Dépressions et âges de la vie Fatigue, déprime, dépression : concepts et réalités B. Rimlinger 3 rue Urban V, 34000 Montpellier HISTORIQUE Par sa récurrence, le débat sur les concepts de fatigue, de déprime et de dépression a été comparé à la figure journalistique du marronnier. Le terme de dépression est relativement récent : il tient son origine de celui de la neurasthénie appar ue à la f in du XIXe siècle, Pierre Jannet introduisant peu après le concept de psychasthénie. Ainsi, on voit bien qu’asthénie, neurasthénie, psychasthénie, « fatigue de nerfs » et dépression ont toujours été très liés. Ils sont dans un même spectre, la même famille élargie tout en restant des concepts différents. Certaines classifications ne semblent plus pertinentes de nos jours telle la distinction entre asthénie physique et psychique. APPROCHE CLINIQUE Deux dimensions sont particulièrement importantes à considérer lors d’une consultation en L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. médecine générale pour asthénie : le rythme nycthéméral et la rupture avec le fonctionnement antérieur. Le fait que l’asthénie soit matinale, s’améliorant dans la journée avec un mieux en fin d’après midi est un signe robuste d’orientation vers une fatigue dépressive. Il en est de même pour une asthénie qui altère significativement le fonctionnement du sujet. Il est pertinent de se référer aux habitudes de vie propres à chaque sujet pour cerner l’importance du retentissement fonctionnel. Là on rejoint les critères diagnostiques de dépression selon le DSM-IV qui soulignent la nécessité d’une rupture significative avec le fonctionnement antérieur depuis une durée suffisamment importante, d’au moins quinze jours. Le recueil des éléments sémiologiques d’une asthénie en faveur d’une dépression nécessite des entretiens prolongés et multiples. Ces entretiens visent à aider le sujet à passer du registre d’une pathologie somatique à la conscience d’une maladie psychiatrique. Ils permettent, ainsi que la négativité des examens complémentaires, de rassurer le patient fatigué souvent en grande souffrance. Un bilan sanguin minimal qui élimine une anémie ou une anomalie thyroïdienne est recommandé. Enfin il est important de rappeler que toutes les dépressions ne sont pas ralenties et asthéniques puisque chez l’adolescent on rencontre le plus souvent des dépressions agitées et hostiles. Certaines dépressions masculines ne sont pas asthéniques et chez le sujet âgé les dépressions sont volontiers agitées et anxieuses. ANNONCE DU DIAGNOSTIC L’annonce du diagnostic semble difficile pour la majorité des praticiens. Ils préfèrent parler d’asthénie réactionnelle ou de déprime : parler de maladie dépressive reste difficile et fait craindre l’arrêt du suivi des patients. La négativité des examens biologiques pourrait faciliter l’annonce du diagnostic. De même, on peut faire appel à des références biolo- Dépressions et âges de la vie B. Rimlinger giques notamment le manque de neurotransmetteurs tels que la sérotonine ou la noradrénaline au niveau cérébral qui a été montré par imagerie cérébrale chez les patients déprimés. Par similitude avec le diabète l’antidépresseur corrige la déplétion en neurotransmetteurs comme l’insuline le fait chez les diabétiques insulinodépendants. Un moyen peut être d’insister sur les aspects psychologiques consécutifs à d’éventuels éléments déclencheurs. Tous les participants à cet atelier ont convenu que les sujets sont de plus en plus fatigués dans une société difficile où il faut toujours être fonctionnel face à beaucoup de sollicitations dans le travail, de charges dans la vie personnelle (travail, maison, enfants…). On voit de plus en plus de patients qui consultent pour une plainte de fatigue tout à fait normale quand on considère le mode de vie ; d’où l’intérêt de se poser la question sur cet aspect pour réfléchir aux moyens de diminuer les causes de fatigue en sachant qu’elle peut faire le lit de la dépression : il est impor tant S 34 L’Encéphale (2008) Hors-série 2, 33-34 d’aménager la situation avant qu’elle empire. Enfin, des plaquettes ou des outils d’information pour le patient et sa famille sont disponibles sur le site Internet de l’Institut National pour la Prévention et l’Éducation à la Santé (INPES) : www.INPES.santé.fr. TRAITEMENT Il a été retenu que la dépression est une maladie chronique. En effet dans 25 % des cas un épisode dépressif caractérisé est isolé, dans 50 % des cas il se complique de récurrences et dans 25 % des cas il devient chronique. Il est important de signaler que l’asthénie peut être en amont de la dépression et par conséquent signer une rechute, elle est aussi un signe pendant la dépression et parfois un symptôme résiduel après la rémission du syndrome dépressif. Dans ce dernier cas, elle peut être à tort imputée au traitement et être la cause d’arrêt d’où l’intérêt d’en informer le patient et son entourage. RÉMUNÉRATION La « fatigue » du médecin, face aux entretiens longs et spécifiques indispensables en cas de consultation pour asthénie, peut être gratifiée matériellement. Il est rémunéré 69 euros s’il fait passer deux échelles pour la cotation de la dépression telle que la MADRS ou la HDS et s’il cote ALQPQ003. CONCLUSION Les concepts de fatigue, déprime et dépression ont toujours été très liés bien que différents d’où la récurrence des débats au fil du temps. La fatigue peut aussi bien constituer le lit de la dépression qu’être un symptôme dépressif. L’évolution nycthémérale de l’asthénie ainsi que la rupture marquée avec le fonctionnement antérieur du sujet constituent deux indices majeurs qui orientent vers un diagnostic de pathologie dépressive. Enfin l’annonce du diagnostic semble encore difficile pour les praticiens non-psychiatres d’où l’importance de la formation et de l’information.