L’Encéphale (2010) 36, 33—38
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
ÉPIDÉMIOLOGIE
État des lieux de la consommation de substances
psychoactives par les femmes enceintes
Psychoactive substance use during pregnancy: A review
S. Lamya,b, F. Thibauta,b,c,
aCHU de Rouen, 76031 Rouen, France
bInserm CIC 0204, Inserm U 614, UFR de médecine, Rouen, France
cUnité de psychiatrie, CHU Charles-Nicolle, 1, rue de Germont, 76031 Rouen, France
Rec¸u le 24 avril 2007 ; accepté le 1er d´
ecembre 2008
Disponible sur Internet le 23 avril 2009
MOTS CLÉS
Cocaïne ;
Cannabis ;
Alcool ;
Tabac ;
Grossesse ;
Épidémiologie
Résumé La consommation de substances psychoactives est en augmentation croissante en
France et dans le monde. Les évaluations de la consommation de substances sont souvent
basées sur des autoquestionnaires et leur interprétation doit demeurer prudente. Les chiffres
de prévalence de la consommation de cannabis et/ou de cocaïne chez la femme enceinte
sont inconnus en France et sont extrapolés à partir des données recueillies chez la femme
en âge de procréer et à partir des données de la littérature internationale. On estime, en
France, que 20 à 30 % des femmes consomment du tabac, 15% au moins de l’alcool,3à10%du
cannabis et 0,5 à 3 % de la cocaïne durant la grossesse. Les conséquences de la consommation
de substances psychoactives sont importantes, aussi bien chez la femme enceinte que chez
l’enfant. Une meilleure identification du profil des femmes susceptibles de consommer des
substances psychoactives pendant leur grossesse permettrait une meilleure prise en charge
médicopsychosociale de la mère et de l’enfant et permettrait de mieux cibler les campagnes
de prévention et d’information.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
KEYWORDS
Cocaine;
Tobacco;
Alcohol;
Cannabis;
Epidemiology;
Pregnancy
Summary All around the world, the potential consequences of the increasing use of psychoac-
tive substances during pregnancy are a major public health concern. It is estimated that 20 to
30% of pregnant women use tobacco, 15% use alcohol, 3 to 10% use cannabis and 0.5 to 3% use
cocaine. The estimation of tobacco consumption during pregnancy is better known as compared
with alcohol and substance use prevalence during pregnancy, which remains under estimated or
unknown. For example, in France, the prevalence of cannabis and cocaine use during pregnancy
is unknown. In general, the prevalence of drug or alcohol use during pregnancy is estimated by
extrapolating data from epidemiological studies conducted in the general population (in France
or in other countries). However, drug or alcohol use in the general population may dramatically
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (F. Thibaut).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2008.12.009
34 S. Lamy, F. Thibaut
vary from one country to another. Even if some studies have reported the prevalence of alco-
hol or substance use in different countries around the world, most of them were based on the
mother’s interview. In most cases, the mother did not report exactly the amount of drugs or
alcohol used. Further studies measuring alcohol or substance use in the mother’s blood, hair or
in the newborn’s meconium are needed. In addition, different methodologies have been used in
the literature (different types of interview, with or without biological measurements; different
subjects included (in- or out-pregnant women, psychiatric comorbidities or not, different eco-
nomic status, etc). Despite these methodological biases, the prevalence of drug or alcohol use
increases in pregnant women, and in most cases, several drugs are associated. Most of the
studies have used structured or semi-structured interviews such as the addiction severity index
(ASI) or the alcohol use disorders identification test (AUDIT) to assess alcohol or drug consump-
tion. In addition, the identification of risk factors for substance or alcohol use during pregnancy
would allow the early detection of these high-risk pregnancies. Environmental factors such as
low economic status or marital status may play an important role. Personality disorders may
