Psychopathie et troubles de la personnalité associés 255
en deux facteurs définissant pour l’un des traits de per-
sonnalité spécifiques (facteur 1 : narcissisme pathologique,
détachement émotionnel etc.) et pour l’autre les compor-
tements antisociaux et impulsifs (facteur 2) [16]. Le facteur
1, relatif à des traits de personnalité caractéristiques de
la psychopathie, a une certaine stabilité et représente
le noyau dur [22,30] et essentiel [28] de la psychopathie
. Le facteur 2 a trait à la composante comportementale
proche du trouble antisocial du DSM-IV [1] (unique prise en
compte des comportements criminels et antisociaux) [22].
Pour Pham et Côté [30] cette «entité clinique distincte
caractérisée par un fonctionnement antisocial et des traits
de personnalité »...«définirait l’essence même du sujet
antisocial (p.21) ». En dépit de la validité psychométrique
de ces travaux en langues anglaise [16] et franc¸aise [5,30],
la délimitation et spécificité diagnostiques de la psychopa-
thie demeurent toutefois controversées [22]. Deux types de
travaux questionnent l’entité psychopathique : ceux qui ont
étudié ses composantes internes (recherche de sous-types)
et ceux qui précisent ses liens avec d’autres troubles de
personnalité (comorbidité).
En ce qui concerne les travaux relatifs aux composantes
internes, différents auteurs évoquent l’hétérogénéité du
concept de psychopathie. Par exemple, quatre sous-types
de psychopathie ont été mis en évidence [27] : narcis-
sique, borderline, sadique et antisocial. Ces psychopathes
présentent le même noyau de caractéristiques au niveau
personnalité mais peuvent manifester des variabilités dans
leur comportement. Aussi, les psychopathes borderline
seraient plus labiles et impulsifs. D’autres études se sont
attachées à décrire des variantes primaire et secondaire de
la psychopathie [36,37]. Chez les psychopathes primaires,
la violence serait plus intense et le narcissisme y serait
plus souvent lié alors que les psychopathes secondaires
se distingueraient par la présence d’anxiété-trait. Ils
auraient moins de traits psychopathiques et davantage de
caractéristiques de la personnalité borderline. De plus,
les psychopathes secondaires tendraient à avoir le même
niveau de comportements antisociaux, mais répondraient
plus favorablement au traitement. Chacune de ces variantes
aurait une étiologie différente. Ainsi, la psychopathie pri-
maire reflèterait davantage les influences génétiques alors
qu’il s’agirait plutôt des influences environnementales pour
la psychopathie secondaire.
Les résultats de travaux de type catégoriel relatif à la
comorbidité soulignent une forte comorbidité de la psy-
chopathie avec d’autres troubles de personnalité. Ainsi,
cela questionne les frontières de la psychopathie et sa par-
ticularité. Soixante pour cent de la population carcérale
présentent des troubles de la personnalité, particulièrement
du cluster B de l’axe II du DSM-IV (histrionique, narcissique,
borderline et antisocial) et parmi ceux-ci les troubles anti-
social et borderline sont les plus fréquents [11]. Aussi, la
comorbidité est forte non seulement pour la personnalité
antisociale (axe II du DSM IV), mais également pour d’autres
troubles de l’axe II : histrionique, narcissique et borderline
[16,18,40]. En raison de la transversalité de l’impulsivité, la
littérature a déjà souligné le recouvrement des troubles du
cluster B avec la psychopathie [24,37].
Ces différents travaux ont des conséquences cliniques
importantes et convergentes en termes de manifestations
différentielles du risque de violence, d’indications théra-
peutiques adaptées et de pronostics ; d’où l’importance de
repérer ces tableaux distinctifs [34]. En effet, la comorbi-
dité complique l’évolution psychopathologique en général
[32] et majore le risque d’un passage à l’acte notam-
ment chez les psychopathes [8]. De plus, la capacité à
éprouver des émotions sur un mode douloureux serait en
faveur d’un pronostic plus ouvert. Cela émane de connais-
sances issues de l’expérience clinique et expertale, en
général d’inspiration psychanalytique [19,25], mettant en
avant que le pronostic psychothérapeutique est meilleur
pour les sujets psychopathes si certaines caractéristiques
de type borderline sont présentes : sensibilité anxiodépres-
sive, capacité à avoir accès à un sentiment de culpabilité et
à initier une relation, capacité d’attachement. Même si ces
caractéristiques s’expriment le plus souvent avec la labilité
typique du fonctionnement borderline, elles peuvent néan-
moins donner prise à une possibilité d’alliance relationnelle
exploitable à des fins thérapeutiques. Il est donc essentiel
de les repérer. Le trouble psychopathique et le trouble bor-
derline entretiendraient donc une relation particulière, leur
association n’étant pas nécessairement un signe de gravité
psychopathologique [20,27].
L’objectif de cette étude est d’évaluer l’impact des
troubles de la personnalité définis par l’axe II du DSM-IV
(approche catégorielle) associés à celui de psychopathie
tel que définie par la PCL-R (approche dimensionnelle) et
d’envisager plus particulièrement l’impact du trouble bor-
derline. En outre, ce travail a aussi pour objectif de montrer
l’intérêt de la complémentarité d’une approche catégo-
rielle et dimensionnelle et ce à partir d’une démarche
d’évaluation clinique standardisée utilisable à la fois dans
une perspective de recherche et de pratique clinique auprès
de la population carcérale. Les hypothèses étant, (H1) qu’il
existerait un lien entre la psychopathie évaluée sur un mode
dimensionnel (PCL-R) et la présence d’autres troubles de la
personnalité, notamment parmi les troubles de l’axe II clus-
ter B histrionique, narcissique, et antisocial : plus le score de
psychopathie (PCL-R) augmente, plus le lien serait élevé ;
(H2) un lien particulier relierait le score de psychopathie
au trouble borderline : il serait positif entre le score glo-
bal et celui du facteur 2 (poids des conduites antisociales
et de l’impulsivité) et absent, voire inverse avec celui du
facteur 1 (abaissement du score en raison du poids de la
présence de caractéristiques borderline de type : réactivité
émotionnelle, capacité furtive d’attachement).
Méthode
Population
Notre recherche comprend 80 sujets détenus et condam-
nés de sexe masculin (âge : M= 31,48 ; SD = 11,06) incarcérés
en maisons d’arrêt de la région centre et de la région
parisienne. Aucun des sujets n’avait un QI inférieur à 70
(M= 98,99 ; SD = 11,37 ; n= 74).
Procédure
Le niveau de psychopathie (PCL-R [16]) et les troubles de
la personnalité du DSM-IV [1] (SCID-II [12]) ont été évalués
pour chaque participant. Le MINI [21] et la WAIS (version