Le diabète frappe 150 millions de gens dans le monde. Deux millions sont canadiens. Ils seront deux fois plus nombreux dans 20 ans. Ceux qui en souffrent voient leur espérance de vie réduite de 5 à 10 ans. Selon Santé Canada, le diabète coûte 9 milliards $ par année. Pourquoi cette explosion du diabète ? On mange de plus en plus, on bouge de moins en moins. Résultat : on grossit. Et être gros, c'est devenir une proie facile pour une série de maladies tueuses. Quatre-vingt-cinq pour cent des diabétiques sont obèses Le diabète de type 2 On parle ici du diabète de type 2, qu'on appelle aussi diabète adulte. C'est la forme la plus répandue de diabète. Dans le diabète de type 2, les cellules du corps deviennent résistantes à l'insuline. Pendant des années, deux adversaires s'affrontent : le Normalement, cette hormone agit comme une clé pancréas et le tissu adipeux qui permet aux sucres d'entrer dans les cellules, ce qui est essentiel à leur bon fonctionnement. Lorsque les cellules font de la résistance, le pancréas doit redoubler d'efforts pour produire davantage d'insuline et forcer le passage du sucre dans la cellule. Avec le temps, le pancréas s'essouffle. Le taux de sucre augmente dans le sang. Le diabète de type 2 apparaît. Ce fléau est lié à l'obésité. Il frappe normalement vers 50 ans, après qu'un combat silencieux se soit déroulé dans l'organisme pendant de nombreuses années. Dans un coin, le pancréas qui fabrique l'insuline. Dans l'autre, un adversaire sous-estimé : le tissu adipeux. Lorsqu'on devient diabétique, c'est que le tissu adipeux a gagné la partie. Il existe trois grandes formes de diabète. Le diabète de type 1, ou juvénile, n'a rien à voir avec l'obésité. C'est une maladie autoimmune qui apparaît dès l'enfance. Chez les victimes, le système immunitaire détruit sans raison les cellules du pancréas qui fabriquent l'insuline. Ne pouvant plus fabriquer leur insuline, les gens qui en souffrent doivent se l'injecter le reste de leur vie. Le diabète de type 2 apparaît en général à l'âge adulte; 90 % des diabétiques souffrent de cette forme de la maladie. Il existe également une troisième catégorie, désignée sous l'acronyme anglais MODY (Maturity onset diabetes of the young), ce qui signifie, paradoxalement, diabète adulte des jeunes. Cette catégorie regroupe une série de défauts génétiques qui prédisposent les enfants à souffrir de résistance à l'insuline et, éventuellement, de diabète de type 2. La graisse est une glande On sait maintenant que le tissu adipeux ne se contente pas d'entreposer les graisses. « On considère le tissu adipeux comme une glande endocrine : c'est-à-dire qu'elle peut libérer des hormones, des peptides, et tout particulièrement des cytokines proinflammatoires », explique le biochimiste André Marette, du Centre hospitalier de En comparant des souris normales et l'Université Laval (CHUL). obèses, les chercheurs ont pu découvrir le Le tissu adipeux serait donc une glande, au mécanisme qui mène à la résistance à l'insuline. même titre que le pancréas. Plus on est gros, plus le tissu adipeux est important et plus il sécrète des cytokines. Et ces cytokines jouent un rôle dans le développement de la résistance au diabète. Pour comprendre le rôle des cytokines, André Marette et son équipe ont travaillé sur les cellules musculaires, grandes consommatrices de sucre, chez Les cellules adipeuses Les cytokines se dirigent des souris normales et obèses. sécrètent des hormones ensuite vers les autres appelées cytokines. cellules de l'organisme. Leur recherche a été publiée dans la prestigieuse revue Nature medicine. Ils ont mis à jour un processus complexe, un véritable jeu de domino. En fait, le tissu adipeux produit L'enzyme iNOS favorise la Là, elles stimulent une des cytokines qui stimulent à leur production d'un gaz, enzyme appelée iNOS. tour une enzyme appelé iNOS (inducible nitric oxide synthase). Cette enzyme produit un gaz, le monoxyde d'azote. C'est ce gaz qui vient nuire à l'action de l'insuline et empêche ainsi la prise du sucre par le muscle. Pour vérifier le tout, André Marette a fabriqué une souris dont l'enzyme iNOS ne fonctionnait pas. Résultat : cette souris a beau grossir, elle ne développera pas le diabète. HORMONES ET TISSU ADIPEUX L'hormone la plus connue que produit le tissu adipeux est sans doute la leptine, qu'on a aussi appelée « l'hormone de la satiété ». Les rongeurs qui, à cause d'une mutation, ne produisent pas de leptine sont obèses. Lorsqu'on leur administre de la leptine, ils mangent moins et dépensent plus d'énergie. De là à y voir un traitement contre l'obésité, il n'y avait qu'un pas. Malheureusement, chez l'humain, l'obésité est un problème beaucoup plus complexe et l'administration de leptine à des patients obèses n'a pas donné les résultats attendus. Les rongeurs produisent également une autre hormone dans leur tissu adipeux : la résistine, qui semble associée à la résistance à l'insuline qui conduit au diabète. Mais chez l'humain, on ne sait pas encore si cette hormone joue le même rôle. Chaque jour, l'endocrinologue Patrice Perron rencontre des patients dont l'embonpoint favorise la résistance à l'insuline. Il connaît le combat silencieux qui oppose le pancréas au tissu adipeux. « Quelqu'un peut être résistant à l'insuline pendant des années et tant que son pancréas va sécréter suffisamment d'insuline, la glycémie va être normale et il ne développera pas le