also contribute to substance or alcohol use during pregnancy. In fact, in most studies the qua-
lity of the obstetrical survey is lower in pregnant women using drugs or alcohol but it remains
difficult to describe a specific at-risk profile in these pregnant women. Consumption of alcohol
or of one or more psychoactive substances during pregnancy may have serious consequences on
the pregnancy and on the child’s development. Fetal alcoholism syndrome is the main etiology
of mental retardation in France. We need to improve our knowledge of alcohol and substance
use during pregnancy in order to target information for prevention campaigns and to implement
specific mother and child medical care in high-risk populations.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Introduction
La consommation de substances psychoactives chez les
jeunes est en constante augmentation en France d’après les
enquêtes menées par la Mission interministerielle de lutte
contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) dont les rapports
sont réalisés et publiés par l’Observatoire Franc¸ais des
drogues et des toxicomanies (OFDT). Le dispositif tendances
recentes et les nouvelles drogues (TREND) évalue les TREND
en France en s’appuyant sur 11 sites d’observation en France
métropolitaine et outre-mer. Les données de l’enquête sur la
santé et les consommations lors de l’appel de préparation à
la défense (ESCAPAD) menée auprès des adolescents passant
leur journée d’appel de préparation à la défense (JAPD),
complètent celles du baromètre santé (enquête menée
chez les adultes) et de l’enquête menée en population
scolaire avec l’inserm (ESPAD). Ces études ont été réalisées
uniquement à l’aide d’autoquestionnaires et, de ce fait,
les données doivent être interprétées avec précaution.
Les chiffres de prévalence de la consommation de sub-
stances psychoactives durant la grossesse sont mal connus
en France et sont :
évalués par extrapolation des données des études épi-
démiologiques réalisées sur l’ensemble de la population
franc¸aise et sur la base des études internationales (en
gardant à l’esprit que les consommations de substances
psychoactives diffèrent parfois beaucoup d’un pays à
l’autre et que l’extrapolation de ces données à la France
doit donc être prudente) ;
ou évalués à l’aide de questionnaires ou
d’autoquestionnaires, ce qui peut entraîner une sous
estimation des consommations.
La grossesse chez une femme consommant une ou plu-
sieurs substances psychoactives (quelle que soit la substance
en cause) constitue une grossesse à risque même si les com-
plications fœtomaternelles semblent diminuer du fait, par
exemple, de la prescription d’un médicament de substitu-
tion durant la grossesse dans le cas où la mère consommait
des opiacés. Un des principaux facteurs de risque de sur-
venue de complications obstétricales est le manque, voire
parfois l’absence, de suivi médical au cours de ces grossesses
à risque.
Prévalence de la consommation de tabac,
d’alcool, de cannabis et de cocaïne chez la
femme enceinte en France
Consommation de tabac
Les questionnaires et méthodes utilisées pour établir une
estimation de la prévalence de la consommation de sub-
stances psychoactives ou d’alcool seront abordés dans le
chapitre IV (Méthodologie et biais épidémiologiques).
En 2004, a eu lieu la première conférence de consen-
sus «Grossesse et tabac ». Les experts ont indiqué que
même si le tabagisme féminin est en décroissance (32 % des
femmes fumaient en 1984—1986 contre 25 % en 2002—2003,
tous âges confondus), la prévalence du tabagisme chez
les jeunes femmes âgées de 18 à 24 ans était de 46 % en
2002—2003.En revanche, la proportion de femmes enceintes
qui fument a doublé passant de 12 % ilya20ansà25%
aujourd’hui, environ 35 % des femmes consomment du tabac
en début de grossesse et 18 % des femmes fument jusqu’à
l’accouchement [12].
Grangé et al. [11] ont réalisé une étude chez 979 femmes
venant d’accoucher dans quatre régions franc¸aises. Une
femme sur 50 réalise son sevrage tabagique en vue de sa
grossesse, 84 % sont sevrées au premier trimestre, 8,8 % au
second et 7,1 % au troisième.
