
ci-dessus le Dr. Frédéric Checler à l’IMPC de Valbonne
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•I.R.H. Magazine Actualité
Chercher un vaccin dirigé contre les pla-
ques amyloïdes est-il donc judicieux ?
F.C : Ce n’est pas parce qu’un vaccin,
d’un point de vue phénotypique, net-
toie complètement le cerveau des
plaques séniles, qu’il ne fait rien avant,
notamment au niveau du peptide A
bêta qui lui, pourrait être toxique. Les
animaux qui ont fabriqué des anticorps
contre les plaques ont aussi récupéré
de leurs décits cognitifs d’apprentis-
sage et de mémorisation… Donc on ne
peut pas abandonner une piste aussi
prometteuse. Elle s’avèrera peut-être
insusante, elle ne permettra peut-
être de ne gagner « que » deux ou trois
ans. En ce moment on ne
guérit pas du sida mais on
peut rester stabilisé pen-
dant des années. En tous
cas dire qu’on se trompe
de cible me semble aussi
manichéen que d’armer
que tout est dû au pep-
tide amyloïde. En revanche,
peut-être que lorsque nous
nous attaquons aux formes
« A40 » et « A42 » du pep-
tide, il est déjà trop tard.
De plus, comme certains
de ces peptides sont fabri-
qués naturellement dans
l’organisme, les anticorps
synthétisés sont dirigés contre des
protéines du « soi », ce qui peut poser
problème. Enn, il faut trouver des anti-
corps capables de passer la barrière
hémato-encéphalique.
Des liens entre les deux types de lésions
caractéristiques d’Alzheimer ont-ils été
établis ?
F.C : Oui, grâce aux souris transgé-
niques. Il s’est avéré que seules les
souris mutantes à la fois sur la bAPP,
les protéines tau (5) et les présénilines
présentaient les deux lésions (plaques
séniles et dégénérescences brillaires)
à la fois. Les lésions amyloïdes sem-
blent réduites quand nous réduisons
génétiquement les allèles (les copies
d’un gène) codant pour la protéine
tau. Or le phénomène de dégénéres-
cence neurobrillaire s’accompagne
d’une hyper phosphorylation de tau.
Les modèles cellulaires ont également
pu montrer que le peptide A bêta pou-
vait jouer sur cette phosphorylation de
tau… Certains chercheurs ne sont pas
d’accord pour dire lequel interviendrait
en premier mais cela dépend en réalité
aussi des aires corticales touchées.
Toutefois si, comme on le pense, le
peptide amyloïde est responsable
de perturbations calciques, de pro-
blèmes d’apoptose (mort cellulaire
programmée), de production de réac-
tifs oxygénés, d’inammation, nous
devrions, en jouant sur l’expression de
A bêta, avoir des répercussions sur tous
ces phénomènes. Voilà, au laboratoire,
notre hypothèse. Nous essayons dans
cette logique de développer des anti-
corps un peu originaux dans le sens
où ils vont cibler des formes tronquées
du peptide. Pour cela il faut identier
les formes qui apparaissent le plus
précocement, celles qui « marquent »
éventuellement le glissement d’une
forme modérée d’Alzheimer vers une
forme avérée de la maladie.
Travaillez-vous également sur d’autres
voies thérapeutiques ?
F.C : Nous étudions aussi les inhibiteurs
de bêta et de gamma sécrétases (6) et
l’activation d’enzymes qui inhibent le
peptide A bêta sans pour autant don-
ner les formes tronquées toxiques. Mais
nous pourrions aussi envisager une
multi-thérapie avec des anti-inamma-
toires, un suivi de la pression artérielle,
du cholestérol, une indication pour une
activité physique et intellectuelle
régulière, la prise d’anti-oxydants, un
régime alimentaire adéquat etc. Deux
personnes avec la même mutation sur
une préséniline peuvent présenter des
âges d’apparition de la maladie dié-
rents, cela prouve qu’il doit y avoir des
aspects environnementaux amplica-
teurs ou au contraire protecteurs.
Des cas ont été relatés de défunts ne
présentant aucun symptôme d’Alzhei-
mer avant leur mort et dont l’autopsie a
révélé de nombreuses lésions typiques
de la maladie. Faut-il y voir un phéno-
mène de résistance ?
F.C : Il faut imaginer les ressusciter et
voir dans dix ans ce qui se serait passé !
Comment voulez-vous savoir si une per-
sonne n’était pas en train de développer
la maladie ? Il n’est pas impossible non
plus que les plaques aient un rôle
protecteur jusqu’à un stade de « trop
plein ».
Vous travaillez également sur le front
du diagnostic, puisque vous cherchez
à identier un marqueur de la patholo-
gie. De quoi s’agit-il ?
F.C : Ce sont les fameuses formes tron-
quées du peptide A bêta dont j’ai
déjà parlé. Des anticorps monoclo-
naux dirigés contre ces entités vont
servir à « screener » diérents uides
biologiques de personnes normales ou
présentant une forme modérée ou avé-
rée de la maladie d’Alzheimer pour voir
si la forme tronquée reconnue est eec-
tivement un marqueur d’un glissement
d’une forme à l’autre.
Si c’est le cas, nous aurons identié
naturellement un marqueur mais aussi
le type d’anticorps qu’il faut pour un
processus de vaccination.
Enn selon le chercheur Pat McGreen,
de l’université de Vancouver, la prise
d’anti-inammatoires déjà sur le mar-
ché pourrait sure à protéger l’individu
contre la maladie. Qu’en pensez-vous ?
F.C : Il s’agit d’anti-inammatoires non
stéroïdiens. Le problème c’est que les
études épidémiologiques n’ont abso-
lument pas conrmé cela. Ceci dit, ça
ne doit pas faire de mal d’en prendre
un peu comme d’autres prennent de la
mélanine, des vitamines ou vont faire
un jogging.
(5) Comme le peptide A bêta, tau est une molécule normale de l’organisme. Phosphorylée, elle empêche le fonctionnement neuronal et tue les
neurones en destabilisant les microtubules.
(6) L’APP transmembranaire peut subir deux clivages distincts. Sous l’action des alpha et gamma sécrétases, la protéine est dégradée sans effet
nocif. En revanche l’action conjointe des enzymes bêta et gamma libère le peptide A bêta.