diabète, explique-t-il. Par contre, lorsque le pancréas commence à s'essouffler, c'est à ce moment-là que la glycémie commence à s'élever, en premier lieu après les repas, et par la suite à jeun, le matin. Lorsque les glycémies sont supérieures à sept, on fait le diagnostic de diabète. » On croit que 40 % des Américains et des Canadiens seraient résistants à l'insuline à cause de leur embonpoint. Et la population continue de grossir. Même si diabète et obésité vont de pair, ce ne sont pas tous les gens obèses qui deviendront diabétiques. Nous ne naissons pas tous égaux face à cette maladie. « En fait, il y a une grosse question de génétique, explique le docteur Perron, du Centre hospitalier de l'Université de Sherbrooke. Tout dépend de nos gènes. Si on a eu de bons gènes qui nous donnent un pancréas capable de sécréter suffisamment d'insuline pour vaincre la résistance des cellules, on ne deviendra pas diabétique. Mais si on a des gènes qui font que le pancréas a une faiblesse, en vieillissant, en gagnant du poids, en étant moins actif, le pancréas ne sera plus capable de sécréter suffisamment d'insuline et c'est là que le diabète va se déclarer. » Actuellement, environ 20 % des obèses sont diabétiques. Mais la proportion monte à 50 % chez les obèses qui ont un surpoids de plus de 50 kilos. Plus l'obésité est importante, plus le pancréas travaille fort et plus il risque de flancher. EMBONPOINT ET OBÉSITÉ Comment savoir si on souffre d'un excès de poids ? Les scientifiques utilisent la notion d'indice de masse corporelle (IMC) pour déterminer le poidssanté d'une personne. Pour calculer son indice de masse corporelle, il faut connaître son poids en kilos et sa taille en mètres. IMC = poids (kg)/taille x taille (m2) À cause de leur embonpoint, 40 % des Nord-Américains seraient résistants à Un IMC qui se situe entre 25 et 29,9 révèle un embonpoint. Au-dessus de 30, on parle d'obésité. Prenons l'exemple d'une personne qui mesure 1,90 m et pèse 130 kg. IMC = 130/(1,90)2 = 130/3,61 = 36 Son IMC de 36 indique qu'elle est obèse. Au Canada, 13 % des adultes sont obèses, 30 % font de l'embonpoint. Le docteur Paul Poirier est cardiologue. Et pourtant, dans sa clientèle, les diabétiques ne manquent pas. « C'est clair pour moi, un diabétique est considéré comme un cardiaque, affirme-t-il. Même s'il n'a jamais eu dans sa vie d'événements coronariens, même s'il n'a jamais consulté un cardiologue, c'est un cardiaque. » Certains médecins considèrent les diabétiques comme des cardiaques. En fait, les deux tiers des patients diabétiques vont mourir d'un problème cardiovasculaire. Le sucre en excès dans le sang ne reste pas inactif. Il se combine aux molécules qui forment la couche interne des gros vaisseaux sanguins. Cette couche se durcit, se fragilise, ce qui facilite l'incrustation du cholestérol et l'occlusion des vaisseaux. M. Boisvert l'a appris à ses dépens : « Le diabète, c'était un petit problème de sucre mais pas plus que ça. C'est comme ça que ça m'a été présenté d'ailleurs la première fois. Ce n'était pas plus grave que ça ». Il s'est retrouvé à l'hôpital avec de graves problèmes cardiaques qui ont nécessité plusieurs pontages. Pour le docteur Perron, il ne faut surtout pas minimiser la gravité du diabète. « Il faut bannir ce terme-là de “ petit diabète ”. Le diabète, c'est maintenant une maladie vasculaire. En exagérant, on pourrait dire que c'est le cancer des vaisseaux. » Le sucre en excès dans le sang se combine à la couche interne des vaisseaux. Cette couche se durcit et se fragilise. Le cholestérol s'y incruste, ce qui mène à l'occlusion des vaisseaux Le cancer des vaisseaux (2) Lorsqu'il y a trop de sucre dans le sang, les petits vaisseaux deviennent friables. Ils peuvent se boucher ou même éclater. Le cancer des vaisseaux. La formule fait peur. Et il y a de quoi. L'excès de sucre dans le sang n'attaque pas seulement les gros vaisseaux du cœur et du cerveau. Les molécules de sucre s'accrochent aussi aux parois minces des petits vaisseaux. Ces parois perdent de leur souplesse et deviennent de plus en plus friables, un peu comme la croûte du pain. Résultat : des vaisseaux se bouchent, d'autres éclatent. Le diabète est la première cause de dialyse en Amérique du Nord M. Rosaire Laurent a vu son diabète détruire les petits vaisseaux de ses reins. Ceux-ci ne peuvent plus filtrer son sang. Il doit maintenant se brancher à une machine trois fois par semaine. Pour lui, c'est une question de vie ou de mort. Le diabète est la première cause de cécité en Amérique du Nord La dialyse aussi pour M. Châteauneuf. Mais en plus, son diabète l'a rendu à moitié aveugle. Les petits vaisseaux ont endommagé la rétine de ses yeux. Pour cet ancien photographe, c'est un drame. Le diabète est la première cause d'amputation en Amérique du Nord. L'atteinte des petits vaisseaux peut aussi attaquer les nerfs. C'est pourquoi il faut porter une attention spéciale à la sensibilité des pieds. Les patients n'ont souvent pas conscience de la gravité d'une blessure. Jean-Maurice Martel a payé un lourd tribut au diabète : « Le médecin m'a dit : “ Ton orteil, c'est la gangrène qui est dedans. Il faut couper ça cet après-midi ! ” » Il a dû se faire amputer un bout de jambe. Aujourd'hui, il porte une orthèse. Ses yeux, son cœur sont aussi atteints. Contrôler son diabète Les enfants sont de moins en moins actifs, ce qui augmente leur risque d'avoir le diabète.