État des lieux de la consommation de substances psychoactives 35
Les femmes qui n’ont pas réussi à stopper leur consom-
mation étaient plus isolées sur le plan social, avaient un
niveau de dépendance plus élevé à la nicotine et une per-
ception du risque pour le fœtus plus faible que celles qui
ont arrêté leur consommation. Parmi celles qui stoppent
leur consommation, environ une sur trois s’arrête de fumer
sans aide spécifique ni adaptée, seules 6 % déclarent avoir
été motivées par des informations médicales. Soixante-six
pour cent des femmes qui ne sont pas parvenues à stop-
per leur consommation de tabac avaient un partenaire qui
fumait, comparativement aux 63 % qui sont parvenues à
arrêter. Quatre-vingt dix-sept pour cent des femmes qui
ont stoppé leur consommation de tabac durant leur gros-
sesse consommeront à nouveau du tabac dans les années
qui suivent l’accouchement. Ainsi, le nombre de femmes
qui poursuivent leur consommation jusqu’à l’accouchement
demeure élevé. La consommation ou non par le partenaire
est un élément clé dans cette consommation ou dans la
reprise de la consommation après l’accouchement [11,12].
Il y a très peu de données dans la littérature sur le syn-
drome de sevrage rencontré chez le nouveau-né exposé
au tabac durant la vie fœtale. C’est un ensemble de
petits symptômes (pleurs, nouveau né inconsolable, irri-
tabilité, troubles du sommeil, troubles digestifs...) qui
vont, s’ils sont associés à la notion de consommation de
tabac par la mère durant la grossesse, permettent aux
cliniciens d’établir un diagnostic de syndrome de sevrage
à minima, celui-ci pouvant entraîner des difficultés rela-
tionnelles mère—enfant [23]. Il est possible d’établir un
diagnostic en dosant dans le méconium ou les cheveux de
l’enfant ou dans les cheveux de la mère la cotinine (méta-
bolite de la nicotine).
Cependant, il est souvent difficile de savoir si un symp-
tôme du syndrome de sevrage est lié à l’exposition d’une
substance spécifique durant la grossesse car les mères sont
souvent polyconsommatrices (alcool, tabac et/ou cannabis).
Consommation d’alcool
La prévalence de la consommation d’alcool par la femme
enceinte n’est pas connue de fac¸on exacte en France et les
données sont extrêmement disparates d’une étude à l’autre,
selon la méthodologie utilisée (questionnaires, autoques-
tionnaires, dosages biologiques), la population étudiée et
le moment de la grossesse.
Une étude menée par Malet et al. [17] en Auvergne chez
1027 femmes enceintes a révélé que seulement 53 % des
femmes affirmaient ne pas avoir consommé d’alcool durant
leur grossesse, 33 % disaient avoir consommé entre un et
quatre verres en quelques occasions, 13 % ont reconnu boire
de fac¸on fréquente et 1 % auraient consommé cinq verres ou
plus à l’occasion.
De plus, la prévalence de la consommation d’alcool par
la femme enceinte n’est probablement pas le meilleur indi-
cateur pour évaluer le danger qu’encourt le fœtus pour au
moins deux raisons :
on ne connaît pas la quantité d’alcool que la mère doit
consommer pour que le fœtus soit en danger mais le risque
pour le fœtus concerne toutes les variétés de boissons
alcoolisées (vin, bière, cidre, spiritueux...);
et on sait que la toxicité de l’alcool dépend en particulier
des capacités métaboliques de la mère pour l’alcool et du
moment de gestation. En effet, les conséquences morpho-
tératogènes sont l’apanage du début de grossesse tandis
que les effets centraux sont la conséquence d’expositions
prolongées. L’arrêt de l’exposition du fœtus à l’alcool,
même tardivement allège ces répercussions.
