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L’Encéphale (2010) 36, 253—259
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
PSYCHOPATHOLOGIE
Psychopathie et troubles de la personnalité associés :
recherche d’un effet particulier au trouble
borderline ?
Psychopathy and associated personality disorders: Searching for a
particular effect of the borderline personality disorder?
A. Nioche a, T.H. Pham b, C. Ducro b,a, C. de Beaurepaire c,
L. Chudzik a, R. Courtois a, C. Réveillère a,∗
a
EA 2114, UFR d’arts et sciences humaines, département de psychologie,
université François-Rabelais, 3, rue des Tanneurs, BP 4103, 37041 Tours cedex 1, France
b
Université de Mons-Hainaut, CRDS, Tournai, Belgique
c
SMPR Fresnes, centre hospitalier Paul-Guiraud, Villejuif, France
Reçu le 18 août 2008 ; accepté le 16 juillet 2009
Disponible sur Internet le 26 septembre 2009
MOTS CLÉS
Psychopathie ;
Troubles de la
personnalité ;
Trouble de la
personnalité
borderline ;
PCL-R ;
SCID-II
∗
Résumé Cette étude se propose d’évaluer les relations entre les troubles de la personnalité
et la psychopathie. Un regard particulier sera porté sur le trouble borderline vu son implication
pour la prise en charge. L’hypothèse générale est qu’il existe des liens entre la psychopathie et
la présence d’autres troubles de la personnalité, principalement de l’axe II cluster B (narcissique, antisocial, histrionique, borderline) et parmi ceux-ci un lien particulier avec le trouble
de la personnalité borderline. La population est composée de 80 détenus adultes de sexe masculin (âge : M = 31,48 ans ; SD = 11,06). Les outils d’évaluation sont : la PCL-R [Hare, RD. The
Hare psychopathy checklist-revised manual. Toronto: Multi-Health System Inc; 2003], le SCID-II
[J Personal Disord 9 (1995) 83—91], le MINI [Lecrubier Y, Weiller E, Hergueta T, et al. MINI, Mini
International Neuropsychiatric Interview. French Version; 1998] et la WAIS-III [Eur Rev Appl Psychol 4 (2001) 437—41]. Nos résultats suggèrent que les troubles narcissique et antisocial sont
positivement associés à la PCL-R (score global, facteurs 1 et 2, ces deux derniers représentant les dimensions interpersonnelle et comportementale de la psychopathie) ; un lien avec le
trouble paranoïaque est aussi apparu (cluster A). Le trouble borderline est seulement associé au
score global et au facteur 2. Les régressions linéaires multiples (procédure Stepwise) suggèrent
que les diagnostics de personnalités antisociale et paranoïaque ont un effet sur le score total à
la PCL-R et le facteur 2. Les troubles de personnalités antisociale et narcissique ont un impact
sur le facteur 1. Contrairement à ce qui était attendu, et bien que corrélée au score total à la
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (C. Réveillère).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2009.07.004
254
A. Nioche et al.
PCL-R et au facteur 2, la personnalité borderline ne prédit significativement ni le score total ni
celui de chaque facteur de la PCL-R. Ces résultats suggèrent qu’impulsions et caractéristiques
antisociales (facteur 2), narcissiques et paranoïaques sont essentielles à repérer.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
KEYWORDS
Psychopathy;
Personality disorders;
Borderline;
PCL-R;
SCID-II
Summary
Introduction. — Recent clinical and empirical works are based on Cleckley’s clinical observations
in which psychopathy is viewed as a personality disorder, characterised by a lack of emotions,
callousness, unreliability and superficiality. Hare operationalised Cleckley’s concept of psychopathy by developing the Psychopathy Checklist-Revised composed of 20 items that load on two
factors in majority: factor 1 (personality aspects of psychopathy) and factor 2 (behavioural
manifestations), close to the antisocial personality disorder (DSM-IV criteria). Comorbidity is
strong with antisocial personality disorder but also with histrionic, narcissistic and borderline
disorders.
Objectives. — As results of categorical studies relative to comorbidity suggest a strong comorbidity between psychopathy and other personality disorders, and particularly cluster B disorders
(axis II, DSM-IV), this study assesses the relationships between psychopathy (dimensional
approach) and personality disorders (categorical approach) and particularly with the borderline
personality disorder. The aim of this study is also to underline the complementarity of categorical (SCID-II) and dimensional approaches (PCL-R), and the utility of the standardised clinical
examination.
