Premier épisode thymique : cas particulier de l’intervention dans la phase précoce des troubles bipolaires S75
des de dépersonnalisation, les troubles alimentaires dans
l’enfance, les difcultés scolaires, les retards d’acquisi-
tion du langage, des fonctions motrices et du développe-
ment social dans l’enfance, les aspects cyclothymiques
de la personnalité, et le tempérament ou la personnalité
hyperthymique.
Dans une étude récemment conduite sur un échantillon
de 22 patients présentant un premier épisode maniaque à
caractéristiques psychotiques, nous avons, au travers d’in-
terviews conduites avec les patients et leurs proches, cher-
ché à reconstituer la période des 12 mois qui avaient précédé
la survenue du premier épisode maniaque [7]. Nos résultats
nous ont permis de conrmer que tous les patients avaient
traversé une période de prodrome d’une durée moyenne de
22 semaines, caractérisée par la survenue de troubles du
sommeil, d’une labilité émotionnelle, d’une élévation de
l’humeur et de symptômes généraux comprenant irritabilité,
anxiété, sentiment de stress et diminution du fonctionne-
ment. Près de 40 % des patients avaient présenté des trou-
bles du développement ou des acquisitions dans l’enfance et
on relevait des signes d’inéchissement du fonctionnement
pré-morbide au début de l’adolescence. Soixante-six pour
cent des patients avaient une anamnèse familiale de trou-
bles psychiatriques, et 33 % un parent de premier degré
souffrant d’un trouble de l’humeur. Soixante-dix-huit pour
cent abusaient de substance, et 67 % avaient augmenté leur
consommation dans la phase des prodromes. Enn, 94 %
avaient été exposés à un événement traumatisant dans les
semaines précédant le premier épisode maniaque.
Bien que très limitée dans sa taille, cette étude suggère
que les patients qui vont développer un premier épisode
maniaque traversent une phase de modication de leur
fonctionnement mental, marquée par des symptômes thy-
miques, une modication du sommeil et une perturbation
du fonctionnement global. À elles seules, ces modications
sont trop peu spéciques pour poser un diagnostic de ris-
que ; leur survenue dans le contexte de certains facteurs
de risque (histoire familiale, histoire d’abus de substances)
ou marqueurs de vulnérabilité (histoire d’épisode dépressif
dans l’enfance, caractère hyperthymique, diminution pro-
gressive du niveau de fonctionnement depuis l’adoles-
cence, exposition récente à un événement traumatisant,
augmentation d’un abuse de substance préexistant) devrait
cependant faire évoquer la possibilité de ce diagnostic.
Diverses études sont cependant en cours, qui visent à
explorer la validité de certains proles cliniques ou de ques-
tionnaires visant à identier les patients à risque imminent
de développer un premier épisode maniaque, et le chemin à
parcourir est encore considérable avant qu’ils puissent être
utilisés dans la pratique clinique à large échelle.
Conclusions
Les arguments développés dans cet article montrent la
nécessité d’étendre les stratégies d’intervention précoce
aux troubles bipolaires, et l’importance de les adapter aux
caractéristiques particulières de cette maladie. Si le
concept du « prodrome initial des troubles bipolaires »
de symptômes, soit des modications de l’humeur (éléva-
tion de l’humeur ou instabilité de l’humeur), des troubles
du sommeil (perturbation du sommeil et diminution du
sommeil) et des symptômes généraux (irritabilité, colère,
augmentation de l’énergie, anxiété, diminution du fonc-
tionnement, augmentation de l’activité). Dans une étude
récente, Correll et al. [8] ont conrmé la présence d’un
prodrome précédant le premier épisode maniaque, mais
ont également mis en évidence, en comparant ces
patients avec des patients développant un premier épi-
sode schizophrénique, qu’aucune des caractéristiques
cliniques ne permettait de différencier le prodrome bipo-
laire du prodrome schizophrénique.
Prenant en compte ces éléments, nous avons recherché
dans la littérature des éléments complémentaires qui per-
mettraient d’enrichir le diagnostic et d’en augmenter la
spécicité. Nous avons alors recensé dans la littérature
deux ensembles de caractéristiques, qui se dénissent
comme suit :
Facteurs de risque :• dans le contexte théorique du
modèle vulnérabilité-stress, on considère que certains
facteurs de stress peuvent déclencher la maladie lorsqu’ils
surviennent chez une personne qui présente un certain
degré de vulnérabilité à développer ce trouble. Les fac-
teurs de risque ne sont donc pas des manifestations pré-
coces de la maladie, mais plutôt des caractéristiques que
l’on retrouve plus fréquemment dans l’histoire des
patients atteints par la maladie que dans la population
générale, ou dont il a été prouvé qu’il conserve un risque
plus élevé de développer la maladie. Parmi ceux-ci, on
relève la présence d’une histoire familiale de trouble
bipolaire, la présence de complications obstétricales, la
survenue d’un traumatisme cérébral périnatal ou dans
l’enfance, une histoire d’abus de substances, une histoire
d’abus physiques ou sexuels dans l’enfance, l’exposition
à un facteur de stress majeur, tel que par exemple le
décès d’un proche, en particulier par suicide. Bien que le
mécanisme qui lie la survenue de ces événements, et que
le développement ultérieur d’un trouble bipolaire n’ait
pas pu être établi, il ressort encore une fois de la littéra-
ture qu’il existe une association entre eux et le dévelop-
pement ultérieur d’un trouble bipolaire.
Marqueurs de vulnérabilité :• par marqueurs de vulnéra-
bilité, on entend la présence de caractéristiques dévelop-
pementales, comportementales ou de personnalité, qui
ont été rapportées comme étant fréquemment observées
dans l’histoire de vie des patients bipolaires. Ils pour-
raient être des manifestations précoces du trouble bipo-
laire, mais ils ne se présentent pas clairement comme des
symptômes atténués d’un trouble bipolaire, et n’ont pas
clairement été prouvés qu’en étant des manifestations
précoces du trouble. Jusqu’à ce que ceci soit éventuelle-
ment fait, nous estimons donc qu’il est plus adapté de les
considérer comme des marqueurs de vulnérabilité. Parmi
ceux-ci, on retient les problèmes d’attention dans l’en-
fance, les troubles des conduites dans l’enfance (troubles
du comportement), les troubles hystériformes, les épiso-