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INTRODUCTION
Représentation et Déprésentation
I. DESTRUCTION
La légitimité esthétique du concept d'iconoclasme
Si l'iconoclasme désigne avant tout la crise religieuse et théologique qui a
éclaté au début du VIIIème siècle et s'est propagée rapidement dans tout
l'empire byzantin, on peut, à la suite d'Alain Besançon1, y voir un concept
essentiel de l'histoire de l'art et comprendre alors l'impératif théologique de la
destruction physique des images comme une mise en question générale du
rapport de l'homme à la représentation. La notion d'iconoclasme, de ce point
de vue, reçoit une double légitimité :
1. Comme concept transhistorique inscrivant la négation au cœur même de
l'histoire des œuvres. La question est alors la suivante : comment l'art se
construit-il dialectiquement sur la base d'une critique de ses concepts
fondamentaux : représentation, image, picturalité ?
2. Comme concept spécifique caractérisant le XXème siècle, apogée de cette
histoire négative — ainsi le suprématisme de Malevitch selon Besançon — et
modèle historico-philosophique d'une destruction radicale alimentant
l'imaginaire contemporain2. L'art d'après-guerre a accentué ce paradoxe d'une
œuvre intériorisant sa propre négativité dans une réduplication infinie du
désastre3.
L'iconoclasme apparaît donc à la fois comme l'accomplissement d'une
entreprise spéculative remettant en cause la validité des codes de la
représentation, et comme une protestation esthétique devant l'événement
tragique de la destruction conduisant, notamment, à une crise de
l'humanisme4.
Qu'est-ce qui toutefois nous permet de recourir à la notion d'iconoclasme
pour qualifier le théâtre de Valère Novarina ? La seule crise de la
1L'image interdite, Une histoire intellectuelle de l'iconoclasme, Paris, Fayard, 1994.
2 On peut renvoyer sur ce point à l'étude que Georges Didi-Huberman a donnée de l'œuvre de Claudio
Parmiggiani, notamment dans son rapport à la catastrophe d'Hiroshima (Génie du non-lieu, Air, poussière,
empreinte, hantise, Paris, Minuit, 2001, p. 24-25).
3 La Delocazione de Parmiggiani est le paradigme d'une telle esthétique des ruines : “ Les Delocazioni ont été
pour moi des travaux vraiment iconoclastes. J'avais enlevé de la galerie les toiles elles-mêmes, ne présentant que
leur absence (presentando solo la loro asseza), des ombres de poussière et de fumée ” (G. Didi-Huberman, op.
cit., p. 53).
4 L'œuvre de Novarina est elle-même concernée par cette réflexion sur l'humanisme et par l'événement moderne
de la destruction : le nucléaire est un “ drame de la matière ”, déclare Jean-François dans Le Drame de la vie,
puis ajoutant : “ Un jour l'homme mangera sa matière et prendra fin ” (DDLV, p. 100). Voir aussi la déclaration
de l'Homme de Sapornéol, p. 100-101.