Design of the study. — We hypothesised positive associations between psychopathy and other
personality disorders, mainly with the cluster B axis II (narcissistic, antisocial, histrionic, and
borderline). Among those disorders, a particular link exists with the borderline personality disorder, considering that their association may attenuate the pathological level of the psychopathy.
The sample included 80 male inmates from French prisons (age: M = 31.48; SD = 11.06). Each
participant was evaluated with the PCL-R to assess the level of psychopathy and the SCID-II to
assess the possible presence of personality disorders. The MINI and the WAIS-III were used to
exclude respectively those who presented an axis I comorbidity (mood disorders and psychotic
disorders established at the moment of the testing), or a backwardness (IQ < 70). Correlations
and multiple linear regressions analysis (with the Stepwise procedure) were used to analyse the
data.
Results. — As expected, the results suggested positive correlations between narcissistic,
antisocial personalities and scores of psychopathy (from 0.36 to 0.63); paranoid personality
was less expected (from 0.32 to 0.47). Borderline personality was associated with both the
total score of psychopathy (0.24) and the score of factor 2 (0.30). Linear regression analysis
revealed that the antisocial and paranoid personalities predicted the total score (R2 = 38%) and
the factor 2 (R2 = 45%) of the PCL-R. Antisocial and narcissistic personalities predicted factor 1
(R2 = 22%). However, in the different models, contrary as predicted, the borderline personality
was not a significant predictor.
Conclusion. — First, these results underline the importance of impulsivity above all for the
cluster B personality disorders and secondly, the importance of considering impulsivity with
antisocial (factor 2), narcissistic and paranoid characteristics. Moreover, because of the transversality of impulsivity, the literature outlined the cross-over between cluster B disorders
and psychopathy. These different studies could have important clinical consequences (risk
of violence, therapeutic indications and forecast). These results also emphasize the necessity of standardised examinations. Implications for treatment are outlined: the treatment may
be adapted according to the comorbidities having an effect on psychopathy that is antisocial
with paranoid personalities, and antisocial with narcissistic personalities.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Les travaux récents, cliniques et empiriques sur la
psychopathie [16,30] ont pour base les observations cliniques de Cleckley [4]. Pour celui-ci, la psychopathie est
un trouble de la personnalité présentant l’association des
caractéristiques suivantes :
• une manque de sensibilité aux relations interpersonnelles
et aux réactions affectives ;
• une superficialité ; égocentrisme pathologique ;
• une absence de capacité d’introspection, de remords et
d’anxiété ;
• une présence de comportements antisociaux.
Dans le cadre de sa démarche de validation diagnostique, à partir d’une approche dimensionnelle, Hare s’est
attaché à opérationnaliser le concept de psychopathie en
développant la PCL-R (Psychopathy Checklist-Revised [16]).
Vingt critères caractérisent ce diagnostic, ils sont répartis
Psychopathie et troubles de la personnalité associés
en deux facteurs définissant pour l’un des traits de personnalité spécifiques (facteur 1 : narcissisme pathologique,
détachement émotionnel etc.) et pour l’autre les comportements antisociaux et impulsifs (facteur 2) [16]. Le facteur
1, relatif à des traits de personnalité caractéristiques de
la psychopathie, a une certaine stabilité et représente
le noyau dur [22,30] et essentiel [28] de la psychopathie
. Le facteur 2 a trait à la composante comportementale
proche du trouble antisocial du DSM-IV [1] (unique prise en
compte des comportements criminels et antisociaux) [22].
Pour Pham et Côté [30] cette « entité clinique distincte
caractérisée par un fonctionnement antisocial et des traits
de personnalité ». . . « définirait l’essence même du sujet
antisocial (p.21) ». En dépit de la validité psychométrique
de ces travaux en langues anglaise [16] et française [5,30],
la délimitation et spécificité diagnostiques de la psychopathie demeurent toutefois controversées [22]. Deux types de
travaux questionnent l’entité psychopathique : ceux qui ont
étudié ses composantes internes (recherche de sous-types)
et ceux qui précisent ses liens avec d’autres troubles de
personnalité (comorbidité).