Le syndrome d’alcoolisme fœtal est la première cause
de retard mental évitable. Des études ont montré une inci-
dence de 1,6en Suède, 0,2 à 1aux États-Unis et entre
1à3en France et l’incidence des effets de l’alcool sur
le fœtus (EAF) représentent 1 % des naissances. Dans une
étude menée par de Chazeron et al. [5] en Auvergne, chez
837 femmes qui ont consommé de l’alcool durant la gros-
sesse (en répondant au questionnaire alcohol use disorders
identification test [AUDIT]), il a été retrouvé une préva-
lence du syndrome d’alcoolisme fœtal de 1,8 enfants pour
1000 naissances.
Consommation de cannabis
Nous ne connaissons pas précisément, à l’heure actuelle, la
prévalence de la consommation de cannabis chez la femme
enceinte en France. On remarque que la prévalence de la
consommation de cannabis augmente chez les jeunes de
moins de 25 ans en population générale en France (rapport
TREND).
En France, le rapport TREND 2005 rapporte :
11 millions d’expérimentateurs du cannabis (au moins une
fois dans leur vie) (âge compris entre 12 et 75 ans) (24 %
de la tranche d’âge) ;
4,2 millions de consommateurs occasionnels (consomma-
teurs dans l’année), soit 18 % de la tranche d’âge ;
850 000 de consommateurs réguliers (dix fois dans le
mois) ;
450 000 de consommateurs journaliers (soit 50 000 de plus
qu’en 2003). 6,3 % des jeunes de 18—25 ans sont concernés
contre 1,3 % des 16—44 ans (ESCAPAD 2003).
Consommation de cocaïne
Nous connaissons mal, à l’heure actuelle, la prévalence de
la consommation de cocaïne chez la femme enceinte.
Il y aurait plus de 850 000 expérimentateurs de cocaïne
en France dans la population générale (données OFDT,
2002) et 150 000 consommateurs occasionnels, avec un taux
d’expérimentation pour les 18 à 44 ans qui est passé de 1,2
à 3,3 % depuis 1992.
En résumé, en ce qui concerne le cannabis et la cocaïne,
il n’y a pas, à l’heure actuelle de données sur la consom-
mation de cannabis et de cocaïne chez la femme enceinte.
Nous extrapolons la prévalence de ces consommations chez
la femme enceinte à partir d’études réalisées dans la
population générale. La polyconsommation est fréquente
chez la femme enceinte. La tendance à l’association de
plusieurs produits a tendance à croître avec l’âge dans
la population générale (15 % au lycée contre 18 % dans
l’enseignement supérieur) et l’association la plus sou-
vent retrouvée est cannabis—tabac. Lorsque l’on considère
36 S. Lamy, F. Thibaut
les produits associés au cannabis, parmi les consomma-
teurs réguliers de cannabis en France en 2004 chez les
15—29 ans (enquête TREND 2005) : 52,3 % des consomma-
teurs de cannabis fument régulièrement du tabac et 32,4 %
consomment souvent de l’alcool.
Revue de litterature internationale sur la
consommation de substances psychoactives
chez la femme enceinte
Les études évaluant la prévalence de la consomma-
tion de substances psychoactives sont nombreuses mais
extrêmement disparates. Cela étant largement dû aux
méthodologies utilisées (simples questionnaires ou dosages
biologiques), aux biais liés au recrutement (recueil des
données dans un seul hôpital, biais de recrutement
des femmes (disparités socioéconomiques, comorbidités
psychiatriques...). Néanmoins, on note une augmenta-
tion croissante de l’utilisation de substances psychoactives
durant la grossesse dans de nombreux pays :
aux États-Unis, la prévalence de la consommation d’alcool
par les femmes dans la population générale est de une
pour cinq (cinq verres, voire plus, lors d’occasions particu-
lières) et une femme sur 25 consomme de l’alcool durant
la grossesse [7] ;
en Australie, 10 % des femmes non indigènes de l’ouest
de l’Australie ont répondu à un questionnaire, 79,8 % des
femmes rapportaient avoir consommé de l’alcool dans
les trois mois ayant précédé la grossesse, 58,7 % durant
le premier trimestre et 14 % durant toute la grossesse.
