
Enquête sur la prise en charge des patients dépressifs en soins primaires D75
Introduction
Avec 12 millions de consultations, les troubles mentaux
constituent le deuxième poste de dépenses de soins (10,6 %)
derrière les maladies cardiovasculaires [13]. La dépression
occupe une place importante en France dans ce cadre, avec
un nombre de consultations pour dépression ayant donné
lieu à un traitement de 163 sur 1000, plus élevé qu’au
Royaume-Uni (155 sur 1000) et en Allemagne (85 sur 1000)
[27,23].
Selon la Haute Autorité de santé (HAS), un avis psy-
chiatrique est recommandé dans la prise en charge des
dépressions en cas de comorbidités, de complication évo-
lutive «ou à n’importe quel moment de la prise en charge
si le patient en fait le souhaite »[6]. Le traitement devrait
associer des mesures non médicamenteuses (information,
relation d’aide, psychothérapies, hospitalisation si besoin)
et des médicaments psychotropes, principalement les anti-
dépresseurs. Toutefois, la prise en charge en pratique de
ces patients est loin d’être optimale : non-respect des
indications autorisées ou de la durée de prescription des
antidépresseurs, sur-prescription [1,6] ; certains patients
dépressifs ne seraient pas traités, d’autres patients le
seraient à tort [41] ; les psychothérapies seraient sous-
utilisées [31].
Les causes de ces dysfonctionnements semblent mul-
tiples : demandes des patients, pression sociale, manque
de formation des médecins, démographie médicale défa-
vorable ; ces causes impliquent les différents acteurs
du système de soins [12,31]. La consommation éle-
vée de médicaments psychotropes [33] et en particulier
d’antidépresseurs [10,24,39] semble au moins en partie
imputable aux pressions exercées par l’industrie pharma-
ceutique [19]. Toutefois, la prise en charge de ces patients
peut aussi relever de difficultés d’organisation et de particu-
larités du système de soins [35] et dans les pratiques de soins
primaires [36], puisque les généralistes sont les principaux
acteurs de prise en charge de ces patients [25]. La percep-
tion de ces difficultés ou insuffisances par les intéressés est
un préalable à toute recherche de solution.
Le but de ce travail était d’identifier les difficultés
perc¸ues par les médecins généralistes en France dans la
prise en charge des patients dépressifs et de leur deman-
der quelles solutions ils envisagent pour améliorer cette
situation.
Méthodes
Un questionnaire standardisé a été envoyé par voie pos-
tale à tous les médecins généralistes installés dans les
régions de Basse-Normandie, Haute-Normandie, Picardie et
Nord—Pas-de-Calais1. Ce questionnaire portait sur les obs-
tacles perc¸us aux soins du patient dépressif, les facteurs
pouvant influencer l’utilisation des services concernés, les
problèmes perc¸us en cas d’avis spécialisé jugé nécessaire,
dans les situations urgentes ou non, les thérapeutiques uti-
lisées et le recours aux autres professionnels. Par ailleurs,
1Nous remercions tous les médecins ayant répondu au question-
naire.
des données démographiques et relatives aux connaissances
en psychiatrie des médecins étaient recueillies. Ce ques-
tionnaire était adapté d’une enquête similaire réalisée en
Grande Bretagne [38] (Annexe 1) après un test sur quelques
médecins. Sur le plan statistique, les différents items ont été
comparés selon les régions et les caractéristiques des méde-
cins : âge et genre, niveau d’activité (moins de 25 patients,
de 25 à 35 patients et plus de 35 patients par jour) et
formation déclarée en psychiatrie (diplôme et formation
continue) ; les différences éventuelles ont été analysées par
le test du Chi2au seuil de signification de 1 %, compte tenu
du nombre de tests réalisés. Des tests ajustés sur l’âge et le
genre ont été effectués pour tenir compte de ces facteurs
de confusion. La saisie et l’analyse statistique ont été effec-
tuées sur le logiciel «Epi-Info ». Afin de présenter au mieux
les situations les plus frappantes et pour des raisons de lisibi-
lité, nous avons décidé de regrouper les réponses indiquant
une situation très fréquente (comme «toujours »et «très
souvent ») comparés aux autres cas de réponse («jamais »,
«parfois »et «souvent ») de la même fac¸on que l’étude de
Telford et Hutchinson [38].
L’analyse de la question libre2a été effectuée, selon les
règles de l’analyse qualitative [29], par région puis de fac¸on
globale. Ce type d’analyse, sans but statistique, a une valeur
explicative et compréhensive des problèmes identifiés et
des solutions proposées. Les réponses ont toutes été colli-
gées, codées puis classées par catégories, lesquelles ont été
formées au fur et à mesure du recueil, de fac¸on inductive.
Résultats
Sur 8709 questionnaires envoyés aux médecins, 2118 ont
été retournés et 2097 étaient exploitables, soit un taux
de 24,3 %. Les caractéristiques des médecins de l’enquête
(âge médian 52 ans, 76,2 % d’hommes, installation depuis
21 ans en moyenne) ne différaient pas notablement de celles
fournies par les Urcam des quatre régions (Tableau 1).
Concernant l’activité quotidienne, 27,4 % des médecins
déclaraient voir moins de 25 patients, 49,9 % de 25 à
35 patients et 20,4 % plus de 35 patients. La participation
à une formation médicale continue sur la dépression était
déclarée par 46,4 %, et 28,6 % connaissaient l’existence de
guides de pratique clinique pour la dépression, plus sou-
vent les médecins de moins de 50 ans (33,6 %, p< 0,006).
Par ailleurs, 8 % avaient suivi une formation diplômante
en psychiatrie en complément de leur cursus de médecine
générale, plus souvent les médecins après 50 ans (10,7 %,
p< 0,005) et 18 % en avaient l’expérience clinique lors d’un
stage, la plupart en formation initiale.
Concernant les difficultés perc¸ues pour les soins
des patients dépressifs (Tableau 2), venaient en tête
l’insuffisance des services spécialisés, attestée par 47,3 %
d’entre eux (plus souvent pour les femmes médecins 53,5 %
contre 43,6 %, p< 0,009) et les difficultés d’accès à ces ser-
vices, (47,2 %) (moins souvent pour les médecins de 55 ans
et plus (40,7 %, contre 50 % pour les classes d’âge infé-
rieures, p< 0,00007). Les médecins formés en psychiatrie
étaient moins nombreux à considérer les formes sévères
2Voir Annexe 1.