En ce qui concerne les travaux relatifs aux composantes
internes, différents auteurs évoquent l’hétérogénéité du
concept de psychopathie. Par exemple, quatre sous-types
de psychopathie ont été mis en évidence [27] : narcissique, borderline, sadique et antisocial. Ces psychopathes
présentent le même noyau de caractéristiques au niveau
personnalité mais peuvent manifester des variabilités dans
leur comportement. Aussi, les psychopathes borderline
seraient plus labiles et impulsifs. D’autres études se sont
attachées à décrire des variantes primaire et secondaire de
la psychopathie [36,37]. Chez les psychopathes primaires,
la violence serait plus intense et le narcissisme y serait
plus souvent lié alors que les psychopathes secondaires
se distingueraient par la présence d’anxiété-trait. Ils
auraient moins de traits psychopathiques et davantage de
caractéristiques de la personnalité borderline. De plus,
les psychopathes secondaires tendraient à avoir le même
niveau de comportements antisociaux, mais répondraient
plus favorablement au traitement. Chacune de ces variantes
aurait une étiologie différente. Ainsi, la psychopathie primaire reflèterait davantage les influences génétiques alors
qu’il s’agirait plutôt des influences environnementales pour
la psychopathie secondaire.
Les résultats de travaux de type catégoriel relatif à la
comorbidité soulignent une forte comorbidité de la psychopathie avec d’autres troubles de personnalité. Ainsi,
cela questionne les frontières de la psychopathie et sa particularité. Soixante pour cent de la population carcérale
présentent des troubles de la personnalité, particulièrement
du cluster B de l’axe II du DSM-IV (histrionique, narcissique,
borderline et antisocial) et parmi ceux-ci les troubles antisocial et borderline sont les plus fréquents [11]. Aussi, la
comorbidité est forte non seulement pour la personnalité
antisociale (axe II du DSM IV), mais également pour d’autres
troubles de l’axe II : histrionique, narcissique et borderline
[16,18,40]. En raison de la transversalité de l’impulsivité, la
littérature a déjà souligné le recouvrement des troubles du
cluster B avec la psychopathie [24,37].
Ces différents travaux ont des conséquences cliniques
importantes et convergentes en termes de manifestations
différentielles du risque de violence, d’indications théra-
255
peutiques adaptées et de pronostics ; d’où l’importance de
repérer ces tableaux distinctifs [34]. En effet, la comorbidité complique l’évolution psychopathologique en général
[32] et majore le risque d’un passage à l’acte notamment chez les psychopathes [8]. De plus, la capacité à
éprouver des émotions sur un mode douloureux serait en
faveur d’un pronostic plus ouvert. Cela émane de connaissances issues de l’expérience clinique et expertale, en
général d’inspiration psychanalytique [19,25], mettant en
avant que le pronostic psychothérapeutique est meilleur
pour les sujets psychopathes si certaines caractéristiques
de type borderline sont présentes : sensibilité anxiodépressive, capacité à avoir accès à un sentiment de culpabilité et
à initier une relation, capacité d’attachement. Même si ces
caractéristiques s’expriment le plus souvent avec la labilité
typique du fonctionnement borderline, elles peuvent néanmoins donner prise à une possibilité d’alliance relationnelle
exploitable à des fins thérapeutiques. Il est donc essentiel
de les repérer. Le trouble psychopathique et le trouble borderline entretiendraient donc une relation particulière, leur
association n’étant pas nécessairement un signe de gravité
psychopathologique [20,27].
L’objectif de cette étude est d’évaluer l’impact des
troubles de la personnalité définis par l’axe II du DSM-IV
(approche catégorielle) associés à celui de psychopathie
tel que définie par la PCL-R (approche dimensionnelle) et
d’envisager plus particulièrement l’impact du trouble borderline. En outre, ce travail a aussi pour objectif de montrer
l’intérêt de la complémentarité d’une approche catégorielle et dimensionnelle et ce à partir d’une démarche
d’évaluation clinique standardisée utilisable à la fois dans
une perspective de recherche et de pratique clinique auprès
de la population carcérale. Les hypothèses étant, (H1) qu’il
existerait un lien entre la psychopathie évaluée sur un mode
dimensionnel (PCL-R) et la présence d’autres troubles de la
personnalité, notamment parmi les troubles de l’axe II cluster B histrionique, narcissique, et antisocial : plus le score de
psychopathie (PCL-R) augmente, plus le lien serait élevé ;
(H2) un lien particulier relierait le score de psychopathie
au trouble borderline : il serait positif entre le score global et celui du facteur 2 (poids des conduites antisociales
et de l’impulsivité) et absent, voire inverse avec celui du
facteur 1 (abaissement du score en raison du poids de la
présence de caractéristiques borderline de type : réactivité
émotionnelle, capacité furtive d’attachement).
