d’obtenir des cellules qui présentent les deux propriétés cardinales
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des cellules souches embryonnaires, l’immortalité et la pluripotence, que l’on appelle des cellules
« iPS », cellules « souches induites à la pluripotence ».
Cependant, si chacun s’accorde à voir dans ces cellules un outil scientifique nouveau tout à fait
remarquable – et Yamanaka vient de se voir décerner le Prix Lasker, souvent annonciateur du Prix
Nobel -, trois ans de recherche sur les cellules iPS ont permis de dresser un tableau plus précis de ce
qui rassemble et de ce qui sépare ces OGM cellulaires des cellules souches embryonnaires
physiologiques, et le constat scientifique unanime est qu’il existe entre elles des différences
importantes qu’il faudra bien caractériser avant de pouvoir effectivement commencer d’utiliser les
cellules iPS dans les domaines d’application en thérapie cellulaire et en modélisation pathologique. A
titre d’exemple, l’équipe du Pr. Daley de la célèbre Harvard Medical School a démontré que certaines
caractéristiques des cellules adultes dont on tire les iPS persistent anormalement après
reprogrammation génique. Ainsi, une iPS issue de la peau garde des traces « de peau » dans son
génome et une iPS issue du muscle, des traces « de muscle ». Ces traces dans le génome ne sont pas
sans conséquence puisque selon leur origine, les premières se spécialiseront plus difficilement (voire
pas du tout) dans des tissus autres que la peau, les secondes dans des tissus autres que le muscle, et
ainsi de suite (Annexe 3). De même, très récemment (4 mars 2011), 3 équipes différentes viennent de
démontrer la présence de nombreuses anomalies génétiques dans les iPS en comparaison aux cellules
souches embryonnaires humaines. Comme toutes les équipes qui travaillent en parallèle sur les
cellules souches embryonnaires et sur les cellules iPS, nous avons nous-mêmes observé une très
importante différence entre la capacité de ces deux types de cellules à former des tissus spécialisés, et
nous n’arrivons pas aujourd’hui, par exemple, à obtenir un épiderme ressemblant à l’épiderme adulte à
partir des iPS.
Cette distinction faite entre cellules souches embryonnaires et iPS ne reflète en rien une
quelconque querelle entre scientifiques qui laisserait ouverte la porte à l’argument soulevé par les
députés à l’origine de l’amendement 49. Les spécialistes du domaine sont tous d’accord sur le fait que
la caractérisation des cellules iPS, qui permettra d’en maîtriser les propriétés et de les mettre au
service des applications thérapeutiques, n’est pas finalisée. Les connaissances acquises jusqu’à présent
nous incitent à avancer prudemment sur la voie des extrapolations aux iPS des résultats obtenus avec
les cellules souches embryonnaires.
Problèmes posés par l’amendement 49 de l’article 23 pour la recherche sur les mécanismes
pathologiques et les thérapies qui en dérivent
L’amendement 49 présenté par un groupe de députés, et adopté en séance, stipule à l’appui
d’une réécriture plus contraignante de l’article 23 de la Loi dans son paragraphe sur la recherche d’une
« non-comparabilité » que « Les dérogations à la recherche sur l’embryon (…) ne peuvent être
accordées pour l'exécution de travaux de recherche portant sur l’amélioration des techniques
d’assistance médicale à la procréation, sur la modélisation des pathologies et sur le criblage des
molécules ».
Le concept de « modélisation pathologique » combiné à un criblage de molécules en utilisant
les cellules souches embryonnaires est apparu il y a une dizaine d’années en partant des constats que
1). Les modèles pathologiques existants, majoritairement d’origine animale, ne reproduisaient pas de
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