Seule 46,7 % des femmes disaient ne pas avoir consommé
d’alcool durant leur grossesse [3] ;
l’étude de Kristjanson et al. [15], qui questionne des
femmes enceintes et non enceintes, montre que 95,6 %
(dont 7,6 % sont dépendantes et 18,4 % consomment plus
de cinq verres d’alcool lors d’une occasion) des femmes
en Russie ont consommé de l’alcool dans les 12 derniers
mois et que 60 % disent poursuivre leur consomma-
tion lorsqu’elles se savent enceintes. 34,9 % consomment
encore de l’alcool après 30 jours de grossesse et 7,4 %
consomment plus de cinq verres à la moindre occasion ;
au Chili, Aros et al. [2] ont estimé (par questionnaire)
le nombre de femmes consommant durant la grossesse
plus de 48 g d’alcool/j ou plus (dose clairement iden-
tifiée comme dangereuse pour le fœtus). Ainsi, 1 % des
femmes enceintes (sur les 9628 femmes interviewées)
consomment plus de 48 g/j d’alcool, 57,4 % consomment
de l’alcool et 3,7 % consomment plus que la moyenne (soit
15 ml d’alcool pur/j) ;
en Suède, 1101 femmes furent interrogées à l’aide de
l’autoquestionnaire AUDIT à la 30esemaine de grossesse :
30 % consomment de fac¸on régulière de l’alcool et 46 %
disent consommer lors d’une occasion [10]. Une autre
étude suédoise faite par Alvik et al. [1] retrouve 89 % de
femmes consommant de l’alcool avant la grossesse et 23 %
après 12 semaines de grossesse ;
en Irlande, Mc Millan et al. [20] ont fait une étude épi-
démiologique qui montre que 37 % des femmes enceintes
fument du tabac, 89 % consomment de l’alcool en quantité
variable (seulement 44 % des femmes interrogées savaient
que consommer de l’alcool durant la grossesse comportait
des risques) ;
dans l’étude de cohorte prospective, menée à Pitts-
burgh [4], 1360 femmes ont été interrogées entre le
quatrième et le septième mois de grossesse puis
après l’accouchement sur leur consommation de tabac,
d’alcool, de cannabis et d’autres substances. Il n’y a
pas eu de dosages biologiques de substances : 54,3 % des
femmes ont consommé du tabac durant le premier tri-
mestre de la grossesse et 52,3 % au dernier. Cinquante
et un pour cent fumaient du cannabis avant la gros-
sesse dont 21 % plus d’un joint/jour, même si celles-ci
disent avoir diminué leur consommation, 19 % ont pour-
suivi leur consommation de cannabis durant la grossesse
et 5 % consommaient encore plus d’un joint/jour ;
une étude épidémiologique anglaise [26], portant sur
400 enfants, a montré la présence dans le méconium
de métabolites du cannabis chez 13,2 % d’entre eux, de
cocaïne dans 2,7 % des cas et d’amphétamine dans 1,7 %
des cas mais cette étude ne se révèle pas exhaustive. En
effet, l’étude ne portait que sur un seul hôpital (situé dans
une zone plutôt socioéconomiquement défavorisée) et les
dosages ne concernaient pas toutes les femmes accou-
chant dans ce centre, il y a donc un biais de recrutement ;
Mitsuhiro et al. [21] ont estimé la prévalence de la
consommation de cannabis et de cocaïne durant le der-
nier trimestre de la grossesse à São Paulo, en dosant
ces toxiques dans les cheveux de 1000 femmes qui ont
accouché dans une grande maternité. Cette étude s’est
déroulée de juillet 2001 à novembre 2002. Ils ont trouvé
que 6 % des femmes consommaient l’un ou l’autre de ces
toxiques : 4 % du cannabis et 1,7 % de la cocaïne et 0,3 %
les deux ;
Pichini et al. [22] ont prélevé le méconium de
1151 nouveaux-nés entre octobre 2002 et février 2004
dans une maternité de Barcelone. 79 % des femmes ont
accepté de participer à l’étude. 6,3 % des méconiums
étaient positifs aux opiacés, 3,1 % à la cocaïne et 1,4 %
aux deux substances. La consommation de ces substances
était fréquemment associée à celle de tabac et de can-
nabis. Ainsi, la polyconsommation est de plus en plus
souvent retrouvée et il va être de plus en plus dif-
ficile de savoir si les conséquences de l’exposition in
utero par l’enfant sont dues à l’un ou l’autre de ces
toxiques ;
dans une étude réalisée dans le Nord des États-Unis [25],
on note que selon le niveau socioéconomique de la mère,
entre 3 et 41 % des nouveaux nés sont exposés in utero au
cannabis.