Méthode
Population
Notre recherche comprend 80 sujets détenus et condamnés de sexe masculin (âge : M = 31,48 ; SD = 11,06) incarcérés
en maisons d’arrêt de la région centre et de la région
parisienne. Aucun des sujets n’avait un QI inférieur à 70
(M = 98,99 ; SD = 11,37 ; n = 74).
Procédure
Le niveau de psychopathie (PCL-R [16]) et les troubles de
la personnalité du DSM-IV [1] (SCID-II [12]) ont été évalués
pour chaque participant. Le MINI [21] et la WAIS (version
256
courte selon la méthode Silverstein [15]) ont été utilisés
afin d’exclure respectivement les sujets présentant une
comorbidité axe I (troubles de l’humeur et troubles psychotiques avérés au moment de la passation des tests) ou
un retard mental (QI < 70). L’examen comportait également
une échelle d’évaluation structurée du risque et de gestion
de récidive (HCR-20 [39]), dont l’exploitation des résultats
fera l’objet d’un autre travail.
Chaque participant était volontaire et a signé une
feuille de consentement éclairé précisant l’objectif de
la recherche, la garantie de l’anonymat et le fait qu’il
n’y aurait pas de retour individuel des résultats obtenus. La passation s’est effectuée en deux ou trois séances
d’environ deux heures chacune (durée moyenne de passation d’environ quatre heures). Ces évaluations ont été
menées par deux personnes (A. Nioche, une doctorante) et
(I. Chevrier, D.E.A.) formées à la passation et l’exploitation
de la PCL-R par le centre de recherche en défense sociale
(T.H. Pham). Les résultats partiels de ces travaux ont déjà
donné lieu à une publication [29].
Instruments
La PCL-R : Psychopathy Checklist-Revised [16]
La PCL-R (version française [5,6,28]) est une échelle
semi-structurée qui permet une évaluation clinique et
comportementale de la psychopathie par l’obtention d’un
score global et de deux facteurs (facteur 1 : caractéristiques
narcissiques et hystériques, détachement et absence de
détresse émotionnelle, égocentricité, dureté, absence de
remords) ; facteur 2 : comportements antisociaux et faiblesse de contrôle, irresponsabilité, impulsivité, recherche
de sensations). Le résultat varie entre 0 et 40.
Le SCID-II : Structured Clinical Interview for Disorders II
[12]
Le SCID-II est un entretien semi-structuré permettant
d’évaluer les troubles de la personnalité selon le DSMIV [1]. Un questionnaire est utilisé avant la passation de
l’entretien clinique semi-structuré afin d’orienter celui-ci
sur les diagnostics à approfondir (qui sont donc identifiés
par le questionnaire).
Le MINI : Mini International Neuropsychiatric Interview
[21]
Le MINI explore de façon standardisée les principaux
troubles psychiatriques de l’axe I du DSM-IV [1] : troubles
anxieux, troubles de l’humeur, troubles psychotiques,
troubles addictifs, etc. Tous les troubles ont été évalués.
La passation est structurée.
La WAIS-III : Weschler Adult Intelligence Scale, version
courte selon la méthode de Silverstein [15]
Cette version est la version abrégée de la WAIS-III selon la
méthode Silverstein qui utilise les sub-tests des cubes et
celui du vocabulaire pour l’estimation du QI.
A. Nioche et al.
Tableau 1 Fréquence des troubles de l’axe II en
pourcentage.
Personnalité Axe II (n = 80)
n
%
Évitante
Dépendante
Obsessionnelle-compulsive
Négativiste
Dépressive
Paranoïaque
Schizotypique
Schizoïde
Histrionique
Narcissique
Borderline
Antisociale
7
7
8
2
17
20
1
2
2
19
28
43
8,8
8,8
10
2,5
21,3
25
1,3
2,5
2,5
23,8
35
53,8
troubles de la personnalité de l’axe II du DSM-IV et le
niveau de psychopathie (score total, facteur 1, facteur 2).
