QUELQUES CONSTATS
Les praticiens se plaignent parfois
d’un manque de recommandations
cliniques pour le traitement du
trouble anxieux généralisé [TAG].
De plus, les psychiatres ont le senti-
ment de ne voir le plus souvent que
des TAG comorbides. L’évolution du
TAG, notamment de l’enfance à
l’âge adulte, n’est pas bien connue
des cliniciens.
De fait, cette entité pathologique
risque d’être retirée du DSM-V en
raison des difficultés à en donner une
définition et des limites. Elle paraît
cependant avoir un intérêt notam-
ment en pratique libérale et ambula-
toire.
QUELQUES RAPPELS
SUR LE TAG
Le TAG n’est pas un concept nou-
veau puisque Freud avait initiale-
ment décrit l’excès de préoccupa-
tions face à certaines contingences
quotidiennes. Dans notre nosologie
moderne, le DSM III (1980) proposait
le « Generalized Anxiety Disorder »
comme une anxiété pathologique,
non phobique, non obsessionnelle,
non compulsive, non traumatique,
non paroxystique, non réactionnelle.
La définition actuelle de l’anxiété gé-
néralisée repose sur le souci. Les
soucis pathologiques se distinguent
des soucis normaux par leur intensité
et leur durée. L’aptitude au souci est
initialement un avantage évolutif
permettant la résolution de pro-
blèmes. Mais dans le TAG, les soucis
sont si intenses qu’ils paralysent les
possibilités de prise de décision et les
capacités adaptatives. D’autre part,
ils ne sont pas ponctuels et réaction-
nels : ils sont au contraire prolongés
et difficilement contrôlables. Ceci a
un retentissement sur le bien être et
les capacités adaptatives.
Critères diagnostiques du TAG
(DSM-IV TR)
Anxiété et soucis excessifs surve-
nant la plupart du temps durant au
moins 6 mois concernant un certain
nombre d’événements ou d’activités.
La personne éprouve de la difficul-
té à contrôler ces préoccupations.
L’anxiété et les soucis sont asso-
ciés à 3 (ou plus) des 6 symptômes
suivants : agitation, fatigabilité, diffi-
cultés de concentration ou trous de
mémoire, irritabilité, tension muscu-
laire, perturbation du sommeil.
L’objet de l’anxiété et des soucis
n’est pas limité aux manifestations
imputables à un autre trouble.
Souffrance cliniquement significa-
tive ou altération du fonctionnement
social, professionnel.
La perturbation n’est pas due aux
effets physiologiques directs d’une
substance ou d’une affection médi-
cale générale et ne survient pas ex-
clusivement au cours d’un trouble de
l’humeur, d’un trouble psychotique.
Le souci est donc le symptôme cen-
tral du TAG : il est défini comme
« l’état de l’esprit est absorbé par un
objet et cette préoccupation inquiète
ou trouble jusqu’à la souffrance mo-
rale. » (Robert). Le sujet se pose sans
cesse la question « et si… ? » face
aux circonstances de la vie quoti-
dienne, jusqu’à l’élaboration de scé-
nari catastrophes (le pire est toujours
anticipé et redouté). L’avenir est
scanné dans le sens d’une détection
systématique de tous les dangers
imaginables.
Les anxieux généralisés sont inca-
pables de stopper cette évaluation de
l’avenir, même pas une fois que le
danger est détecté et cerné. L’inca-
pacité à stopper les soucis est la
règle : « Personne ne se frappe au-
tant que moi, et à propos de tout.
Car n’importe quoi est prétexte à
© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt.
La dépression : des pratiques aux théories 11
Paris
Trouble anxieux généralisé
et dépression
C. André
tourment. Et je n’y peux rien. » écri-
vait ainsi Cioran, dans ses Cahiers.
Ce mécanisme de souffrance se tra-
duit par des ruminations, qui sont le
fait de « se focaliser de manière répé-
tée, circulaire, et stérile, sur les
causes, les significations et les consé-
quences de nos problèmes, de notre
situation, de notre état… ». Les ru-
minations différencient un individu
soucieux d’un sujet souffrant d’un
trouble d’anxiété généralisée. Le
souci n’est alors plus un avantage
adaptatif permettant de se focaliser
sur un problème et de générer des
solutions. L’anticipation est perma-
nente et vaine. « Il vaut mieux em-
ployer notre esprit à supporter les in-
fortunes qui nous arrivent qu’à
prévoir celles qui nous peuvent arri-
ver. » disait La Rochefoucauld. Mal-
heureusement pour eux, les anxieux
pensent que l’anxiété est favorable
et utile, qu’elle les aide à survivre : ils
sous-estiment le risque d’inhibition
de l’action, et les dégâts en termes
d’usure émotionnelle.
Les sujets anxieux sont souvent des
personnes adaptées dans la vie quoti-
dienne à leur environnement sur le
long cours, mais leur qualité de vie
est altérée car ils sont dans l’attente
constante d’une catastrophe.
Le TAG est un trouble fréquent avec
une prévalence annuelle de 2 % (6 %
sur la vie entière).
Par rapport au cas clinique présenté,
peuvent se poser diverses questions :
le problème du seuil entre normal et
pathologique, la question de la grille
de lecture employée (approche psy-
chodynamique vs symptomatique) et
des référentiels théoriques, ainsi que
le type de prise en charge à proposer.
Le TAG est un trouble à forte co-
morbidité : les chevauchements avec
d’autres tableaux syndromiques
comme l’hypocondrie (préoccupa-
tions sur la santé), la dimension ob-
sessionnelle (crainte de l’incertitude,
ruminations), le trouble de l’adapta-
tion avec humeur anxieuse et les
troubles de l’humeur sont fréquents.
Les TAG purs sont surtout rencon-
trés chez l’enfant. Chez l’adolescent,
la présence d’un TAG est un facteur
de risque dépressif à l’âge adulte.
Le TAG est le trouble anxieux le plus
fréquent chez les sujets âgés où les
comorbidités sont extrêmement fré-
quentes.
Les événements de vie peuvent être
responsables d’exacerbations du
trouble, sans en être la cause.
En outre, les tableaux cliniques de
TAG sont d’autant plus complexes
qu’ils évoluent depuis des années.
L’anxiété chronique est fluctuante,
tantôt sub-syndromique, tantôt syn-
dromique, volontiers en fonction des
événements de vie.
Les patients adressés au psychiatre
par le médecin généraliste comme
« anxio-dépressifs » sont souvent des
anxieux généralisés épuisés et dé-
couragés.
Concernant la prise en charge, il
existe bien sûr diverses possibilités :
psychothérapie d’approche psycho-
dynamique ou cognitivo-comporte-
mentale, traitements médicamen-
teux. Il faut cependant faire preuve
de prudence, et ne pas surmédicali-
ser des traits d’anxiété situés dans
les limites de la normale.
Référence
1. Angst J., Gamma A., Rössler W.
et al
. Long-term
depression
versus
episodic major depression: results
from the prospective Zurich study of a community
sample. J Affect Disord. 2009 ; 115 (1-2) : 112-
21. Epub 2008 Oct 29.
C. André L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S47-S48
S 48
La dépression : des pratiques aux théories 11
Tempérament anxieux
TAA
0,8 %
TAG
Anxiété
pathologique
Anxiété
mineure
10 20 30 40 50 60 70
6,4 %
FIG. 1. — L’évolution de l’anxiété sur la vie entière (1).
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