Méthodologie et biais épidemiologiques
La plupart des études utilisent ainsi des questionnaires
comme l’addiction severity index (ASI) ou des autoques-
tionnaires ou bien des dosages biologiques à la naissance
de l’enfant (dans le méconium, les cheveux de la mère
ou de l’enfant, le sang de cordon, l’urine de la mère
ou le sang maternel), soit les deux mais ces études sont
rares.
L’ASI est l’instrument le plus utilisé dans le monde pour
l’évaluation des sujets usagers de substances psychoactives
État des lieux de la consommation de substances psychoactives 37
dont l’usage peut donner lieu à dépendance. L’ASI a été
développé dans les années 1985 à Philadelphie (États-Unis)
par l’équipe de Mc Lellan. L’ASI a été validé en langue
franc¸aise par Krenz et al. en 2004 [14]. Il permet de quan-
tifier la fréquence et la gravité de l’usage de substances
et sa répercussion sur la vie du sujet. Il ne permet pas de
faire un diagnostic ni d’abus ni de dépendance. L’ASI est un
hétéroquestionnaire standardisé semi-structuré recueillant
des informations dans sept domaines de la vie du patient
(médical, consommation de substances et d’alcool, relations
familiales et sociales, situation légale, emploi et ressources,
état psychologique [18,19]). La passation du test est réali-
sée par un évaluateur spécifiquement formé. La passation
peut être répétée dans le temps. Des autoquestionnaires
peuvent également être utilisés pour affiner les données
comme l’AUDIT, qui est un autoquestionnaire développé
par l’OMS et validé aussi bien en population générale que
spécifique [9]. Il permet d’estimer les populations pré-
sentant une alcoolisation à risque car il s’intéresse aux
douze derniers mois écoulés. Il explore la fréquence et
la quantité d’alcool consommé, la dépendance et les pro-
blèmes rencontrés à cause de la consommation d’alcool.
L’autoquestionnaire de Fagerström est un test permettant
d’évaluer l’usage de tabac et il mesure la probabilité
d’être dépendant mais ce n’est pas un test diagnostique
car il ne reprend pas les critères diagnostiques ni de
l’abus ni de la dépendance. L’autoquestionnaire cannabis
abuse screening test (CAST) permet d’effectuer un pre-
mier repérage des usages nocifs du cannabis, à partir de
six questions. Comme le test de Fagerström, cet autoques-
tionnaire ne permet pas de faire un diagnostic d’abus ou de
dépendance. Il a été utilisé notamment dans les enquêtes
ESCAPAD.
L’idéal serait de coupler le dosage biologique à la passa-
tion de un ou plusieurs questionnaires aidant à l’évaluation
de la consommation comme l’ASI. Les données issues de la
littérature montrent que lors de la réalisation de simples
audits sur la consommation de substances psychoactives
chez la femme enceinte, la fréquence de la consommation
avouée est largement inférieure à celle que l’on retrouve
si l’on effectue un dosage des différentes drogues chez le
nouveau né ou chez la mère [22].Il apparaît ainsi néces-
saire d’utiliser des méthodes objectives d’évaluation de la
consommation de substances psychoactives si l’on veut éva-
luer la prévalence de l’usage de ces substances au cours
de la grossesse (dosage dans le sang, l’urine, les cheveux
du nouveau-né [mais les nouveaux nés n’ont pas toujours
de cheveux à la naissance et les mères n’acceptent pas
nécessairement un prélèvement capillaire chez leur enfant]
ou de la mère, ou enfin dans le méconium du nouveau-
né).