Plus précisément, les corrélations de type point bisérial ont
été effectuées entre chaque score de psychopathie et chacun des troubles de l’axe II en termes de présence de ces
troubles. À partir des troubles qui se sont révélés en lien
avec le score de psychopathie, nous avons, dans un second
temps, procédé à des régressions linéaires multiples (Stepwise) afin de mesurer l’impact spécifique des troubles de la
personnalité sur les scores de psychopathie à la PCL-R (score
total, facteur 1, facteur 2). Les analyses ont été effectuées
avec le logiciel SPSS 13.0. Les troubles de la personnalité
de l’axe II dont l’effectif est inférieur à 5 ne sont pas intégrés dans la présentation des résultats : négativiste (n = 2),
schizotypique (n = 1), schizoïde (n = 2) et histrionique (n = 2).
Résultats
Résultats descriptifs
Sur la population de l’étude, la moyenne du score total à
la PCL-R se situe à un niveau moyen (M = 20,33 ; SD = 9,70).
La moyenne du score pour la dimension narcissique et de
détachement émotionnel (facteur 1) est de 8,86 (SD = 4,88)
et pour la dimension comportementale (facteur 2) de
9,85 (SD = 4,89). En ce qui concerne les troubles de la personnalité, excepté pour le trouble histrionique, les troubles
du cluster B sont les plus fréquents. En effet, les fréquences
pour les troubles selon les clusters sont de 65 % pour le cluster B, 29% pour le cluster A, et 21 % pour le cluster C. Le
Tableau 1 présente en détail la fréquence des troubles de
l’axe II.
Sur la population totale (n = 80), 23 sujets ne présentaient
pas de trouble de l’axe II, 20 sujets ne présentaient qu’un
trouble de l’axe II et 37 sujets présentaient deux troubles
de l’axe II ou plus (respectivement 12 : 2 ; 13 : 3 ; 8 : 4 ; 3 : 5
et 1 : 7).
Analyse des données statistiques
Relations entre les scores de psychopathie et les
troubles de la personnalité de l’axe II
Dans un premier temps, l’analyse des coefficients de corrélation de Pearson a permis d’évaluer le lien entre les
Conformément à ce qui était attendu dans l’hypothèse 1,
les troubles de la personnalité narcissique et antisociale de
Psychopathie et troubles de la personnalité associés
Tableau 2
257
Corrélations entre le score total à la PCL-R, les facteurs 1 et 2 et les troubles de l’axe II.
Personnalité Axe II (n = 80)
n
Score PCL-R
Score facteur 1
Score facteur 2
Évitante
Dépendante
Obsessionnelle-compulsive
Dépressive
Paranoïaque
Narcissique
Borderline
Antisociale
7
7
8
17
20
19
28
43
−0,06
−0,13
0,11
0,01
0,44**
0,40**
0,24*
0,58**
−0,03
−0,12
0,13
−0,06
0,32**
0,36**
0,12
0,41**
−0,06
−0,07
0,10
0,09
0,47**
0,35**
0,29**
0,63**
**p < 0,01 ; *p < 0,05.
Tableau 3
Régressions linéaires multiples entre le score total à la PCL-R, les facteurs 1 et 2 et les troubles de l’axe II (n = 80).
Model
Axe II
PCL-R
Bêta
Std. error
t
Sig.
R2
1
2
Antisocial
Antisocial
Paranoïaque
Axe II
Antisocial
Antisocial
Narcissique
Axe II
Antisocial
Antisocial
Paranoïaque
Total
0,58
0,48
0,24
Bêta
0,41
0,32
0,23
Bêta
0,63
0,52
0,25
1,77
1,89
2,17
Std. error
1,00
1,06
1,25
Std. error
0,85
0,90
1,04
6,42
4,97
2,47
t
4,07
2,97
2,10
t
7,20
5,66
2,73
0,00
0,00
0,01
Sig.
0,00
0,00
0,03
Sig.
0,00
0,00
0,00
0,33
0,37
R2
0,17
0,22
R2
0,40
0,45
-
Model
1
2
Model
1
2
Facteur
1
Facteur
2
l’axe II (cluster B) sont positivement corrélés au score total
de la PCL-R ainsi qu’aux scores des facteurs 1 et 2. Toutefois, on relève aussi une corrélation positive avec le trouble
paranoïaque (cluster A). Ces trois troubles de personnalité sont positivement associés aux scores de psychopathie
et particulièrement aux caractéristiques narcissiques et de
détachement émotionnel (facteur 1) ainsi qu’aux comportements antisociaux et impulsifs (facteur 2) (Tableau 2).
Concernant l’hypothèse 2, comme attendu, le diagnostic de personnalité borderline est corrélé positivement au
score total de la PCL-R, à celui du facteur 2 et pas à celui
du facteur 1. C’est donc sur les composantes de comportements antisociaux et impulsifs (facteur 2) que s’établit
le lien entre les troubles borderline et psychopathique et
non sur les composantes de narcissisme pathologique et
de détachement émotionnel (facteur 1) sans pour autant
que ces dernières soient suffisamment contrastées entre
les deux troubles pour qu’un lien négatif soit significatif.
L’hypothèse 2 n’est que partiellement confirmée (le lien
inverse n’apparaît pas), nous pouvons juste retenir que plus
un sujet délinquant présentera un trouble de la personnalité
borderline, plus le niveau global de psychopathie et plus particulièrement les comportements antisociaux et impulsifs
seront élevés.
Enfin, afin, d’affiner les résultats, nous avons recherché
quels étaient les diagnostics les plus prédictifs des scores
PCL-R en effectuant des régressions multiples (procédure
Stepwise) afin d’éliminer pour chaque modèle les diagnostics non significativement prédictifs. Le Tableau 3 montre
que ce sont les diagnostics de personnalité antisociale et
paranoïaque qui sont les plus prédictifs du score global
(38 % de variance expliquée) ainsi que du facteur 2 (45 %
de variance expliquée). Les troubles de personnalité antisociale et narcissique prédisent le facteur 1 (22 % de variance
expliquée). En revanche, le trouble borderline n’est repris
dans aucun modèle afin de prédire le score total ainsi que
les facteurs 1 et 2 de la PCL-R.
Discussion
À notre connaissance, cette étude constitue la première
évaluation convergente entre la psychopathie selon la PCLR et les troubles de la personnalité du DSM-IV auprès d’une
population carcérale française.
De manière attendue et en congruence avec la littérature, les troubles de la personnalité antisociale et
narcissique (cluster B) sont significativement associés aux
scores de psychopathie [9,16,40]. Les corrélations positives
entre le trouble paranoïaque (cluster A) et les scores de psychopathie l’étaient moins. On trouve néanmoins quelques
études rapportant des corrélations supérieures à 0,30 entre
le diagnostic de personnalité paranoïaque et le score total
de la PCL-R [17,18,35]. D’autres études soulignent également la comorbidité entre les troubles paranoïaque et
antisocial [2]. La personnalité paranoïaque se manifeste
par un « ensemble de stratégies interactives où les évènements présents réalimentent régulièrement la pathologie
et aggravent la situation sociale (p. 331)» [10]. La méfiance
et l’interprétation sont au premier plan et ces sujets sont
tournés vers le combat. L’hypervigilance et les réactions
de colère, les relations sociales complexes et difficiles et
258
la rétention des affects (domaine redouté car renvoyant
à la faiblesse), qui explosent de façon excessive sur un
mode obsessionnel, sont aussi à souligner. Ces sujets présentent en général une image forte d’eux-mêmes, masquant
en fait une fragilité du Moi et de l’Estime de soi (attitude orgueilleuse protégeant des tendances dépressives)
[10]. Aussi, nous pouvons nous demander si les caractéristiques paranoïaques apparues chez les détenus traduisent
une caractéristique de personnalité (donc stable) ou s’il
s’agit davantage de caractéristiques réactionnelles à valeur
défensive vis-à-vis du contexte carcéral (certains sujets
ayant passé de nombreuses années d’affilée ou bien cumulées en prison, contexte qui provoquerait un véritable
stress et choc, conséquences de l’enfermement, de la perte
des repères, de la promiscuité et peur des autres, des
ruptures. . .). Ainsi, face à ce contexte carcéral aversif, certains développeraient, à des fins adaptatives, des stratégies
paranoïaques alors que d’autres plus vulnérables, développeraient une dépression d’« adaptation » [8].