Une étude réalisée chez 974 dyades mère—enfant à Bar-
celone par Lozano et al. [16] a montré que la recherche
de cannabis dans le méconium du nouveau-né était posi-
tive dans 5,3 % des cas mais que seulement 1,7 % des mères
avaient signalé une consommation lors de l’interview. Les
dosages biologiques seuls sont insuffisants car les mères
peuvent avoir consommé avant le cinquième mois de
grossesse (période à partir de laquelle les toxiques sont
détectables dans le méconium), elles ont parfois également
les cheveux trop courts pour effectuer les recherches de
toxiques sur une matrice capillaire.
Existe-t-il un profil de femmes enceintes
consommant des substances psychoactives ?
Il semble y avoir peu de points communs entre une femme
enceinte parfaitement insérée sur le plan professionnel,
avec une situation familiale stable et qui fume du canna-
bis pour se détendre ou qui boit par «convention sociale »
et une femme séropositive pour le VIH, vivant dans la préca-
rité et l’exclusion. De nombreuses études ont été réalisées
afin de tenter d’établir un «profil »des femmes enceintes
consommant une ou plusieurs substances psychoactives.
Cela permettrait de dépister les grossesses à risque, même
si une grande majorité des femmes consommant des sub-
stances illicites n’ont qu’un suivi obstétrical minimum (ces
femmes appréhendent le contact avec le milieu médical car
elles craignent souvent qu’on ne leur enlève la garde de leur
enfant). Les études portant sur les différents profils sont
disparates et parfois même contradictoires :
Fried [8], au cours d’une étude de cohorte prospective
portant sur des enfants nés de femmes de la région
d’Ottawa qui consommaient à divers degrés du canna-
bis pendant leur grossesse, montrent que les femmes qui
consommaient du cannabis régulièrement pendant leur
grossesse (plus de cinq joints par semaine) appartenaient
à une classe socioéconomique plus défavorisée, étaient
moins instruites et qu’elles fumaient davantage de tabac
que les autres femmes ;
aux États-Unis, le profil des femmes consommant de
l’alcool et du tabac est le suivant : les femmes céliba-
taires, vivant en milieu urbain, ne recevant pas de soins
lors de leur grossesse ou simplement en fin de grossesse
(US Preventive Services Task Force, 1996) ;
Vaughn et al. [24] montrent que la consommation de
substances psychoactives varie en fonction de l’origine
ethnique. Ainsi, les femmes blanches consomment plus
d’alcool et de cannabis que les femmes noires qui, en
revanche, consomment de fac¸on privilégiée de la cocaïne.
Ils signalent aussi que les femmes consommant une sub-
stance psychoactive ont un moins bon suivi obstétrical aux
Etats-Unis ;
les femmes noires américaines auraient tendance à
consommer davantage de drogues illicites (surtout la
cocaïne) que les femmes de race blanche qui, elles,
consommaient davantage d’alcool [13]. La plupart des
femmes étaient, dans les deux cas, très souvent issues
de familles consommatrices de substances psychoac-
tives. Elles avaient parfois été abusées sexuellement dans
l’enfance et vivaient dans un milieu familial dans lequel
régnait la violence. Les comorbidités psychiatriques sont
fréquentes (36,4 %) telles que les pathologies dépressives
et, le plus souvent, des troubles de la personnalité ;
Fergusson et al. [6] ont établi une liste de facteurs de
risque qui, lorsqu’ils sont présents, doivent faire penser
à une possible consommation de cannabis :
le jeune âge,
la primiparité,
le haut niveau d’éducation,
la consommation tabagique,
la consommation régulière d’alcool,
la consommation régulière de thé et/ou de café,
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