Nos résultats mettent en évidence que la comorbidité
des personnalités antisociale et paranoïaque, d’une part,
et antisociale et narcissique, d’autre part, ont un impact
particulier en augmentant considérablement le niveau de
psychopathie (score total PCL-R) ainsi que les comportements antisociaux et impulsifs (facteur 2) pour le premier
type de comorbidité et le narcissisme et détachement émotionnel (facteur 1) pour le second type. Concernant la
comorbidité des personnalités narcissique et antisociale,
nous aurions pu nous attendre aussi à un effet sur le score
total, mais celle-ci n’a d’impact que sur le facteur 1. Cela
va tout de même dans le sens de la littérature sur les liens
entre ces personnalités et ce facteur.
Le trouble borderline est en lien avec la psychopathie
(PCL-R) et notamment sa composante comportementale
(facteur 2). Cela n’est pas étonnant et peut s’expliquer
au vu des caractéristiques des patients borderline dans
ce domaine comme l’imprévisibilité, l’explosivité et/ou
l’opposition [7]. Ces résultats soulignent aussi toute
l’importance de l’impulsivité surtout pour les troubles du
cluster B [13]. Toutefois, la partie de l’hypothèse postulant
un lien inverse entre le trouble borderline et les
composantes de narcissisme pathologique et de détachement émotionnel de la psychopathie (facteur 1)
est infirmée. Cela questionne la connaissance issue de
l’expérience, d’observation et d’intuition cliniques, mettant en avant que la présence d’une certaine complexité
psychique (sensibilité anxiodépressive, culpabilité, sensibilité à l’attachement) serait un indicateur de moindre
gravité psychopathique et d’un meilleur pronostic thérapeutique. Impulsions et caractéristiques antisociales (facteur
2), narcissiques et paranoïaques sont en effet essentielles à
repérer car, d’une part, principalement associées à la gravité psychopathique et, d’autre part, comme le montrent de
nombreux travaux, aux troubles addictifs [31,38]. Associés
aux troubles psychiatriques majeurs, ils posent la question
du double diagnostic [8] chez les sujets récemment incarcérés notamment (le milieu carcéral devant empêcher ce
genre de consommation). Cela souligne l’intérêt d’évaluer
les comorbidités entre la psychopathie et les troubles de la
personnalité à partir d’un examen clinique standardisé. Cela
montre aussi l’apport de la complémentarité du catégoriel
(SCID-II) et du dimensionnel pour la psychopathie évaluée
A. Nioche et al.
avec la PCL-R et cela en ne se limitant pas au score global de la PCL-R mais également à ceux du facteur 1 et
surtout du facteur 2 (impulsivité). Dans ce sens, la délimitation diagnostique catégorielle est affinée par l’approche
dimensionnelle ce qui s’avère utile pour orienter la prise en
charge. Cela va dans le sens des idées de différents auteurs
[14,33].
L’impulsivité est commune aux troubles du cluster B.
Les traitements reconnus comme efficaces en permettant
un meilleur contrôle des comportements seraient intéressants à utiliser (type thérapie cognitivo-dialectique de
Linehan [23]). Il convient également d’adapter les prises
en charge en fonction des comorbidités ayant un impact
sur la psychopathie (ici antisocial/paranoïaque et antisocial/narcissique), même si les difficultés pour établir une
alliance thérapeutique en cas de personnalité paranoïaque
sont bien connues [10]. Personnalité antisociale et impulsion davantage contrôlées sont également à prendre en
compte afin de présager du risque de récidive (sensibilité
au contexte, addiction. . .). Une limite est à noter. Certains troubles de l’axe II affectent peu de sujets, cas des
troubles dont l’effectif est inférieur à 5 (négativiste, schizotypique, schizoïde, histrionique) pour lesquelles les analyses
n’ont pu être effectuées. De plus, peu de sujets ont présenté les personnalités évitante (n = 7), dépendante (n = 7)
et obsessionnelle-compulsive (n = 8).
D’autres aspects seraient aussi à explorer comme les
bases biologiques de la psychopathie, notamment les facteurs génétiques entrant en jeu dans le trouble antisocial
et l’aspect neurocognitif de la violence. Pour le premier
et à travers une revue de la littérature, certaines données
iraient dans le sens d’une héritabilité partielle en insistant
sur les interactions entre environnement et génotype [26].
Le second s’appuie sur le modèle d’inhibition de la violence
(VIM), pré-requis dans la socialisation et l’émergence de la
moralité [3].
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